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L’évolution des évènements météorologiques extrêmes

Évènements météorologiques extrêmes et changements climatiques

Chaque année, les records tombent. L’année 2024 sera l’année la plus chaude depuis 1850 (au-dessus des précédents records de 2023, 2016, 2020 et 2019). Ces changements à long terme s’accompagnent d’évènements météorologiques extrêmes, difficiles à cerner et à classifier, donc difficiles à simuler et à fortiori à prévoir. Le 30 janvier 2024, l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM) publiait le premier inventaire des records de temps et climat extrêmes certifiés. La question est de savoir si ces extrêmes sont liés à l’évolution du climat. Les connaissances sur les évènements extrêmes et les changements du climat ont fortement progressé dans le 6e rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) (Seneviratne et al., 2021). Ce 6e rapport intègre un tableau synthétique sur les facteurs d’impact climatique et les indices de quantification de ces extrêmes (Annexe VI, Gutiérrez et al., 2021).

Cinq exemples d’évènements extrêmes sont présentés ici : les canicules, les cyclones, les rivières atmosphériques, les sécheresses et les tempêtes de neige. Définis chacun à partir de la combinaison de plusieurs paramètres météorologiques et, pour certains, sur des échelles de classification qui ne sont plus adaptées, ils illustrent les défis liés à leurs connaissances et à la quantification de leur évolution.

Canicules

Il n’y a pas de standard unifié pour définir une canicule extrême (vague de chaleur) (voir l’annexe VI du 6e rapport du GIEC, Gutiérrez et al., 2021). Une canicule est une période d’au moins trois jours consécutifs (ou plus) avec des températures maximales journalières (Tmax) supérieures à un seuil (90e percentile ou plus). Le seuil choisi est en général critique pour la santé humaine, les infrastructures, les écosystèmes et l’agriculture. On peut définir deux caractéristiques de vagues de chaleur : leur intensité (moyenne des Tmax de la vague de chaleur) et leur durée (nombre de jours de la vague de chaleur).

La Figure 1 montre la tendance à l’augmentation des canicules depuis 2006, comparée à celle des températures estivales moyennes sur le globe depuis 1980. Le réchauffement climatique accentue la fréquence de ces canicules. Il est probable qu’à l’avenir, leur intensité pourrait augmenter aussi, avec des records de chaleur battus régulièrement (Seneviratne et al., 2021). Au point que le Service météorologique du Canada envisage de changer ses capteurs de mesure de température pour augmenter leur précision au-delà de leur limite actuelle de 50 °C (Le Devoir, 7 juin 2023), après le record de température jamais enregistré au Canada de 49,6 ° C à Lytton en Colombie-Britannique le 29 juin 2021 (https://climate.weather.gc.ca).

Tempêtes de pluies extrêmes

Les cyclones ou ouragans extraordinairement puissants et destructeurs sont de plus en plus fréquents à mesure que le réchauffement climatique accroît la quantité d’énergie disponible pour leur développement (Wehner et Kossin, 2023).
Les cyclones tropicaux sont parmi les évènements pluvieux les plus extrêmes de la planète, accompagnés de vents extrêmement violents. Ils sont classés selon différents critères comme leur impact économique (plusieurs milliers de dollars de dégâts), la force du vent ou leur énergie accumulée (carré de la vitesse du vent, parfois pondéré par le rayon du cyclone), mais rarement selon les précipitations générées. Les cyclones peuvent en effet déverser des trombes d’eau, comme le cyclone Denise dans le sud de l’océan Indien en 1966 avec 1,8 m d’eau en 24 h — un record mondial historique. L’échelle de Saffir-Simpson sur 5 niveaux, largement utilisée, va de la tempête tropicale lorsque la vitesse maximale du vent soutenu est supérieure à 63 km/h — on lui donne alors un nom — jusqu’à «  ouragan, typhon, cyclone tropical  » — selon le bassin — lorsque la vitesse maximale du vent soutenu dépasse 116 km/h. Au cours des 10 dernières années, cinq cyclones tropicaux ont atteint des vitesses de vent très supérieures au seuil de la catégorie 5 (>252 km/h) (Tableau 1), causant des milliers de morts et des milliards de dollars de dégâts.

Du fait que le réchauffement climatique risque d’entrainer une augmentation de l’intensité des cyclones tropicaux, une récente étude (Wehner et Kossin, 2023) suggère qu’il serait maintenant nécessaire d’ajouter une nouvelle catégorie de cyclone : une catégorie 6 avec des vents soutenus >309 km/h. Le caractère ouvert de la 5e catégorie de l’échelle Saffir-Simpson risque en effet de devenir de plus en plus problématique pour transmettre (et prévoir) les risques liés aux vents de ces cyclones super intenses.

Les passages de «  rivières atmosphériques  » accompagnées de pluies parfois extrêmement intenses ont aussi des impacts majeurs par les crues soudaines et les inondations à grande échelle qu’elles génèrent. Ce phénomène météorologique, moins connu, défini par une circulation rapide d’air chaud et saturé en humidité et qui se déplace dans un couloir étroit (300 à 600 km de large) sous l’influence du courant-Jet (Jet Stream), est de plus en plus étudié. Une récente étude (Guan et al., 2023) montre que le système d’évaluation, établi en 1919 pour l’ouest de l’Amérique du Nord, là où elles sont assez fréquentes, peut fournir un point de référence mondial cohérent pour le suivi de l’évolution de ce phénomène à l’échelle globale. Cette échelle sur 5 niveaux permet de les classer du niveau «  faible  » à «  exceptionnel  » basée sur la quantité d’humidité transportée par seconde (Integrated Water Vapor Transported, IVT, au-dessus du seuil de IVT>250 kg m-1 s-1) pendant un certain laps de temps : 12-24h, 24-48h ou plus de 48 h. La «  rivière atmosphérique  » du 13 au 16 novembre 2021 de classe 5, survenue le long de la côte du Pacifique a été particulièrement dévastatrice en Colombie-Britannique, Canada, avec des vents violents et une accumulation de pluie de près de 3 m en 72 h.

À l’échelle mondiale, une tendance générale à la hausse est observée dans la fréquence d’occurrence moyenne des rivières atmosphériques pour tous les niveaux (Guan et al., 2023).

Sécheresses

Au moins huit indices de sévérité de sécheresse existent, dont certains combinent plusieurs paramètres en intensité comme le déficit de précipitations, des températures très élevées entrainant une forte évaporation du sol et transpiration des végétaux (Liu et al., 2024). Ces indices sont en général bien corrélés à l’humidité du sol et à l’état de dégradation de la végétation.

La première base de données quotidiennes mondiale de l’indice SPEI (Standardized Precipitation Evapotranspiration Index, SPEI) depuis 1901 (https://spei.csic.es/, V2.10) vient d’être produite (Liu et at., 2024). Cet indice qui varie de «  Extrêmement humide  » (SPEI>2) à «  Extrêmement sec  » (SPEI<-2) autour d’une valeur «  normale  » (0,5 <SPEI<0.5) dépend des échelles temporelles et spatiales. Le Tableau 2 résume les sept principales sécheresses survenues depuis 1950 à l’échelle du Globe et pour le sud du Québec (45-54 ° N).

Sur le sud du Québec, la variation interannuelle de cet indice met en évidence un plus grand nombre de périodes sèches depuis les années 2010, possiblement reliées au réchauffement climatique (Figure 2).
Selon leurs étendues et durées, les sécheresses exceptionnelles (SPEI <-4) ont un impact majeur sur les famines, entrainant parfois la migration des populations («  réfugiés climatiques  »), source de tensions et conflits.

Tempêtes de neige

Les tempêtes de neige touchent particulièrement les habitants du Québec et du Canada. Cependant, elles sont difficiles à définir : par les quantités de précipitations solides en dessous de 0 °C ou par l’accumulation de neige au sol ? Sur combien de temps ? Avec ou sans vent ?
Dans l’Hémisphère Nord, on observe une tendance à l’augmentation des tempêtes de neige extrêmes, alors que, paradoxalement, la moyenne quotidienne des chutes de neige est relativement stable en général (voire en baisse) dans les latitudes 30-60 °N (Seneviratne et al., 2021). Ces tempêtes en Amérique du Nord seraient dues au réchauffement de l’Arctique (chaleur anormale dans la région de la Sibérie orientale et de la mer des Tchouktches). Ce réchauffement régional au-dessus de l’océan Arctique s’accompagne du développement local d’un anticyclone anormal et du développement en aval d’une dépression aux latitudes moyennes. Le flux d’air froid du nord qui en résulte crée des conditions favorables à des «  coups de vents et de neiges  » en Amérique du Nord.

Les modèles climatiques confirment cette tendance avec des projections d’augmentation des chutes de neige extrêmes dans les latitudes >40 °N au cours des prochaines décennies selon un scénario d’augmentation de température sévère (Quante et al. (2021) (Figure 3). L’étude récente d’Ouranos (McCray et al., 2023), sur la côte est de l’Amérique du Nord, soutient cette modification du régime des précipitations hivernales avec une plus grande proportion de ces précipitations qui tombera durant quelques grosses tempêtes de neige.

Au Canada, le dénombrement des tempêtes de neige depuis 1960 semble confirmer cette tendance (Figure 4, Tableau 3).

La science de «  l’attribution  »

Tous les évènements météorologiques ont des causes multiples, dont le hasard, reflétant la nature chaotique de la météo au jour le jour. Cependant, les changements climatiques peuvent influer sur la probabilité et l’intensité d’un évènement extrême. Depuis 2015, le regroupement d’experts du World Weather Attribution (WWA) est spécifiquement dédié à ce qu’on appelle «  l’attribution des évènements extrêmes  » ; c’est la science qui cherche à savoir si ceux-ci sont liés aux changements climatiques ou non. On compare l’événement extrême dans le mode actuel à celui qui serait survenu dans un monde sans gaz à effet de serre anthropiques. Autrement dit, quelle est la probabilité que ces extrêmes ne soient pas survenus sans changements climatiques d’origine humaine (Otto et al., 2022; www.worldweatherattribution.org/ ; voir aussi le récent regroupement ClimaMeter www.climameter.org).

Ces estimations contribuent à mieux planifier les urgences (intervention, aide aux décisions) et à sensibiliser la population pour protéger la santé, la sécurité et les biens. Un nouveau système pilote d’attribution rapide des vagues de chaleur extrêmes a été mis en place en juin 2024 par Environnement et Changements Climatiques Canada pour déterminer si les changements climatiques d’origine humaine augmentent la probabilité des vagues de chaleur. La probabilité de ce lien est définie sur une échelle de 7 niveaux de risque de «  considérablement moins  » à «  considérablement plus  » probable. Les premières analyses sur les quatre mois de l’été 2024 (de juin à septembre) au Canada ont montré que presque toutes les canicules sont rendues plus probables et plus intenses par le réchauffement d’origine humaine.

Les 17 régions définies au Canada et analysées pour cette phase pilote ont été touchées au moins une fois. Parmi ces régions, deux régions (Terre de Baffin et le centre du Nunavut) ont été touchées une fois avec la mention «  considérablement plus probable  », deux régions (nord du Québec et sud des Territoires du Nord-Ouest) ont été touchées chacune 4 fois (une fois par mois sur les 4 mois) avec la mention «  beaucoup plus probable  » et trois régions (sud du Québec, Canada Atlantique et l’est de l’Ontario) trois fois avec les mentions «  plus probable  » ou «  beaucoup plus probable  »

Conclusion

Les cinq exemples d’évènements météorologiques extrêmes présentés dans cet article illustrent certains problèmes liés à leur analyse, comme les métriques, les variables définies par la combinaison de plusieurs paramètres météorologiques dont leur quantification en dépend, les échelles de classification qui ne sont plus adaptées à leur évolution, ou le manque d’inventaire global homogène sur une longue période.
Depuis l’augmentation de ces événements marquants ces dernières années, les États doivent prendre des mesures pour atténuer l’impact de ces extrêmes, en particulier sur la santé publique, les ressources et l’économie. Il est fort probable que ces records liés au réchauffement climatique («  science de l’attribution  ») soient régulièrement battus dans les années à venir.

La prévision de ces extrêmes, à faible probabilité, mais à fort impact potentiel, est difficile surtout quand ces catastrophes dépendent de nombreux facteurs. Leur prévision nécessite de nouvelles approches comme l’intelligence artificielle (https://xaida.eu ; Lam et al., 2023) ou celle utilisée pour la gestion des risques de catastrophe (scénarios basés sur la plausibilité plutôt que sur la probabilité en tenant compte des aspects de vulnérabilité et d’exposition, Sillmann et al., 2021). Ces nouvelles méthodes sont une science en développement.

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