Sciences et technologies

Les alliés invisibles des érablières

Le sirop d’érable serait-il en péril ?

Parmi la vaste diversité d’espèces végétales qui arborent nos forêts indigènes, l’érable à sucre constitue certainement l’essence ayant la plus grande importance culturelle et patrimoniale au Québec. Le délice de sa sève ainsi que la qualité de son bois confèrent à cette espèce des caractéristiques particulièrement intéressantes et reconnues à travers le monde. En 2019, la valeur des produits de l’érable à sucre a été estimée à environ 518 millions de dollars au Canada, représentant 75 % de la production mondiale de sirop d’érable (Statistiques Canada, 2020). Toutefois, les changements climatiques constituent un des principaux phénomènes pouvant menacer la productivité de nos érablières. Ces changements impliquent notamment une augmentation de la température moyenne annuelle ainsi qu’une intensification des phénomènes climatiques extrêmes, qui se traduisent par une plus grande fréquence de sécheresses et d’inondations. Les érables à sucre sont des organismes particulièrement vulnérables à ces changements climatiques puisqu’ils ont une longue espérance de vie, atteignent tardivement leur maturité sexuelle et migrent lentement.

Pour cette raison, la communauté scientifique s’intéresse à la dynamique des populations de l’érable à sucre en réponse aux changements climatiques, par le développement de modèles pouvant prédire les distributions spatiales de cette espèce au cours des prochaines décennies. Ces modèles prévoient une migration graduelle de son aire de distribution vers le nord (Solarik et al., 2018; Bergeron et Gravel, 2019).
La perspective de cette migration entraîne une nouvelle question fondamentale : les sols en régions boréales et leurs communautés microbiennes permettront-ils à l’érable à sucre de s’y établir et compétitionner avec d’autres essences forestières??

Cet article constitue une présentation sommaire de l’importance des interactions plantes-microorganismes dans un contexte de changements climatiques. Il traite plus particulièrement de la situation de l’érable à sucre au Québec, de l’écologie de ses symbiotes fongiques ainsi que des perspectives innovantes que représentent les communautés synthétiques.

Les secrets des interactions plantes-microorganismes

L’érable à sucre, comme tout organisme vivant, est colonisé par des milliards de microorganismes qui contribuent activement au développement de son immunité, à l’assimilation d’éléments nutritifs essentiels, à réduire les risques d’infection par des agents pathogènes, en plus de lui conférer une tolérance à différentes sources de stress (Fitzpatrick et al., 2020). Ces microorganismes tels que les bactéries, les champignons, les virus, les protistes et les archées, sont des colonisateurs hors-pair et forment des communautés connues sous le nom de microbiotes.
Les microbiotes occupent différentes parties de l’érable à sucre. On les retrouve sur les feuilles (la phyllosphère), les tiges (la caulosphère), les fleurs (l’anthosphère), les fruits (la carposphère), les graines (la spermosphère) ainsi que les racines (la rhizosphère). Les communautés microbiennes sont soit des épiphytes qui colonisent les surfaces externes de l’érable à sucre, ou des endophytes qui colonisent les parties internes.

Les rétroactions plante-sol

La colonisation d’un site particulier par une espèce végétale (telle que l’érable à sucre) change au fil du temps les propriétés du sol environnant. En effet, les plantes modifient autant les propriétés biotiques (les composantes vivantes tels que les microorganismes) qu’abiotiques (les composantes non-vivantes telle que la physico-chimie du sol) de leur environnement immédiat. Cette influence peut avoir un impact positif ou négatif sur l’établissement et la performance de l’espèce végétale. C’est ce qu’on appelle les rétroactions plante-sol. La disponibilité en nutriments, la présence d’espèces microbiennes pathogènes ou mutualistes, ainsi que la production de composés chimiques constituent les principaux mécanismes impliqués dans les rétroactions plante-sol (Bennett et Klironomos, 2019). Toutefois, les fluctuations climatiques sont un facteur déterminant qui a le potentiel de chambouler les rétroactions plante-sol actuelles. Pour l’érable à sucre, il reste encore beaucoup à faire pour déterminer l’influence des changements climatiques sur ces rétroactions. Il sera notamment question d’étudier la capacité de cette espèce à s’adapter aux nouvelles conditions abiotiques ainsi qu’à s’établir dans de nouveaux habitats devenus favorables.

Parmi ces environnements, la rhizosphère constitue un compartiment fondamental à la survie ainsi qu’à la croissance de l’érable à sucre puisque les racines sont responsables de l’absorption de l’eau et des nutriments. La rhizosphère est définie comme le volume du sol dont la chimie et la microbiologie sont modifiées par la présence des racines. La rhizosphère est un habitat hautement convoité par les microorganismes puisqu’elle est riche en sucres et autres substances énergétiques que l’érable à sucre sécrète. Lorsque la rhizosphère se fait coloniser par des communautés microbiennes, une myriade d’interactions bénéfiques survient en réponse aux fluctuations environnementales. Par exemple, ces interactions donnent un accès privilégié aux nutriments du sol, permettent de résister aux stress hydriques pendant des périodes de sécheresse et confèrent une protection contre les pathogènes.
C’est notamment là où le travail des écologistes microbiens entre en jeu : tenter de caractériser les interactions entre plantes et microorganismes afin d’identifier les mécanismes conférant plus de résistance et de résilience aux agents de stress qu’imposent les changements climatiques.

Les héroïnes méconnues du sous-sol forestier

Parmi les microorganismes de la rhizosphère, il existe un type de champignon particulièrement fascinant qui s’associe avec plus de 80 % des plantes terrestres (Smith et Read, 2008) : les mycorhizes arbusculaires. Ces champignons sont des symbiotes obligatoires, c’est-à-dire qu’ils dépendent de la plante hôte afin de croître et de compléter leur cycle vital. Cette relation de coopération est le résultat d’une longue évolution et constitue à ce jour l’une des plus grandes réussites de l’évolution de la vie. En effet, ces champignons auraient notamment contribué à la migration des plantes du milieu aquatique vers le milieu terrestre il y a 400 millions d’années, une étape fondamentale à la diversification de la vie sur terre (Smith et Read, 2008).

Concrètement, cette relation de mutualisme est fondée sur un partage judicieux des ressources : la plante nourrit le champignon de sucres pour lui fournir de l’énergie, en échange des nutriments, tels que le phosphore, que le champignon puise dans le sol pour la plante. Une portion du champignon se faufile à l’intérieur des racines, pénètre à l’intérieur des cellules du cortex pour y former des arbuscules. Ces structures constituent l’interface d’échange entre la plante et son partenaire fongique. L’autre portion du champignon est composée de longs filaments (les hyphes) qui forment un dense réseau qu’on appelle le mycélium extra-racinaire. C’est ce mycélium qui explore les microenvironnements du sol pour y puiser de l’eau et des éléments nutritifs pour la plante. Les mycorhizes arbusculaires sont plus efficaces que les racines de la plante hôte, puisqu’elles constituent de redoutables colonisatrices du sol. Par exemple, on estime qu’il pourrait y avoir au-delà de 1 km d’hyphes fongiques dans une cuillère à soupe de sol (Selosse, 2017).
Les mycorhizes arbusculaires constituent donc les sentinelles résidant à l’interface entre la plante et son environnement.

En ce qui concerne l’érable à sucre, celui-ci a notamment évolué en association avec les mycorhizes arbusculaires caractérisées ci-haut, en opposition à de nombreuses autres espèces décidues et résineuses retrouvées au sein de son habitat qui entretiennent plutôt une association symbiotique avec les ectomycorhizes (se référer à l’encadré La diversité des mycorhizes). L’abondance ainsi que la diversité des espèces d’arbres en forêts tempérées, mixtes et boréales sont des variables à considérer en ce qui a trait à la disponibilité des symbiotes fongiques de l’érable à sucre. C’est donc en s’intéressant davantage aux facteurs influençant la structure des communautés de mycorhizes arbusculaires que les écologistes pourront mieux comprendre les mécanismes déterminants dans la migration graduelle de l’érable à sucre au nord de sa distribution actuelle.

Une alternative microbienne innovante

Les champignons mycorhiziens ne sont pas les seuls microorganismes à conférer des avantages fondamentaux en matière d’adaptation végétale, puisque les bactéries ont aussi un rôle important à jouer dans ce combat contre les effets du réchauffement global. Depuis quelques années, les scientifiques montrent un intérêt grandissant quant à l’utilisation de communautés microbiennes synthétiques, communément appelées SynCom. Elles consistent en des communautés construites par des microbiologistes sélectionnant un assemblage de souches indigènes (généralement bactériennes) d’une plante d’intérêt, visant à étudier ou élucider certaines interactions plante-microorganismes afin d’en faire de potentielles applications agricoles (Vorholt et al., 2017). Cette technique confère une panoplie d’avantages puisque, contrairement à ce qui est retrouvé dans la nature, les conditions expérimentales en laboratoire sont contrôlées, moins complexes et reproductibles. Il est donc possible d’identifier le rôle d’un seul microorganisme sur la santé de la plante en retirant, ajoutant ou substituant la souche de la communauté synthétique (Vorholt et al., 2017).

LA DIVERSITÉ DES MYCORHIZES

Les mycorhizes sont des organismes s’étant diversifiés parallèlement avec les plantes terrestres. Conséquemment, il existe plusieurs mycorhizes spécifiques à certains types de plantes et leur répartition varie selon les biomes terrestres. Les mycorhizes arbusculaires sont les plus généralistes et ubiquistes des sols, particulièrement abondantes au sein des communautés de plantes herbacées où elles permettent l’acquisition du phosphore. Les ectomycorhizes quant à elles ne font qu’envelopper les racines de leurs plants hôtes et sont en coopération avec les arbres des forêts décidues, mixtes et boréales. Dans ces écosystèmes, c’est plutôt l’azote qui se raréfie le long du gradient latitudinal.

Plus au nord, près de la toundra, on retrouve les mycorhizes éricoïdes, en association avec les éricacées, tels que les plants de bleuets et de canneberges. Celles-ci sont notamment reconnues pour leurs caractéristiques de décomposeurs, étant fortement utiles pour la nutrition des plantes en climat nordique (Fortin, Plenchette et Piché, 2015). C’est donc au gré de l’évolution que ces champignons se sont spécialisés avec leurs partenaires en réponse à leurs besoins nutritifs ainsi qu’aux différentes conditions climatiques.

Mycorhizes arbusculaires (bleu) observées par microscopie optique où il est possible d’observer des vésicules (structures ovales servant de réserves de de lipides) ainsi que les hyphes fongiques parcourant les cellules à l’intérieur des racines de son plant hôte (espèces fongique(s) et végétale inconnues). Crédit Joey Chamard.
Ectomycorhize (Amanita muscaria ; structures blanches) formant un manteau d’hyphes entourant les racines fines de son plant hôte (Pinus radiata). (Ectomycorrhizae_USDA – Crédit Randy Molina)

À titre d’exemple, il serait possible d’isoler des souches bactériennes et fongiques provenant des différents microbiotes de l’érable à sucre (e.g. phyllosphère et rhizosphère) afin de construire une SynCom sur mesure. Celle-ci pourrait être appliquée sur des semis d’érables cultivés en laboratoire et soumis à différentes conditions expérimentales, telles qu’un faible arrosage ou une température plus élevée. Bien que cette approche possède ses limites et n’est guère représentative de l’infinité des interactions se produisant à l’échelle micro et macroscopique, elle permet d’enrichir les connaissances collectives sur l’écologie des microorganismes. En plus, cette technique permet d’identifier des interactions au sein des communautés de même que certaines capacités insoupçonnées à assurer la santé et la productivité végétales (Saad, Eida et Hirt, 2020). De tous les organismes planétaires, les microorganismes sont de loin ceux démontrant la meilleure capacité d’adaptation devant les intempéries et les perturbations anthropogéniques, ce qui souligne l’importance de s’allier à ces populations invisibles. Dès lors, l’utilisation de SynCom permettrait dans un premier temps la démystification des réseaux d’interactions entre les microorganismes en plus de favoriser la découverte d’interactions plante-microorganisme bénéfiques dans un contexte de changements climatiques. Dans un deuxième temps, ces communautés sur mesure permettraient le développement d’applications agricoles qui pourraient non seulement contribuer à la pérennité de l’acériculture québécoise, mais également favoriser des pratiques agricoles durables et indépendantes des engrais chimiques. Les communautés synthétiques représentent conséquemment une alternative prometteuse afin d’assurer la sécurité alimentaire et économique des civilisations pour les décennies à venir.

Conclusion

Malgré les conséquences qu’engendreront les changements climatiques sur les peuplements forestiers, l’écologie microbienne est sans doute une discipline indispensable pour la conservation des érablières au Québec. Que ce soit via la création de communautés synthétiques ou l’étude fondamentale de l’écologie des mycorhizes, les scientifiques continueront de s’intéresser au microscopique afin de mieux comprendre et anticiper les divers phénomènes naturels à l’échelle macroscopique dans ce monde en constante évolution. Il reste encore à élucider comment les populations microbiennes en milieu naturel répondront au réchauffement global ainsi qu’à déterminer si ces dernières faciliteront l’établissement et la productivité des prochaines générations d’érables à sucre en territoire québécois.

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