Enjeux de société

La communication environnementale : Qu’est-ce que c’est et comment entend-elle contribuer aux pistes de solution relatives à la crise climatique ?

Dans La société du risque, paru en 1986, qui constitue l’un des ouvrages les plus cités dans la littérature scientifique en sciences sociales, Ulrich Beck procède à une analyse écologique et critique de la société contemporaine et forge le concept de «  société mondiale du risque  ». Dans cette perspective, l’engagement des acteurs et des mouvements sociaux peut être relié à l’émergence de controverses sociétales nouvelles concernant l’existence et la définition d’un risque inédit auquel nous ferions collectivement face. Autrement dit, il s’agit d’un niveau de «  tolérance au risque  » différent selon les acteurs sociaux, ce qui génère des engagements politiques et sociaux différenciés dans divers espaces de débats publics.

Par voie de conséquence, la question environnementale fait l’objet d’un investissement communicationnel important de la part d’organisations, de groupes et d’individus à toutes les échelles dans l’espace public en vue de promouvoir leurs vues et de renforcer leur légitimité à travers l’adhésion de l’opinion publique. L’entrée dans le vocabulaire public de mots comme «  anthropocène  », «  gaz à effet de serre  » ou «  transition écologique  » atteste de l’importance sociétale de cet enjeu auquel Rachel Carson a apporté une importante visibilité publique, au début des années 1960, avec son ouvrage pionnier Le printemps silencieux.

Ces stratégies pour la visibilité, l’influence et la légitimité tracent le contour du rôle de la communication dans les processus visant à changer l’ordre des choses et à favoriser les perceptions, les comportements et les politiques protectrices de l’environnement. L’étude de ces processus fait l’objet de nombreuses recherches en sciences de la communication depuis quelques décennies (Comfort et Park, 2018). Cette préoccupation recoupe la question fondamentale de la relation que la communication entretient avec le changement social.

Les considérations présentées ici sont pertinentes pour la crise écologique globale. La perte importante de biodiversité, la pollution et les bouleversements climatiques sont des axes importants de cette crise écologique. Par conséquent, les enjeux évoqués ici sont pertinents pour les bouleversements climatiques, même s’ils ne leur sont pas spécifiques à proprement parler.

La communication environnementale : domaine de recherche et espace de pratiques

La communication environnementale est un domaine de spécialité des sciences de la communication qui s’intéresse aux questions environnementales. On fait remonter sa naissance au début des années 1980 aux États-Unis. Elle serait issue de la rhétorique et aurait été initiée par Christine Oravec, auteure d’un article publié en 1984 qui analyse les discours publics ayant opposé, au début du XXe siècle aux États-Unis, les conservationnistes et les préservationnistes à propos de la construction d’un barrage dans un site contesté, celui de Yosemite Park (Oravec, 1984).

À la suite de ces travaux pionniers, la communication environnementale a connu un important essor. Son développement est fortement lié à la prise de conscience sociétale de l’importance des enjeux environnementaux dans le monde contemporain. En témoignent les ministères et administrations, les revues scientifiques, les colloques, les sites Internet, les mouvements sociaux, les manifestations publiques, etc., qui ont tous pour préoccupation première la prise en charge collective de la dégradation de notre environnement naturel. La communication environnementale y répond de deux manières : comme activité pratique et comme domaine de recherche scientifique.

La communication environnementale comme domaine de recherche

Sur le plan le plus général, la communication environnementale peut être décrite comme un champ d’études qui se situe à l’articulation des théories de la communication et des théories de l’environnement dans le but d’analyser le rôle et l’influence de la communication dans les problématiques environnementales.

La diversité des théories et des approches mobilisées en communication environnementale reflète la provenance et les domaines de spécialisation d’origine des chercheuses et chercheurs qui investissent ce domaine. La théorie médiatique, la rhétorique, la science politique, l’analyse systémique, l’économie politique et les études culturelles sont entre autres mises à profit, chacune mobilisant la perspective qui lui est propre.

Une importante dimension critique est présente dans la recherche en communication environnementale, de pair avec une préoccupation éthique omniprésente. Cette dernière cherche à articuler la recherche et l’action en vue de changer l’ordre des choses face à la crise à laquelle l’humanité fait face. L’un des plus importants défenseurs de cette approche éthique est Cox (2007), pour qui la communication environnementale est une discipline de crise1 dont l’urgence de la tâche est d’ordre éthique et doit consister non seulement à étudier et à analyser, mais également à intervenir et à changer l’ordre des choses dans un contexte de crise.

La communication environnementale comporte deux dimensions importantes : elle est pragmatique et constitutive (Cox, 2010). D’un côté, elle est constitutive dans la mesure où tant les échanges verbaux ordinaires que les communications médiatisées technologiquement (presse, radio, Internet, etc.) ont une influence importante sur la perception individuelle et collective tant du social que de l’environnement dit naturel.

D’un autre côté, la communication est pragmatique : il faut entendre par là qu’elle permet d’apporter des solutions concrètes sous forme de conscientisation, de persuasion, de mobilisation, d’éducation, etc. La communication est de ce fait le médium (moyen) incontournable de production, de médiation, de négociation et de décision entre les différentes propositions en concurrence pour la résolution des problèmes environnementaux auxquels nous sommes collectivement confrontés. Cette dimension pragmatique permet de bien saisir, comme nous allons maintenant le voir, pourquoi les pratiques sont particulièrement importantes en communication environnementale.

La communication environnementale comme espace de pratiques

La communication environnementale est également une activité sociale concrète qui regroupe des formes de communication (interpersonnelle, publique, organisationnelle, interculturelle, médiatique, etc.) qui portent sur des problèmes environnementaux socialement construits, débattus et (ir)résolus.

La communication environnementale en tant que pratique «  ne reflète pas simplement les relations entre les humains et l’environnement, elle construit, produit et naturalise ces relations  » (Milstein, 2009, p. 345). Par conséquent, la question environnementale devient le lieu d’enjeux et d’intérêts construits à travers des processus communicationnels et des stratégies discursives et médiatiques. Les contextes des interactions et les intérêts des acteurs en présence sont à prendre en compte pour saisir adéquatement la logique des pratiques en matière de communication environnementale, qu’elles soient verbales ou non verbales, publiques ou interpersonnelles, en face à face ou médiatisées technologiquement.

La communication environnementale comme espace de pratiques recouvre un domaine très large. Si elle est spontanément associée à des figures charismatiques comme Al Gore, Wangari Maathai, Greta Thunberg ou Chico Mendes, elle ne se réduit pas à l’action de ces personnalités fortement médiatisées. Si on retient une définition large de la communication environnementale comme étant toute forme de communication qui porte sur les affaires environnementales (Meisner, 2015), il s’ensuit alors que la communication environnementale ne saurait être le monopole d’environnementalistes vertueux, car même les industries polluantes en sont des acteurs importants. Il convient par conséquent de recourir à une définition pragmatique et de privilégier un critère pratique pour déterminer le domaine et ses acteurs. La communication environnementale regroupe dans cette perspective l’ensemble des pratiques de communication à destination du public entreprises par tout acteur et portant sur le thème de l’environnement.

Parallèlement aux questions relatives au périmètre, à la définition et aux acteurs de la communication environnementale, un autre enjeu a acquis une grande importance en son sein : la question de l’interdisciplinarité, qui a des implications à la fois théoriques et pratiques que nous allons à présent préciser.

Communication environnementale : interdisciplinarité et intersectorialité

La communication environnementale est à la fois un champ de recherche et un espace de pratiques qui s’attaque à la crise socioécologique (relation entre le monde social et l’environnement naturel) et qui s’appuie sur des notions telles que le consensus, le dialogue, le partenariat, la pédagogie ou la responsabilité. Ce domaine complexe implique une multiplicité d’acteurs, de formes de savoir et d’enjeux (Kane, 2016). Cette complexité a une conséquence importante : la nécessité de faire dialoguer des acteurs sociaux et des champs de savoir très différents les uns des autres. Il s’agit en d’autres mots de privilégier une approche interdisciplinaire et intersectorielle de la communication environnementale (tant pour la recherche que dans les activités pratiques).

Bénéfices de l’interdisciplinarité : saisir la complexité

Malgré le caractère de plus en plus prolifique de la littérature en communication environnementale (Anderson, 2015 ; Bayes, Bolsen et Druckman, 2020), dans les faits, peu d’attention a été portée à l’intégration dans un cadre de communication élargi de l’apport des différents domaines de savoir (champs disciplinaires) et des différentes catégories d’acteurs (spécialistes, politiques, population citoyenne, etc.). Si on fait le diagnostic de la communication environnementale, on observe qu’il y a un écart entre la nécessité théorique de l’interdisciplinarité et le constat pratique de sa relative discrétion.

Malgré tout, il importe de noter que l’un des apports importants des sciences de la communication est de contribuer à considérer l’environnement comme un objet de préoccupation sociétale et non plus comme le domaine réservé des disciplines dites dures (biologie, climatologie, géologie, chimie, etc.). La communication vient ici au secours des sciences dures qui, tout en proposant un diagnostic de la situation, sont mal outillées pour décider «  ce qu’il faudrait faire  », ce qui relève de la sphère éthico-politique. C’est pourquoi il semble nécessaire d’élargir la palette d’intervention : «  Passer d’un état de fait à un état de droit dans la gouvernance mondiale des biens communs suppose en effet d’associer l’expert, le diplomate et le juriste, mais aussi d’intégrer le point de vue, les aspirations et les droits de l’usager-citoyen.  » (Mabi et Massit-Folléa, 2013, p. 3) Cela renforce l’argument en faveur d’une plus grande mixité des savoirs et des acteurs dans le cadre de la gouvernance des questions environnementales.

Les bouleversements des équilibres naturels sont en effet à comprendre comme des problèmes socioécologiques, aux dimensions conjointement physiques et sociales. Pour être correctement analysés, ils nécessitent la contribution de plusieurs disciplines scientifiques dans le cadre d’une approche interdisciplinaire. Dans ce cadre, la communication est bien outillée pour établir une métacommunication entre les parties prenantes au processus interdisciplinaire et qui sont porteuses de valeurs, de pratiques, de manières de voir et d’expériences différentes2. Il s’agit de créer des liens entre trois sphères auparavant distinctes : la recherche scientifique, le savoir expérientiel des acteurs sociaux et les actions sur le terrain. Contrairement aux approches traditionnelles qui considèrent comme naturel et automatique le transfert de la connaissance scientifique vers la sphère de la décision politique («  trickle down and transfer  »), la recherche interdisciplinaire se donne explicitement pour objectif de créer, de maintenir et d’améliorer une écologie relationnelle entre les scientifiques, les politiques et la société civile. En raison de son histoire et de ses spécificités, la recherche en communication est particulièrement bien outillée pour aider à penser et à mettre en pratique cette écologie de la relation, puisque c’est son objet d’étude propre. De plus, toute communication peut se ramener d’une certaine manière à une forme ou une autre de mise en relation.

Mais l’atteinte d’une authentique interdisciplinarité n’est pas chose aisée. Dans les sciences de la communication, cette nécessité se heurte à plusieurs écueils. La difficulté est de «  dépasser le stade de la simple analyse des messages pour entreprendre un travail collaboratif avec les communautés, les institutions médiatiques et les scientifiques qui s’intéressent au changement climatique  » (Smith et Lindenfeld, 2014, p. 183). L’intersectorialité offre les outils pour surmonter cet obstacle.

Avantages de l’intersectorialité : favoriser le changement

L’interdisciplinarité (d’ordre scientifique) nécessite d’être complétée par une intersectorialité (implication de plusieurs catégories d’acteurs sociaux) pour permettre la prise en compte d’une grande diversité de voix dans le processus de gestion publique des questions environnementales. C’est en effet la condition pour atteindre le stade de la véritable gouvernance par opposition à un modèle de gouvernement dans lequel seules les autorités publiques prennent la décision avec l’aide des experts sur la base de la légitimité qu’elles estiment avoir acquise par le suffrage électoral. La gouvernance est de ce fait un processus beaucoup plus large et inclusif que le gouvernement. Ce modèle de gestion est basé sur la prémisse que l’environnement est un bien commun qui nécessite de délaisser le modèle technocratique de décision (gouvernement) qui va hiérarchiquement du haut vers le bas (top down) pour privilégier une approche basée sur la concertation (gouvernance) qui propose des solutions à partir des préoccupations des citoyens (bottom up).

L’apport particulier de la recherche en communication réside dans le fait qu’elle est particulièrement adaptée pour penser la création et le maintien de liens entre la population citoyenne, les activistes et les scientifiques, inscrivant ainsi ce champ de recherche dans une approche de type «  résolution de problèmes  », qui est très différente de celle de la recherche classique. Il s’agit par là de consacrer la dimension pratique de la recherche en communication environnementale. Cette pragmatique de la communication environnementale ne saurait être réduite aux seuls scientifiques. Elle concerne également la collaboration avec la société civile et les personnes concernées sur le terrain en vue de parvenir à une large synergie, qui est la condition nécessaire d’une dynamique sociétale. Plus qu’une recherche, il s’agirait de mettre en place une collaboration. Le caractère multidimensionnel des enjeux environnementaux nécessite par conséquent la prise en compte de différentes formes de savoir, de connaissance et d’expertise détenus par différentes catégories d’acteurs. Cette reconnaissance pose à son tour la question fondamentale de la légitimité des acteurs et de la revalorisation de la place du public dans le processus de gouvernance de l’environnement.

Pour Cox (2007), les conditions de naissance de la communication environnementale sont indissociables d’un risque majeur qui l’a rendue possible à la suite d’une exploitation effrénée des ressources de notre environnement naturel.

À titre d’exemple, les chercheurs et chercheuses en sciences naturelles ont plus tendance à considérer comme des sphères distinctes leurs statuts de chercheurs et de citoyens que ceux et celles en sciences sociales, qui ont plus tendance à intégrer ces deux dimensions dans leur identité.

Nos partenaires

Université de ShebrrookeGériqQuébecCUFEPIRESS
© Le Climatoscope Conception et programmation: Balise
Le Climatoscope