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Changements de population associés aux événements climatiques dans les basses terres mayas

Le phénomène de changement climatique n’est pas nouveau. Les sociétés qui nous ont précédé ont déjà fait face aux effets de changements climatique et des leçons importantes peuvent être tirées en étudiant la réponse de ces sociétés aux modifications de leur environnement. L’une de ces civilisations, celle des anciens Mayas des basses terres de la mésoamérique, a été affectée par les stress environnementaux et sociopolitiques tout au long de son histoire et a connu un déclin démographique et politique majeur, parfois appelé un effondrement dans la littérature, pendant une période d’intenses sécheresses pluridécennales, entre environ 750 et 900 de notre ère (è.c.: ère commune) (Hodell, Curtis et Brenner 1995; Aimers 2007). Les effets de changements climatiques sur les sociétés anciennes ne sont généralement pas bien connus et demeurent incomplètement compris dans les basses terres mayas (Douglas, Brenner et Curtis 2016). Étudier les anciens Mayas afin de comprendre l’interaction entre les humains et leur environnement permettrait de nourrir la réponse contemporaine aux changements climatiques anthropiques.

Une façon d’estimer la réponse de la société au changement climatique consiste à examiner l’évolution démographique, mais les niveaux de population d’une société ne sont pas toujours facilement disponibles.
Pour reconstruire l’évolution de la population sur 3300 ans dans un bassin versant des basses terres mayas du sud-ouest, Keenan et al. (2021) utilisent des stanols fécaux qui sont des biomarqueurs lipidiques trouvés dans les excréments d’animaux et transportés vers les sédiments lacustres (Figure 1). Un stanol fécal en particulier, le coprostanol, est le principal stérol présent dans les excréments humains. Le cholestérol est converti en coprostanol dans le tractus intestinal des humains, ainsi que chez d’autres mammifères comme le porc. Parce qu’il résiste à la dégradation, il persiste dans l’environnement et s’accumule au fil du temps dans les sédiments des lacs, qui peuvent être récupérés sous forme de carottes. Les stanols fécaux peuvent alors être extraits et quantifiés. Cette quantification, lorsqu’elle est effectuée dans toute la carotte, révèle les changements dans l’apport fécal dans le lac, et ainsi l’évolution d’une population peut en être déduite lorsque qu’une ville s’est établie proche du lac.

Figure 1. Localisation de la Laguna Itzan et de la zone des prélèvement de carottes de sédiment
a) Carte de l’emplacement du site archéologique d’Itzan dans le nord du Guatemala (le sud-ouest des basses terres mayas, l’étoile violette indique la position du prélèvement de la carotte) ;
b) Coupe transversale idéalisée (ligne verte) montrant la production et le transport hypothétique du coprostanol depuis l’escarpement jusqu’au lac, où il s’accumule avec le temps et est collecté aujourd’hui sous forme de carotte lacustre.
Source : Keenan et al. (2021)

Pourquoi entreprendre la tâche laborieuse de collecter les sédiments dans un lieu exotique et investir beaucoup de temps et d’efforts pour extraire des molécules, quand les méthodes archéologiques existent déjà ? Il existe différentes manières d’estimer la population, mais chacune présente son lot de difficultés et d’approximations. Grâce à l’inspection du sol et à l’excavation, les archéologues peuvent cartographier et compter les structures résidentielles et ainsi déduire un nombre d’occupants. Cette méthode est, bien sûr, limitée aux structures visibles en surface et s’avère compliquée dans les régions forestières comme celles d’Amérique centrale. Le lidar, une technique de télédétection capable de pénétrer la canopée forestière à l’aide de lasers, a permis d’identifier assez rapidement les structures cachées par la forêt. Toutefois, cela ne montre pas les tendances de l’évolution populationnelle dans le temps, car cela nécessiterait des fouilles archéologiques. La datation au radiocarbone des matériaux peut également indiquer des changements de population dans le temps, mais elle peut être coûteuse et limitée par la disponibilité des matériaux datables. Les stanols fécaux offrent donc la possibilité de contourner certains de ces problèmes et de compléter les méthodes archéologiques traditionnelles.

L’ancien centre de population d’Itzan se trouve au sommet d’un escarpement d’environ 7 km de long au-dessus de la Laguna Itzan, un cénote qui fait partie d’un système de lagunes marécageuses alimentées par deux sources et reliées par un système de ruisseaux et de marais au Rio de la Pasion. La concentration de stanols fécaux reflète donc la variation de l’apport de déchets fécaux au lac à partir de l’escarpement et de son versant est et ainsi donne accès à une estimation de la population sur cette zone du lac.

La population et le climat

Lors de la transition entre le début la période préclassique et le préclassique moyen (identifiée à S-2 sur la Figure 2), on mesure une diminution du coprostanol dans les sédiments. Cette période coïncide avec les signes d’un climat sec dans les basses terres mayas du sud similaire à la sécheresse terminale classique qui aurait conduit à l’abandon de nombreux centres de population, bien que cette sécheresse soit moins documentée. La réduction de la population à Itzan en raison de cette sécheresse peut avoir été causée par une diminution des précipitations. L’escarpement n’était probablement peuplé que d’un petit nombre de chasseurs-cueilleurs mobiles à cette époque. Des conditions climatiques relativement stables ont suivi cette sécheresse et l’agriculture itinérante s’est installée. Cela veut dire que les gens restaient dans une zone pendant une courte période, déboisaient et plantaient les cultures, avant de repartir, entraînant d’intenses variations populationnelles du bassin versant, dont une augmentation jusqu’en 370 avant l’ère commune (av. J.-C.).

Figure 2. Périodes de temps couvertes par les mesures de coprostanol dans les carottes sédimentaires associées aux estimations de périodes sèches et humides
a) concentrations de coprostanol (violet) et la moyenne mobile sur 100 ans de concentration de coprostanol (ligne verte);
b) variation des précipitations sur la base de quatre enregistrements paléoclimatiques (ligne bleue) basée sur le z-score moyen pour les basses terres du sud de Douglas et al. (2016) et le pourcentage de pollen de graminées (vert) à Puerto Arturo (Wahl et al. 2006).

Les barres colorées mettent en évidence les périodes sèches et humides à travers les enregistrements (S-1  : période sèche 1, h-1  : période humide 1, etc.). Source : Keenan et al. (2021)

Une période anormalement humide (Figure 2  : période h-1) coïncide avec des mesures de concentrations faibles de coprostanol sur une période d’environ 150  ans, associées à la présence abondante de pollens de graminées au lac Puerto Arturo, un lac au nord de la Laguna Itzan. Ces données mises ensemble suggèrent un déclin de la population (faibles concentrations de coprostanaol) et une déforestation régionale réduite (fortes concentrations de graminées). Ce fait est intriguant, car il suggère que la société maya était également sensible à d’autres phénomènes climatiques extrêmes tels que les précipitations excessives.

Une période prolongée de conditions progressivement plus sèches (Figure 2  : période S-3) coïncide avec la réduction des concentrations de coprostanol à partir d’environ l’année 190 è.c. L’ampleur de cette période sèche est moindre que celle des deux autres sécheresses majeures enregistrées (Figure 2  : pérdiodes S-2 et S-4 / S-5), mais représente un assèchement substantiel par rapport aux conditions humides de la période précédente.
Les scientifiques ont constaté une faible abondance de pollen de graminées à la même période que le rétablissement de forêts régionales, période durant laquelle les populations étaient réduites ou dispersées (Wahl et al., 2006).

La période classique terminal (c. t.) est marquée par une baisse des coprostanol qui survient dans le contexte d’une sécheresse bien documentée (Figure 2 : périodes S-4 et S-5). Un déclin et une restructuration sociopolitique se sont produits dans les basses terres mayas et on suppose qu’ils ont été la conséquence d’une diminution de l’approvisionnement en eau en raison de changements climatiques (Hodell et al., 1995). Les faibles concentrations de coprostanol pendant la période postclassique, la période suivant la sécheresse classique terminale, suggèrent qu’Itzan n’a soutenu qu’une très petite population après l’abandon du site dans la période classique terminale. Les conditions sèches ont persisté jusqu’à environ l’an 1150 è.c. et ont pu contribuer à l’absence à long terme d’une population significative au début du postclassique (à partir de 950 è.c.).

L’association entre des changements climatiques et les concentrations de coprostanol mesurées pour les périodes postclassique et coloniale est moins évidente. L’arrivée des Espagnols dans la région et les maladies associées ont probablement ajouté des facteurs supplémentaires aux changements de populations, rendant plus floue la relation entre changement climatique et dynamique de la démographie humaine.

La plus forte concentration de coprostanol enregistrée est datée à 1715 è.c. et à peu près à la même époque (en 1697 è.c.), les soldats espagnols ont attaqué et vaincu le dernier bastion maya dans les basses terres du sud – Nojpeten, maintenant connu sous le nom de Flores, dans le lac Peten-Itza. Les habitants mayas des villes soumises au bord du lac se sont enfuis dans la forêt (Jones, 1998). Il est possible que certains de ces réfugiés, ou d’autres déplacés, aient migré vers le sud, notamment vers les rives de la Laguna Itzan, provoquant une augmentation significative, mais à court terme, de la population.

Conclusion

L’enregistrement des coprostanol fournit des preuves d’un déclin de la population humaine associé à trois périodes de sécheresse ainsi qu’à une période extrêmement humide.
En utilisant une nouvelle méthode pour étudier la réponse d’une société ancienne, les Mayas, aux changements climatiques dans le passé, nous constatons que les humains ont été affectés par ceux-ci, et nous pourrions ainsi anticiper des impacts similaires, en particulier dans les environnements forestiers tropicaux, où les sécheresses se produisent déjà.

Les anciens Mayas reconnaissaient la nécessité de stratégies pour conserver l’eau et lutter contre la dégradation des sols. Malheureusement, ces stratégies ont été insuffisantes et de nombreuses villes mayas ont finalement été dépeuplées et abandonnées. Ainsi, la migration climatique était peut-être la stratégie d’adaptation ultime pour les anciens Mayas. Au XXIe siècle, cette stratégie de migration climatique qui pourrait être également la plus utilisée par les populations pour leur survie si nous ne parvenions pas à maitriser les changements climatiques anthropiques de notre époque.

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