Mise à jour des points de basculement climatiques globaux et régionaux

Un compte rendu critique par Simon Beaudoin
Chargé de cours
Université de Sherbrooke

Pour accéder à l’ouvrage original:
Armstrong McKay, D. I., Staal, A., Abrams, J. F.,Winkelmann, R., Sakschewski, B., Loriani, S., Fetzer,I., Cornell, S. E., Rockström, J., & Lenton, T. M.(2022). Exceeding 1.5 °C global warming couldtrigger multiple climate tipping points. Science,377(6611), https://doi.org/10.1126/science.abn7950

POINTS DE BASCULEMENT CLIMATIQUES

Les points de basculement climatiques (PBC) occupent une place grandissante dans l’agenda de recherche de plusieurs spécialistes du système planétaire. La raison est fort simple, si certains PBC sont franchis, de graves conséquences pourraient avoir lieu, tant pour les sociétés humaines que pour la biosphère dans son ensemble. Selon Armstrong McKay et ses collègues (2022), trois caractéristiques principales définissent les PBC. Ces derniers se produisent lorsque des changements dans de grandes parties du système climatique (1) s’auto-entretiennent (2) au-delà d’un seuil de réchauffement conduisant à (3) des impacts substantiels sur le système terrestre.

Les auteurs illustrent distinctement comment des changements incrémentaux dans le système climatique pourraient faire basculer plusieurs composantes du système planétaire au-delà de seuls critiques. En offrant une mise à jour des PBC globaux et régionaux, ils exposent certains des impacts du réchauffement climatique et les liens unissant les composantes du système planétaire, telles l’atmosphère, la biosphère, la cryosphère et l’hydrosphère (Steffen et al., 2018). De plus, les interactions entre les différents PBC identifiés indiquent que le basculement de l’un d’entre eux augmente la probabilité de basculement des autres, pouvant entraîner une « cascade de basculement », accélérer le réchauffement de la planète et, ultimement, produire un PBC global. Les tendances actuelles indiquent qu’un réchauffement climatique de ~1.1 °C par rapport au niveau préindustriel a déjà été franchi, soit la partie inférieure des fourchettes d’incertitude du point de basculement de certains PBC, et que le monde se dirige vers un réchauffement d’environ 2 à 3 °C, ce qui augmenterait significativement la probabilité de déclencher plusieurs PBC (IPCC, 2023).

L’objectif de l’étude d’Amstrong McKay et de ses collègues consiste à mettre à jour l’état des connaissances sur les PBC et leurs impacts potentiels. Pour ce faire, les auteurs synthétisent les études précédentes sur les PBC globaux et régionaux ainsi que leur seuil de température respectif. La méthodologie employée consiste en une recension systématique de la littérature scientifique existante sur les PBC globaux et régionaux depuis 2008 pour dresser une liste initiale de PBC potentiels. Par la suite, les auteurs ont évalué ces derniers à la lumière des informations disponibles dans la littérature et de leur jugement d’experts pour en sélectionner une liste restreinte. Les PBC sélectionnés sont alors associés à des fourchettes de température pouvant les déclencher ainsi que les impacts globaux et régionaux qu’ils pourraient engendrer. La méthodologie utilisée par les auteurs permet de mettre en commun les connaissances offertes par certaines littératures scientifiques et les évaluations des auteurs.

Réchauffement climatique et PBC

L’analyse du corpus d’écrits savants permet aux auteurs d’affirmer qu’un réchauffement climatique de 1,5 à 2 °C auraient d’importantes répercussions. Par exemple, les auteurs notent, que la cryosphère, incluant les glaciers et banquises de la planète, regroupe plusieurs éléments pouvant être affectés par des changements de température. Ils estiment qu’un réchauffement climatique de 1,5 à 2 °C est suffisant pour conduire à la perte de la plupart des glaciers de montagne en dehors du Groenland et de l’Antarctique ainsi qu’au dégel du pergélisol boréal et à la perte de la glace d’hiver de la mer de Barents. De plus, la calotte glaciaire du Groenland, se rétrécissant déjà à un rythme accéléré, accuserait des pertes irréversibles à partir d’un réchauffement de ~2 à 2,5 °C et la perte de la glace de mer de l’Arctique pourrait franchir un PBC à partir d’un réchauffement 4,5 °C, pouvant mener, dans les deux cas, à d’importantes hausses du niveau de la mer.

À la lumière de leur revue des connaissances, sur le plan de l’hydrosphère, les auteurs évaluent qu’aux alentours d’un réchauffement de 4 °C la circulation méridienne de retournement de l’Atlantique pourrait s’atténuer au point de mener, entre autres, à un réchauffement de l’hémisphère sud dans son ensemble, un affaiblissement de la mousson en Afrique et en Asie et à l’assèchement du Sahel et de certaines parties de l’Amazonie. En ce qui a trait à la biosphère, les auteurs indiquent notamment que l’Amazonie est sujette à un dépérissement généralisé à partir 3,5 °C et la perte quasi totale des récifs coralliens en faible profondeur des basses latitudes est estimée à partir de 1,5 °C. L’étude montre que le monde se rapproche dangereusement de PBC qui pourraient conduire à la perte de riches écosystèmes, à l’accélération du réchauffement de la planète ainsi qu’à des répercussions profondes sur les cycles des nutriments et du carbone ainsi que sur les conditions de vie de milliards de personnes et d’espèces.

Portée sociale des résultats

L’évaluation de la connaissance existante concernant les PBC démontre que la trajectoire actuelle pourrait mener à d’importants changements des conditions de vie sur Terre, en augmentant la température, le niveau de la mer, la fréquence et la sévérité des évènements météorologiques extrêmes. La portée des résultats de l’étude est considérable. L’état des connaissances offert par les auteurs montre notamment que les objectifs de limiter le réchauffement à 2 °C et de préférence à 1,5 °C sont problématiques. En effet, dépasser 1,5 °C représente des risques de franchir des PBC qui pourraient entraîner une accélération des changements climatiques et faire basculer d’autres PBC. L’étude illustre l’existence de liens profonds entre les composantes du système planétaire, l’importance de plusieurs écosystèmes pour la vie sur Terre telle que nous la connaissons et les impacts spatiaux et intergénérationnels des activités humaines.

En somme, l’étude invite une plus grande attention aux PBC de la part de la communauté scientifique, des gouvernements et des membres de la société civile mondiale. Bien que limiter le réchauffement à 1,5 °C est plus prudent que 2 °C, le risque de déclencher des PBC dans un futur proche est non négligeable à partir de 1,5 °C. Nul doute que les efforts d’atténuation et d’adaptation seront cruciaux dans les prochaines années.


Pour citer ce compte rendu

Beaudoin, S. (2023). « Mise à jour des points de basculement climatiques globaux et régionaux ». Compte rendu critique de l’article de Armstrong McKay, D. I., Staal, A., Abrams, J. F., Winkelmann, R., Sakschewski, B., Loriani, S., Fetzer, I., Cornell, S. E., Rockström, J., & Lenton, T. M. (2022). Exceeding 1.5 °C global warming could trigger multiple climate tipping points, Le Climatoscope – Les comptes rendus ClimActualité, Automne 2023, no. 4. URL https://climatoscope.ca/actualite/changements-climatiques-et-perte-de-biodiversite-a-lechelle-planetaire/

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