Écouter pour apprendre : les voix autochtones dans les processus d’adaptation aux changements climatiques du Canada

Un compte rendu critique par Elia Paumelle et Alexandre Gagnon
Agente et agent d’appui à la coordination de l’adaptation aux changements climatiques
Ouranos

Pour accéder à l’ouvrage original:
Wale, J. (2023). Bad Forecast: The Illusion of Indigenous Inclusion and Representation in Climate Adaptation Plans in Canada. Yellowhead Institute. Repéré à https://yellowheadinstitute.org/indigenous-inclusion-climate-representation/

Lorsque les décisions liées à la politique climatique sont prises par les mêmes personnes utilisant les mêmes systèmes de connaissances, avec la même prédisposition extractiviste que celle ayant généré la crise climatique, comment peut-on s’attendre à des résultats différents ?

-Wale, 2023, p.4, traduction libre.

En commençant le rapport par ces mots, l’auteure Janna Wale invite le lecteur à la réflexion sur l’inclusion incomplète et la représentation illusoire des personnes et communautés autochtones dans les processus de planification et de décision en matière d’adaptation aux changements climatiques du Canada. En se basant sur son identité autochtone, des articles scientifiques, la Stratégie nationale d’adaptation du Canada (SNA) et des statistiques, elle recontextualise ces enjeux dans leur continuum historique et propose des pistes d’action afin de les résoudre.

FRACTURE ORIGINELLE :  DEUX CONCEPTIONS DIAMÉTRALEMENT OPPOSÉES DU TERRITOIRE

La relation tendue entre les Autochtones et le Canada prend notamment sa source dans ce qui a parfois été appelé « la question du territoire » (Wale, 2023). D’un côté, les Autochtones considèrent le territoire (la terre) comme le fondement de leur culture. Le territoire est en relation avec l’individu et la communauté. Cette relation est basée sur le respect, l’équilibre, la moralité et la protection. L’État colonialiste canadien, quant à lui, a été fondé sur la croyance en une économie capitaliste extractive. La nature est une ressource, source de capital. Le territoire est à conquérir. À l’arrivée des colons canadiens, cette conception du territoire a mené à la création de politiques retirant les Autochtones de leurs terres ancestrales afin de les exploiter. D’autres politiques discriminatoires et racistes, telles que la Loi sur les Indiens de 1876, ont fortement limité l’accès aux sphères décisionnelles et l’autonomie des personnes et communautés autochtones. Aujourd’hui, le Canada souhaite redéfinir sa relation avec l’environnement et les peuples autochtones, notamment en favorisant leur leadership climatique.

L’inclusion incomplète et la représentation illusoire des voix autochtones

Le rapport de Janna Wale (2023) souligne que, encore aujourd’hui, peu de voix autochtones sont entendues, notamment dans le domaine de la recherche. De plus, l’accès aux espaces décisionnels reste difficile pour les personnes autochtones, considérant leur nombre limité dans des postes de cadres intermédiaires ou séniors dans le gouvernement canadien.

Dans les processus de planification et de décision en adaptation, notamment à l’étape des tables consultatives de la SNA, 17 membres sur 110 représentaient des organisations autochtones. Cela peut sembler positif, mais ne garantit pas que ces voix soient véritablement représentatives.

En effet, seules des personnes non autochtones travaillant pour des organisations autochtones étaient présentes. Sans connexion au territoire, ces personnes, bien qu’elles jouent le rôle d’alliées, ne peuvent refléter réellement l’expérience autochtone des changements climatiques.

À l’étape de l’établissement de la vision de la SNA, deux organisations autochtones ont été invitées. Toutefois, ces organisations ne peuvent se substituer aux communautés en elles-mêmes, car elles ne sont pas élues par les membres de celles-ci et n’opèrent pas selon les pratiques, protocoles et traditions propres à chacune.

Ultimement, ces enjeux d’inclusion et de représentation affectent négativement les processus et décisions en matière d’adaptation climatique. Une dissociation s’opère entre les savoirs autochtones et leurs détenteurs. Cela entraîne la considération de seulement certains aspects des savoirs autochtones et une perte du contexte, de sens et d’impact.

L’intersectionnalité, c’est-à-dire l’exploration de l’évolution des relations de pouvoir en fonction des croisements de différentes identités et de leurs interactions (Crenshaw, 1991), est citée par l’auteure comme un outil pertinent afin de mieux comprendre les diverses réalités vécues et favoriser un processus plus inclusif. 

Réconciliation et adaptation : un avenir en commun

Encore aujourd’hui, les personnes et communautés autochtones sont victimes de discrimination, voire de racisme. Certains employés autochtones dans les sphères décisionnelles du gouvernement canadien dénoncent un environnement de travail discriminatoire. La discrimination est également présente au niveau de la connaissance. La science dite « occidentale » sert trop souvent à prouver au monde ce que les connaissances ancestrales ont intégré depuis des siècles. Il faut mettre en relation ces systèmes de connaissance et les considérer comme égaux et complémentaires.

Par ailleurs, les personnes autochtones sont souvent perçues uniquement comme des victimes, alors qu’elles se distinguent par leur résilience et leur force. Les peuples autochtones ont dû, tout au long de leur histoire, s’adapter et se réinventer constamment. Ils jouent déjà un rôle de chef de file en matière d’adaptation aux changements climatiques au Canada et dans le monde. Pour ne citer qu’un seul exemple, le « Indigenous Clean Energy Network » a permis d’accélérer la participation active des communautés autochtones dans des projets d’énergie propre à travers le Canada.

Afin de favoriser une action climatique urgente et juste, il est donc essentiel de guérir les relations entre les peuples autochtones et non autochtones (la réconciliation) et guérir la terre (l’adaptation) de manière simultanée (Deloitte, 2022). Recentrer l’action sur le présent et sensibiliser la population sur les enjeux principaux actuels des communautés autochtones permet de faire tomber certaines barrières à l’action climatique. Dans cette quête de réconciliation, chacun a un rôle à jouer, à son échelle, pour construire et maintenir la nouvelle relation.

En somme, le rapport de Janna Wale (2023) incite à la réflexion et à se questionner sur ses biais, préjugés, connaissances et sur la manière dont on peut favoriser l’inclusion et la représentation des personnes et communautés autochtones au quotidien. Car, c’est dès lors que l’on commence à questionner ce qui a toujours paru comme le statu quo acceptable qu’il devient possible d’entrevoir une nouvelle voie et véritablement progresser ensemble.


Pour citer ce compte rendu

Gagnon, A. & Paumelle, E. (2024). « Écouter pour apprendre : les voix autochtones dans les processus d’adaptation aux changements climatiques du Canada ». Compte rendu critique de l’article de Janna Wale (2023). Bad Forecast: The Illusion of Indigenous Inclusion and Representation in Climate Adaptation Plans in Canada, Le Climatoscope – Les comptes rendus ClimActualité, Hiver 2024, no. 5. URL https://climatoscope.ca/wp-content/uploads/2024/01/Climactualite_PaumelleGagnon_05.-1.pdf

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