Sciences et technologies

Potentiel d’intégration des algues marines de la Basse-Côte-Nord dans le mix énergétique québécois

Les gaz à effet de serre (GES) sont à l’origine de changements climatiques dont on a déjà pu mesurer les effets et qui ne devraient cesser de s’accroître dans les prochaines décennies. Ces gaz proviennent principalement de l’utilisation de combustibles fossiles, dont nous dépendons encore largement pour les secteurs du transport, de l’industrie et des bâtiments. Au Québec, ils représentent 57,4  % de notre consommation totale d’énergie (Whitmore et Pineau, 2022). Une nouvelle transition énergétique s’impose. Pour la réussir et limiter les conséquences environnementales, «  il nous faudra d’abord réduire notre consommation totale d’énergie partout dans le monde. Ensuite, nous devrons compenser les GES ou réduire au minimum ce qui subsistera de notre consommation d’hydrocarbures en ayant recours à des sources d’énergie qui émettent moins de GES (solaire, éolien ou biocarburants, par exemple)  » (Whitmore et Lafontaine-Beaumier, 2019).

La biomasse est une autre source d’énergie intéressante. Par photosynthèse, elle puise de l’atmosphère le CO2, un GES. De plus, elle est renouvelable. En 2019, 15,8  % de l’énergie produite au Québec provenait de la biomasse (Whitmore et Pineau, 2022). Celle-ci est essentiellement forestière, agroalimentaire et urbaine. Recouvrant les zones de marées de la Basse-Côte-Nord, un nouveau type attire notre attention : les algues marines.

Cet article s’intéresse au potentiel énergétique du goémon noir (Ascophyllum nodosum) et du varech vésiculeux (Fucus vesiculosus). Entre La Romaine et Saint-Augustine, on estime que 16  600  tonnes métriques sèches (tms) de goémon et 1170  tms de varech sont accessibles à la cueillette. Cette masse peut dégager un total de 81  GWh d’énergie thermique par combustion. Cela représente une menue fraction de la production bioénergétique québécoise (0,16  %), mais pourrait s’avérer profitable et durable pour les 5  000 personnes habitant la région.

Avant de présenter les résultats des premières analyses, un survol des principaux défis associés à l’exploitation de la biomasse brute est nécessaire.

Combustion

Gazéification du carburant

La combustion s’effectue en phase gazeuse. Avant de s’enflammer, le biocombustible doit être gazéifié. Cette transformation s’opère en trois étapes (adapté de Yang et al., 2007 et Situmorang et al., 2020) :

  • Jusqu’à 200 °C : Séchage final et préchauffe de la biomasse
  • De 220 °C à 700 °C : Décomposition par la chaleur (pyrolyse) et combustion partielle
  • Au-delà de 800 °C : Gazéification

D’abord, la biomasse est chauffée. L’humidité qu’elle contient s’évapore. Ensuite, aux environs de 220  °C, la pyrolyse s’entame et se poursuit jusqu’à 700  °C. Au-delà de 800  °C, de nouvelles réactions forment un mélange gazeux inflammable, le gaz de synthèse, composé principalement de monoxyde de carbone (CO), de méthane (CH4) et d’hydrogène (H2).

Les défis de la biomasse

Le séchage représente le premier défi à l’exploitation de la biomasse brute. Il exige une importante quantité d’énergie. Un taux d’humidité trop élevé peut empêcher la combustion.

Le rendement de la gazéification constitue le second défi. Une transformation incomplète de la biomasse en gaz de synthèse réduit l’efficacité énergétique de la réaction. De plus, des résidus goudronneux se forment et encrassent les systèmes.

Au défi d’encrassement par le goudron s’ajoutent ceux associés aux cendres. Ce sont des substances non combustibles contenues dans la biomasse. Elles génèrent des dépôts et de la corrosion (Niu et al., 2016). Ces phénomènes surviennent conjointement selon la composition chimique. Différents éléments sont à l’origine de ces problèmes, en particulier le sodium (Na), le potassium (K), le phosphore (P) et le chlore (Cl) (Nunes et al., 2016).

En règle générale, deux composés sont à éviter. «  Le KCl et le K2SO4 sont les substances […] dominantes qui influencent les problèmes liés aux cendres (Niu et al., 2016).  » La température à laquelle elles fondent (fusion) est d’environ 700  °C pour le KCl et 850  °C pour le K2SO4. Plus problématique encore est leur combinaison. Cet alliage fond dès 550  °C. Sachant que la gazéification dépasse les 800  °C, ces substances vont éventuellement devenir liquides pour ensuite créer des dépôts en se refroidissant et en se solidifiant. Le phénomène s’apparente à l’application d’une peinture aérosol. La solidification des cendres surviendra soit dans la cheminée, soit dans la turbine s’il s’agit d’un moteur à combustion interne, soit dans l’échangeur de chaleur si le système récupère l’énergie résiduelle de ses échappements. Comme les turbines tournent à très haute vitesse, elles tolèrent difficilement les accumulations, qui les déséquilibrent. Pour leur part, les échangeurs de chaleur encrassés perdent en efficacité.

La silice (SiO2) et la potasse (K2O) sont aussi susceptibles de s’accumuler. Différents composés modifient la température de fusion de la silice, comme le fait le sel sur la glace. Elle est avantageusement augmentée en présence de magnésie (MgO), de chaux vive (CaO), de rouille (Fe2O3) et d’alumine (Al2O3). Elle est maximale aux concentrations les plus fortes d’Al2O3. « Dans le cas de cendres en système CaO – MgO – SiO2, il ne se trouve aucune fusion sous les 1  320  °C ; ainsi, aucun problème d’agglomération ne survient quand le contenu en Ca et Mg du quartz (SiO2) est élevé (Niu et al., 2016). »

En ce qui concerne la corrosion, le chlore (Cl) agit comme catalyseur. Il peut décomposer l’acier inoxydable des tuyauteries à des températures aussi basses que 100 à 150  °C (Nunes et al., 2016).

Bien que le soufre puisse entraver la formation des chlorures corrosifs, il peut corroder les systèmes à sa manière. Lors de la combustion, le soufre contenu dans la biomasse forme le dioxyde de soufre (SO2) (Romero et al., 2020). Une fraction du SO2 produit ensuite du trioxyde de soufre (SO3) (Vainio et al., 2016). Lorsque les gaz d’échappement se refroidissent sous les 500  °C, le SO3 en présence de vapeur d’eau forme l’acide sulfurique (H2SO4). Quand le refroidissement des gaz atteint 200  °C, la totalité du SO3 est transformée en H2SO4, un acide corrosif (Romero et al., 2020).

Le calcium (Ca) et les composés de métaux alcalins, de sodium ou de potassium, par exemple, peuvent capturer le SO3 avant sa transformation en acide sulfurique (Vainio et al., 2016). La concentration en H2SO4 demeure difficile à prédire. Elle dépend de la composition des cendres, qui varie largement d’un type de biomasse à l’autre, d’une région à l’autre et d’une saison à l’autre.

Les algues de la Basse-Côte-Nord

Du goémon noir et du varech vésiculeux ont été prélevés dans la zone de balancement de marées dans la région de la Basse-Côte-Nord (figure 1). On retrouve ce type d’algues en Amérique du Nord (au-delà du 40e parallèle nord) et en Europe, où elles sont récoltées, de manière réglementée, pour servir d’engrais agricoles, d’aliments pour le bétail et pour l’extraction d’alginates.

Des échantillons de ces deux algues ont subi une série de tests afin d’évaluer leur potentiel énergétique. Innofibre, à Trois-Rivières, a mesuré les pouvoirs calorifiques des deux espèces, c’est-à-dire la quantité d’énergie dégagée par kilogramme de matière brûlée. Pour parfaire l’analyse, le laboratoire a également mesuré les taux d’humidité, les taux de silice et les taux de cendres. De son côté, la Plateforme de recherche et d’analyse des matériaux (PRAM) de l’Université de Sherbrooke a procédé à l’analyse de la composition chimique des cendres.

Figure 1. Photos du (a) goémon noir (Ascophyllum nodosum) et du (b) Varech vésiculeux (Fucus vesiculosus). Crédit photo : Kristopher Fequet.
Pouvoirs calorifiques

Le pouvoir calorifique est dit «  inférieur  » (PCI) quand l’énergie contenue dans la vapeur d’eau produite par la réaction est inutilisée, ce qui arrive généralement. Le PCI varie en fonction des teneurs en humidité et en cendres. Le tableau 1 énumère les résultats d’analyse en ajoutant différents carburants à titre de référence.

Le tableau 1 illustre les proportions de matière organique combustible, d’humidité et de cendres du goémon, du varech et, à titre comparatif, de copeaux de bois résineux et de feuillus du Québec. L’importante quantité d’eau contenue dans les algues à la cueillette écrase leur PCI. Cependant, séché et sans cendre, le goémon rivalise avec les rejets forestiers et le méthanol, avec 19,14 MJ/kg. Comparativement au charbon, les PCI des biomasses sont plus faibles en raison de leur contenu en oxygène qui, en revanche, améliore la combustion.

Tableau 1. Pouvoirs calorifiques inférieurs de différents types de biomasse, dont les algues de la Basse-Côte-Nord, et comparaison avec le méthanol et le charbon. * https://www.engineeringtoolbox.com/fuels-higher-calorific-values-d_169.html
Cendres et émissions polluantes

Les échantillons d’algues séchées contiennent de 11 à 32  fois plus de cendres que le bois (figure 2). Le risque de dépôts est d’autant plus élevé. La figure 3 présente la composition des cendres du varech et du goémon à la suite d’une analyse par fluorescence des rayons-X (XRF).

Figure 2. Composition d’un kilogramme de biomasse brute.

Les algues de la Basse-Côte-Nord brillent par la qualité de leurs constituants et l’absence de contaminants provenant de l’activité humaine. Les éléments CaO (chaux vive), K2O (potasse), MgO (magnésie), SO3 (trioxyde de soufre) et P2O5 (oxyde de phosphore) sont d’excellents engrais.

L’absence de KCl et de K2SO4 est un atout face au défi des dépôts. Par contre, le K2O est susceptible de s’agglomérer si la température de combustion dépasse les 1  227  °C (Guder et Senturk Dalgic, 2017). Pour sa part, le taux de silice est faible. De plus, l’abondance de chaux vive et de magnésie suggère qu’il n’y aura pas d’accumulation indésirable tant que la réaction s’opère sous les 1  320  °C (Niu et al., 2016). Le chlore corrosif est absent. Le contingent d’oxydes basiques (CaO, K2O et MgO) neutraliserait éventuellement l’acide sulfurique corrosif qui pourrait se former dans les gaz d’échappement. Bref, il est possible que le goémon noir et le varech vésiculeux de la Basse-Côte-Nord ne causent ni dépôt ni corrosion.

Figure 3. Composition des cendres du varech (a) et du goémon (b).

Conclusion

Les algues marines de la Basse-Côte-Nord pourraient éventuellement s’intégrer au mix énergétique québécois. Les premières analyses montrent que ce combustible carboneutre offre un potentiel calorifique adéquat, une composition chimique favorable à son exploitation à l’état brut, moyennant une combustion sous les 1  227  °C et des cendres de qualité pouvant enrichir nos terres agricoles.

La caractérisation du goémon et du varech constituait la première étape d’un projet de recherche portant sur un tout nouveau type de moteur à combustion interne : le Valbimax. En collaboration avec LR Innovation, ce nouveau moteur thermique est en cours de développement au département de génie mécanique de l’Université de Sherbrooke. Il s’attaque particulièrement au défi du taux d’humidité élevé de la biomasse brute.

En fonction des résultats de cette recherche, une analyse du cycle de vie (LCA) suivra pour évaluer les répercussions environnementales d’une telle exploitation. Les enjeux économiques liés à cette potentielle filière restent également à déterminer et permettront de voir si ce domaine d’activités peut être profitable pour la région.

Remerciements

Les auteurs remercient le soutien financier du Réseau québécois sur l’énergie intelligente à travers le projet «  Développement d’un moteur fonctionnant à la biomasse basé sur un cycle de Brayton régénératif avec séchage et pyrolyse intégrés  » (2020-2022). Les analyses ont été effectuées par Innofibre (Trois-Rivières) et la Plateforme de recherche et d’analyse des matériaux (PRAM) de l’Université de Sherbrooke, qui sont aussi fortement remerciées. Un grand merci également au Studio de création de l’Université de Sherbrooke, qui a rendu possible la fabrication du montage expérimental.

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