Effet conditionnel de la rhétorique conspirationniste concernant les changements climatiques

Un compte rendu critique par Pudens Malibabo Lavu
Chercheur postdoctoral, Université de Sherbrooke

Pour accéder à l’ouvrage original:
Bolsen, T., Palm, R., et Kingsland, J. T. (2022). Effects of Conspiracy Rhetoric on Views About the Consequences of Climate Change and Support for Direct Carbon Capture. Environmental Communication, 16(2), 209‑224. https://doi.org/10.1080/17524032.2021.1991967

En 2018, des débats intenses sur le climat ont eu lieu aux États-Unis, avec la publication de trois rapports d’experts sur la crise climatique. Le quatrième rapport national d’évaluation du climat (NCA4), le rapport de la National Academy of Sciences, Engineering and Medicine et celui du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC). Le NCA4 appelle à des actions urgentes pour contrer la crise et les deux autres rapports proposent la technologie du « captage du carbone ». Cependant, le président d’alors, Donald Trump, a qualifié les conclusions du NCA4 de fausses sciences au service d’un agenda politique radical. Et l’ancien vice-président Al Gore a comparé le captage du carbone à la fée des dents, laquelle, de manière non avouée, profiterait surtout à l’industrie pétrolière.

Les failles dans la connaissance scientifique constituent des terreaux fertiles pour la désinformation et la pensée conspirationniste.

Bolsen, Palm et Kingsland (2022) qualifient ces critiques de rhétorique conspirationniste, en ce sens qu’elles lient certains projets favorables au climat à des agendas cachés. Leur article scrute les effets de ces critiques conspirationnistes sur les croyances des Américains concernant le dérèglement climatique et leur soutien au captage du carbone.

HYPOTHÈSES

L’étude vise à vérifier quatre hypothèses. Primo, l’exposition à la critique conspirationniste réduirait la perception des risques des changements climatiques et le soutien au captage du carbone, mais renforcerait les croyances que les changements climatiques soient un canular et que le captage du carbone soit une tromperie. Secundo, l’exposition aux informations scientifiques consensuelles augmenterait la perception des risques liés au dérèglement climatique et le soutien au captage du carbone. Tertio, les informations scientifiques réfutant la rhétorique conspirationniste limiteraient son effet. Quarto, cette rhétorique ou l’information scientifique, lorsqu’elle est portée par un leader politique, impacterait davantage les perceptions des partisans de ce leader.

MÉTHODOLOGIE

Une enquête en deux volets a été réalisée afin de tester ces hypothèses. Le premier a permis d’évaluer les effets sur la croyance en la véracité des changements climatiques qu’ont : 1) la rhétorique conspirationniste de politiciens et ; 2) les informations scientifiques consensuelles. Ce volet a mobilisé 2 973 Américains, répartis aléatoirement dans six conditions expérimentales différentes, avec un groupe témoin. Recrutés selon des quotas basés notamment sur l’affiliation politique (républicain, démocrate, indépendant), les enquêtés ont été exposés aux propos conspirationnistes et aux informations consensuelles tirées du rapport NCA4. Ils devaient ensuite évaluer leurs perceptions des changements climatiques et leurs croyances à ce sujet.

Le second volet a réuni 2 745 Américains, répartis comme dans la première expérience. En suivant un protocole similaire au premier volet, il a, cette fois, visé à cerner les effets de la rhétorique conspirationniste et des informations scientifiques consensuelles sur le soutien au captage du carbone.

À l’aide des données recueillies, les auteurs ont réalisé des analyses statistiques (régression et corrélation bilatérale) afin de valider ou invalider leurs hypothèses.

RÉSULTATS

Les résultats des analyses ne confirment que partiellement la première hypothèse, du fait que la rhétorique conspirationniste n’a pas d’effet significatif sur les opinions et croyances en matière du climat. Par contre, elle réduit le soutien en faveur du captage du carbone, tout en amenant les individus à croire que cette technologie est une tromperie. Son effet est d’autant plus important qu’elle est présentée avant que les individus n’aient développé une croyance solide sur un sujet inédit (tel que la capture du carbone).

La deuxième hypothèse n’est pas non plus validée totalement. Car les informations scientifiques consensuelles n’ont pas d’impact majeur sur les croyances des enquêtés, hormis les indépendants. Mais, elles ont pu contrer la rhétorique conspirationniste, particulièrement chez les républicains, et susciter un fort soutien en faveur du captage du carbone.

Quant à la troisième hypothèse, elle est également partiellement confirmée, vu que les informations scientifiques réfutant les informations conspirationnistes ne limitent pas toujours leurs effets. Lorsqu’elles sont présentées simultanément, les républicains sont plus influencés par celles-là et les démocrates par celles-ci. Car les premiers privilégient des solutions technologiques pour remédier à la crise climatique, alors que les seconds penchent vers les changements de comportement.

Finalement, la quatrième hypothèse est aussi partiellement validée, dans la mesure où la rhétorique conspirationniste ne produit qu’un effet conditionnel, précisément lorsqu’elle est associée à un leader politique sans aucune preuve scientifique contraire. Dans cette condition, les républicains exposés à la rhétorique conspirationniste de Trump étaient moins portés à croire aux changements climatiques.

PORTÉE DE L’ÉTUDE

L’étude de Bolsen, Palm et Kingsland (2022) permet plusieurs constats qui gagnent à être intégrés par quiconque voudrait œuvrer à la communication climatique :

1) les effets des communications, qu’elles soient conspirationnistes ou scientifiques, ne sont pas directs. Les contextes de réception au sein des populations ciblées doivent être finement considérés afin de mieux cerner les arguments et les messages qui résonnent avec chaque groupe de personnes, et ainsi à ébranler les croyances conspirationnistes.

2) la promotion réalisée de manière vulgarisée, claire, complète et intelligible des connaissances scientifiques sur le climat auprès des populations contribue à leur donner les moyens de distinguer les faits des fausses informations. Cela peut aider à démystifier le conspirationnisme et l’empêcher de prendre racine.

3) la politisation de la lutte contre les changements climatiques contribue à ouvrir la porte à la pensée conspirationniste. Des efforts de dépolitisation des enjeux climatiques faciliteraient la mobilisation des populations autour d’une cause commune.

4) les failles dans la connaissance scientifique constituent des terreaux fertiles pour la désinformation et la pensée conspirationniste. La multiplication et la promotion des études sur le climat permettront à la fois de mieux comprendre les enjeux complexes du domaine, mais aussi à limiter ou contrer l’emprise de la pensée conspirationniste sur les populations.


Pour citer ce compte rendu

Malibabo Lavu, P. (2023). « Effet conditionnel de la rhétorique conspirationniste concernant le changement climatique ». Compte rendu critique de l’article de Bolsen, T., Palm, R., et Kingsland, J. T. (2022). Effects of Conspiracy Rhetoric on Views About the Consequences of Climate Change and Support for Direct Carbon Capture, Le Climatoscope – Les comptes rendus ClimActualité, Automne 2023, no. 3, Les comptes rendus ClimActualité, URL: https://climatoscope.ca/actualite/effet-conditionnel-de-la-rhetorique-conspirationniste-concernant-le-changement-climatique

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