Perspectives

Is Canada really back? Un état des lieux de l’ambition climatique du Canada sous l’ère du gouvernement de Justin Trudeau

En décembre 2015, 195 pays ont adopté l’Accord de Paris à la 21e Conférence des Parties de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), la plus vaste entente mondiale jamais conclue en matière de climat. Ce nouvel accord a pour objectif de renforcer les efforts pour contenir l’augmentation de la température moyenne mondiale en dessous de 2 °C et de poursuivre les actions pour limiter le réchauffement planétaire a` 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels.

Du côté canadien, l’adoption de ce nouvel accord international s’est faite dans un contexte de changement de gouvernement. Élu alors depuis à peine un mois, le nouveau gouvernement libéral de Justin Trudeau fait de l’enjeu climatique l’une de ses priorités, ce qui se traduira par une phrase qui deviendra célèbre ensuite : «  Canada is back my friends, and we are here to help  ». Ce moment marquera un virage symbolique sur la question du climat vis-à-vis du précédent gouvernement conservateur de Stephen Harper. Plus de cinq ans après l’entrée en vigueur de l’Accord de Paris et à quelques semaines de la COP26 de Glasgow (1er au 12 novembre 2021), peut-on affirmer que le Canada est véritablement «  de retour  » pour le climat ?

Afin de répondre à cette question, nous présentons un bref état des lieux de l’ambition climatique du Canada depuis l’arrivée de Justin Trudeau au pouvoir en 2015. Pour ce faire, nous définissons d’abord le niveau d’ambition climatique du Canada à la lumière de ses cibles antérieures, actuelles et futures de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). Nous mesurons ensuite ce niveau d’ambition à partir des trois principaux instruments de l’action climatique canadienne des cinq dernières années, soit le Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques (2016), le Plan climatique renforcé (2020) et le projet de loi C-12 sur l’atteinte de la carboneutralité (2020). Nous abordons finalement la principale faille de l’ambition climatique du Canada sous l’ère Trudeau, soit la poursuite du soutien politique et financier au secteur pétrolier et gazier.

Les cibles climatiques du Canada

Pour définir l’ambition climatique du Canada, il est nécessaire, d’une part, de revenir sur ses engagements climatiques historiques – de 1990 à aujourd’hui – et, d’autre part, de s’attarder aux cibles qu’il s’est fixées aux horizons 2030 et 2050.

Les cibles antérieures

Jusqu’à aujourd’hui, le Canada a pris plusieurs engagements visant l’atténuation des émissions de GES qui n’ont jamais été respectés (VGC, 2017). En 1992, en signant la CCNUCC, le Canada s’engageait à réduire ses émissions de GES pour les ramener aux niveaux de 1990 d’ici 2000 (613 mégatonnes d’équivalent de CO2). En 2005, lors de l’entrée en vigueur du Protocole de Kyoto, le Canada avait pris l’engagement de diminuer ses émissions annuelles de GES de 6 % sous le niveau de 1990, pour la période 2008 à 2012 (576 mégatonnes). Or, ses émissions ont plutôt bondi de 17,7 % sur la période 1990 à 2012. En décembre 2011, le Canada s’est même retiré du Protocole de Kyoto; retrait qui est devenu effectif en 2012.

Puis, lors de la Conférence de Copenhague, en 2009, le Canada a présenté une cible de réduction de ses émissions pour 2020 établie à 17 % sous le niveau de 2005 (620 mégatonnes). Selon les dernières projections, cette cible n’a pas non plus été atteinte (ECCC, 2021a). En 2019, le Canada n’avait réduit ses émissions que de 9 mégatonnes (Mt), ou 1,1 % sous le niveau de 2005. Cela représente une augmentation nette de 21,2 % par rapport à 1990.

Qu’en est-il des cibles actuelles ?

Jusqu’à tout récemment, la cible du Canada pour 2030 était une réduction de 30 % des émissions annuelles de GES sous le niveau de 2005 (523 mégatonnes), une cible adoptée par le gouvernement Harper en 2015. En avril 2021, lors du Sommet mondial sur le climat organisé par le président américain Joe Biden récemment élu, le Canada a annoncé une nouvelle cible plus ambitieuse pour 2030, comprise entre 40 et 45 % sous le niveau de 2005 (438 à 401 mégatonnes) (ECCC, 2021b).

De même, en novembre 2019, le Canada s’est engagé à atteindre la carboneutralité d’ici 2050, cible d’atténuation actuellement inscrite dans le projet de loi C-12, Loi concernant la transparence et la responsabilité du Canada dans le cadre de ses efforts pour atteindre la carboneutralité en 2050 (ECCC, 2021b)1.

Tableau 1. Sommaire des cibles du Canada en matière de réduction de GES

En somme, malgré une hausse récente de l’ambition de ses engagements climatiques, le Canada n’en a respecté aucun depuis 1990 (voir Tableau 1). Les promesses du gouvernement Trudeau se traduiront-t-elles par des actions concrètes menant à l’atteinte de ses nouveaux objectifs ?

Les trois principaux instruments de l’action climatique de l’ère Trudeau

Pour mesurer l’ambition climatique du gouvernement Trudeau, il est nécessaire d’examiner les principaux instruments qu’il a adoptés depuis 2015 pour atteindre les cibles susmentionnées, ainsi que ceux qu’il compte mettre en œuvre prochainement.

Le Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques

Pour honorer ses engagements envers l’Accord de Paris (-30 % d’ici 2030), le Canada a publié, en 2016, le Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques (ci-après «  Cadre pancanadien  ») (ECCC, 2016),
élaboré de concert avec les gouvernements provinciaux et territoriaux. À travers ce plan, le Canada a investi plus de 60 milliards $ entre 2015 et 2019 dans des mesures de lutte contre les changements climatiques (voir Tableau 2).
La contribution projetée des mesures du Cadre pancanadien à la réduction de GES est de 227 Mt. Une telle réduction équivaudrait à une réduction de 19 % des émissions de GES d’ici 2030 (ECCC, 2021b).

Tableau 2. Sommaire des principales mesures du Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques (2016)
Le Plan Un environnement sain et une économie saine

En décembre 2020, le Cadre pancanadien a été bonifié par le Plan Un environnement sain et une économie saine (ci-après «  Plan climatique renforcé  ») (ECCC, 2020). Celui-ci prévoit 64 nouvelles mesures ainsi que des investissements supplémentaires de l’ordre de 15  milliards $ (voir Tableau 3). Il dédie aussi 6 milliards $ à la Banque de l’Infrastructure du Canada pour des projets d’infrastructures vertes.

Tableau 3. Sommaire des principales mesures du Plan climatique renforcé (2020)
Le projet de loi C-12, Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité

À la fin 2019, le gouvernement de Justin Trudeau a déposé le projet de loi C-12 (Parlement du Canada, 2019), Loi concernant la transparence et la responsabilité du Canada dans le cadre de ses efforts pour atteindre la carboneutralité en 2050. Ce projet de loi vise à accroître l’imputabilité du gouvernement fédéral en matière de climat. Il prévoit plusieurs mécanismes de suivi des mesures implantées par le gouvernement fédéral pour respecter ses cibles et corriger le tir, le cas échéant (voir Tableau 4).

Le projet de loi C-12 est un bon point de départ pour renforcer l’ambition climatique du Canada à moyen et à long termes. Il présente néanmoins certaines lacunes, notamment sur le plan des mécanismes de transparence, d’imputabilité et de reddition de compte. Ceux-ci pourraient être grandement bonifiés à la lumière des meilleures pratiques internationales en gouvernance climatique, telles que celles des modèles britannique, finlandais et néozélandais.

En somme, les trois principaux instruments de l’action climatique du gouvernement Trudeau ont permis au Canada de progresser en matière de gouvernance, de réglementation, d’investissements et de cibles pour le climat. On estime que la mise en œuvre intégrale du Cadre pancanadien, du Plan climatique renforcé et des dernières mesures du budget de mars 2021 permettrait au Canada de réduire ses émissions de GES de 36 % sous le niveau de 2005 (ECCC, 2021b), le rapprochant ainsi de sa nouvelle cible pour 2030 établie à 40-45 % sous le niveau de 20053.

Plusieurs groupes environnementaux et de la société civile jugent ces résultats insuffisants et demandent des efforts supplémentaires de la part du Canada pour qu’il atteigne ses objectifs pour 2030 et 2050. Notons que selon l’Indice de performance en matière de changement climatique (CCPI, 2020), le Canada se retrouve en queue de peloton de la communauté internationale, soit au 58e rang sur 61, en ce qui concerne la mise en œuvre des objectifs de l’Accord de Paris4.

Tableau 4. Sommaire des mécanismes prévus par le projet de loi C-12

L’appui au secteur pétrolier et gazier, un double discours qui nuit à l’ambition climatique du gouvernement fédéral

La principale faille de l’ambition climatique du Canada sous l’ère Trudeau demeure le maintien de son appui politique et financier au secteur pétrolier et gazier. Cet appui entache non seulement son bilan, il nuit également à l’atteinte de ses objectifs climatiques7.

L’exemple le plus marquant est la décision du gouvernement du Canada, en 2018, d’acheter, d’agrandir, d’exploiter puis de céder le pipeline Trans Mountain, un projet qui vise à accroître le flux de pétrole en provenance de l’Alberta vers la Colombie-Britannique, pour accéder aux marchés étrangers (Bureau du Directeur parlementaire du budget, 2020). Cette décision du gouvernement fédéral repose sur des scénarios incompatibles avec le respect de l’Accord de Paris et l’atteinte de la carboneutralité (Régie de l’énergie du Canada, 2020?; AIE, 2021).

En parallèle, Justin Trudeau s’était engagé – lors du Sommet des leaders nord-américains en 2016 – à mettre fin aux subventions « inefficaces » octroyées aux combustibles fossiles d’ici 2025. Or, peu d’actions concrètes ont été prises en ce sens depuis les dernières années (FMI, 2019 ; VGC, 2019). Le Canada demeure parmi les pays du G20 qui financent le plus les combustibles fossiles.

En conclusion

Donc, Is Canada really back? Répondre de manière définitive à cette question n’est pas chose simple. Un tel exercice exigerait une analyse beaucoup plus approfondie et exhaustive de la politique climatique canadienne depuis 2015.

Chose certaine, néanmoins, l’arrivée du gouvernement de Justin Trudeau a permis au Canada d’accomplir des progrès en matière de gouvernance climatique, de renforcement des réglementations, d’investissements bonifiés et de rehaussement des cibles climatiques à moyen et à long termes. Plus largement, il a ramené l’idée d’une responsabilité accrue du Canada à l’égard de la communauté internationale en matière de climat. La distinction avec l’ancien gouvernement Harper est d’ailleurs notable, ne serait-ce qu’au niveau du rehaussement des cibles climatiques (Chaloux, 2019). Elle l’est également en matière de tarification carbone, pour laquelle la Cour suprême du Canada a donné raison au gouvernement Trudeau au début de l’année 2021.

En revanche, force est de constater que des mesures plus robustes devront être implantées au cours des prochaines années pour permettre au Canada d’atteindre sa nouvelle cible pour 2030 et de maintenir une trajectoire compatible avec la carboneutralité. L’un des véritables tests de crédibilité sera son niveau d’appui au secteur pétrolier et gazier qui, pour l’instant, nuit toujours à l’ambition climatique canadienne.

La prochaine élection fédérale prévue à l’automne 2021 sera plus que jamais marquée par la nécessité d’agir davantage pour lutter adéquatement contre la crise climatique. À l’approche de la COP26 de Glasgow, la question ne sera plus de savoir si le Canada est réellement « de retour » pour le climat, mais bien de savoir s’il fera sa juste part.

1. Depuis la rédaction de cet article, le projet de loi C-12 a été sanctionné le 29 juin 2021.

2. Selon le dernier inventaire disponible (ECCC, 2021a).

3. D’après une source gouvernementale, l’atteinte des 4-5% restants dépendra des efforts déployés par les provinces.

4. L’indice utilise des indicateurs tels que les émissions gaz à effet de serre par habitant, la part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique, la consommation énergétique par habitant, les politiques climatiques.

5. Ainsi qu’un objectif intérimaire en 2026 (qui n’est pas une cible).

6. Des modifications ont été apportées au cours de l’étude du projet de loi afin d’augmenter la fréquence des rapports du ministre.

7. Pour plus de détails sur un volet complémentaire de l’appui du gouvernement fédéral à ce secteur, consultez Chaloux, Annie. (2019). Les deux visages de Janus : la politique étrangère canadienne en matière de climat à l’ère Trudeau. 10.2307/j.ctv10qqxz6.12

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