Politique

Changements climatiques : à quoi servent les COP ?

C’est un évènement qui se répète chaque année. Généralement vers la fin du mois de novembre a lieu une grande conférence des Nations Unies sur le climat : la COP. Fortement médiatisées et réunissant souvent entre 20 et 30 000 personnes, ces rencontres internationales qui s’étendent sur deux semaines sont l’occasion pour les États de faire le point sur leur action en faveur du climat et de discuter de ce qui devrait être fait pour éviter un dérèglement majeur du système climatique.

Compte tenu de la nature globale du problème des changements climatiques, l’intérêt de ces rencontres est a priori évident. On le sait, les changements climatiques sont causés par l’accumulation de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère. Or, comme ces GES peuvent être émis de n’importe où, une lutte efficace contre le dérèglement du climat suppose de développer des stratégies universelles. D’où la nécessité que la communauté internationale se réunisse pour définir de telles stratégies.

Pourtant, les COP n’ont pas si bonne presse. Leur utilité est souvent questionnée, non sans raison d’ailleurs. Voilà maintenant 25 ans que les COP se succèdent (la première COP – la COP1 –, s’est tenue à Berlin en 1995 ; la COP25 qui se tiendra à Santiago, au Chili, est donc la 25e COP). Or, durant cette période, les concentrations de GES dans l’atmosphère n’ont cessé d’augmenter. Les expert.e.s préviennent désormais les citoyen.ne.s qu’une COP « ne sauvera pas le sort de la planète (Leblanc, 2018) (1) et – lassitude ou cynisme – on se demande ce qu’il faut encore attendre de ces conférences où le rythme des discussions est toujours trop lent et où les résultats obtenus (souvent après des marathons diplomatiques) paraissent toujours trop peu ambitieux. Alors, à quoi ces COP peuvent-elles bien servir ?

On peut envisager la question dans un sens purement juridique, et y répondre en disant que les COP servent à faire le point sur l’application des traités internationaux sur le climat et à prendre des décisions pour en favoriser l’application effective. C’est en effet ce mandat que les États ont confié à la COP, qui est une institution qu’ils ont eux-mêmes créée. Mais se limiter à cette réponse conduirait à occulter le fond du problème, qui est de savoir en quoi réunir annuellement les États pour parler des changements climatiques est utile à la lutte contre ces changements climatiques.

Le mandat de la COP

Le terme « COP » est un acronyme anglais qui signifie Conference of the Parties (Conférence des Parties). Les « Parties » dont il est ici question sont les 196 États (ainsi que l’Union européenne) qui ont ratifié la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (ci-après, la « CCNUCC »). La COP est donc la réunion des membres de ce traité international, qui fut adopté en 1992 dans le but de protéger le système climatique – il s’agissait alors du premier traité international consacré à ce problème – et qui est toujours en vigueur.

Le fait que les membres de ce traité se réunissent une fois par année dans le cadre d’une COP est explicitement prévu par la CCNUCC. Cette convention définit également le mandat de la COP, qui consiste à « faire régulièrement le point de l’application de la Convention » et à prendre « les décisions nécessaires pour en favoriser l’application effective » (article 7.2). Pour comprendre pourquoi cette COP fut créée et investie d’une telle mission, il faut revenir sur l’approche qui fut privilégiée par les États pour élaborer la CCNUCC.

Au lieu de chercher à adopter un traité qui aurait défini, une fois pour toutes, des engagements précis en matière de lutte contre les changements climatiques pour l’ensemble des États (ce qui de toute façon n’aurait politiquement pas été possible), les négociateurs de la CCNUCC optèrent pour une démarche plus souple et plus progressive. Celle-ci consistait à inscrire dans un traité un objectif commun, des principes directeurs ainsi qu’un ensemble d’obligations générales auxquels tous les États pourraient souscrire, et à prévoir la création d’une institution qui permettrait par la suite aux Parties de se réunir régulièrement afin de préciser le contenu de ces obligations. L’idée était qu’en instaurant un processus de négociation continu, les États pourraient plus facilement tenir compte de l’évolution des connaissances scientifiques et technologiques, trouver des terrains d’entente pour surmonter leurs divergences et progresser ainsi dans la lutte contre les changements climatiques.

Selon cette approche, la CCNUCC énonce donc un objectif commun (« stabiliser […] les concentrations de gaz à effet de serre à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique » ; article 2), des principes destinés à guider l’action collective (dont le principe des responsabilités communes et différenciées ; article 3) et un ensemble d’obligations à destination des Parties (article 4). Ces obligations consistent par exemple à : préparer un inventaire national des émissions de GES ; prendre des mesures d’atténuation ; décrire ces mesures dans un rapport ; ou encore, en ce qui concerne les pays développés, fournir des ressources financières et technologiques aux pays en développement. Ces obligations étant formulées en des termes généraux, la CCNUCC prévoit une COP afin que les Parties puissent en détailler le contenu et en préciser les modalités d’application.

Ainsi, la fonction de la COP consiste d’abord et avant tout à rendre opérationnelles les obligations qui sont énoncées dans la CCNUCC. Ce sont donc des décisions de la COP qui définissent : la méthodologie à suivre pour préparer les inventaires nationaux de GES ; les informations à mentionner dans les rapports décrivant les mesures d’atténuation mises en place par les Parties ; les procédures relatives à l’examen de ces rapports et des inventaires de GES (qui doivent être transmis à la COP) ; ou la façon dont les pays développés peuvent transférer des ressources financières et technologiques aux pays en développement.

Sur tous ces aspects, la COP adopte régulièrement des décisions qui représentent en quelque sorte les règlements d’application de la CCNUCC. Ces décisions peuvent aussi lancer des programmes de travail sur des thématiques données et créer de nouveaux organes (par exemple pour administrer un fonds ou un programme de travail). La COP dispose en effet du pouvoir de créer des organes subsidiaires (il y en a aujourd’hui une dizaine) qui relèvent de son autorité. À ce titre, elle est aussi amenée à prendre des décisions concernant la gestion de ces organes (approbation des rapports d’activité, adoption de directives à leur intention, questions financières).

Le rôle la COP ne se limite toutefois pas à ces fonctions. Qualifiée d’« organe suprême » de la CCNUCC (article 7.1), elle est compétente pour adopter des décisions sur toute question que les Parties pourraient juger pertinent d’aborder pour atteindre l’objectif de ce traité. Ce qui, compte tenu de la transversalité du problème du climat, signifie que la COP peut adopter des décisions sur à peu près tous les sujets. Au cours des dernières années, elle a par exemple mis en place un plan d’action en faveur de l’égalité des sexes, lancé une plateforme pour promouvoir les connaissances des communautés locales et des peuples autochtones dans le domaine du climat et initié un programme de travail sur les liens entre agriculture et changements climatiques. Les sujets couverts par la COP sont donc extrêmement variés et il n’existe aucune limite quant au nombre de décisions qui peuvent être adoptées (depuis 1995, la COP en a adopté plus de 470).

Plus important encore, la COP est compétente pour examiner le caractère adéquat des engagements contractés par les Parties et élaborer d’autres traités internationaux contenant de nouveaux engagements. C’est ainsi qu’en 1995, la COP1 décida d’ouvrir des négociations qui menèrent, en 1997, à l’adoption du Protocole de Kyoto par la COP3. De même, en 2011, la COP17 adopta un mandat de négociation qui se termina en 2015 avec l’adoption de l’Accord de Paris par la COP21. Ces deux traités sur le climat, qui sont venus compléter la CCNUCC, ont ainsi été négociés dans le cadre de la COP (au sein d’organes subsidiaires). Ils ne lient cependant que les États qui les ont ratifiés et ne s’imposent donc pas automatiquement à tous les membres de la CCNUCC.

La particularité du Protocole de Kyoto et de l’Accord de Paris est qu’ils possèdent chacun leur propre conférence des Parties. Cela s’explique par le fait que ces traités ont été élaborés selon la même approche qui avait été retenue pour développer la CCNUCC. La conférence des Parties au Protocole de Kyoto est désignée par l’acronyme CMP. Celle de l’Accord de Paris est désignée par l’acronyme CMA. La CMP et la CMA remplissent, à l’égard du Protocole de Kyoto (article 13) et de l’Accord de Paris (article 16), respectivement les mêmes fonctions que la COP remplit à l’égard de la CCNUCC. Leur rôle principal consiste donc à adopter des décisions pour préciser les modalités de mise en œuvre des dispositions du Protocole de Kyoto et de l’Accord de Paris.

La COP, la CMP et la CMA ont chacune leur propre ordre du jour et adoptent uniquement des décisions qui se rapportent au traité qui a prévu leur création. Cependant, les sessions de la CMP et de la CMA se tiennent durant les deux semaines au cours desquelles la COP se réunit. Une conférence des Nations Unies sur le climat n’est donc pas, à proprement parler, juste une « COP ». Il s’agit en fait de la réunion de trois conférences des Parties : celles de la CCNUCC (197 Parties), celles du Protocole de Kyoto (192 Parties) et celles de l’Accord de Paris (185 Parties). Ainsi, la prochaine conférence sur le climat qui aura lieu à Santiago sera la réunion de la COP25, de la CMP15 et de la CMA2.

L’utilité des COP

On a vu que les COP servent à permettre aux membres de la CCNUCC de prendre des décisions pour favoriser l’application effective de ce traité. Seulement, cette fonction correspond uniquement au mandat qui a été confié à la COP par les États. Or, on peut aussi s’interroger sur l’utilité de réunir annuellement la communauté internationale pour discuter des changements climatiques, et se demander si les COP aident réellement à résoudre le problème du climat.

Certes, les COP n’ont jusqu’à présent pas permis d’endiguer la crise climatique. Mais leur utilité reste bien réelle. D’abord, elles amènent les États à se pencher sur des questions qui sont essentielles pour lutter contre les changements climatiques (par exemple : comment rehausser le niveau d’ambition des politiques nationales ? Comment transférer des ressources financières et technologiques ? Comment renforcer les capacités dans les pays les moins avancés ? Comment s’assurer que chacun fasse bien ce qu’il a dit qu’il ferait ? Comment éviter que les engagements ne soient pas respectés ?). Bien sûr, les réponses que les États apportent à ces interrogations ne sont pas forcément satisfaisantes. La règle consistant à ce que toutes les décisions de la COP se prennent par consensus conduit très souvent à des blocages ou à des compromis a minima. On se doute bien que les 197 Parties qui participent aux COP n’ont pas toutes la même conception de ce que devrait être la lutte contre les changements climatiques.

Mais des réponses imparfaites et un dialogue continu sont quand même plus utiles qu’une absence totale de réponse et un silence de la communauté internationale. Sans compter que la portée des décisions qui sont adoptées par la COP (ou la CMP ou la CMA) ne doit pas être sous-estimée. Sinon, les États (et notamment ceux qui sont les plus réfractaires à l’action) n’accorderaient pas autant d’attention à leur élaboration. En indiquant ce que les Parties doivent, devraient ou peuvent faire, ces décisions fixent des balises (et même parfois des règles) qui indiquent dans quel sens agir, ce qui facilite la mise en place des politiques climatiques nationales. De plus, elles forment une légalité internationale qui permet de renforcer la légitimité de ces politiques nationales lorsqu’elles s’y conforment, mais aussi d’évaluer l’action des États par rapport à des standards internationaux sur lesquels la communauté internationale s’est entendue. La critique consistant à dire qu’un État ne respecte pas les règles internationales sur le climat est toujours percutante. Mais encore faut-il que ces règles existent.

Ensuite, les COP permettent de rappeler à chacun l’urgence et la nécessité d’agir pour protéger le climat. Ces rencontres constituent ainsi un espace où les gouvernements sont interpellés sur leur action, tant par leurs pairs que par la société civile (très présente, bien organisée et extrêmement mobilisée durant les COP), et où peut donc s’exercer une certaine pression sur les États pour qu’ils intensifient leurs efforts. L’importance de cet aspect ne doit pas, là aussi, être sous-estimée. Car les COP attirent l’attention médiatique et, quoi qu’on en dise, la plupart des États sont soucieux de l’image qu’ils projettent sur la scène internationale. De façon plus pragmatique, les COP sont aussi l’occasion pour les États de prendre la mesure des efforts que chacun réalise. Cet exercice est essentiel car beaucoup d’entre eux ne sont prêts à agir que s’ils ont l’assurance que leurs voisins en feront de même.

L’utilité des COP tient encore à ce qu’elles donnent une visibilité à de nouveaux enjeux de la lutte contre les changements climatiques (comme l’importance de mobiliser les savoirs traditionnels ou d’intégrer une perspective féministe dans les politiques nationales, les femmes étant plus vulnérables aux effets néfastes des changements climatiques dans beaucoup de pays). Les COP permettent ainsi d’impulser de nouvelles dynamiques dans la prise en charge du problème du climat, lesquelles reflètent l’évolution des connaissances scientifiques et des préoccupations de la société internationale. Plus généralement, les COP sont des espaces où circule une quantité très importante d’information et où s’opère un échange de connaissances et de bonnes pratiques entre les États, les ONG, les entreprises et les scientifiques.

Que ce soit pour permettre la construction de règles communes, maintenir une pression sur les États, rassurer les gouvernements sur le fait qu’ils ne sont pas seuls à agir, favoriser l’échange d’information ou stimuler la mobilisation de la société civile, les COP sont donc essentielles pour progresser dans la lutte contre les changements climatiques.

Cela dit, comme ces progrès restent pour l’instant très relatifs – rappelons que les émissions de GES mondiales continuent d’augmenter – on peut se demander si l’utilité des COP ne tient pas aussi à ce qu’elles permettent de donner une impression de progrès. Puisque lors des COP les États adoptent des règles, lancent des programmes de travail et trouvent des consensus, on ne peut nier qu’ils agissent et « progressent » dans leur action. Mais que ces progrès sur le plan diplomatique se traduisent par des progrès tangibles sur le plan des réductions des émissions de GES est autre chose. Pour désigner ce décalage entre l’univers des COP et le monde réel, certains auteurs évoquent ainsi un « schisme de réalité » (Aykut, Dahan, 2014). (2) Et on comprend l’importance de ce schisme lorsque l’on constate, par exemple, que les enjeux énergétiques (pourtant centraux dans la résolution du problème du climat) ne sont jamais discutés lors des COP, ou encore lorsque l’on observe les États passer plus d’une heure à savoir si telle question devrait plutôt être discutée dans le cadre d’un « atelier » ou d’une « table-ronde », pour les voir finalement convenir qu’il n’y aucune différence entre les deux formules… Dire que les COP sont essentielles à la lutte contre les changements climatiques n’enlève rien au fait que les discussions qui se tiennent lors de ces rencontres apparaissent parfois hors-sol et totalement déconnectées de ce qu’est le problème du climat et de l’urgence qu’il y a à le résoudre.

Conclusion

À quoi sert la COP ? Conçue à l’origine comme un organe chargé de favoriser l’application effective de la CCNUCC, la COP représente aujourd’hui bien plus que cela. Elle est l’institution centrale, mais aussi le centre d’impulsion, de la gouvernance du climat. Par son rôle structurant et dynamisant, elle permet de faire « vivre » la lutte contre les changements climatiques. Certes, le système des COP a ses limites (lourdeur et lenteur du processus, diversité et complexité des questions abordées, règle du consensus, déconnection de certaines réalités…) et on ne peut s’étonner que son efficacité toute relative ait alimenté un certain désenchantement à l’égard de ces grandes conférences des Nations Unies sur le climat. Mais aussi légitime qu’il soit, on prendra garde tout de même à ce que ce désenchantement n’aille pas jusqu’à remettre en cause la nécessité du dialogue multilatéral. Car sur une question aussi vitale et globale que celle des changements climatiques, qui peut prétendre qu’il serait réellement mieux de n’avoir aucun processus de coopération impliquant tous les États?

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