Incertitudes et (in)action climatique : comment la crédibilité des promesses gouvernementales et les opportunités économiques locales façonnent le soutien aux politiques climatiques

Un compte rendu critique par Annabelle Olivier
Étudiante à la maîtrise en science politique
Université Laval

Pour accéder à l’ouvrage original:
Gazmararian, A. F. et Tingley, D. H. (2023). Uncertain Futures : How to Unlock the Climate Impasse (1er éd.). Cambridge University Press, Repéré à https://doi.org/10.1017/9781009405331

Les impacts des changements climatiques se font de plus en plus ressentir et les scientifiques tirent la sonnette d’alarme avec toujours plus d’empressement. Dans ce contexte, pourquoi l’action climatique peine-t-elle à se mettre en œuvre ? Aujourd’hui, l’un des principaux obstacles à la lutte climatique est politique. Faute de volonté politique et de soutien populaire, les politiques climatiques tardent à être mises en place. Comment surmonter cette impasse ?

Souvent, les réponses à cette question ont été pensées, voire imposées, par le haut. Une contribution scientifique de Gazmararian et Tingley dans Uncertain Futures est leur méthode du bas vers le haut pour comprendre l’inertie climatique aux États-Unis. Ayant comme point de départ la perspective de la population, compagnies, syndicats, décideurs et particulièrement des communautés aux premières lignes de la transition énergétique, les auteurs ont effectué des entrevues, du travail de terrain, des sondages, des expérimentations et de la recherche d’archives. Cela leur a permis de proposer une réponse novatrice quant aux causes de l’impasse climatique aux États-Unis : l’incertitude. Spécifiquement, ils concluent que ses causes sont le manque de crédibilité des gouvernements et d’opportunités économiques locales. Selon les auteurs, pour dénouer l’impasse climatique, les décideurs devront réduire l’opposition et créer des alliés. Ils pourraient notamment lier les politiques climatiques à des enjeux bipartisans, tel le Reduction Inflation Act à l’intersection de la réduction de l’inflation et de la lutte climatique, ou mobiliser des stratégies politiques et institutionnelles liant les mains des futurs décideurs à poursuivre la décarbonation. Les auteurs testent et détaillent ces solutions, mais ce résumé se concentre sur les causes de l’inertie climatique énoncées plus haut.

LA CRÉDIBILITÉ DES ENGAGEMENTS GOUVERNEMENTAUX

La première cause de l’impasse climatique est le manque de crédibilité des engagements gouvernementaux. D’une part, le gouvernement doit apparaître crédible pour remplir ses engagements climatiques. Les auteurs rappellent que l’histoire américaine est ponctuée de réponses inefficaces et de promesses brisées après des dislocations sociales. Les engagements gouvernementaux rompus suite à la délocalisation et l’automatisation d’entreprises ont eu des conséquences dévastatrices pour des communautés et restent imprégnés dans la mémoire populaire. D’autre part, la population doit sentir que les politiques climatiques sont réalisées dans son intérêt, et non dans celui des élites. Le gouvernement doit apparaître crédible dans sa volonté de mettre en œuvre une action climatique profitable à la société, pas pour ses propres bénéfices.

La crédibilité gouvernementale aux États-Unis fait face à trois défis majeurs. Premièrement, les politiques climatiques requièrent une continuité, mais la volatilité politique et économique rend leur maintien incertain. Le «  mouvement de balancier  » politique (c.-à-d. les changements de gouvernements) permet à de futurs élus de les renverser. Cette incertitude est dissuasive : individus et compagnies hésitent à adopter des pratiques carboneutres ou à investir dans des solutions climatiques de peur que les prochains décideurs fassent marche arrière. Deuxièmement, la capacité de payer pour les politiques climatiques et les compensations aux communautés touchées doivent être maintenues. Cependant, la volonté de payer des contribuables est incertaine et mine la crédibilité des engagements climatiques. Finalement, le déficit de confiance envers le gouvernement entraîne du scepticisme quant à ses promesses. Les auteurs proposent qu’aux États-Unis, l’amélioration de la crédibilité des politiques climatiques passe par l’envoi de signaux forts montrant la volonté du gouvernement à s’engager dans la décarbonation ; l’adoption de lois plutôt que de décrets ; ou l’indexation de certains investissements climatiques, obligeant les futurs gouvernements à poursuivre dans la même voie.

Les opportunités économiques locales

La deuxième cause de l’inertie climatique s’inscrit dans l’incertitude suivante : la lutte climatique va-t-elle améliorer la situation de la population et des communautés dépendantes des énergies fossiles, ou l’empirer ? Le dilemme : délaisser son mode de vie pour un futur incertain. Des opportunités économiques locales devront donc être garanties aux communautés affectées par des mesures de transition vers une économie sobre en carbone. On devra s’assurer que la croissance des industries vertes sera soutenue et pérenne ; que leurs emplois seront permanents et occupés par des travailleurs locaux ; puis, que leur salaire permettra de soutenir le mode de vie des communautés. Selon les auteurs, les communautés où sont produits les combustibles fossiles ont été pointées du doigt et mises de côté jusqu’à maintenant. Pour réussir la lutte climatique, il est essentiel de considérer leur point de vue et de se soucier de leur situation. En somme, la transition devra être juste: elle devra réduire les fardeaux imposés aux communautés touchées, leur offrir des solutions de rechange et les écouter.

Élections, incertitudes et (in)action climatique au Canada
et aux États-Unis

À l’aube des élections américaines et canadiennes, le prisme de l’incertitude est pertinent pour appréhender l’action, ou l’inaction, climatique de ces pays figurant parmi les plus grands pollueurs. Récemment, Trump annonçait qu’il mettrait aux poubelles des projets éoliens au premier jour de sa présidence (Milman, 2024) alors que Poilièvre scandait son slogan «  Abolir la taxe  ». Ces discours alimentent l’opposition populaire aux mesures climatiques, et engendrent une incertitude qui mine l’action climatique avant leur arrivée potentielle au pouvoir. Les investisseurs américains ne peuvent qu’être rebutés à s’engager dans des projets d’énergies renouvelables qualifiées «  d’horribles  » par un candidat à la présidence (Milman, 2024). Au Canada, la position incertaine de Poilièvre envers la taxe carbone industrielle préoccupe les petites et moyennes entreprises canadiennes et même les grandes pétrolières (Noël, 2024). Pourquoi investir dans la décarbonation si le principal incitatif à l’atteinte des cibles climatiques est éliminé à l’automne 2025 ? Selon les auteurs, les gouvernements américains et canadiens pourraient faire face à ces incertitudes en liant les mains des futurs décideurs. Ils pourraient notamment augmenter les coûts associés au renversement de politiques climatiques en investissant massivement dans des énergies renouvelables, des modes de transport sobres en carbone ou des communautés touchées par la lutte climatique.

La lutte climatique nord-américaine s’annonce tumultueuse. Les décideurs devront rendre crédibles les politiques climatiques et garantir que des bénéfices économiques locaux en découlent. En plus, ils devront le faire dans un environnement d’incertitudes nourries par des acteurs politiques opposés à toute action climatique. Dans ce contexte, le prisme d’analyse proposé par Gazmararian et Tingley trouve son utilité et leurs solutions pourront nous éclairer sur la voie à suivre pour mettre en œuvre l’action climatique.

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