Impact des politiques d'adaptation côtière et développement résidentiel : atténuation ou aggravation des risques climatiques?

Un compte rendu critique par Epio Odette Bayala

Candidate au doctorat en Économie du Développement, École de Gestion

Université de Sherbrooke

Pour accéder à l’ouvrage original:
Li, X., Gopalakrishnan, S., & Klaiber, H. A. (2024). Local adaptation and unintended coastal vulnerability: the effect of beach nourishment on residential development in North Carolina. Journal of the Association of Environmental and Resource Economists, 11(3). Repéré à https://doi.org/10.1086/727357

Une analyse des effets des investissements en gestion côtière sur la vulnérabilité résidentielle

Dans la majorité des zones côtières, les terres sont progressivement envahies par la mer, un phénomène appelé érosion côtière, qui est aggravé par le changement climatique. Pour faire face à cette menace, de nombreuses communautés ont investi dans des mesures d’adaptation, comme le réapprovisionnement des plages en sable ou la construction de dunes, afin de stabiliser les côtes et de protéger les infrastructures existantes. Cependant, ces initiatives peuvent avoir des effets imprévus, comme l’augmentation des constructions de maisons dans ces zones à risque, ce qui expose davantage de propriétés à des dangers futurs.

Ainsi, compte tenu des défis croissants posés par les changements climatiques, il est crucial de se demander si les politiques d’adaptation, comme la restauration des plages conçue pour protéger les propriétés côtières, ne risquent pas de mettre en danger encore les populations à l’intérieur de ces zones.

Impact des investissements en restauration des plages sur le développement immobilier côtier: une analyse des conséquences à long terme en Caroline du Nord

Dans leur étude, Li et al. (2024) explorent les conséquences de la mise en œuvre des stratégies d’adaptation, en utilisant des données sur la restauration des plages aux États-Unis. L’originalité de cette étude réside dans son analyse des effets à long terme des investissements dans la restauration des plages sur les décisions de construction dans les zones côtières de la Caroline du Nord, en soulignant comment les choix d’adaptation influencent la vulnérabilité de ces zones.

Les auteurs s’appuient sur des données de 11 633 parcelles développées entre 1994 et 2013 dans 50 quartiers côtiers des îles-barrières (Outer Banks) de Caroline du Nord. En utilisant les informations sur l’historique de la restauration des plages, ils calculent le nombre de rechargements de sable et la largeur des plages. Ils appliquent ensuite un modèle de durée qui permet d’analyser le moment de décision des développements, pour examiner comment la temporalité et la mise en œuvre des restaurations des plages influence la probabilité de construction de nouvelles maisons. Toutefois, pour tenir compte de la double influence de la restauration et de la largeur des plages sur les décisions de construction et inversement, les auteurs emploient la méthode « des variables instrumentales ». Cette approche consiste à identifier des facteurs (les instruments) qui affectent la restauration ou la largeur des plages, sans lien direct avec le développement résidentiel. Les instruments choisis sont la vitesse du vent en mer et la distance à la limite de la plage, car ils influencent l’érosion et la demande de rechargement sans affecter directement les décisions de développement.

Les résultats montrent que : 1) l’érosion exerce une influence négative, mais faible sur la probabilité d’aménagement résidentiel (coefficient de 0,03, p<0,01); 2) le nombre d’événements de restauration des plages augmente la probabilité de développement de nouvelles parcelles de manière significative (coefficient de 0,38, p<0,05); 3) l’aménagement résidentiel a légèrement plus de chances de se produire lorsque le terrain est situé à une altitude élevée par rapport au niveau de la mer (coefficient de 0,16, p<0,01).

Ainsi, bien que la restauration des plages puisse offrir des avantages à court terme, en protégeant les propriétés, elle peut rendre les zones plus attrayantes pour les promoteurs en raison des commodités disponibles (plages, activités récréatives, services municipaux). Cela entraîne une augmentation de la densité des constructions, exposant davantage de propriétés aux événements climatiques extrêmes tels que les tempêtes et les inondations.

Qu’en est-il des initiatives de gestion des risques côtiers au Québec?

Au Québec, des mesures de zonage ont été mises en place pour gérer les risques côtiers. L’étude de Drejza et al. (2011), analyse l’efficacité de cet instrument de réglementation dans la municipalité de Percé. Les auteurs constatent qu’en dépit des lois, le nombre de bâtiments exposés à des risques a augmenté de 133 % entre 1980 et 2001. Cette hausse est principalement due à la construction dans des zones interdites, liée à une méconnaissance des dangers côtiers, une confiance excessive dans les structures de protection contre l’érosion et des problèmes de gouvernance.

De plus, Li et al. (2024) soulignent que des investissements, tels que le réapprovisionnement en sable des plages, peuvent inciter au développement résidentiel à risque en créant un faux sentiment de sécurité. Ces conclusions rejoignent celles de Drejza et al. (2011), qui mettent en avant que, malgré les réglementations de zonage visant à limiter le développement dans des zones à risque à Percé, le nombre de bâtiments exposés a encore augmenté, en raison d’une confiance excessive dans les structures de protection et d’une mauvaise compréhension des dangers côtiers.

Ainsi, il est essentiel que les communautés soient bien informées des dangers auxquels elles sont exposées pour que les mesures de régulation et d’adaptation soient véritablement efficaces.

Les stratégies d’adaptation côtières sont-elles efficaces compte tenu du
développement immobilier ?

Les mesures d’adaptation, bien qu’essentielles pour la protection des communautés côtières, peuvent paradoxalement inciter les investisseurs et promoteurs à construire davantage dans ces zones, en raison d’une fausse perception de réduction des risques. Cette situation peut accroître l’exposition au danger, rendant ainsi les communautés plus vulnérables aux catastrophes futures.

L’adaptation au changement climatique doit être envisagée comme un processus réfléchi et continu, intégrant une réévaluation des impacts à long terme. Pour renforcer la résilience, les acteurs de l’aménagement du territoire doivent adopter une approche globale qui combine réduction immédiate des risques et anticipation stratégique, afin de diminuer durablement la vulnérabilité des communautés aux défis futurs.

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