Les défis liés aux changements climatiques et à la pratique d’activités physiques et sportives gagnent en visibilité au Québec et dans le monde. Toutes les formes d’activité physique sont actuellement menacées par les changements climatiques : compétitions sportives, activités de loisir (p. ex., le ski de fond), travail (p. ex., livraison à vélo), déplacements actifs et même le jardinage. En 2018, le semi-marathon de Monterey, en Californie, a été interrompu à cause des feux de forêt. Pensons aussi à l’annulation du marathon de Minneapolis, en 2023, en raison d’une vague de chaleur massive. Plus près de nous, la pratique du patinage de loisir sur la rivière L’Assomption (la plus importante patinoire naturelle au Québec) a été annulée cet hiver, faute d’une épaisseur de glace sécuritaire. Pensons aussi à l’annulation du Ironman Mont-Tremblant en raison de la piètre qualité de l’air due aux feux de forêt.
Dans un contexte où l’avenir de la pratique d’activités physiques et sportives est menacé, notre équipe de recherche en sciences de l’activité physique a tenté de mieux comprendre ces enjeux en se posant deux questions : premièrement, comment les changements climatiques influencent-ils la pratique d’activités physiques et deuxièmement, comment la pratique d’activités physiques contribue-t-elle aux changements climatiques ?
Pour répondre à ces questions, nous avons effectué une revue de la littérature en 2021. En suivant les recommandations du Preferred Reporting Items for Systematic Reviews and Meta-Analyses (PRISMA), nous avons fouillé les bases de données suivantes : Pubmed, PsyArticles, CINAHL, SportDiscus, GreenFILE, GeoRef. À la suite de l’analyse des critères d’inclusion, nous avons relevé plus de 70 articles publiés dans des revues à comité de lecture.
Trois conclusions principales se dégagent de nos recherches : premièrement, les activités physiques et sportives sont sévèrement touchées par les changements climatiques ; deuxièmement, certaines activités physiques et sportives amplifient les changements climatiques et troisièmement, les activités physiques peuvent également faire partie de la solution.
La pratique d’activités physiques sportives, victime des changements climatiques
Tout d’abord, notre revue de littérature a répertorié les conséquences de trois résultantes des changements climatiques sur la pratique d’activités physiques et sportives. Il s’agit des conditions météorologiques extrêmes, de la pollution de l’air et des catastrophes naturelles.
Les conditions météorologiques extrêmes, telles que les canicules ou les hivers imprévisibles, imposent leurs contraintes. Dans le contexte d’activités physiques de loisir pratiquées en contexte de vagues de chaleur, la participation augmente lorsque la température atteint jusqu’à 28-29 °C, mais diminue considérablement au-delà de 36 °C (Obradovich et Fowler, 2017). Concernant les déplacements actifs, on note une réduction importante du nombre de déplacements quotidiens à vélo lorsque la température atteint 26 à 28 °C. De plus, les résidents et résidentes ayant un statut socioéconomique plus faible utilisent davantage un mode de déplacement non motorisé durant les vagues de chaleur, ce qui augmente le risque de conséquences graves pour leur santé. Les conditions de pratique des sports d’hiver, comme le ski ou le patinage, se détériorent rapidement du fait des conditions météorologiques hivernales variables (pluviométrie accrue, couvert de neige plus faible). En ce sens, les conditions météorologiques extrêmes et la variabilité des températures nécessitent d’ajuster les pratiques et l’entretien des sites. D’ici une décennie, certaines pratiques pourraient même disparaître du fait de la baisse de leur rentabilité ou de conditions de pratiques non sécuritaires.
Quant à elle, la pollution de l’air limite les activités en plein air et les déplacements actifs, particulièrement dans les zones urbaines, où le smog devient un obstacle majeur pendant les mois d’été chauds. Ce smog, défini comme étant une brume causée par l’accumulation d’un mélange de contaminants atmosphériques, touche surtout les groupes vulnérables, y compris les personnes âgées et celles souffrant de maladies respiratoires, ce qui réduit leur participation à des activités physiques d’intensité modérée à élevée (Laffan, 2018). À titre d’exemple, une étude chinoise a montré que l’augmentation d’un niveau moyen de la concentration de la pollution de l’air réduisait le niveau total d’activité physique (ce qui comprend tout type d’activité physique) hebdomadaire de 30 minutes.
Puis, les catastrophes naturelles, comme les ouragans et les inondations, endommagent l’infrastructure nécessaire à l’activité physique, soulignant l’importance de la reconstruction et de la résilience post-catastrophe pour le bien-être des communautés. Les études sont unanimes pour dire que le fait d’y être exposé augmente le risque d’inactivité physique à moyen terme (Bell et al., 2019).
La figure 1 résume les conséquences des changements climatiques sur les activités physiques et sportives.
Figure 1. Infographie illustrant les conséquences des changements climatiques sur les activités physiques
et sportives. Source : Bernard et al. (2021)1.
Les activités physiques et sportives peuvent aussi amplifier les changements climatiques
À l’inverse, les résultats de la revue de littérature ont montré que la pratique de certaines activités physiques et sportives contribuait aux changements climatiques. Une des raisons de ce constat est liée à l’empreinte carbone associée aux déplacements en avion ou en voiture pour pratiquer un sport, chez les athlètes de niveau amateur et professionnel. Ces déplacements ont lieu à différentes échelles, soit les déplacements liés à la pratique hebdomadaire d’un sport (ex. : entraînement), aux compétitions, aux excursions d’une journée et aux vacances sportives (ex. ski en Colombie-Britannique, trek au Népal) (Wicker, 2018).
Chez les sportifs et sportives de niveau professionnel, une étude a estimé qu’un joueur de soccer professionnel en Angleterre (Premier League) émettait plus de 30 tonnes de gaz à effet de serre en une seule saison, en raison de ses déplacements en avion et de ses séjours en hôtels de luxe (Tóffano Pereira et al., 2019). Une étude allemande réalisée chez des athlètes de niveau amateur montre que ceux et celles qui pratiquaient une activité physique de plein air avaient les plus fortes empreintes carbone, représentant jusqu’à un tiers de leur empreinte annuelle (pour les golfeurs ou surfeurs). Il est intéressant de souligner le paradoxe entre la pratique d’une activité physique ou sportive en nature et les effets néfastes environnementaux que cette pratique peut entraîner sur l’environnement naturel.
Les figures 2 et 3 à la page suivante résument les conséquences de la pratique d’activités physiques et sportives sur les changements climatiques.
Figure 2 et 3. Infographies illustrant les conséquences de la pratique d’activités physiques et sportives sur les changements climatiques. Source : Bernard et al. (2021).
L’activité physique, un moyen de lutter contre les changements climatiques
Malgré l’effet néfaste de certaines pratiques sportives sur les changements climatiques, l’activité physique peut également faire partie de la solution.
En effet, l’activité physique pour se déplacer, comme le vélo et la marche, fait partie de l’arsenal de solutions pour réduire l’utilisation de la voiture. Ces activités physiques contribuent à réduire la pollution de l’air localement et à réduire les émissions de gaz à effet de serre liés aux trajets en voiture. Par exemple, remplacer 10 % des trajets en voiture par le vélo d’ici 2030 réduirait la pollution de l’air de 9 %, voire de 26 %, si cette mesure était combinée avec une augmentation de l’utilisation des transports en commun (Xia et al., 2015).
Il existe plusieurs solutions pour remplacer la part modale de la voiture par des déplacements à vélo. Parmi celles-ci, on note le développement d’infrastructures cyclables, comme l’aménagement de stationnements à vélos et la mise en place de systèmes partagés de vélo (ex. Bixi). En plus d’augmenter le niveau d’activité physique lié aux déplacements, ces initiatives offrent des bénéfices en matière de réduction des gaz à effet de serre. Les résultats de la revue de littérature montrent que les effets les plus importants sont dans les villes où le transport actif est encore peu développé.
De plus, l’émergence du vélo à assistance électrique est une solution de rechange croissante à l’usage de la voiture. Le vélo électrique est notamment utilisé pour les trajets les plus longs ou pour transporter des charges ou des enfants. Par exemple, selon une étude suédoise, la substitution de 80 % des trajets en voiture par le vélo à assistance électrique permettrait une réduction allant jusqu’à 20 % des émissions totales de CO2 liées au transport (Winslott Hiselius et Svensson, 2017).
Finalement, c’est l’approche multimodale qui joue un rôle décisif dans la lutte contre les changements climatiques. Celle-ci combine dans l’ordre des priorités les transports en commun, le vélo ou la marche et les voitures électriques de petite taille, qui peuvent répondre aux besoins de déplacement des individus tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre.
La figure 4 résume les effets positifs de l’activité physique sur les émissions de GES et la pollution atmosphérique.
Figure 4. Infographie illustrant les effets positifs de l’activité physique sur les gaz à effet de serre et la pollution atmosphérique. Source : Bernard et al. (2021).
Des pistes de solutions
Parc cette revue de la littérature, des pistes de solutions ont pu être identifiées. Parmi celles-ci, on retient entre autres le développement d’infrastructures résilientes, la planification flexible d’événements sportifs et la promotion d’activités physiques à l’intérieur durant les périodes météorolo-giques à risque. Ces mesures, accompagnées de politiques visant à réduire les émissions polluantes, sont essentielles pour garantir que les individus puissent continuer à mener des vies ac-tives et saines malgré les conséquences croissantes des changements climatiques.
En conclusion, l’intégration de l’activité physique dans les stratégies d’adaptation et d’atténuation des changements climatiques est essentielle non seulement pour la santé individuelle, mais aussi pour la santé environnementale globale. Les approches multidimensionnelles et les solutions innovantes telles que le sport au ralenti (Slow Sport) peuvent contribuer à développer des pratiques sportives plus durables et respectueuses de l’environnement, renforçant ainsi notre capacité collective à répondre aux défis climatiques actuels et futurs (Malchrowicz-Mośko et al., 2018).
1. Les auteurs soulignent la participation de Tamara Marcia Martel, étudiante en design, à l’élaboration des infographies des figures 1 à 4.