Droit et politique

L’« Airpocalypse » en Chine : manifestations de la crise climatique et de la dépendance énergétique au charbon

Relayer les images d’un épais brouillard enveloppant les grandes villes chinoises est devenu pour les médias un moyen récurrent d’illustrer la crise environnementale et climatique que traverse le pays. Néologisme apparu durant les années 2000 pour désigner l’intensité de la pollution atmosphérique, l’«  Airpocalypse  » empoisonne le quotidien de centaines de millions de citadins en République populaire de Chine (RPC). Si la notion peut être utilisée en référence aux tempêtes de sable venu du désert de Gobi qui touchent régulièrement la capitale chinoise, notre compréhension de l’« Airpocalypse » se concentre ici aux émissions anthropiques, c’est-à-dire issues des activités domestiques et industrielles (transport, construction, agriculture et production d’électricité au charbon). C’est la concentration élevée de particules fines dans l’air, notamment celles d’un diamètre inférieur à 2,5 microns (PM2.5), qui a imposé l’amélioration de la qualité de l’air comme une priorité dans les récents plans quinquennaux.

Pourtant, le modèle énergétique hypercarboné de la Chine (le charbon compte pour 57  % du mix énergétique national) ne fait que renforcer la pollution atmosphérique. Symbole de cette union des contraires, le premier ministre Li Keqiang a récemment formulé une «  nouvelle stratégie de sécurité énergétique  » dans laquelle le rôle fondamental du charbon est mis en avant, soulignant ainsi la nécessité de «  s’appuyer sur les réserves nationales de houille  » (Conseil d’État, 2019).

Cet article vise d’abord à replacer la crise environnementale chinoise dans le contexte plus large du marché international du charbon, où la RPC occupe le rôle de premier consommateur mondial. Il s’agit ensuite d’examiner la mise à l’agenda de l’«  Airpocalypse  » dans le référentiel politique de la Chine contemporaine en mobilisant des sources officielles. Les graves pics de pollution mettent en lumière le paradoxe de la situation chinoise liée à sa dépendance au charbon et à sa volonté de se présenter au monde comme le héraut de la lutte contre le changement climatique. Afin de concilier développement économique et protection environnementale, des technologies innovantes de «  charbon propre  » sont déployées par la Chine. Alors que les besoins énergétiques chinois continuent à accaparer la moitié de la consommation houillère mondiale, les technologies de «  charbon propre  » représentent-elles pour autant la planche de salut face à l’«  Airpocalypse  » en Chine ? Voici des éléments de réponse.

Une dépendance houillère à rebours des ambitions climatiques chinoises

Pour la Chine qui dispose des deuxièmes plus importantes réserves de charbon (à la fois de charbon bitumineux et sous-bitumineux), derrière les États-Unis, cette matière a historiquement servi la quête de l’autonomie énergétique du pays. C’est la raison pour laquelle la RPC est depuis les années 1990 le premier producteur et consommateur de charbon dans le monde. Étant donné le triple avantage de cette énergie (faible coût, abondance de la ressource et facilité de mise en œuvre technologique), la préservation du modèle de développement économique de la Chine s’est traduite dans les faits par une dépendance pérenne au charbon.

La modernisation technologique de la RPC sous Hu Jintao a conduit à des résultats probants, présentés dans les 11e et 12e plans quinquennaux, notamment en ce qui concerne l’amélioration des méthodes de combustion et d’exploitation des énergies fossiles. Cette stratégie d’innovation s’est appliquée au secteur houiller avec le développement des centrales supercritiques (SC) et ultra-supercritiques (USC), ainsi que des techniques dites de «  charbon propre  ». Parmi les nombreuses techniques et méthodes qui recouvrent la notion, on peut mentionner le traitement pré-utilisation du charbon (charbons pulvérisés), qui permet de diminuer les résidus liés à la combustion de la matière. Une méthode encore plus performante consiste en la gazéification du charbon, mais son coût élevé empêche encore la généralisation rapide de cette technologie.

Grâce au développement des centrales SC et USC (le terme critique faisant référence aux très hautes températures qu’elles atteignent et aux niveaux de pression plus élevés), l’efficacité globale des unités thermoélectriques s’est vue améliorée. Toutefois, la Chine a mis en service 38,4 gigawatts (GW) de nouvelles capacités électriques au charbon en 2020, soit plus de trois fois la quantité de l’ensemble des projets entrés en opération cette année dans le reste du monde (Stanway, 2021). Cette dynamique qui ne fait qu’aggraver le problème des surcapacités de production met également en péril, à court et moyen terme, l’atteinte des objectifs climatiques de la Chine (pic des émissions en 2030 et neutralité carbone en 2060), et éventuellement de la communauté internationale.

L’urgence de la pollution atmosphérique actée dans le 12e plan quinquennal

Bien que les préoccupations environnementales soient officiellement partagées au sein du Parti communiste chinois (PCC) depuis le début du mandat de Hu Jintao (2002-2012), un tournant s’opère véritablement avec la publication du 12e plan quinquennal (2011-2015). Pour la première fois sont fixés des objectifs contraignants, le gouvernement envisageant de réduire respectivement de 8  % et 10  % les émissions de dioxyde de soufre (SO2) et d’oxyde d’azote (NOx) d’ici 2015, par rapport aux niveaux de 2010. Des mécanismes de surveillance des niveaux de PM2.5 dans l’air ont été renforcés et certaines mégalopoles les plus polluées ont même dû se plier à des cibles plus strictes.

Parmi les provinces, régions autonomes et municipalités de rang provincial dont la pollution atmosphérique est particulièrement sévère, on peut mentionner le Xinjiang (Kashgar et Urumqi), la Mongolie-Intérieure, le Heilongjiang (Harbin), le Jilin, le Shanxi, le Shandong, le Henan ou encore le Shaanxi. Certaines zones telles que Beijing-Tianjin-Hebei (BTH), l’agglomération de Chongqing ainsi que les deltas du fleuve Yangtsé (Shanghai) et de la rivière des Perles (Hong Kong-Shenzen-Zhuhai) sont l’objet de plans quinquennaux précis pour lutter contre le smog urbain.

C’est l’année suivante qu’est adopté le premier document politique précisément dédié à ce sujet, intitulé «  Plan d’action sur la prévention de la pollution de l’air  » (Conseil d’État, 2013). Une baisse considérable du volume des polluants atmosphériques a ainsi été réalisée de 2013 à 2017. La région BTH devait diviser par quatre ses niveaux de PM2.5, et la capitale chinoise par un tiers, passant de 89,5 microgrammes par mètre cube (µg/m3) à 60 µg/m3, une cible qui a été atteinte. Après 2017, la présence de particules fines à Beijing a continué à décroître, car la concentration moyenne de PM2.5 atteignait au premier semestre 2021 le plus bas seuil jamais enregistré, 37 µg/m3 (Xie, 2021). Cela étant, ce niveau reste très élevé par rapport aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (10 µg/m3).

Face à la menace de l’«  Airpocalypse  », le ton des discours officiels en Chine a progressivement gagné en gravité, comme en témoigne la «  déclaration de guerre  » contre la pollution formulée par le premier ministre Li Keqiang en mars 2014 (Reuters, 2014). La pollution atmosphérique pose en effet des défis de taille pour la santé publique : des cancers du poumon auraient causé le décès prématuré de près de deux millions de personnes en Chine (AIE, 2016). Il n’est pas étonnant dans ces conditions que le pays soit devenu en quelques années le premier marché mondial de purificateurs d’air. Les règlements et programmes pour répondre à la crise environnementale se sont donc multipliés en se focalisant sur les grands ensembles d’agglomérations, Beijing et sa périphérie en tête, suivis par 26 autres villes identifiées comme étant les plus à risques par le gouvernement central.

Malgré l’amélioration de la qualité de l’air, une situation toujours critique

Bien que les réponses apportées par la classe politique chinoise à l’«  Airpocalypse  » couvrent un large répertoire d’actions, le gigantisme de la flotte de centrales freine inévitablement la réalisation d’une «  civilisation écologique  » ou de la Beautiful China, pour reprendre la propagande du parti. Depuis le 18e congrès national du PCC en 2012, le terme de «  civilisation écologique  » apparaît comme le slogan phare de l’engagement de la Chine par rapport aux changements climatiques, au point d’être ratifié dans la constitution en 2018 (Goron, 2018 ; Tiberghien, 2018). Contrairement à une idée largement répandue, la capacité de mobilisation sociale en Chine ne doit pas être sous-estimée et de larges protestations (à Dalian en 2011, à Chengdu en 2016 ou encore à Daqing en 2017) ont certainement contribué à faire de la pollution atmosphérique non seulement un enjeu de société, mais aussi — et peut-être surtout — un sujet politique.

Un documentaire en particulier, produit et réalisé par une personnalité médiatique en Chine et intitulé Under the Dome, illustre la possibilité d’une solution de rechange (discursive et représentationnelle) au «  régime de vérités  » défendu par le parti communiste. Reprenant la scénographie d’un TED Talk, le documentaire se présente sous la forme d’un témoignage (celui d’une mère chinoise dont le nouveau-né souffre d’une tumeur aux poumons) et combine des graphiques, des entretiens, des statistiques et des animations comme instruments d’investigation des causes de la pollution atmosphérique en Chine. Censuré quelques jours après sa mise en ligne sur Youku (le YouTube chinois) en 2015, le documentaire a eu un écho retentissant, y compris sur le plan international, car il souligne le degré de connivence entre les élites politiques et économiques en Chine. Par exemple, l’État se trouve souvent co-investisseur dans une centrale électrique avec des compagnies publiques ou privées. De la même manière que le gouvernement central peut faire preuve d’un certain «  protectionnisme  » à l’égard des entreprises publiques qui ne respecteraient pas leurs engagements environnementaux, la gouvernance décentralisée du secteur charbonnier en Chine, à laquelle se conjugue l’imbrication étroite d’intérêts financiers publics-privés, justifie en partie le fait que l’État ait «  fermé les yeux  » sur la non-conformité de plusieurs mines houillères et centrales électriques.

D’autres facteurs institutionnels expliquent la difficulté de mener efficacement la lutte contre la pollution atmosphérique en Chine. Premièrement, il a fallu attendre une réforme administrative de grande ampleur pour que l’amélioration de la qualité de l’air soit incluse comme une stratégie globale d’atténuation des changements climatiques. En effet, le ministère de la Protection environnementale (renommé ministère de l’Environnement et de l’Écologie en mars 2018) n’avait pas pour mandat la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), qui relevait de l’autorité de la Commission nationale pour le développement et la réforme (CNDR), un des organes politiques les plus élevés de la RPC. Autrement dit, il existait jusqu’à récemment en Chine un découplage net entre, d’un côté, la lutte conte l’«  Airpocalypse  », et de l’autre les défis plus larges de la crise climatique, y compris la réduction des émissions de GES, qui étaient appréhendés uniquement sous l’angle du développement économique et social (Yamineva et Liu, 2019). Deuxièmement, le non-respect de certaines régulations environnementales par les autorités provinciales et les entreprises, notamment dans le secteur de la production électrique et des industries polluantes (métallurgie, cimenterie, construction, etc.), constitue un obstacle de taille pour améliorer la qualité de l’air en Chine. Troisièmement, la quantification de la pollution atmosphérique par les agences de l’État soulève régulièrement des interrogations considérant les méthodes de calcul des émissions et les standards de qualité de l’air différents des références occidentales. Par exemple, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ainsi que l’ambassade des États-Unis en Chine ont mis en place leurs propres outils de surveillance et base de données pour suivre (en temps réel) l’évolution des niveaux de PM2.5 sur le territoire chinois. Enfin, et même s’il convient de noter que le niveau moyen annuel de PM2.5 en Chine a été divisé par deux en seulement une décennie, des cas de fraude dans la surveillance des émissions de GES existent en Chine et participent in fine à nourrir un certain scepticisme quant à la fiabilité des statistiques chinoises.

Conclusion

Les dirigeants chinois mènent une stratégie tous azimuts pour «  gagner la bataille des ciels bleus  » (Conseil d’État, 2018) et l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir a marqué un véritable tournant dans le développement accéléré des technologies dites de «  charbon propre  » afin de répondre au double objectif d’amélioration de l’efficacité et de réduction de l’intensité énergétiques. Au terme du 13e plan quinquennal, la moitié des mines de charbon — les moins productives et plus dangereuses — ont été fermées. Or, la houille reste ancrée au cœur de la stratégie de sécurité énergétique du pays, comme le répètent les autorités politiques depuis plusieurs décennies, en dissonance avec la construction d’une « civilisation écologique ». Finalement, la posture rhétorique de la Chine en matière de décarbonation ne résiste pas aux considérations économiques et aux impératifs de rentabilité qu’impose la gestion du plus grand parc de centrales au charbon du monde.

En maintenant une industrie carbochimique compétitive grâce à des assouplissements réglementaires (sur les plafonds de fixation de prix de l’électricité, par exemple), la RPC souhaite surtout éviter un scénario similaire à celui des États-Unis, quand la transition rapide du charbon au gaz a entraîné la perte de milliers d’emplois dans le secteur houiller, causé un nombre important de faillites et fait plonger la valeur des sociétés minières. Considérant les investissements astronomiques réalisés dans les mines et la flotte de centrales thermiques dernière génération (supercritiques et ultra-supercritiques), un abandon brutal du charbon comme principale source d’énergie paraît improbable tant le gouvernement et les banques chinoises auraient de la difficulté à absorber les pertes de ces actifs.

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