Enjeux de société

Résilience climatique et sociale dans l’est de la République démocratique du Congo: quel engagement des jeunes ruraux au Sud-Kivu ?

Les changements climatiques sont une préoccupation majeure, qui touche l’ensemble de la population mondiale et qui nécessite des réponses urgentes concernant les pays les plus pauvres. Il s’agit d’un défi incontournable pour tous les pays du monde, mais particulièrement pour le continent africain. Selon les estimations du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, l’Afrique contribue très peu aux émissions mondiales de gaz à effet de serre, à raison de 2 à 3 %. Néanmoins, l’Afrique est l’un des continents les plus vulnérables, où les changements climatiques menacent d’exposer jusqu’à 118 millions de personnes aux risques de sécheresse, d’inondations et de chaleurs extrêmes (IPCC, 2023). En République démocratique du Congo (RDC), les effets des changements climatiques sont visibles sur tout le territoire. Les observations effectuées depuis les années 1960 indiquent une augmentation de la fréquence des précipitations intenses, de la température des eaux profondes du lac Tanganyika (passées de 0,2 à 0,7 °C) et des températures extrêmes ; la température du jour le plus chaud de l’année ayant augmenté d’environ 0,25 °C par décennie (USAID, 2018). De surcroît, les projections climatiques d’ici 2050 prévoient une augmentation de la température moyenne (de 1 à 2,5 °C), de la fréquence des précipitations intenses et des périodes de sécheresse prolongées, ainsi qu’une diminution possible des précipitations pendant la saison sèche, en particulier dans les régions du sud du pays (USAID, 2018). En raison de la pauvreté généralisée et de la forte densité de la population, les effets des changements climatiques sont les plus prononcés dans la partie est de la RDC et accroissent ainsi la vulnérabilité des collectivités touchées par des conflits armés depuis maintes décennies. Au cours des deux dernières années, pour les seuls conflits armés causés par le Mouvement du 23 mars (M23), l’Organisation mondiale pour les migrations a dénombré 687 674 personnes ayant été déplacées au Sud-Kivu, ce qui représente 14 % de la population nationale totale (OIM, 2023). En plus des conséquences biophysiques subies par ces communautés, les changements climatiques perturbent aussi les moyens de subsistance, la sécurité alimentaire et hydrique ainsi que les efforts de développement, en raison des pertes et des échecs enregistrés dans le secteur agricole et des dommages causés sur les infrastructures (NCEA, 2016). Couplés au faible engagement des acteurs publics et sociaux quant aux efforts d’adaptation et de résilience des communautés du Sud-Kivu, ces facteurs combinés renforcent la vulnérabilité des populations aux chocs sociaux et climatiques.

Dans les territoires du Sud-Kivu en général (figure 1), et dans le territoire de Walungu en particulier, les conséquences visibles de la vulnérabilité des populations se manifestent par l’abandon des activités agricoles et des actions locales en faveur de l’environnement. Les jeunes ruraux se tournent de plus en plus vers les zones offrant davantage de possibilités d’accès à l’emploi, à la sécurité et aux services sociaux de base (Debeve, 2019). Leur départ entraîne la disparition de cerveaux et de main-d’œuvre, et perturbe l’organisation sociale et les moyens de subsistance de ceux et celles qui restent.

Le rôle du gouvernement et des partenaires locaux et internationaux en matière de réponse aux changements climatiques et d’engagement des jeunes vers une optique de résilience semble être une nécessité de premier plan. Néanmoins, considérant l’importance de la jeunesse en milieu rural, l’évaluation de la place de cette dernière dans la résilience climatique et sociale au Sud-Kivu semble étonnement manquer dans la littérature. Il s’avère donc opportun de discuter de cette problématique afin de comprendre les défis auxquels font face les jeunes ruraux et d’éclairer les instances et les protagonistes sur les leviers à actionner pour renforcer et accroître leur résilience climatique et leurs moyens de subsistance dans le contexte des changements climatiques et de la crise sécuritaire de l’est de la RDC.

Méthodologie

L’étude a été réalisée à Walungu, l’un des huit territoires de la province du Sud-Kivu. S’étendant au sud-ouest du chef-lieu provincial Bukavu, Walungu est composé de deux chefferies divisées en 31 groupements, à raison de 15 à Kaziba et de 16 à Ngweshe (figure 2). En plus de la crise sécuritaire, Walungu fait face à maints enjeux liés aux changements climatiques, à l’instar des catastrophes naturelles et de leurs répercussions sur les activités agricoles, dont dépendent nombre de ménages, et sur le vécu quotidien des groupes vulnérables, par exemple les jeunes et les femmes.

La méthodologie de cette étude se fonde sur l’approche qualitative. En plus de la littérature existante au sujet de la résilience sociale et climatique et de la mobilisation des jeunes ruraux, des données empiriques ont été collectées grâce à des observations, à des entretiens semi-directifs et à des discussions de groupe. Les observations récoltées se concentraient sur le statut et le capital social des jeunes de Walungu, leurs moyens de subsistance et leurs réseaux d’information. Les entretiens ont principalement été effectués auprès de jeunes garçons et filles, âgés de 15 à 35 ans, instruits (alphabétisés) et résidant à Walungu depuis plus de 10 ans. Parmi eux, on comptait également des jeunes leaders, responsables et/ou membres d’organisations locales, de partis politiques ou de structures économiques formelles et informelles. Chaque entretien durait en moyenne 30 minutes et portait sur les effets environnementaux et sociaux des changements climatiques, leur influence sur le statut des jeunes, leur organisation quotidienne et sociale et leurs moyens de subsistance.

De plus, des groupes de discussion reposant sur l’interrogation simultanée de 8 à 10 personnes, en moyenne, ont également été menés (Claude, 2021). Ces groupes de discussion étaient composés de jeunes garçons et filles, alphabétisés et non alphabétisés, d’acteurs et actrices d’organisations de la société civile et d’autorités locales. Avant de participer aux débats, ces personnes ont librement accepté d’exposer leurs points de vue sur les changements environnementaux et sociaux actuels à Walungu ainsi que sur le niveau de mobilisation et de résilience des jeunes. C’est un total de 4 groupes de discussion qui ont été formés et de 23 entretiens semi-directifs qui ont été réalisés. Les données terrain ont été retranscrites (verbatim d’entrevues et de groupes de discussion) et analysées de manière systématique à l’aide de mots-clés liés faisant notamment ressortir les informations concernant le capital social et le statut social des jeunes ruraux de Walungu, leur vulnérabilité face aux chocs sociaux et climatiques, leurs moyens d’existence et les obstacles rencontrés au cours de leur vie.

Actions des jeunes ruraux de Walungu vers une optique de résilience sociale et climatique

Les changements climatiques ont induit des effets sociaux et environnementaux indésirables dans presque tous les secteurs de vie au Sud-Kivu. En plus de toucher le secteur agricole, qui concerne plus de la moitié de la population (Kashangabuye et al., 2019), ils ont perturbé la santé, les écosystèmes et les ressources hydriques. Par conséquent, les populations les plus vulnérables, en particulier les jeunes garçons et filles résidant à Walungu, en ont payé un lourd tribut. De ce fait, l’appréhension de leurs actions sociales et climatiques vers la résilience implique une approche systémique faisant appel à une démarche globale sur les différents éléments du système étudié (Schindler, 2006).

Statut et capital social des jeunes ruraux de Walungu

Les jeunes garçons et filles représentent une opportunité vers la résilience sociale et climatique à Walungu. Le tableau 1 analyse leurs capacités et leur statut social.

Comparativement aux jeunes filles, les jeunes garçons ont une bonne situation de fait dans la société. Ils exercent une forte influence et peuvent ainsi agir en faveur de leur propre futur et de celui de leur entité. En effet, nombre de jeunes de Walungu s’organisent et/ou participent à des structures d’économie solidaire, à des réseaux d’entraide agricoles et non agricoles, et peuvent développer des relations avec divers acteurs sociaux. Pour accéder aux espaces de pouvoir fermés ou invisibles, ils développent des stratégies de lobbying et de plaidoyer. En plus de prodiguer des conseils aux détenteurs du pouvoir, ils sensibilisent et mobilisent les masses sur des questions sociales et climatiques. Le renforcement de l’infrastructure sociale paraît donc fondamental non seulement dans les situations de catastrophe (Aldrich et Meyer, 2015), mais aussi dans toutes les situations de la vie afin d’améliorer la résilience des communautés.

Accès aux NTIC et moyens d’existence des jeunes ruraux de Walungu

Les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) pénètrent de plus en plus les milieux ruraux du Sud-Kivu. À Walungu, deux jeunes sur trois utilisent actuellement un téléphone intelligent. Grâce aux NTIC, ils accèdent aux informations liées à leurs activités quotidiennes (organisation locale, agriculture, élevage), participent à certains espaces où se prennent des décisions et peuvent influencer la gestion de leur entité, se connectent aux différents réseaux et échangent des expériences avec le reste du monde : «  … plus de quatre ans que nous utilisons un téléphone Android. Nous sommes dans divers groupes WhatsApp et pouvons faire des recherches sur Internet pour notre travail…  » Malgré les avantages des NTIC dans la résilience climatique et sociale des jeunes de Walungu, leur mauvaise utilisation peut déclencher des vagues de conflits entre divers acteurs et les répercussions concernent généralement les populations vulnérables : «  … je ne me prononce pas sur n’importe quel sujet pour m’éviter des problèmes avec les autorités politiques et locales, mais avec les NTIC, j’accède facilement à l’information par la radio, la télévision et dans le groupe WhatsApp et/ou Facebook…  »

Nombre de jeunes n’ayant pas migré vers les villes ou les zones minières développent maintes activités socioéconomiques, qui sont pour eux source de revenus. Il est ressorti des discussions qu’en plus «  … du transport mototaxi, de l’exploitation minière et de la pratique des activités agricoles…  », «  … les restaurants, la vente des unités téléphoniques et la transaction monétaire, des denrées alimentaires, des boissons locales et importées, du charbon de bois, de l’essence, des articles divers pour l’habillement…  », ces jeunes sont aussi «  … des responsables des petites unités de production et, en ambulatoire, exercent un commerce des denrées alimentaires de Walungu vers Bukavu…  ». La majorité de ces moyens de subsistance étant susceptibles aux chocs climatiques, leur diversification serait une des solutions permettant d’améliorer la résilience des jeunes.

Appréciation de la résilience actuelle des jeunes ruraux de Walungu

Niveau de résilience sociale et climatique des jeunes ruraux de Walungu

L’analyse du diagramme systémique (figure 3) montre que les jeunes filles de Walungu participent très faiblement aux instances de prise de décision. Dans une très large mesure, elles sont victimes du poids de la tradition et ont un faible accès et contrôle des ressources naturelles, par exemple, les ressources foncières.

La plupart des moyens de subsistance des jeunes de Walungu sont non durables, à l’instar des petites unités locales de production, des activités agricoles, du transport mototaxi, de l’accès aux marchés, du commerce des boissons locales et importées, du charbon de bois, des articles divers pour l’habillement. En nombre important, ils sont faiblement organisés du point de vue formel et dépendent de leurs familles, dont la majorité vit déjà dans une situation de pauvreté liée aux effets des changements climatiques et à la série des crises sécuritaires de l’est de la RDC. La résilience actuelle de ces jeunes étant faible, ils sont de plus en plus sujets aux manipulations politiciennes, à l’intégration dans des milices et à la migration vers des zones attractives à la recherche du bonheur.

Goulot d’étranglement

Les jeunes représentent un espoir pour plusieurs à Walungu. Leur engagement, leur participation et leur implication dans les actions en réponse aux effets des changements climatiques sont un choix de premier plan. Les discussions ont montré que : «  … si les jeunes sont employés, si leurs moyens de subsistance et d’action pour le climat sont appuyés, s’ils accèdent facilement aux instances de prise de décision et comprennent les règles du jeu, ils peuvent être plus résilients sur le plan social et climatique, et bénéfiques même pour notre entité…  » Dans ce cas de figure, l’employabilité et l’entrepreneuriat des jeunes paraissent des leviers à actionner pour les amener vers une optique de résilience sociale et climatique durable. Étant considérés comme des processus, l’employabilité et l’entrepreneuriat joueraient un rôle très important dans le déclenchement de la décision d’entreprendre (Bernard et Barbosa, 2016). En actionnant sur ces leviers, certains effets se produiront sur le plan systémique, entre autres : «  … la diversification des moyens de subsistance des jeunes, le renforcement de leurs organisations et le filet socioéconomique, la diminution de la pression de la tradition par rapport aux jeunes filles et de la vulnérabilité aux migrations et aux manipulations politiciennes, l’autonomie et l’indépendance économique et un engagement durable des jeunes dans les actions en réponse aux chocs climatiques…  »

Conclusion

L’étude a évalué la place des jeunes ruraux dans la résilience sociale et climatique dans l’est de la République démocratique du Congo. Elle a montré qu’actuellement, nonobstant leurs moyens de subsistance et actions climatiques, dont une bonne partie est non durable, la résilience des jeunes ruraux de Walungu demeure faible. Cela se traduit par le nombre important de jeunes dépendants du point de vue socioéconomique, sujets aux manipulations politiciennes et à la tradition, ayant abandonné les activités agricoles et/ou migré vers des zones urbaines. Par conséquent, l’étude recommande aux décideurs politiques et aux acteurs locaux de développement de s’appuyer sur l’employabilité et de promouvoir l’entrepreneuriat des jeunes ruraux afin de leur permettre de diversifier leurs moyens de subsistance et d’augmenter leur niveau de résilience face aux chocs climatiques et sociaux. L’étude à venir portera sur la diversité des perspectives des jeunes du Sud-Kivu concernant les changements climatiques, les formes de résilience et les stratégies mises en place. L’objectif sera de fournir des informations détaillées aux acteurs qui soutiennent la résilience des jeunes face aux effets des changements climatiques au Sud-Kivu et à l’est de la République démocratique du Congo.

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