Climactualité

Un compte rendu critique par Fanie Pelletier
(Professeure titulaire) et Carolyne Houle (Agente de recherche)
Département de biologie
Université de Sherbrooke

Pour accéder à l’ouvrage original:
Filazzola, A., Johnson, M. T. J., Barrett, K., Hayes, S., Shrestha, N., Timms, L., & MacIvor, J. S. (2024). The great urban shift : Climate change is predicted to drive mass species turnover in cities. PLOS ONE, 19(3). Repéré à https://doi.org/10.1371/journal.pone.0299217

Les changements climatiques ont des effets importants sur plusieurs espèces animales vivant sur notre planète notamment en modifiant leur abondance et leur répartition (Parmesan et Yohe, 2003). Selon les experts, les températures moyennes en Amérique du Nord continueront d’augmenter au fil du temps. Ces changements climatiques risquent donc de modifier la faune qu’on retrouve présentement dans certaines villes. Afin de tenter de prédire ces changements, différentes trajectoires socioéconomiques allant des plus optimistes (réduction majeure des émissions de gaz à effet de serre) aux plus pessimistes (exploitation continue des énergies fossiles) sont utilisées. Ces trajectoires permettent ensuite d’estimer les changements de la biodiversité urbaine attendus pour les prochaines décennies à partir d’outils de modélisation.

UNE ÉTUDE PAR MODÉLISATION

Une étude publiée dans le journal scientifique « PLOS ONE » par Filazzola et al., en mars 2024, s’est intéressée aux effets possibles d’une augmentation de température sur le nombre d’espèces présentes dans les villes. Pour ce faire, les auteurs ont analysé les distributions historiques et actuelles de 2 019 espèces d’animaux terrestres réparties dans 60 villes nord-américaines, incluant la ville de Québec.

Pour chacune de ces villes, ils ont extrait une liste des espèces animales terrestres ayant au moins 10 occurrences enregistrées dans la dernière décennie dans la base de données en ligne du Système mondial d’information sur la biodiversité, ce qui représentait plus de 18.4 millions d’observations ! Par la suite, à l’aide d’outils de modélisation, ils ont simulé les changements climatiques attendus d’ici la fin du siècle à partir de 24 variables bioclimatiques différentes, et ce, selon trois trajectoires socioéconomiques (Tableau 1). Finalement, ils ont modélisé la présence future des espèces dans différentes villes, en supposant qu’elles se déplaceront vers le nord afin de conserver des conditions climatiques similaires à celles retrouvées dans leur distribution historique.

Tableau 1. Trajectoires socioéconomiques (SPPs) pour modéliser les conditions futures dans Filazzola et al.(2024), selon les définitions d‘O’Neill et al. (2017)

SPPsDétails
SSP1 (Développement durable)– Politique centrée sur le développement durable  
– Coopération internationale  
– Réduction des inégalités au sein et entre les pays 
– Faible consommation 
– Faible croissance de population
SSP3 (Rivalités régionales)– Politique centrée sur la sécurité 
– Barrières à la coopération internationale  
– Fortes inégalités  
– Croissance économique lente 
– Faible croissance de population dans les pays riches, mais plus élevée dans les autres pays 
SSP5 (Développement des énergies fossiles)– Politique centrée sur le marché libre 
– Coopération internationale efficace 
– Inégalités réduites  
– Croissance économique et consommation élevée 
– Faible croissance de population 
UNE MIGRATION MASSIVE VERS LE NORD

Cette étude suggère que les villes où les températures sont historiquement plus fraîches et les précipitations plus abondantes, comme le Canada tempéré et le Midwest américain, devraient connaître le plus grand afflux de nouvelles espèces. Ainsi, les villes comme Québec et Toronto, devraient voir leur nombre d’espèces animales augmenter au cours des prochaines décennies, bien que certaines espèces disparaîtront probablement. Pour Toronto, par exemple, l’étude prédit l’occurrence d’entre 159 et 360 nouvelles espèces dans les 100 prochaines années, alors qu’elle anticipe la perte d’entre 40 et 195 espèces. Ces changements représentent un gain net du nombre d’espèces retrouvées dans cette ville de 13,4 à 18,5%. En revanche, les villes relativement chaudes où les précipitations sont élevées devraient connaître la plus forte perte de richesse en espèces résidentes.

Ces résultats indiquent donc que plusieurs dizaines, voire des centaines d’espèces, devraient disparaître ou apparaître dans nos villes au cours du prochain siècle. L’ampleur des effets variait toutefois selon la trajectoire socioéconomique utilisée pour faire les projections. En effet, des changements plus importants étaient obtenus lorsque la trajectoire SSP5 était utilisée. Leurs résultats suggèrent également que toutes les espèces ne seront pas touchées de la même manière par l’augmentation des températures. Par exemple, les plongeons (tel que le plongeon huard), les amphibiens, les canidés et les insectes de type phasme semblent particulièrement sensibles aux changements de températures, ce qui les pousserait à disparaître plus souvent des villes qu’ils ne y apparaissent, contrairement aux tortues, pélicans et scorpions (Tableau 2).

Tableau 2. Pertes et gains globaux d’espèces prédits pour différents taxons

Impact climatique, oui, mais ce n’est pas tout…

Verrons-nous vraiment plus de 300 nouvelles espèces dans les villes de Québec et Toronto d’ici la fin du siècle? On s’attend effectivement à une augmentation des migrations vers le nord pour plusieurs espèces avec le réchauffement. Par contre, il est difficile d’en prédire le nombre exact, car plusieurs facteurs influencent le déplacement des animaux, mais aussi leur capacité à s’établir et à se reproduire dans un nouveau milieu. Les tortues terrestres, par exemple, ne peuvent migrer sur d’aussi longues distances que les oiseaux migrateurs pour un même laps de temps. Il n’est donc pas réaliste d’envisager que ces deux groupes d’animaux adaptent leur distribution de la même façon et à la même vitesse !

Tel que mentionné dans l’étude, l’inclusion de nombreux facteurs non-climatiques ayant également un impact sur la distribution des espèces (interactions entre les espèces, connectivité, etc.) est nécessaire pour mieux comprendre les impacts humains sur la biodiversité. L’étude permet tout de même d’anticiper des changements importants sur la biodiversité qui auront des impacts sociétaux et économiques majeurs. Par exemple, le déplacement d’espèces animales mènera à des déclins d’espèces endémiques, des pertes de services écosystémiques tels que la pollinisation, des changements au niveau de la gestion des pestes et des espèces invasives et à l’émergence de nouvelles maladies.

Bien qu’il soit difficile de prévoir les effets précis des changements climatiques sur la faune, cette étude s’ajoute à plusieurs dizaines d’autres soulignant l’importance de la migration pour permettre aux espèces animales de survivre. Il est donc crucial que, dès maintenant, des plans d’aménagement du territoire soient développés et que des initiatives (comme l’Initiative québécoise corridors écologiques) soient implantées afin de permettre aux espèces de se déplacer vers le nord, via la mise en place de corridors écologiques. De plus, nos politiques publiques doivent adopter une vision multidisciplinaire intégrée et unificatrice visant à équilibrer et à optimiser à la fois la santé des humains, mais aussi celle des animaux et de l’environnement, tel que mis de l’avant par l’approche « Une seule santé » de l’Organisation Mondiale de la Santé.

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