Les changements climatiques accroissent les défis liés à la gestion de la neige et de la ressource en eau dans les stations de ski

Un compte rendu critique par Alain Royer
Professeur associé, Département de géomatique appliquée
Université de Sherbrooke

Pour accéder à l’ouvrage original:
François, H., Samacoïts, R., Bird, D. N., Köberl, J., Prettenthaler, F. & Morin, S. (2023). Climate change exacerbates snow-waterenergy challenges for European ski tourism. Nature Climate Change, 13(9), 935-942. Repéré à https://doi.org/10.1038/s41558-023-01759-5

En régions montagneuses, les changements climatiques, qui rendent le climat plus chaud et qui conduisent à davantage de précipitations sous forme de pluie au lieu de la neige, impactent l’industrie du ski alpin selon l’altitude et la région (latitude) des différentes stations. Une tendance qui risque d’ailleurs de certainement s’amplifier. Dès lors, une station de ski de basse altitude voit sa période d’activité significativement diminuée. Les conséquences de cette évolution du climat de montagne méritent de s’y attarder, car elles sont économiquement très importantes. Au Canada, c’est une industrie qui génère des dizaines de milliers d’emplois et de plus de 1 milliard de dollars de revenus par année, dont près de 800 millions de dollars seulement au Québec (IBISWorld, 2023).

Ce qui impacte le plus le ski, ce n’est pas seulement la durée d’enneigement, mais aussi le bon moment : assurer un bon enneigement pendant les vacances ou pour une compétition qui attire les foules, par exemples.

NOUVELLE ANALYSE DE L’IMPACT DU CHANGEMENT CLIMATIQUE SUR LE TOURISME DU SKI EN EUROPE

Réalisée par des chercheurs de Grenoble en France et de Graz en Autriche, l’étude de François et al. (2023) parue dans la revue Nature Climate Change réunit, pour la première fois, une énorme base de données spatiales et très détaillées sur 2 234 stations de ski réparties dans 28 pays européens. À partir des données climatiques passées (de 1961 à 2015), elle analyse l’impact du réchauffement futur (scénario +2 °C et +4 °C) ramené à l’échelle de 5,5 km. Les données prennent en compte les caractéristiques physiques des stations (localisation, latitude, topographie, orientation), leur fonctionnement (type et puissance de ses remontées mécaniques, damage des pistes) et des données de facteurs socio-économiques (chiffre d’affaires, recettes hivernales et la gestion). L’originalité de cette analyse est de prendre en compte la fabrication de neige artificielle aussi impactée par le climat.

La notion de risque d’enneigement est établie à partir des 20 % des années les plus défavorables en neige naturelle damée, au cours de la période de référence 1961-1990.

Les résultats montrent que, sans enneigement artificiel, près de la moitié (53 %) de l’ensemble des stations devraient être exposées à un risque très élevé d’approvisionnement insuffisant en neige en cas de réchauffement climatique de 2 °C et la quasi-totalité (98 %) avec un réchauffement de 4 °C. En revanche, en supposant une couverture de 50 % du domaine skiable de chaque station par de la neige artificielle, ces proportions tombent à 27 % et 71 % respectivement.

Les résultats révèlent cependant une forte hétérogénéité des conditions d’enneigement entre les zones de montagne, en raison de l’effet combiné du climat local et de l’altitude [1] des stations de ski. Par exemple, pour la période 1991-2015 par rapport à la période 1961-1990, la fiabilité moyenne d’enneigement naturel a généralement diminué de -31 % (entre +3 et -96 %) sur l’ensemble des 18 entités géographiques de montagne analysées en Europe. Le contraste est évidemment plus marqué si on sépare les entités géographiques au nord et au sud de 44 °N avec une diminution respective de -24 % et -41 %.

Si pour certaines zones de montagne (principalement dans les Alpes, les montagnes nordiques et en Turquie; altitude médiane de 1360 m), la fabrication de neige réduit le risque de manque de neige, ce n’est pas le cas pour un grand nombre d’autres régions montagneuses. Le niveau de risque atteint rapidement des valeurs critiques avec l’augmentation du réchauffement global indépendamment de la production de neige pour les régions de moyennes montagnes d’Europe centrale, des Apennins en Italie et des montagnes ibériques ou des Îles britanniques (13 % des stations; altitude médiane de 930 m).

IMPACT ENVIRONNEMENTAL

Une autre originalité de cette étude est l’estimation de la demande en eau associée à la production de neige. Les résultats indiquent deux tendances :

  • Une diminution générale de la demande en eau pour l’enneigement en novembre, en raison de l’augmentation des températures conduisant à moins de périodes adéquates pour l’enneigement
  • Une demande en eau entre 1,2 fois et 3,5 fois supérieure aux volumes utilisés par rapport à 1961-1990 durant les mois de décembre à février

Les fortes variations sont provoquées par les régions montagneuses où les conditions climatiques restent suffisamment froides pour l’enneigement.

QU’EN EST-IL AU QUÉBEC ?

Une étude pilotée par Ouranos (2019) a analysé l’impact des changements climatiques au sud du Québec à l’horizon 2050. L’exemple de 3 stations de moyenne montagne (~800 m) du Québec, soit Bromont, Sutton et Orford, est illustratif de l’impact climatique d’une région encore froide l’hiver. Avec une moyenne hivernale de -7.5 °C, ces stations ont un enneigement moyen équivalent de 428 cm de neige (de novembre à mars, 1979-2010). En 2050, avec une hausse de température moyenne hivernale de +2 °C, la baisse anticipée de l’enneigement de ces stations (-15 %) et l’augmentation de pluie de 90 % (de novembre à mars) entraîneront globalement un retard d’environ 7 à 10 jours au début de la saison de ski, une baisse de la durée de la saison de 10 à 20 jours et une diminution de la taille de leur domaine skiable de 20 % à 30 % de ses pistes. Mais c’est sans compter sur l’enneigement artificiel qui permet d’assurer une activité de ski « garantie » tout l’hiver.

CONCLUSION : DES STATIONS PRISES AU PIÈGE ?

L’enneigement artificiel fait partie intégrante de l’industrie du tourisme de ski. Mais cette adaptation au changement climatique, en atténuant sa dépendance à la météo, demande de gros investissements et augmente sa dépendance aux coûts de fonctionnement qui s’en suivent. Outre l’impact environnemental important par la demande accrue en eau, qui est problématique dans certaines régions de montagne, les stations ne risquent-elles pas de se faire prendre au piège d’une dépendance à une activité spécifiquement axée sur le ski ? Cette tendance à l’investissement systématique dans des installations de production de neige risque de ralentir le virage vers de véritables politiques d’adaptation durable des activités et du tourisme hivernales.

À partir d’environ 2000 m d’altitude, l’effet de la température et du moindre impact des redoux hivernaux avec ses épisodes de pluies se traduit par une augmentation des précipitations solides, garantissant un enneigement plus important.

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