Sciences et technologies

L’amélioration de la résilience des forêts face aux épisodes climatiques extrêmes: savoir lire entre les cernes

Les changements climatiques, la sécheresse et la forêt boréale

En plus de fournir des services écologiques primordiaux, les forêts du Canada constituent d’importants moteurs de développement économique et social. Cependant, les feux, les attaques d’insectes ainsi que tous les facteurs de stress induits par les événements climatiques extrêmes sont autant de menaces qui impactent de plus en plus nos forêts. À l’échelle mondiale, la réduction de la disponibilité en eau du sol devient l’un des facteurs les plus critiques responsables de la vulnérabilité croissante des arbres forestiers.
Au Canada, la situation est d’autant plus inquiétante que l’on observe de plus en plus de dépérissements d’arbres à la suite de sécheresses. En effet, étant donné le rythme accéléré des changements climatiques, certains arbres bien adaptés à leurs conditions environnementales en début de vie éprouvent des difficultés à s’acclimater aux nouvelles conditions qui prévalent après quelques décennies. Afin d’assurer leur survie, les arbres peuvent s’adapter localement, de leur vivant, à ces nouvelles conditions, c’est-à-dire s’acclimater à très court terme.

Mais il y a des limites aux mécanismes physiologiques impliqués dans la réaction aux stress environnementaux. Ils peuvent aussi produire localement des descendants qui seront génétiquement mieux adaptés à ces nouvelles conditions. Cependant, cette capacité d’adaptation, de type génétique, est particulièrement limitée par la longue durée des générations d’arbres. Aussi, il est estimé que le rythme des changements climatiques devrait être de 10 à 100 fois plus rapide que la capacité d’adaptation naturelle des forêts. Les espèces peuvent aussi migrer vers des conditions plus favorables, mais il y a là aussi des limites à la capacité de migration rapide. De plus, malgré la grande capacité de dispersion des arbres forestiers via la dissémination du pollen et des graines, il est probable que certaines populations rencontreront dans le futur des conditions environnementales qui n’existent pas actuellement et qui nécessiteront donc une part d’adaptation afin de garantir leur survie.

Mais alors, quelles approches concrètes peut-on développer pour tenter d’adapter nos forêts aux changements climatiques ? Avant de répondre à cette question, il est nécessaire de rappeler que la capacité d’adaptation des espèces d’arbres dépend de leur diversité génétique, une grande diversité génétique étant synonyme d’un potentiel d’adaptation élevé. Étant donné qu’au Canada, la plupart des espèces d’arbres de la forêt boréale et tempérée possèdent de très grandes tailles de populations, leur niveau de diversité génétique est généralement considérable. Il est donc pertinent d’identifier la variabilité génétique naturelle des espèces en lien avec leurs capacités d’adaptation génétique pour sélectionner et planter des arbres plus résilients aux futures contraintes climatiques. Le problème, c’est que l’on manque encore de connaissances sur le rôle de la variabilité génétique dans la tolérance aux variations climatiques et sur l’évolution des populations chez les arbres, et tout particulièrement chez les conifères qui sont prédominants dans plusieurs forêts canadiennes. Sachant que les événements climatiques extrêmes sont de plus en plus fréquents
et qu’ils constituent une forte pression de sélection sur les populations, il est urgent de mieux caractériser la variabilité génétique impliquée dans la réponse des arbres à ces perturbations et stress extrêmes.

Génomique 101  : quelques définitions…

La génomique : science qui vise à élucider et à comprendre l’information génétique d’un organisme qui est codée dans son ADN.

Diversité génétique : variabilité génétique présente chez une population ou une espèce donnée.

Phénotype : ensemble des caractéristiques qui peuvent être observées chez un organisme.

Caractère phénotypique (ou trait phénotypique) : désigne une variation d’un caractère ou d’un trait au sein d’un grand nombre d’individus. Un caractère phénotypique est une caractéristique évidente et mesurable, qui correspond à l’expression de gènes d’une manière observable. Il peut être hérité ou déterminé environnementalement, mais se produit généralement comme une combinaison des deux.

Allèle : variation d’un gène occupant une place précise sur ce dernier, et qui peut donc varier d’un individu à l’autre.

Locus (pluriel «  loci  ») : position fixe d’un gène ou d’un marqueur génétique sur l’ADN. Une variante d’un gène situé à un locus donné est un allèle.

Génotype : Identité des allèles qui caractérise l’ensemble de l’information génétique d’un individu. Par exemple, l’adaptation à la sécheresse est un caractère complexe qui dépend à la fois de plusieurs gènes et de l’influence de l’environnement, donc le génotype pour ce caractère regrouperait l’identité des allèles à plusieurs loci sur le génome.

Héritabilité : mesure qui permet de déterminer la part de variabilité d’un trait phénotypique qui est dû aux différences génétiques entre les individus, dans une population donnée, et qui peut être transmis de façon héréditaire. En pratique, l’héritabilité est estimée grâce à une modélisation mathématique des relations entre les génotypes et les phénotypes.

SNP (single-nucleotide polymorphism en anglais) ou polymorphisme nucléotidique : type de marqueur moléculaire correspondant à la variation d’une seule paire de bases d’ADN du génome entre les individus d’une même espèce.

Trachéide : Cellule allongée constitutive des tissus ligneux, ayant un rôle de soutien, qui conduit la sève brute (composée d’eau et de sels minéraux) dans les parties vivantes d’une plante ou d’un arbre.

La dendroécologie et les plantations comparatives : des outils puissants pour étudier l’adaptation à la sécheresse

Sur quel phénotype, i.e. l’ensemble des caractères apparents d’un arbre, peut-on se baser pour identifier et sélectionner un arbre plus tolérant à la sécheresse ? Sachant que la tolérance à la sécheresse est un caractère complexe déterminé par de nombreux mécanismes physiologiques souvent peu ou pas caractérisés, la réponse n’est pas simple. Jusqu’à présent, les études portant sur la variabilité génétique responsable de la tolérance à la sécheresse chez les conifères se sont principalement concentrées sur le carbone 13 (13C), un indicateur de l’efficacité de l’utilisation de l’eau. D’autres caractères plus conventionnels, comme la hauteur et le diamètre de l’arbre, sont fréquemment utilisés dans les études de tolérance à la sécheresse, même s’ils ne reflètent pas directement la réponse des arbres aux sécheresses. Dans ce contexte, l’évaluation de nouveaux caractères reflétant plus adéquatement la réponse des arbres aux sécheresses apparaît cruciale.

Sous climats tempérés, le bois forme chaque année au niveau du tronc de l’arbre un cerne annuel de croissance. La dendroécologie est une discipline utilisant l’ensemble des caractères mesurables sur les cernes de croissance pour analyser les processus écologiques historiques qui affectent la croissance et la physiologie des arbres. De fines «  carottes  » de sondage prélevées dans le tronc permettent d’étudier ces cernes de croissance et d’obtenir des informations clés pour comprendre l’adaptation à la sécheresse chez les conifères (Housset et al., 2018; Depardieu et al., 2020). Ces carottes de bois constituent de véritables archives biologiques et permettent une évaluation rétrospective de l’effet des sécheresses sur les caractères du bois, tels que la croissance radiale annuelle et l’anatomie des trachéides (éléments constitutifs du bois chez les conifères qui permettent le transport de l’eau des racines vers les extrémités et le soutien mécanique du bois; voir Figure 1; Lloret et al., 2011).

Figure 1. Types de caractères phénotypiques provenant des carottes de bois et testés dans le cadre du projet Spruce-Up.

En complément de cette analyse rétrospective, les plantations comparatives, aussi appelées tests génécologiques, constituent une véritable mine d’or pour quantifier le contrôle et la variabilité génétique des caractères du bois potentiellement impliqués dans l’adaptation à la sécheresse. Ces dispositifs expérimentaux sont constitués de jeunes arbres de différentes origines géographiques (ou provenances) plantés dans un environnement commun et homogène. Ils permettent de quantifier la variabilité génétique associée aux caractères d’intérêt au sein et parmi les populations établies sur un même site. Lorsque plusieurs familles d’arbres sont plantées sur le site, on peut également estimer l’héritabilité des caractères (i.e. à quel point le caractère est héréditaire, donc transmissible à la descendance), via l’estimation du degré de contrôle génétique sur un caractère phénotypique donné. Ainsi, lors du processus d’amélioration de l’adaptation à la sécheresse d’une espèce, on cherche non seulement à identifier des caractères qui confèrent une certaine tolérance à ce stress, mais également des caractères qui soient transmis d’une génération à une autre de façon à pouvoir préserver cette caractéristique d’intérêt dans le temps, par exemple, lors de la production des semis de reboisement provenant d’arbres plus résistants à la sécheresse.

Dans le cadre du projet pancanadien Spruce-Up, des recherches ont notamment été menées sur près de 1500 arbres provenant d’une quarantaine de populations d’épinettes blanches au Québec (Figure 2). Parmi les caractères phénotypiques mesurés sur le site, la résilience à la sécheresse s’est révélée être un caractère particulièrement héritable (Figure 2, section Observations). De plus, les populations issues des régions au climat plus sec affichaient une plus grande résilience à la sécheresse que celles issues de provenances au climat plus humide, indiquant que les populations étaient préalablement adaptées génétiquement aux conditions climatiques de leurs lieux d’origine. Il est aussi intéressant de remarquer que les populations les plus résilientes étaient aussi les plus productives sur le site (Figure 2, section Observations), indiquant la possibilité de sélectionner des arbres plus résilients à la sécheresse tout en assurant une bonne croissance à long terme.

Figure 2. Représentation synthétique de la conception expérimentale, des analyses et des observations obtenues dans le cadre de cette étude.

Le tableau dans la section Observations présente les héritabilités : (1) la gamme de valeurs d´héritabilité estimée correspond à trois caractères qui reflètent l’anatomie du bois : l’épaisseur de la paroi, le diamètre radial des trachéides de bois ainsi que la densité du bois; (2) la gamme de valeurs d’héritabilité estimée correspond à trois caractères qui reflètent la réponse à la sécheresse de la densité du bois, de l’épaisseur de la paroi et du diamètre radial des trachéides de bois.

Combiner la dendroécologie et la génomique pour documenter la nature génétique complexe de la tolérance à la sécheresse

Si la dendroécologie nous aide à identifier les caractères phénotypiques reflétant l’adaptation à la sécheresse, la génomique, elle, nous permet de déterminer quels gènes contrôlent ces caractères adaptatifs et héritables. En particulier, les études d’associations permettent, à travers l’étude de milliers de gènes, d’analyser les variations génétiques présentes chez de nombreux arbres et d’étudier leurs corrélations avec les caractères phénotypiques d’intérêt (associations génotype-phénotype, GPA) ou avec le climat d’origine des populations (associations génotype-environnement, GEA). Les variations génétiques (ou polymorphismes) étudiées sont généralement des SNPs de gènes, qui correspondent à des variations d’une seule paire de bases présentes dans la séquence d’ADN des individus d’une espèce. Les analyses GEA permettent d’identifier des SNPs et leurs gènes porteurs qui sont favorables dans les conditions environnementales prévalant dans les provenances d’origine des populations, tandis que les GPA révèlent des SNPs et allèles favorables directement reliés au caractère mesuré sur les arbres établis dans la plantation comparative.

Ces deux analyses sont complémentaires, car elles capturent des aspects différents de l’adaptation génétique des arbres. Il est admis que des pressions sélectives peuvent s’exercer lors de conditions constantes et contraignantes pour la croissance de l’arbre, mais que les pressions de sélection sont plus fortes lors d’événements climatiques extrêmes (Grant et al., 2017). De ce fait, dans le cadre spécifique de nos recherches (Figure 3), les analyses GEA ont permis de détecter des allèles favorables conférant un avantage sélectif dans des conditions climatiques plus sèches (cinq facteurs climatiques caractérisant un gradient d’aridité ont été testés), alors que les analyses GPA ont mis en lumière des allèles favorables à une meilleure résilience à la sécheresse en réponse à l’épisode de sécheresse exceptionnelle des années 2001 et 2002 qui a sévi sur le site de la plantation comparative étudiée.
À partir d’un ensemble de 6153 SNPs localisés sur 2606 gènes candidats, les analyses GEA et GPA ont permis d’identifier 285 gènes comportant des allèles favorables à l’adaptation à la sécheresse chez l’épinette blanche. Sans surprise, seulement huit gènes ont été détectés par les deux analyses. Ces gènes sont dits adaptatifs en plus de participer au contrôle génétique d’un caractère phénotypique d’intérêt, et apparaissent donc jouer un rôle important dans l’adaptation génétique à la sécheresse.

Figure 3. Illustration schématique de la combinaison des approches de dendroécologie et de génomique pour étudier les bases génétiques de l’adaptation à la sécheresse chez l’épinette blanche.

Les caractères testés pour l’étude d’associations génotypephénotype (GPA) étaient la croissance radiale, la résilience à la sécheresse et deux indices dérivés de cet indice, l’anatomie du bois (la paroi et le diamètre radial des trachéides de bois ainsi que la densité du bois) ainsi que la sensibilité au climat (la réponse à la sécheresse de la densité du bois, de la paroi et du diamètre radial des trachéides de bois).

Le futur de nos forêts face aux changements climatiques : perspectives et opportunités de recherche

Les travaux de recherches présentés dans cet article ont permis d’identifier des gènes clés pour l’adaptation génétique à la sécheresse chez une espèce de conifère, ce qui représente une avancée significative dans le domaine. Ils suggèrent aussi que l’on peut améliorer la résilience à la sécheresse des épinettes, sans pour autant compromettre leur croissance à long terme. A-t-on pour autant trouvé la recette magique?? Certainement pas?! Nos observations doivent notamment être consolidées par l’analyse d’autres plantations comparatives représentatives de conditions environnementales observées dans l’aire de répartition de l’épinette blanche, et par l’analyse de populations supplémentaires afin d’assurer un échantillonnage représentatif de la diversité génétique présente chez cette espèce. Une fois les résultats validés par différentes approches complémentaires, les allèles favorables identifiés dans cette étude pourraient être utilisés comme marqueurs diagnostiques par les programmes de sélection et ceux de conservation des ressources génétiques naturelles pour en améliorer leur efficience.

Afin d’assurer l’adaptation de nos forêts aux conditions climatiques futures, il sera primordial de mener des recherches multidisciplinaires et à de multiples échelles, impliquant une collaboration étroite entre les chercheurs et les différents intervenants du milieu forestier. L’utilisation de jeux de données de natures diverses et à grande échelle, ainsi que le développement et la combinaison d’approches complémentaires seront les clés pour atténuer les effets attendus des changements climatiques sur nos espèces d’arbres indigènes.

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