Regard sur la lutte contre l’extractivisme au Canada

Un compte rendu critique par Alexis Legault
Étudiant à la maîtrise, Université de Sherbrooke

Pour accéder à l’ouvrage original:
Gobby, J., Temper, L., Burke, M. et von Ellenrieder, N. (2022). Resistance as governance: transformative strategiesforged on the frontlines of extractivism in Canada. The Extractive Industries and Society, 9.

Dans leur article intitulé Resistance as governance: Transformative strategies forged on the frontlines of extractivism in Canada, Gobby, Temper, Burke et von Ellenrieder (2022) partent du constat que le modèle économique contemporain repose sur une industrie extractive qui pèse parfois lourd sur l’environnement naturel dont elle s’alimente. En plus de contribuer à une part importante de la perte d’habitats naturels nécessaires au maintien de la biodiversité terrestre et marine, elle se trouve au cœur de l’accroissement des gaz à effet de serre (GES) observé depuis les dernières décennies. En réponse à ces impacts sur le vivant et ses conditions d’existence, des mouvements de lutte contre l’extractivisme s’activent, au Canada comme ailleurs, et ce depuis de nombreuses années.

Les auteurs de l’article se sont penchés sur l’expérience des groupes au premier rang des mouvements de résistance à l’industrie extractive canadienne depuis un siècle. Ils ont ainsi déterminé les facteurs qui favorisent les victoires écologistes. Les cas victorieux correspondent à ceux qui répondent à un minimum de 3 critères d’une liste en comportant 11 (ex. suspension du projet, déclenchement d’un moratoire ou retrait d’investissements). Au total, l’équipe de recherche a analysé 57 luttes environnementales, dont 18 considérées comme des victoires, et le portrait brossé s’avère aussi riche que surprenant.

GAINS ÉCOLOGIQUES

Globalement , la recherche démontre que la résistance citoyenne et communautaire à l’industrie extractive influence de manière importante les décisions prises par les instances de gouvernance et la réalisation des projets extractifs au Canada. Ainsi, une lutte sur quatre (26 %) a mené à de nouvelles procédures d’évaluation environnementale, une sur cinq (21 %) a entrainé l’arrêt d’un projet extractif, une sur six (17 %) a permis l’application de réglementations déjà existantes, une sur six (17 %) a donné lieu à l’adoption de nouvelles législations et une sur 10 (9 %) a débouché sur la tenue d’un moratoire.

ACTEURS EN PRÉSENCE

L’article traite d’abord des différents acteurs opposés aux activités de l’industrie que l’on retrouve mobilisés dans ces luttes environnementales. Parmi les constats établis relativement à l’influence des acteurs sur le succès d’un mouvement écologiste, l’un paraît tout particulièrement saillant. Des 18 cas victorieux pour les groupes résistants, la totalité impliquait un engagement des Premiers Peuples.

Lorsqu’il est question de défense du territoire, les Premiers Peuples sont au rendez-vous. Ce sont 50 des 57 luttes contre l’industrie extractive dans lesquelles ils ont été impliqués. Par ailleurs, la présence active de femmes, dans une proportion près de trois fois plus importante pour les victoires (39 %) que pour les défaites (15 %), témoigne quant à elle de l’importance de la participation féminine aux luttes citoyennes pour la protection du territoire. L’appui d’un mouvement social (dans 56 % des victoires contre 36 % des défaites) s’opposant aux activités extractives semble aussi représenter un facteur de réussite pour contrer l’industrie. Il faut finalement souligner, non sans réprimer un certain étonnement, que la présence de pêcheurs et pêcheuses (dans 44 % des victoires contre 26 % des défaites) s’avère aussi fréquente qu’efficace dans la lutte aux pelles mécaniques et aux bulldozers.

MODES D’ACTION EMPLOYÉS

Bien que les besoins et les ressources varient selon le contexte de la lutte écologiste, les auteurs ont évalué l’efficacité générale des tactiques visant à freiner l’industrie extractive. Toutes tactiques ne menant pas à des effets équivalents, on retrouve parmi les modes d’action ayant le meilleur taux de succès le recours aux tribunaux (dans 78 % des victoires contre 44 % des défaites), l’implication d’organisations non gouvernementales (ONG) nationales ou internationales (dans 72 % des victoires contre 41 % des défaites), les blocus (dans 61 % des victoires contre 36 % des défaites), l’occupation de territoires (dans 50 % des victoires contre 28 % des défaites), un activisme financier pouvant prendre la forme de campagnes de désinvestissement (dans 28 % des victoires contre 5 % des défaites) et le boycottage de procédures officielles (dans 28 % des victoires contre 8 % des défaites).

Il faut nécessairement prendre la juste mesure des implications légales et socioéconomiques que peuvent engendrer des occupations ou des blocus. Toutefois, il ne fait aucun doute que ces modes d’action permettent aux citoyens de faire contrepoids aux activités de l’industrie extractive. Il importe également de rappeler qu’à travers le Canada, les Premiers Peuples disposent de plusieurs droits ancestraux relatifs au territoire. Cet atout légal fait en sorte que la présence des Premiers Peuples dans les luttes pour la protection du territoire semble souvent aller de pair avec un recours au système judiciaire, et avec un certain succès.

L’usage de stratégies multiples dans le cadre d’une même lutte représente aussi un mode d’action qui influence positivement l’avènement de dénouements gagnants pour les groupes de résistance à l’industrie extractive. Du côté des méthodes qui s’avèrent moins efficaces, une stratégie qui, sans être forcément à éviter, ne témoigne que de peu de succès est celle de la participation à des consultations publiques.

DES LEÇONS À TIRER ?

Au Québec, le bilan de certaines grandes compagnies extractives avoisine le million de tonnes d’émissions de GES (Simard, 2018). À titre comparatif, une personne québécoise émet annuellement un peu moins de 10 tonnes (ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles du Québec, 2019). Les dizaines de projets extractifs en sol québécois se heurtent toutefois, comme ailleurs dans le monde, à des groupes écocitoyens de plus en plus nombreux et actifs. Les personnes qui composent ces groupes n’ont généralement pas d’expertise en droit, en aménagement du territoire, en biologie, en économie ou en politique. Ils s’opposent toutefois régulièrement à des promoteurs et à des groupes industriels qui, eux, disposent d’expertises et de ressources. Les personnes citoyennes, ne pouvant se permettre de combattre à armes égales, devraient ainsi minimalement se prévaloir d’une expertise dans le domaine de la lutte environnementale. Un portrait aussi large et étoffé des méthodes et des Alliés les plus efficaces pour faire barrage à l’industrie extractive constitue un outil dont ne peut se passer le mouvement écologiste. Appuyées sur une méthodologie scientifiquement rigoureuse, les conclusions de cette recherche devraient encourager les groupes écocitoyens à réviser leurs modes d’action, mais aussi à faire davantage d’espace aux femmes et aux Premiers Peuples au sein du mouvement écologiste.


Pour citer ce compte rendu:

Legault, A. (2023). « Regard sur la lutte contre l’extractivisme au Canada ». Compte rendu critique de l’article de Jen Gobby, Leah Temper, Matthew Burke et Nicolas von Ellenrieder: Resistance as governance: transformative strategies forged on the frontlines of extractivism in Canada, Le Climatoscope – Les comptes rendus ClimActualité, Automne 2023, no 1, URL: https://climatoscope.ca/actualite/regard-sur-la-lutte-contre-lextractivisme-au-canada/

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