Droit et politique

Politique et lutte contre les changements climatiques aux États-Unis : un état des lieux après quatre ans de Trumpisme et à l’aube de l’élection présidentielle de 2020

La victoire de Donald Trump au terme de l’élection présidentielle du 8 novembre 2016 a ouvert une période d’incertitudes concernant l’avenir des politiques climatiques aux États-Unis. Celui qui allait devenir le 45e président des États-Unis avait fait campagne en promettant de mettre fin à la supposée «  guerre contre le charbon  » menée par l’administration Obama et en appelant à l’exploitation des abondantes réserves de pétrole, de charbon et de gaz naturel que recelait le sous-sol américain. Alors que s’achève le premier mandat du président Trump, cet article propose un état des lieux des politiques climatiques aux États-Unis. Dans un premier temps, nous revenons sur les principaux développements concernant la lutte contre les changements climatiques aux États-Unis. Nous montrons d’abord comment les politiques adoptées par l’administration Trump témoignent d’une indifférence, voire d’une hostilité envers la cause climatique. Nous montrons ensuite comment les politiques de la Maison-Blanche et les reculs du gouvernement fédéral ont été contrebalancés par le développement des énergies renouvelables et par les initiatives prises par d’autres acteurs de la société américaine, dont les gouvernements d’État. Dans un second temps, nous évaluons l’importance de la question climatique à l’aube de l’élection présidentielle de 2020. Nous rappelons que la lutte aux changements climatiques est un enjeu prometteur pour les démocrates, mais que ceux-ci doivent trouver une approche qui fait consensus à l’intérieur du parti, qui est acceptable aux yeux de l’électorat et qui permet de lutter efficacement contre les changements climatiques. En conclusion, nous affirmons que si le résultat de l’élection devrait avoir d’importantes répercussions sur le rôle qu’entend jouer le gouvernement américain dans la lutte contre les changements climatiques tant au niveau national qu’international, la mobilisation qui s’est mise en place au cours des années Trump devrait se poursuivre, peu importe qui occupe le Bureau ovale.

Des émissions stables malgré le travail de sape de la Maison-Blanche

Au cours de la période de transition ayant suivi sa victoire, Trump affirma qu’il gardait un «  esprit ouvert  » sur la question des changements climatiques (Nelson, 2016)(1). La suite montra cependant que le président élu avait choisi son camp et que son administration se distinguerait par son hostilité par rapport à la lutte contre les changements climatiques, se livrant à un véritable travail de sape. Dans un contre-emploi spectaculaire, Trump nomma à la tête de l’Environmental Protection Agency (EPA) Scott Pruitt, ancien procureur-général de l’Oklahoma et climatonégationniste notoire ayant à de nombreuses reprises poursuivi l’agence dont il devait assumer la direction. L’ancien gouverneur du Texas Rick Perry fut choisi pour diriger le département de l’Énergie, une nomination qui ne manquait pas de culot considérant que Perry avait appelé à son démantèlement lors de sa campagne présidentielle en 2012. Le représentant du Montana Ryan Zinke, ardent partisan de l’exploitation du gaz de schiste, fut quant à lui nommé à la tête du département de l’Intérieur1. Ironiquement, il revenait à un ancien président de la compagnie pétrolière ExxonMobil, le secrétaire d’État Rex Tillerson, de jouer le rôle de «  conscience environnementale  » de l’administration, lui qui appela notamment au maintien des États-Unis à l’intérieur de l’Accord de Paris2.

En 2017, en une seule année, la Maison-Blanche a mis fin à un moratoire sur l’utilisation de terres fédérales pour l’exploitation du charbon, approuvé la construction de l’oléoduc Keystone XL, annulé les restrictions pour la construction de l’oléoduc Dakota Access et proposé au Congrès un budget prévoyant des coupures drastiques au financement de l’EPA. Elle a également annoncé la fin du Clean Power Plan, un programme adopté sous Barack Obama pour limiter les émissions de GES issues de la production d’énergieet stimuler le développement des énergies vertes, en plus d’annoncer le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat3. En juillet 2018, 76 règlements fédéraux en lien avec l’environnement avaient été abrogés ou étaient en voie de l’être4 (Popovich, Albeck-Ripka et Pierre-Louis, 6 juillet 2018)(2). Par ailleurs, plusieurs témoignages font état d’ingérences de la Maison-Blanche auprès des agences du gouvernement fédéral chargées de faire de la recherche sur les changements climatiques. Ces interventions se traduisent notamment par la nomination à la tête de ces agences d’alliés du président afin d’influencer les recherches des chercheur.e.s à l’emploi du gouvernement et de limiter la limiter la production et la diffusion de rapports faisant état de l’urgence climatique5 (Davenport et Landler, 27  mai 2019)(3).

En ce qui a trait aux émissions totales de GES6 aux États-Unis, les deux premières années au pouvoir de l’administration Trump (2017 et 2018) ont été caractérisées respectivement par une diminution (-0,55 %), puis par une augmentation (2,34 %) par rapport à 2016 (Environmental Protection Agency, 2019)(4). Sous Trump, le volume total de GES émis aux États-Unis est comparable à ce qu’on observait au cours des années Obama et inférieur aux années W. Bush (2001-2009). La hausse de 2018 est due à l’augmentation marquée des émissions de dioxyde de carbone, qui ont retrouvé en 2019 un niveau comparable à 2017 (figure 1).

Figure 1. Émissions annuelles de dioxyde de carbone aux États-Unis, 1975-2019. Source : Sönnichsen (29 avril 2020)

Plusieurs raisons expliquent pourquoi les émissions de GES ne semblent pas avoir emprunté une tendance à la hausse malgré les politiques de l’administration Trump. Le marché et l’essor de sources d’énergie moins polluantes ont joué un rôle. Le président a beau avoir multiplié les mesures pour favoriser l’industrie du charbon, celle-ci est de moins en moins compétitive par rapport au gaz naturel et aux énergies renouvelables, dont la production augmente rapidement (figure 2). Même des États comme le Texas et l’Oklahoma, cœurs historiques de l’exploitation pétrolière aux États-Unis, sont aujourd’hui à l’avant-garde de la production d’énergie solaire et éolienne (Harding et Levin, 2020)(5). Conséquemment, la tendance à la baisse des émissions de GES dans la production d’énergie s’est maintenue, tandis que les émissions dues au transport ont légèrement augmenté (figure 3).

Figure 2. Production d’électricité aux États-Unis par secteurs énergétiques, 2005-2019. Source : Kusnetz (7 janvier 2020)
Figure 3. Émissions de GES aux États-Unis dans la production d’électricité et le transport, 2005-2019. Source : Kusnetz (7 janvier 2020)

Par ailleurs, plusieurs acteurs se sont mobilisés pour compenser l’absence du gouvernement fédéral sur l’enjeu climatique, à commencer par les gouvernements d’États. La Californiea adopté en 2018 une loi stipulant qu’en 2045, 100 % de l’énergie consommée dans le Golden State devrait provenir d’énergies vertes. De l’autre côté du pays, l’État de New York a adopté en 2019 une loi pour que 70 % de l’énergie de l’Empire State soit produite à partir d’énergies vertes dès 2030, pour atteindre 100 % en 2040. New York devient ainsi la huitième juridiction américaine à se doter d’un objectif de carboneutralité7 et la plus ambitieuse en regard de l’échéancier proposé. En juillet 2017, dans la foulée de l’annonce du retrait des États-Unis de l’Accord de Paris, l’ancien maire de la ville de New York Michael Bloomberg et le gouverneur de la Californie Jerry Brown ont lancé l’initiative America’s Pledge, une coalition formée d’États, de villes, d’entreprises et d’autres organisations décidées à honorer les cibles de cette entente internationale. Dans son troisième rapport annuel dévoilé en décembre 2019, America’s Pledgese réjouissait d’avoir obtenu l’adhésion de 25 États, de plus de 500 villes, comtés ou tribus autochtones et de plusieurs milliers d’entreprises, organisations culturelles ou religieuses, universités ou fournisseurs de soins de santé, le tout représentant 68 % du PIB américain, 65 % de la population et 51 % des émissions de GES (America’s Pledges, 2019, p. 9)(6). Il s’agit d’un développement encourageant, qui demeure toutefois teinté par la polarisation partisane autour de la question climatique : la grande majorité des États y ayant adhéré ont un gouverneur démocrate, tandis qu’un gouverneur républicain est au pouvoir dans la plupart des autres États. Tant et aussi longtemps que cette polarisation subsistera, il sera donc essentiel que les démocrates enregistrent des gains électoraux afin d’accroître le mouvement en faveur de la réduction des émissions de GES.

Les changements climatiques comme enjeu électoral en 2020

Pour les démocrates, la lutte contre les changements climatiques représente une occasion à saisir. Une étude publiée par le Pew Research Centeren février 2020 montrait qu’une majorité d’Américain.e.s pensent que l’environnement (64 %) et les changements climatiques (52 %) doivent constituer une priorité pour le gouvernement fédéral (Pew Research Center, 13 février 2020)(7). En juin 2020, une seconde étude montrait que 65 % des Américain.e.s jugent que le gouvernement fédéral n’en fait pas assez pour juguler les effets des changements climatiques et qu’une majorité de répondant.e.s, nonobstant leur affiliation partisane, appuient des mesures comme le développement d’énergies vertes, l’imposition de normes environnementales plus contraignantes pour les industries polluantes ou une fiscalité qui tiendrait compte de l’empreinte carbone des compagnies (Tyson et Kennedy, 23 juin 2020)(8). Plusieurs démocrates, surtout les plus progressistes, se sont rangé.e.s derrière le projet d’un Green New Deal (GND), un programme de réforme économique d’inspiration keynésienne centré autour de la transition énergétique. Le projet a acquis une grande visibilité au lendemain des élections de mi-mandat de 2018, lesquelles se sont conclues par une reprise de la majorité à la Chambre des représentants par les démocrates et par l’arrivée au Congrès de nouvelles voix progressistes très affirmées, comme la représentante de New York Alexandria Ocasio-Cortez.

Les démocrates plus modéré.e.s, représentant souvent des États ou des circonscriptions dépendant de l’exploitation ou la transformation des énergies fossiles, craignent de leur côté que leur électorat soit hostile à un programme comme le GND. Or, la crise de la COVID-19 pourrait avoir pour effet collatéral de rendre le GND plus acceptable, dans la mesure où, à l’instar du New Deal dont il reprend le nom, il prévoit des investissements massifs en matière de travaux publics et de créations d’emplois, ce qui pourrait aider à la relance économique post COVID-19. Cela étant dit, la promotion d’un programme aussi ambitieux ne serait pas sans risque pour les démocrates, alors que les républicains ne manqueront pas une occasion d’affirmer à leurs électeur.rice.s qu’il entraînerait des pertes d’emplois massives dans certains secteurs et aurait un coût exorbitant. Qu’à cela ne tienne, le candidat démocrate Joe Biden semble privilégier une approche musclée sur la question climatique. S’étant déjà engagé à rejoindre l’Accord de Paris et à placer les États-Unis sur la voie de la carboneutralité d’ici 2050, l’ancien vice-président de Barack Obama a annoncé un plan de 2000 milliards de dollars pour relancer l’économie et accélérer la transition énergétique.

Malgré la différence de vues entre les deux candidats et l’urgence de l’enjeu, il est probable que la question climatique soit peu abordée au cours de l’élection générale. Le président Trump a peu de raisons d’en parler; décrire les changements climatiques comme un «  canular  » pour faire plaisir à ses partisan.e.s risquerait de lui faire perdre l’appui des indépendant.e.s prêt.e.s à voter pour lui et dont il a besoin pour sa réélection. Des événements climatiques comme un été caniculaire ou une saison des ouragans agitée pourraient mettre l’environnement sur le devant de la scène, mais il est fort probable que l’élection portera principalement sur des enjeux tels que l’immigration, l’économie, les tensions raciales, l’accès aux soins de santé ou sur le caractère du président Trump.

Conclusion

Une victoire de Biden et des gains démocrates au Congrès au terme des élections de 2020 permettraient à la lutte contre les changements climatiques de devenir une priorité pour le gouvernement fédéral américain. Le pays pourrait même aspirer à jouer un rôle de leader mondial sur cet enjeu, position qu’il a brièvement cherché à occuper sous Barack Obama. À l’inverse, un second mandat du président Trump entraînerait de nouvelles mesures hostiles à la lutte contre les changements climatiques. Cette perspective n’est guère rassurante, mais ne doit pas conduire au catastrophisme. Après tout, quatre ans de Trumpisme n’ont pas renversé la tendance à la hausse dans la production d’énergies propres et ont même entraîné la mise en place d’initiatives prometteuses pour réduire les émissions de GES aux États-Unis. La mobilisation est plus forte que jamais dans les États et les villes américaines, et tout indique que le mouvement se poursuivra, peu importe qui occupera le Bureau ovale le 20 janvier 2021.

Aux États-Unis, le Department of Interior est notamment responsable de la gestion de terres fédérales et des ressources naturelles.

Forcé de démissionner à la suite de nombreux scandales en 2018, Pruitt fut remplacé à la tête de l’EPA par Andrew Wheeler, ancien lobbyiste pour des compagnies de charbon. Perry a démissionné en décembre 2019 et a été remplacé par son adjoint Dan Brouillette. Après plusieurs scandales relativement à ses dépenses en fonction, Zinke a démissionné en 2018 et a été remplacé par son adjoint David Barnhardt, un ancien lobbyiste. Quant à Tillerson, il a été congédié par le président Trump en mars 2018 et remplacé par le directeur de la CIA Mike Pompeo.

Ce retrait pourra être effectif au plus tôt le 4 novembre 2020, soit un jour après la prochaine élection présidentielle.

Plusieurs ressources sont disponibles pour suivre les décisions prises par l’administration Trump sur le climat et l’environnement, notamment l’Environmental Regulation Rollback Tracker de la Harvard Law School (https://eelp.law.harvard.edu/regulatory-rollback-tracker/) et le Climate Tracker de la Columbia Law School (https://climate.law.columbia.edu/climate-deregulation-tracker).

À titre d’exemple, peu de temps après avoir été nommé à la tête du United States Geological Survey, James Reilly a demandé aux chercheurs de cette agence chargée de l’étude des sciences de la terre d’abandonner le modèle généralement utilisé qui projette les effets des changements climatiques jusqu’à la fin du XXIe siècle au profit d’un modèle s’arrêtant à 2040.

Le calcul inclut les émissions de dioxyde de carbone, de méthane, de protoxyde d’azote et de gaz fluorés. Le volume d’émissions pour 2019 n’avait pas été rendu public par l’EPA au moment d’écrire ces lignes.

Les autres juridictions sont la Californie, Hawaï, le Nevada, le Nouveau-Mexique, Washington, Porto Rico et le District de Columbia.

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