Éditorial

Adaptation Futures 2023: L'opportunité de repenser ensemble l'adaptation aux changements climatiques

Autrefois perçu comme un enjeu environnemental lointain, distant et abstrait, car trop planétaire, le changement climatique est devenu un enjeu de constante actualité, qualifié d’urgence mondiale aux conséquences économiques et humaines inquiétantes de plus en plus présentes. Tant les derniers rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) que les bulletins de nouvelles de partout dans le monde montrent clairement que les conséquences concernent non seulement tous les continents, mais aussi les pays et leurs régions, voire les localités et les individus, qui sont désormais régulièrement touchés par des inondations petites et grandes, des canicules de plus en plus insupportables, des feux de forêt destructeurs, des sécheresses records, pour ne nommer que quelques extrêmes météorologiques aggravés par ces changements anthropiques du climat. De plus, outre les conséquences de ces événements fort médiatisés, la science, depuis longtemps, et la société, plus récemment, constatent que des changements progressifs contribuent à une dégradation subtile, mais considérable, de nos environnements naturels et bâtis qui ne sont pas optimisés à notre nouvelle réalité climatique, contribuant à accroître la vulnérabilité collective et individuelle.

Malgré ce constat fort inquiétant, la double solution face aux changements climatiques est heureusement bien connue : il faut, premièrement, réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) afin d’atteindre la carboneutralité dès que possible et, deuxièmement, apprendre à vivre avec les changements résiduels du climat, c’est-à-dire s’adapter. En plus d’être connues, ces deux catégories de solutions ont l’avantage de devoir être implantées par l’ensemble de la planète, offrant ainsi une fantastique opportunité de collaboration à l’échelle de tous les pays, afin de partager nos expériences et d’innover de la façon la plus efficace possible. Dans ce contexte, il devient crucial de pouvoir, de façon régulière, faire ensemble des bilans scientifiques et pratiques, échanger sur nos expériences et leurs applicabilités, améliorer nos façons de faire afin d’accroître l’ampleur des résultats et accélérer la vitesse de la lutte aux changements climatiques.

Une série de conférences qui permet de regrouper la communauté mondiale de la science et de la pratique de l’adaptation

Dans le domaine de l’adaptation aux changements climatiques, la série de conférences Adaptation Futures, gérée par le Programme scientifique mondial pour l’adaptation (WASP, en anglais), sous l’égide du Programme des Nations Unies pour l’environnement, fait partie de la conférence internationale qui permet de regrouper la communauté mondiale de la science et de la pratique de l’adaptation. Depuis sa première édition en Australie, cette conférence, qui a lieu tous les deux ans depuis 2010 (figure 1), a notamment su réunir les grands projets et réseaux d’adaptation afin d’échanger sur leurs activités, résultats, extrants et retombées. Elle a aussi permis de faciliter la communication des meilleures données scientifiques disponibles, des bonnes pratiques et des leçons apprises, en plus d’offrir l’opportunité, pour les principales parties prenantes, y compris les décideurs à l’échelle locale, régionale et mondiale, tant au public qu’au privé, de se rencontrer, d’échanger des idées et de mettre en place des collaborations et des partenariats.

Lors de chaque édition, un effort particulier est dédié au renforcement des capacités des participants et participantes qui sont en début de carrière, en particulier pour les acteurs des pays du Sud qui, comme on le sait, sont les plus à risque face aux changements climatiques tout en ayant très peu contribué à la problématique. Tant le comité de direction que le comité scientifique de l’événement essaient aussi de prioriser des thématiques émergentes de façon à contribuer à une avancée plus rapide dans le développement de stratégies d’adaptation efficaces.

Le Canada accueille la septième édition à Montréal, du 2 au 6 octobre 2023

Dès 2017, puis en marge de la conférence Adaptation Futures 2018 à Cape Town, Ouranos et le gouvernement du Canada ont discuté afin de proposer la candidature du Canada pour l’édition alors prévu pour 2022. Dans le cadre d’un processus compétitif international, Ouranos a donc déposé sa candidature début 2019 et appris à la fin de cette même année que la candidature, fortement appuyée par le gouvernement du Canada, était la proposition gagnante, et que l’annonce serait faite en clôture de la prochaine conférence Adaptation Futures, prévue à New Delhi, en Inde, en… avril 2020 !

Cette conférence, ayant été reportée en octobre 2021, s’est déroulée uniquement de façon virtuelle, et a été d’une envergure moindre que par le passé. Pour les organisateurs canadiens, la pandémie a incité à revoir plusieurs aspects, notamment son format. En effet, l’apparition soudaine et massive du télétravail, tout comme le développement des outils technologiques permettant des rassemblements virtuels, ont offert l’opportunité de s’attaquer à la problématique du déplacement de milliers de personnes qui émettront des tonnes de GES, contribuant ainsi à aborder ce que certains qualifient d’hypocrisie climatique. Le contact humain direct demeurant crucial dans certains cas, notamment pour les jeunes amorçant une carrière dans le domaine et en quête de mentors, il a donc été rapidement décidé que l’édition Adaptation Futures du Canada, décalée à son tour d’avril 2022 à octobre 2023, serait un événement hybride, visant environ 1 500 personnes sur place et un nombre plus élevé de participants en ligne. Cette approche permettra notamment d’organiser une conférence plus équitable, inclusive et durable, et ce, en utilisant les approches et outils les plus performants développés dans le monde pendant la pandémie afin d’assurer des présentations percutantes malgré une participation à la fois en présentiel et en virtuel.

Un comité aviseur et un comité scientifique de calibre international et satisfaisant à une variété de critères de diversité, notamment au moins un représentant autochtone, ont permis le développement d’un programme qui permettra d’accélérer l’élan mondial en faveur de l’adaptation. Pour ce faire, ils ont aussi convenu qu’il était préférable de prioriser certains aspects, soit des problématiques qui s’amplifieront de façon importante à court terme ou des éléments de solutions qui doivent urgemment prendre leur envol afin de réduire les risques liés aux conséquences des changements climatiques. Ainsi, quatre objectifs transversaux spécifiques se sont rapidement dégagés :

  1. Apprendre des savoirs et points de vue autochtones et locaux en matière de recherches, politiques, pratiques et actions concernant l’adaptation aux changements climatiques ;
  2. Encourager l’adoption plus rapide d’une adaptation transformatrice afin d’assurer la résilience à
    long terme ;
  3. Faire valoir les voix marginalisées, notamment celles des pays du Sud, dans une démarche de justice, d’équité, de diversité et d’inclusion face aux changements climatiques ;
  4. Accélérer le mouvement dans le cadre de l’Objectif mondial d’adaptation et du Bilan mondial, et multiplier les actions pour mettre en œuvre une adaptation efficace.

Ayant pris acte de ces objectifs, et conscients de la responsabilité, en tant que communauté, à «  joindre l’action à la parole  », les comités et les organisateurs tenteront de poursuivre ces buts en organisant une conférence utilisant des moyens plus équitables, inclusifs et sobres en carbone.

De plus, aux yeux des comités, plusieurs thématiques particulières apparaissaient absolument prioritaires à aborder pour l’avenir de l’adaptation. En se basant notamment sur le dernier rapport du groupe de travail numéro 2 du GIEC, le comité scientifique de la conférence a diffusé, notamment sur les réseaux sociaux, une série de thématiques prioritaires envisagées en amont de l’appel à contribution qui aurait lieu à l’automne 2022. Cette approche collaborative et inclusive a donc permis de recueillir des commentaires de la communauté mondiale de l’adaptation au sujet des thématiques sur lesquelles l’appel à contributions serait par la suite basé. Huit thèmes prioritaires se sont dégagés.

Huit thèmes identifiés comme prioritaires pour l’avenir de l’adaptation

Les huit thèmes prioritaires ont la caractéristique de ne pas être des thèmes sectoriels, reconnaissant ainsi l’importance de réfléchir davantage de façon intégrée et favorisant, espérons-le, une meilleure intégration des solutions d’adaptation dans un monde complexe. En effet, les solutions d’adaptation pour l’agriculture ont des implications pour les écosystèmes naturels, la cohésion sociale, la santé des populations, la planification des ressources naturelles et des infrastructures, ainsi que pour le développement économique régional et national. Les huit thématiques ressortent de grandes questions auxquelles Adaptation Futures 2023 tentera de répondre :

  1. Apprendre des savoirs et savoir-faire autochtones et locaux sur l’adaptation
    Les peuples autochtones veillent sur la terre, l’eau et l’océan depuis des générations, anticipant et réagissant aux variations et aux changements du climat. Comment intégrer les savoirs autochtones et les expériences des autres détenteurs de connaissances pour assurer la résilience à long terme ?
  2. Gérer les risques multiples : risques composites, en cascade et transfrontaliers liés aux changements climatiques
    Les populations doivent affronter de nombreux défis simultanés, et les changements climatiques ne représentent que l’un des facteurs de stress. Comment prendre en considération la complexité de la situation et les interactions entre les multiples vecteurs de changements climatiques et vulnérabilités au moment de définir et de mettre en œuvre les mesures nécessaires ?
  3. Faire des choix d’adaptation : gérer les compromis et rechercher l’efficacité
    Il est essentiel d’intégrer les perspectives pour promouvoir des choix d’adaptation qui valorisent la diversité et limitent l’inadaptation. Comment faire une évaluation intégrée de l’adaptation systémique et transformationnelle et maintenir la résilience à long terme ?
  4. Lorsque l’adaptation n’est plus possible
    Les efforts d’adaptation (et d’atténuation) ne seront pas suffisants face à la complexité de tous les risques climatiques et de toutes les vulnérabilités. Alors, que faut-il faire lorsque notre capacité d’adaptation ne suffit plus pour faire face aux défis climatiques et atteindre les Objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies ?
  5. Qui sont les perdants, qui sont les gagnants et qui décide : l’équité et la justice face à l’adaptation
    Les effets des changements climatiques touchent les groupes marginalisés et vulnérables de façon disproportionnée. Les efforts pour soutenir l’adaptation doivent donc aborder les questions fondamentales d’éthique, d’équité et de justice.
  6. Le pouvoir de la nature dans l’action climatique
    Les systèmes humains et naturels sont profondément interconnectés. Davantage d’efforts sont nécessaires pour analyser la relation climat-nature-société et comprendre le potentiel offert par les approches axées sur la nature pour favoriser l’adaptation.
  7. Enseigner et apprendre à s’adapter dans un climat en évolution
    Les systèmes d’éducation doivent assurer un apprentissage efficace de l’adaptation dans un monde où, pour un grand nombre, les changements climatiques sont une réalité. Comment l’enseignement et l’apprentissage peuvent-ils inspirer l’espoir, embrasser la pluralité des savoirs et nuancer les réalités (et les souffrances) associées à la crise climatique ?
  8. Adaptation inclusive de la gouvernance et de la finance : comment y parvenir ?
    Des mécanismes de gouvernance adéquats, des processus de prise de décision efficaces et inclusifs, un environnement institutionnel et financier favorable sont essentiels pour mettre en place, accélérer et soutenir un développement résilient face aux changements climatiques. Comment y parvenir ?

De plus, les participants et participantes étant de moins en moins intéressés par des sessions scientifiques classiques où la communication est essentiellement unidirectionnelle et effectuée par la présentation détaillée de résultats et de méthodologies, les formats à favoriser sont ceux des panels interactifs, des ateliers de discussion ou toute autre approche dynamique qui permettent de maximiser la présence d’une vaste communauté, alors que les détails et résultats précis sont accessibles dans des articles et rapports.

Les défis et les opportunités de l’adaptation

Organiser une conférence internationale pour un enjeu aussi diversifié et planétaire que l’adaptation aux changements climatiques n’est pas simple. Par exemple, malgré la participation à l’identification de huit thématiques prioritaires par des leaders de l’adaptation, une part importante des articles et sessions reçus après l’appel à contributions s’alignait davantage autour de silos thématiques et organisationnels des acteurs de l’adaptation. De plus, malgré le désir des pays développés d’aider les plus vulnérables à s’adapter, les processus d’obtention de visa ou les coûts prohibitifs des conférences, même hybrides, pointent vers une multitude d’obstacles qui nuisent au développement de la capacité d’adaptation mondiale. Malgré les petits défis, il y a fort à parier que, tant pour les nombreux organisateurs et partenaires concernés que pour les participants et participantes représentant plus d’une centaine de pays, les nombreuses actions qui découleront des nombreuses rencontres seront compatibles avec le slogan de la conférence : Innover pour s’adapter ensemble. En effet, au-delà des petites barrières à l’adaptation, c’est surtout la volonté politique des individus, des organisations, des décideurs et des politiciens à innover de façon collaborative qui permettra de relever le défi de l’adaptation de la façon la plus efficace possible.

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