Sciences et technologies

Planter des arbres : une panacée pour contrer le réchauffement ?

Qui n’aime pas les arbres ?

Lors de sa campagne électorale de 2019, Justin Trudeau promettait la plantation de deux milliards d’arbres au Canada d’ici 2030. Au sud de la frontière, son homologue climatosceptique de l’époque soutenait le projet du Forum économique mondial visant à restaurer, à conserver et à planter un billion (1012) d’arbres dans la décennie. Son initiative avait l’appui de neuf Américains sur dix, républicains ou démocrates, ce qui en a fait l’action climatique la plus populaire et bipartisane (Tyler et Kennedy, 2020). Décidément, les arbres ont bonne presse et la classe politique en a pris note, mais qu’en est-il de leur utilité réelle pour freiner le réchauffement climatique ?

Le réchauffement climatique actuel est causé par l’accumulation de gaz à effet de serre (principalement de CO2) dans l’atmosphère. Selon le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), la conservation et la restauration de forêts ainsi que la plantation d’arbres figurent parmi les solutions naturelles les plus prometteuses pour atteindre la carboneutralité. En effet, un arbre en croissance retire du CO2 de l’atmosphère grâce à la photosynthèse. Le carbone ainsi assimilé est entreposé sous forme de divers composés organiques dans le tronc, les branches, les racines et le sol, loin de l’atmosphère où il contribuait à l’effet de serre. Ce bénéfice climatique durera jusqu’à ce que l’arbre meure, retournant alors une bonne partie du carbone séquestré vers l’atmosphère. Dans une forêt naturelle et saine, par contre, on s’attend typiquement à ce que de jeunes pousses prennent le relais et que dans son ensemble, l’écosystème demeure un puits de carbone pour des décennies, voire des siècles (Luyssaert et al., 2008).

Pas qu’une question de CO2

Cela dit, l’influence climatique des arbres ne se limite pas à l’absorption de CO2. Les arbres régulent également les échanges d’énergie et d’eau entre le sol et l’atmosphère, ce qui peut avoir un effet important sur le climat local. Ces effets, dits «  biophysiques  », surviennent parce que la présence d’arbres modifie trois propriétés clés de la surface terrestre : l’albédo (1), ou la fraction du rayonnement solaire réfléchi ; l’efficacité de l’évapotranspiration (2), ou l’aisance avec laquelle l’eau est transférée entre le sol et l’atmosphère ; et la rugosité de la surface (3).

Vous avez probablement remarqué qu’il fait plus chaud au soleil lorsque vous portez des couleurs foncées : c’est l’albédo (1) qui est à l’œuvre. La couleur d’un objet au soleil témoigne de sa capacité à absorber ou à réfléchir certaines parties du spectre lumineux. Plus un objet nous apparaît pâle, plus il réfléchit la lumière, et vice versa pour un objet foncé. Un vêtement foncé absorbe donc une plus grande fraction de l’énergie solaire qu’un vêtement pâle. Résultat : il fait plus chaud. En général, les forêts sont plus foncées, et donc absorbent plus d’énergie solaire que les autres couverts végétaux, comme les herbes et cultures agricoles. Cet effet réchauffant est d’autant plus important aux hautes latitudes, là où les sombres forêts de conifères peuvent masquer la pâle neige tapissant le sol durant l’hiver et le printemps. Lorsque ces forêts sont comparées à des terres dénudées, donc aisément ensevelies de neige, on observe effectivement que la présence d’arbres est associée à des températures plus élevées, un effet qui s’estompe aux plus basses latitudes (Lee et al., 2015).

Vous commencez à avoir chaud au soleil et vos glandes sudoripares font leur œuvre : vous vous mettez à transpirer. L’air est sec, permettant à la sueur de s’évaporer aisément de votre peau. Le passage de l’état liquide à gazeux de la sueur, principalement composée d’eau, s’accompagne d’un rafraîchissement de votre corps. En effet, l’évaporation de l’eau requiert de l’énergie. Au lieu de servir à réchauffer votre peau et ses environs, cette énergie est plutôt employée à briser les liaisons maintenant les molécules d’eau sous forme liquide. C’est pourquoi la transpiration, et en général l’évaporation de l’eau, cause un refroidissement local (2). Le même phénomène s’opère lors de la photosynthèse. Pour chaque molécule de CO2 pénétrant les pores des feuilles d’un arbre, plusieurs centaines de molécules d’eau liquide s’en échappent sous forme de vapeur, causant un rafraîchissement de l’air ambiant. C’est pourquoi la transpiration des arbres, combinée à l’ombrage procuré par leur canopée, contribue à atténuer les répercussions des îlots de chaleur urbains. Un autre effet notable de la présence des arbres est l’interception des précipitations par leur canopée. À la suite d’une forte pluie en forêt, une certaine fraction de l’eau demeurera sur le feuillage et s’évaporera avant d’atteindre le sol. Une terre agricole, en revanche, laissera plus d’eau s’infiltrer dans le sol, réduisant ainsi l’effet refroidissant de la pluie. En somme, les forêts ont une influence significative sur l’efficacité d’évapotranspiration (2). Par contre, étant donné que l’évapotranspiration dépend d’une multitude de facteurs tels que l’ensoleillement, l’humidité, la température, le type de sol, les espèces d’arbres et leur âge, il est difficile de généraliser l’influence des arbres sur cet effet refroidissant.

Vous marchez en ville et soudainement, une bourrasque vous assaille. Une immense tour à logements perturbe l’écoulement de l’air, causant de violents tourbillons : c’est la rugosité (3) qui est à l’œuvre. Les tourbillons générés par de tels obstacles (une rugosité élevée) favorisent le mélange des masses d’air, et par le fait même, les échanges de chaleur et d’eau entre la surface et l’atmosphère. Durant le jour, le rayonnement solaire réchauffe directement la surface, qui est donc plus chaude que l’air au-dessus. Les tourbillons facilitent donc le transfert de chaleur du sol vers l’atmosphère, réchauffant cette dernière. Les tourbillons peuvent aussi favoriser l’évaporation de l’eau, car l’air saturé d’humidité à proximité des sources d’eau est plus facilement dilué. Or, les forêts sont parmi les surfaces naturelles les plus rugueuses. Par rapport à un champ agricole, avec ses cultures de hauteur faible et régulière offrant peu de résistance aux vents, les arbres ont une carrure à la fois importante et irrégulière. La couche de mélange au-dessus d’une forêt est donc bien plus profonde, permettant ainsi des échanges efficaces de chaleur et d’eau entre la canopée et l’atmosphère.

Et au net ?

On a vu que les forêts sont plus sombres (1), donc absorbent plus d’énergie solaire que les autres surfaces naturelles, et que cet effet réchauffant est exacerbé aux hautes latitudes, où les conifères peuvent masquer la neige au sol. Par contre, les arbres peuvent aussi favoriser l’évaporation de l’eau (2) en interceptant les pluies et en transpirant, ce qui a un effet refroidissant. Finalement, il y a la rugosité élevée des forêts (3), qui favorise à la fois le réchauffement de l’atmosphère par le mélange de masses d’air et son refroidissement en facilitant l’évapotranspiration. Quelle est la portée climatique nette de ces effets biophysiques ?

Chez Ouranos, nous tentons de quantifier les effets biophysiques des forêts en utilisant des modèles climatiques. Pour ce faire, nous participons à un projet international de comparaison de modèles connu sous le nom de LUCAS (Land-Use and Climate Across Scales ; Davin et al., 2020). L’idée est simple : créer deux mondes imaginaires, nommés «  Forêt  » et «  Herbes  ». Dans le monde Forêts, toute la végétation est remplacée par des forêts. Dans le monde Herbes, on déforeste tout pour y mettre des herbes. Grâce aux modèles, on peut simuler comment le climat serait modifié par un tel boisement ou déboisement complet. L’expérience s’apparente à une prévision météorologique, mais sur plusieurs décennies, et avec des couverts végétaux modifiés. D’ailleurs, le modèle climatique utilisé à Ouranos est un proche parent de celui utilisé par Environnement et Changement climatique Canada pour les prévisions météorologiques. Afin de diminuer les incertitudes provenant de l’utilisation d’un seul modèle, des collègues autour du globe ont répété la même expérience avec leur propre modèle climatique. Dans le cadre de LUCAS, des simulations ont été générées pour l’Amérique du Nord et l’Europe.

Aux hautes latitudes, les modèles sont en accord : le boisement complet de l’Amérique du Nord et de l’Europe cause un réchauffement biophysique en hiver et au printemps, alors que les sombres forêts boréales réduisent l’albédo en masquant la neige au sol (1). Par contre, durant l’été, les modèles sont en désaccord : certains simulent un réchauffement, d’autres un refroidissement. La source principale du désaccord concerne les échanges de chaleur et d’humidité entre le sol et l’atmosphère, qui sont influencés par l’efficacité de l’évapotranspiration (2) et la rugosité (3). En général, les modèles qui simulent une augmentation de l’évapotranspiration par rapport aux échanges de chaleur produisent un refroidissement, et vice versa. Ces résultats sont en accord avec les précédents projets d’intercomparaison de modèles climatiques (De Noblet-Ducoudré et al., 2012). Hélas, les observations disponibles ne permettent pas d’éliminer cette incertitude. En effet, les forêts semblent favoriser l’évapotranspiration lorsqu’on mesure le bilan d’eau à l’échelle d’un bassin versant, mais le résultat inverse est obtenu si on mesure directement les échanges d’humidité à partir de tours d’observation (Teuling, 2018).

Tous les arbres ne sont pas égaux

Malgré ces difficultés, des travaux récents ont tenté d’estimer le bilan climatique net des forêts, c’est-à-dire incluant à la fois les effets biophysiques et la séquestration carbone. Windisch et al. (2021), par exemple, ont rassemblé des observations d’effets biophysiques pour ensuite convertir leurs répercussions en quantité équivalente de CO2. Leurs travaux démontrent que l’impact climatique net des forêts dépend fortement de la latitude : les forêts tropicales offrent un bénéfice de trois à quatre fois supérieur par hectare comparativement aux forêts tempérées et boréales. En plus de stocker une quantité de carbone largement supérieure, les forêts tropicales augmentent considérablement l’efficacité de l’évapotranspiration, de telle manière que les effets biophysiques renforcent le bénéfice de la séquestration carbone. À l’inverse, les forêts boréales sont plus pauvres en carbone et leur faible albédo annule en large partie cet atout. Windisch et al. (2021) montrent également que la conservation de forêts existantes, tout particulièrement dans les tropiques, est généralement beaucoup plus bénéfique que la conversion d’une terre sans arbre en forêt. Par exemple, si on convertit une terre couverte d’herbes naturelles en plantation d’arbres, il faut inclure des pertes importantes de carbone en raison de la destruction de la flore naturelle et de son sol. Il en va de même pour la récolte du bois, qui peut relâcher du carbone ayant mis des siècles à se stocker dans les arbres et le sol.

Perspectives

On compare souvent l’impact climatique de planter un arbre à une distance parcourue en voiture ou en avion. Bien qu’un arbre puisse effectivement absorber le CO2 émis par la combustion de l’essence, la comparaison est loin d’être parfaite. Tout d’abord, où cet arbre sera-t-il planté ? On a vu qu’un arbre planté aux hautes latitudes pourrait causer un réchauffement net. Est-ce que la plantation remplacera une végétation riche en carbone ? Si oui, il faudra en tenir compte dans le bilan carbone. Qui plus est, une importante fraction du carbone séquestré par un arbre pourrait retourner dans l’atmosphère après quelques années dans le cas d’un feu, d’une infestation de ravageurs ou de maladies (pour lesquelles les monocultures sont particulièrement vulnérables). À l’inverse, le carbone libéré par la combustion d’essence risque de ne pas retourner à son état initial avant des centaines de millions d’années. En brûlant du charbon, du pétrole ou du gaz naturel, on prend du carbone paisiblement séquestré sous terre et on l’ajoute subitement dans la boucle atmosphère-biosphère, d’où il fuira difficilement. Pour lutter contre le réchauffement, il ne semble y avoir rien de mieux que de garder les combustibles fossiles sous terre, hors de la boucle biosphère-atmosphère, et de protéger et restaurer les forêts naturelles afin d’éviter de faire basculer le réservoir de carbone de la biosphère vers l’atmosphère.

La classe politique a-t-elle donc tort de promouvoir la plantation d’arbres ? Pas nécessairement. Planter des arbres peut atténuer le réchauffement climatique, pourvu que : le bilan carbone demeure favorable lorsqu’on inclut la perte du carbone contenu dans la végétation et le sol avant la conversion ainsi que le cycle de vie entier de la plantation ; les effets biophysiques dus aux changements d’albédo, d’évapotranspiration et de rugosité n’annulent pas les bénéfices de la séquestration carbone, comme cela peut être le cas dans de hautes latitudes ; ces plantations soient proposées en complément, et non en substitut à de robustes mesures de réduction des émissions et de conservation des écosystèmes existants. Les arbres sont donc de formidables alliés climatiques et seront essentiels à l’atteinte de la carboneutralité, mais ils ne peuvent en aucun cas remplacer les efforts de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre.

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