Éditorial

Quand William annonça notre destin écologique

Durant l’été de 1963, un jeune québécois du nom de Jean-Yves Soucy se retrouve en pleine forêt boréale pour un emploi d’été à titre de garde-feu. C’était sa première visite en cette contrée, ignorant même la présence des premiers habitants de ce territoire, les Cris, en particulier du village de Waswanipi.

Le hasard, ou peut-être le destin, s’est pointé pour s’assurer que le jeune Soucy, alors âgé de 18 ou 19  ans, croise le grand William Saganash durant les premiers instants de son séjour estival dans un endroit complètement inconnu pour lui. Les deux parlent et comprennent peu l’anglais, mais l’intuition du jeune homme l’incite à engager William comme guide pour l’été, pour ainsi naviguer sur ces lacs, rivières et ruisseaux, et portager son canot entre ces routes millénaires.

Cette magnifique rencontre imprévue, Soucy la raconte dans un charmant récit, joliment écrit et publié post-mortem : Waswanipi. Passer presque trois mois avec le porteur d’un savoir autochtone inédit et millénaire, c’est sans doute une occasion inespérée, voire impossible. Mais voilà que Jean-Yves Soucy demande à William Saganash, il y a de cela 60 ans, comment il voyait l’avenir de ses 14 enfants dans 50 ans.

La réponse de mon père ne me surprendra jamais. Il prédit alors, observant le développement minier et forestier rapide dans le territoire cri, qu’il n’y aura plus de ressources et de place pour tous, y compris les animaux ! Ces pensées viennent une décennie avant la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et la Déclaration de Stockholm de 1972. Ce n’était pas avant-gardiste de sa part, juste une science millénaire. Selon le principe 4 de la Déclaration :

« L’homme a une responsabilité particulière dans la sauvegarde et la sage gestion du patrimoine constitué par la flore et la faune sauvages et leur habitat, qui sont aujourd’hui gravement menacés par un concours de facteurs défavorables. […] »

Il s’est écoulé 60 ans depuis le cri du cœur du Cri William !

J’ai voulu honorer la mémoire de mon père en négociant une disposition particulière dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, l’instrument de droits de la personne le plus longuement discuté et négocié dans l’histoire des Nations Unies. L’article 25 de la Déclaration demande de l’humilité et de l’humanité de notre part :

« Les peuples autochtones ont le droit de conserver et de renforcer leurs liens spirituels particuliers avec les terres, territoires, eaux et zones maritimes côtières et autres ressources qu’ils possèdent ou occupent et utilisent traditionnellement, et d’assumer leurs responsabilités en la matière à l’égard des générations futures. »

Nous en sommes là aujourd’hui. Nous avons besoin de la contribution de tous, y compris nous, les peuples autochtones, dans ce défi qu’est la sauvegarde d’une planète qui se déchaîne toutes les saisons. Multidisciplinaire est certes ce numéro ; les contributions sont d’une inestimable valeur. Notre défi sans précédent demeure toutefois d’incorporer toutes ces sciences qui progressent, avec les savoirs de ces peuples millénaires qui peuvent, sans doute, contribuer.

En 1963, j’avais à peine 2 ans, et déjà, William pensait à moi dans 50 ans. Il avait ce privilège de penser à ce qu’il adviendrait 50 ans plus tard. Nous ? Non.

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