Droit et politique

Gouvernance de la décarbonisation des grands événements

Vers une décarbonisation des grands événements mondiaux

La crise climatique actuelle, largement reconnue par de multiples rapports et sources scientifiques, exige une action urgente et une transition écologique à grande échelle. La priorité absolue est désormais la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), mobilisant tous les secteurs de la société vers des mesures mondiales d’atténuation. Le concept de budget carbone, présenté au Sommet de Rio à la fin des années 1980, a marqué un tournant décisif dans notre approche visant à gérer les émissions (Kabbej et Tasse, 2021). Ce nouveau paradigme a suscité une prise de conscience quant à la nécessité de quantifier et de contrôler ces émissions pour limiter les conséquences du changement climatique. Ainsi, la décarbonisation et les mécanismes associés attirent l’attention des organisations multilatérales, qui contribuent au développement de cadres de gestion environnementale ainsi que d’outils de calcul précisément destinés à évaluer les émissions de GES industrielles (Cavagnaro, Postma et Neese, 2012).

Dans le contexte des mégaévénements mondiaux, qu’ils soient sportifs ou culturels, cette orientation reste cruciale. Ces événements, du fait de leur popularité croissante et de leur envergure grandissante, suscitent des réflexions et alimentent des débats internationaux quant à leurs contrecoups environnementaux (Collins, Jones et Munday, 2009 ; Cavagnaro, Postma et Neese, 2012). Bien que ces événements varient en taille et en portée, plusieurs enjeux communs ressortent, notamment dans les secteurs des transports, de la gestion des déchets, de la consommation de ressources, de l’alimentation et des communications. En tant que sources majeures d’émissions de carbone à l’échelle mondiale, ces rassemblements laissent une empreinte écologique considérable, contribuant potentiellement à des millions de tonnes de CO2 dans l’atmosphère. Par conséquent, une analyse approfondie de l’empreinte carbone des grands événements est essentielle pour guider le secteur événementiel vers une action climatique plus efficace.

Cadres environnementaux dans le secteur de l’événementiel et bilan carbone

Afin d’encourager la réduction des émissions et d’accroître l’intégration de principes de durabilité, divers cadres de gestion environnementale émergent dans la gouvernance climatique mondiale. L’Organisation internationale de normalisation (ISO) joue un rôle capital en matière de gestion environnementale en établissant des normes et des standards internationaux applicables à tous les secteurs. Parmi ces normes, la certification ISO 20121 est largement reconnue comme étant le cadre de référence pour la durabilité des événements, offrant un modèle de gestion applicable à toutes les échelles. Au Québec, le Bureau de normalisation du Québec (BNQ) joue un rôle similaire en proposant la norme BNQ 9700-253 pour les événements écoresponsables. Les grands comités internationaux fournissent également des cadres de référence, incitant les comités organisateurs locaux à intégrer des directives environnementales dans la planification et la gestion des événements (Ross, Leopkey et Mercado, 2019).

Dans l’objectif d’établir l’empreinte carbone, ces cadres de gestion s’appuient sur des outils de calcul élaborés par des organismes de normalisation spécialisés dans les méthodologies de comptabilisation des émissions de GES, exprimées en tonnes d’équivalent dioxyde de carbone (éq. CO2). La méthode la plus couramment utilisée est le GHG Protocol, un cadre de référence international pour mesurer, comptabiliser, suivre et présenter adéquatement l’inventaire des émissions (GHG Protocol, 2020). Ces outils visent à améliorer la comparabilité des informations extrafinancières à l’échelle mondiale, fournissant des données cruciales pour développer des stratégies d’atténuation et d’amélioration continue (Bhatia et Ranganathan, 2011 ; Cavagnaro, Postma et Neese, 2012).

Le bilan GES, conforme aux trois champs d’application du GHG Protocol (2004), évalue l’impact environnemental des activités en considérant différentes sources d’émissions. Les émissions directes (Scope 1), provenant de sources détenues ou contrôlées par l’organisation, sont obligatoirement divulguées. Les émissions indirectes liées à l’électricité achetée (Scope 2) sont également incluses. En revanche, les émissions indirectes (Scope 3), provenant des activités en amont et en aval de la chaîne de valeur, échappent souvent à l’influence directe de l’organisation principale et ne sont pas toujours intégrées dans les rapports environnementaux.

L’évaluation et la compensation des émissions

La gestion environnementale des grands événements repose en grande partie sur l’utilisation du bilan GES pour évaluer leurs contrecoups et pour élaborer des plans d’action adaptés à chaque contexte. Toutefois, il reste difficile d’obtenir un portrait complet de l’empreinte carbone dans le secteur événementiel en raison de l’absence d’une méthode précise permettant de mesurer pleinement l’étendue des conséquences environnementales (Collins, Jones et Munday, 2009).

Certaines organisations environnementales, à l’échelle nationale ou régionale, encouragent les comités locaux à calculer et à compenser leurs émissions, souvent selon un système de pointage basé sur divers critères de responsabilité environnementale. Les normes observées dans cet article comprennent des exigences précises telles que la sélection des fournisseurs, la gestion des matières résiduelles, et plus particulièrement les moyens de transport utilisés par les personnes participantes. Les comités peuvent obtenir des points en fonction de leur gestion des émissions de GES, allant de la simple déclaration à la double compensation des émissions générées par les déplacements. Bien que ces cadres puissent inciter à de meilleures pratiques, ils ne sont pas toujours adaptés au contexte des grands événements internationaux, dans lesquels les déplacements aériens jouent un rôle important (McGregor et al., 2004).

La diversité des parties prenantes et la complexité des déplacements internationaux compliquent la gestion des émissions par les comités locaux. Ainsi, même avec des méthodes de mesure améliorées, le véritable défi reste la décarbonisation des secteurs clés, comme l’aviation, et la coordination des efforts des multiples acteurs concernés pour atteindre des objectifs ambitieux de réduction des émissions.


Comprendre les frontières organisationnelles et opérationnelles dans le contexte des grands événements

Les initiatives du GHG Protocol fournissent des lignes directrices pour aider les entreprises à définir les frontières des émissions en fonction de leur contexte légal et organisationnel (GHG, 2004). Selon ces normes, les compagnies ayant des activités conjointes avec des entités externes doivent décider quelle approche utiliser pour comptabiliser les émissions et harmoniser cette approche à tous les niveaux. La comptabilité des émissions repose principalement sur deux principes, notamment la part d’équité dans les activités et le contrôle opérationnel ou financier.

Dans le cadre des grands événements, cette dernière dynamique est illustrée par la mise en place de contrats d’accueil précis, comportant un ensemble d’exigences essentielles à la réussite des mégaévénements, couvrant à la fois des aspects administratifs et opérationnels (Ross, Leopkey et Mercado, 2019). Sur le plan financier, ces contrats définissent des mécanismes de partage des recettes entre les parties concernées. Les comités locaux peuvent conserver certaines recettes brutes, tandis que l’entité détentrice des droits conserve une part des revenus nets des programmes liés aux produits et aux services.

Ainsi, le contrôle exercé influence considérablement les frontières organisationnelles, définissant précisément quelles activités sont incluses dans le bilan des émissions, ce qui comprend toutes les activités directement contrôlées par l’entité organisatrice, comme les installations et les véhicules de service, ainsi que les émissions directes des combustibles consommés. Cependant, pour une évaluation exhaustive de l’empreinte carbone d’un événement, il est également essentiel de prendre en compte les frontières opérationnelles. Ces dernières englobent les activités indirectement influencées par l’organisation, par exemple les choix des fournisseurs et les transports des personnes participantes, qui contribuent considérablement aux émissions de GES. En somme, bien que les frontières organisationnelles soient cruciales pour mesurer et gérer les émissions que l’entité peut directement contrôler, les frontières opérationnelles permettent de tenir compte des conséquences indirectes et offrent une vision complète de l’empreinte carbone d’un événement.

Le cas des championnats du monde de triathlon

Dans l’organisation des championnats du monde de triathlon, World Triathlon intègre les principes du GHG Protocol dans sa certification environnementale pour guider les comités locaux dans le calcul de l’empreinte carbone. Toutefois, malgré les directives de ce document, qui sert de cadre pour un système de certification de durabilité, la délimitation des frontières demeure une source de confusion persistante. L’évaluation des trois champs d’application (Scope 1, 2 et 3) lors des championnats de 2022 à Montréal souligne cette ambiguïté, en particulier pour la catégorie Scope 3. En effet, la comptabilisation de ces émissions est intrinsèquement liée aux activités des autres parties prenantes concernées, ce qui est un fait inhérent aux émissions indirectes.

La figure 1, tirée de l’étude de fin de maîtrise sur les championnats du monde de triathlon 2022 (Chia, D.C., 2022), met en évidence les émissions des Scopes 1, 2 et 3 selon les trois principales parties prenantes associées à cet événement. Les émissions liées aux déplacements internationaux des participants et participantes comptabilisent 1841,39 tonnes d’éq. CO2, soit 97 % des émissions totales de l’événement. Bien que ces émissions soient considérées comme indirectes, elles peuvent être attribuées aux comités locaux pour être compensées. Comme évoqué précédemment, les cadres environnementaux à l’échelle régionale encouragent souvent les comités événementiels à compenser les émissions des transports des participants et participantes pour obtenir de meilleurs scores de certification. Cette pression supplémentaire peut créer une charge disproportionnée pour les comités locaux, surtout lors de grands événements, où une part importante des émissions provient de personnes voyageant de loin.

Il est essentiel de souligner que la principale responsabilité incombe à la source d’émissions elle-même, en particulier aux compagnies aériennes, plutôt qu’à la capacité individuelle de compenser ces émissions de manière volontaire. En ce sens, l’engagement de la fédération internationale et des comités locaux est fondamental pour garantir une gestion des déplacements plus efficace et cohérente. Néanmoins, il est impératif d’explorer des stratégies supplémentaires pour renforcer ces efforts, notamment l’intégration de technologies de pointe visant à réduire l’empreinte carbone des transports aériens, ainsi que l’élaboration de politiques incitatives pour promouvoir l’innovation dans les carburants durables.

En parallèle, il est crucial de promouvoir activement des stratégies de réduction en amont plutôt que de dépendre exclusivement de la compensation. Encourager l’adoption de modes de transport plus durables comme le train ou le covoiturage, réduire la dépendance excessive au transport aérien dans l’organisation des grands événements et optimiser la logistique des itinéraires sont autant de mesures complémentaires à explorer. En favorisant ces approches intégrées, nous pouvons progresser vers une réduction plus importante et durable des émissions de GES liées aux transports, tout en nous penchant sur les défis précisément associés à l’aviation, tels que ses effets non-CO2, comme les traînées de condensation.

Surmonter les obstacles pour une décarbonisation réussie

Pour parvenir à une véritable atténuation des émissions, il est primordial de reconnaître les défis posés par le Scope 3, qui exerce une influence considérable sur l’inventaire GES global des grands événements. Face à cette réalité, une modernisation des cadres de gestion environnementaux devrait s’imposer afin d’apporter une clarification des spécificités des frontières dans le contexte des événements d’envergure. Il est essentiel d’intégrer une approche équilibrée qui prend en compte ces deux types de frontières pour une gestion environnementale efficace des grands événements. Il pourrait être judicieux d’établir une délimitation formelle des frontières opérationnelles lors de l’établissement des accords contractuels entre les principales parties prenantes, ce qui permettrait de mieux encadrer et gérer les émissions indirectes associées.

Cependant, il est important de reconnaître que la résolution des défis du Scope 3 ne suffit pas à réduire de manière importante les émissions de GES, notamment celles du transport aérien, qui demeure un contributeur majeur aux émissions des grands événements. La gestion efficace de ces émissions nécessite une approche intégrée qui englobe également la promotion de modes de transport alternatifs durables, la mise en place de politiques incitatives pour réduire les émissions du secteur de l’aviation et la sensibilisation des participants et participantes à l’impact environnemental de leurs déplacements. Pour atteindre la neutralité carbone des événements, il est essentiel de promouvoir des dynamiques relationnelles qui favorisent des systèmes collaboratifs et la co-création de pratiques durables au sein du secteur. Une intensification de la collaboration internationale est nécessaire pour harmoniser les normes et les pratiques environnementales à l’échelle mondiale, renforçant ainsi les efforts collectifs vers un avenir plus durable pour les grands événements.

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