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Agriculture et agriculture biologique: sols en culture, émissions de N2O et transition agroécologique

Le secteur de l’agriculture est un important émetteur de gaz à effet de serre (GES). Il est possible de réduire les émissions de ce secteur grâce, entre autres, à une meilleure gestion des sols en culture. L’agriculture en mode biologique présente un fort potentiel de réduction des émissions de GES, notamment car l’utilisation d’engrais azotés de synthèse est interdite. Des travaux de recherche visent à documenter et comparer différents itinéraires agronomiques en grandes cultures biologiques en regard de leurs émissions de GES. Dans cet article, ces aspects seront sommairement présentés.

Les émissions de GES provenant de l’agriculture représentent 12 % des émissions anthropiques mondiales et 35  % de celles-ci sont associées au protoxyde d’azote (N2O). Si les émissions de GES reliées aux activités de pré- et de post-production dans le système alimentaire mondial sont incluses, celles-ci seraient responsables de 21 à 37  % des émissions (GIEC, 2019). L’agriculture engendrerait 70 % des émissions mondiales de N2O d’origine humaine et celles-ci sont surtout reliées aux apports d’azote sur les sols en culture. Le N2O est un puissant GES avec un potentiel de réchauffement global 298 fois plus élevé sur 100 ans qu’une molécule de dioxyde de carbone (CO2), en plus d’affecter la couche d’ozone. Selon l’Organisation météorologique mondiale, il contribue à 7 % du forçage radiatif positif, soit l’équilibre entre le rayonnement solaire entrant et les émissions de rayonnements infrarouges sortant de l’atmosphère, et sa concentration augmente annuellement.

Au Canada, en 2018, 10  % des émissions anthropiques de GES provenait de l’agriculture (ECC, 2020). L’application d’engrais azotés de synthèse représentait 15 % de ce pourcentage via les émissions de N2O associées, soit 11 Mt équivalent CO2. Les sources directes d’émissions de N2O attribuables aux sols agricoles sont les engrais azotés de synthèse, les engrais azotés organiques, les déjections animales, les enclos des animaux, les résidus de culture, la minéralisation de matières organiques du sol et la culture en sol organique. Pour cette même année au Québec, le secteur de l’agriculture a contribué pour 9,6  % des émissions de GES (MELCC, 2020). Le N2O contribue à hauteur de 40  % de ces émissions et celles-ci proviennent à 79  % de la gestion des sols agricoles et à 21  % de la gestion des engrais de ferme. De 1990 à 2018, les émissions reliées à la gestion des sols agricoles ont augmenté de 25  %. Cette hausse serait principalement due à la progression annuelle des applications d’engrais azotés de synthèse ainsi qu’au changement de techniques de travail du sol, soit l’augmentation du travail minimal du sol.

Encadré: Le procédé Haber-Bosch

Ce procédé inventé en 1913 consiste à produire de l’ammoniac (NH3) à partir d’azote atmosphérique (N2), un gaz qui représente 78  % de la composition de l’atmosphère, et d’hydrogène issu du méthane. Un pour cent des émissions anthropiques de GES proviendrait de ce procédé, alors qu’elle ne sont pas comptabilisées dans l’inventaire du Québec puisque générées hors Québec. Cette production d’ammoniac, de laquelle différentes formulations d’engrais azotés de synthèse sont ensuite dérivées, est essentielle étant donné sa contribution à la production d’aliments sur la planète. La synthèse biochimique de NH3 via l’entremise de la fixation d’azote atmosphérique par des microorganismes est un mécanisme beaucoup moins énergivore et celle-ci concerne principalement des légumineuses comme le soya, le trèfle et le pois en symbiose avec des bactéries fixatrices via des nodosités situées sur leurs racines (Larbodière et al., 2020).

C’est cette synthèse qui est valorisée et favorisée dans les agrosystèmes biologiques via l’inclusion de légumineuses dans les rotations afin de fournir de l’azote au sol et subséquemment, via notamment la minéralisation de la matière organique du sol, aux plantes ne disposant pas de cette propriété. Il s’agit donc ici d’une substitution d’un intrant de synthèse par un processus biochimique.

Émissions de N2O et sols en culture

Tous les sols dégagent de manière naturelle du N2O, mais les sols en culture en émettent davantage en raison principalement des applications d’azote sous forme d’engrais de synthèse et d’engrais de ferme (fumiers, lisiers, purins, composts). Ces émissions sont reliées à deux principaux processus microbiologiques : la nitrification (oxydation de l’ammonium NH4+ en nitrate NO3-) et la dénitrification incomplète (réduction du nitrate NO3- en N2O). Selon Le Gall et al. (2014), plusieurs microorganismes possèdent la faculté de transformer les nitrates en nitrites (NO2-), mais seule une petite partie est capable de transformer les nitrites en composés gazeux, à savoir en N2O puis en N2. En particulier, la capacité des microorganismes à réduire le N2O en N2 serait relativement rare, ce qui se traduit donc par des émissions de N2O (Figure 1).

Figure 1. Le cycle de l’azote. Source : Brouquisse et Puppo (2019)

La nitrification et la dénitrification dépendent des conditions du milieu, en particulier de la température et de l’humidité du sol, ainsi que de la disponibilité en substrats (azote minéral ou organique et carbone organique) et en oxygène. Pour la dénitrification, la saturation en eau du sol est l’un des paramètres les plus importants puisqu’elle réduit la disponibilité de l’oxygène dans le sol, les nitrates étant alors utilisés par des microorganismes comme source d’oxygène.
Les émissions de N2O varient selon les précipitations, les cultures et le drainage, la température et les propriétés du sol (Rochette et al., 2018) dont la compaction, qu’elle soit naturelle ou anthropique. Des modèles d’émission ont été développés afin de préciser le facteur d’émission, un facteur utilisé dans les inventaires de GES. Ainsi, le logiciel Holos développé par Agriculture et Agroalimentaire Canada permet d’obtenir une estimation des émissions de N2O pour une entreprise agricole et de dégager des pratiques qui réduisent ou augmentent celles-ci.

Peu importe qu’il s’agisse d’une molécule de NO3- provenant d’un engrais de synthèse ou organique, puisqu’il n’y a chimiquement aucune différence entre celles-ci : plus il y a d’azote apporté, plus il y a émission de N2O, et ce, d’autant plus lorsqu’aucun couvert végétal n’est présent pour utiliser cet azote comme nutriment. C’est pourquoi beaucoup d’efforts sont consacrés pour éviter les apports excessifs d’azote en tentant de synchroniser les besoins des cultures avec les apports, notamment pour la culture du maïs-grain étant donné son importante superficie et son besoin élevé en azote. Depuis les années 1980, ces efforts sont constants au Québec, bien avant la reconnaissance des conséquences des émissions de N2O sur le climat. Les excès d’apports d’azote et de phosphore sous forme minérale ou organique par rapport au besoin des cultures et à la capacité d’adsorption des sols avaient alors entrainé une forte dégradation de plans d’eau (eutrophisation) et de nappes phréatiques (nitrates) et la volatilisation d’ammoniac (pollution de l’air et acidification des sols). Et cela, sans compter la perte économique que représente l’ajout d’engrais inutilisé par la culture.

Les grandes cultures du Québec selon le mode de production

Les grandes cultures annuelles du Québec triées par ordre d’importance en termes de superficie cultivée en 2019 sont le maïs-grain (382 500 ha), le soya (366 700 ha), les céréales à paille (blé, avoine et orge, 218 200 ha) et le canola (12 100 ha), soit la culture des grains, qui sont principalement destinés à l’alimentation animale.
Au total, 979 500 ha ont été semés en 2019, soit plus de la moitié de la superficie totale en culture du Québec. Pour cette même année et ces mêmes cultures au Québec, la superficie cultivée en mode biologique a été de 38 932 ha selon le Portail Bio Québec, soit 4 % de l’ensemble. Il s’agit d’un pourcentage en constante progression puisque celui-ci était de 2,4 % en 20161.

L’agriculture biologique

La Fédération internationale des mouvements pour l’agriculture biologique (IFOAM) définit l’agriculture biologique comme : «  un système de production qui soutient la santé des sols, des écosystèmes et des personnes. Elle repose sur des processus écologiques, une biodiversité et des cycles adaptés aux conditions locales, plutôt que sur l’utilisation d’intrants ayant des effets néfastes. L’agriculture biologique combine la tradition, l’innovation et la science pour bénéficier de l’environnement partagé et promouvoir des relations équitables et une bonne qualité de vie pour tous les acteurs  ». Les engrais de synthèse, pesticides de synthèse et plantes OGM (organisme génétiquement modifié) sont interdits. Pour distinguer agriculture conventionnelle et biologique, on pourrait donc utiliser les termes Agriculture avec intrants de synthèse et plantes OGM et Agriculture sans intrants de synthèse et plantes OGM.
Cette interdiction est définie dans la Norme biologique canadienne. Le respect de celle-ci est assuré par des organismes de certification, autant pour les aliments produits au Québec que pour ceux importés. Ce processus garantit en finalité aux consommateurs que le mode biologique a été respecté. Ainsi, par rapport à d’autres agrosystèmes non normés et non certifiés dits durables et associés à l’agriculture conventionnelle (Larbodière et al., 2020), ce processus assure l’obtention de gains en termes de réduction des GES et d’autres impacts sur l’environnement, des externalités dites négatives. La conversion d’une superficie de culture en mode conventionnel au mode biologique présente ainsi un bénéfice quantifiable et vérifiable en termes de réduction de la détérioration de l’environnement sur cette surface. Nous reviendrons sur les comparaisons environnementales entre les modes de production conventionnelle et biologique sur la base d’unités de surface et d’unités de rendement.

Une expérimentation sur les émissions de GES en grandes cultures biologiques

En 2018 et 2019, nous avons effectué une expérimentation sur la ferme du Centre d’expertise et de transfert en agriculture biologique et de proximité (CETAB+) située à l’Institut national d’agriculture biologique (INAB) du Cégep de Victoriaville, afin de mesurer les émissions directes saisonnières de GES selon différentes pratiques agricoles (Gagné et al., 2020). L’objectif du projet était de documenter et comparer des itinéraires agronomiques utilisés en grandes cultures biologiques durant la période de transition (trois ans) d’une terre conventionnelle au biologique en regard de ses émissions de GES dans le cadre d’une rotation annuelle typique céréales, maïs-grain et soya.

Les trois itinéraires agronomiques en parcelles selon les trois années ont été les suivants :

  • A : Orge avec trèfle rouge, fumier de poulet au printemps suivi d’un labour avant le maïs-grain, labour au printemps avant le soya;
  • B : Orge avec trèfle rouge et labour à l’automne, fumier de poulet au printemps et incorporation de celui-ci en surface avant le maïs-grain, labour au printemps avant le soya;
  • C : Orge avec trèfle rouge fauchée à épiaison et labour à l’automne, aucune application de fumier l’année du maïs-grain, labour au printemps avant le soya.

Étonnamment, les rendements du maïs-grain ont été équivalents peu importe le traitement, soit une excellente moyenne 10,5 t/ha. Il faut cependant noter que la fertilité naturelle du sol de ce site est élevée : bonne porosité (aération), forte teneur en matière organique et bonne minéralisation de l’azote organique associée à une activité biologique élevée, drainage naturel favorable, etc. Avoir une excellente fertilité naturelle du sol est un objectif primordial en mode biologique, particulièrement pour la nutrition en azote de cultures exigeantes comme le maïs-grain. L’utilisation d’un sol dégradé ou avec une faible fertilité naturelle est non viable.

Les résultats en termes d’émissions de N2O pour le maïs-grain en 2018 selon les trois traitements sur une base de surface sont présentés à la Figure 2, et sur une base d’unité de rendement à la Figure 3.

Figure 2. Histogramme des émissions saisonnières de N2O en 2018 par traitement (kg/ha) pour le maïs-grain.
Figure 3. Histogramme des émissions saisonnières de N2O en 2018 par traitement (kg/tonne de rendement) pour le maïs-grain.

En résumé, avec les conditions climatiques de 2018, les émissions de N2O ont été les plus élevées pour le traitement A, soit l’incorporation du fumier par labour; suivi du traitement B, soit l’incorporation superficielle du fumier; et les plus faibles pour le traitement C, sans fumier, soit avec seulement les engrais verts enfouis l’année précédente comme source externe de fertilisant azoté.

Ainsi, il est possible de réduire les émissions de N2O tout en obtenant des rendements économiquement viables sans utiliser d’engrais azotés de synthèse (et idéalement avec peu ou sans engrais de ferme). Cette situation se retrouve déjà chez de nombreuses entreprises en grandes cultures biologiques. Il faut noter que les coûts d’achat des engrais et pesticides de synthèse sont élevés et leur utilisation inefficace peut donc diminuer les marges de rentabilité chez les entreprises en grandes cultures conventionnelles. De plus, les producteurs en mode biologique reçoivent un montant plus élevé (une prime) pour leur production de grains et celui-ci est justifié par l’offre et la demande puisque les consommateurs achètent à des prix souvent plus élevés des aliments produits selon ce mode de production. Ainsi, bien que produisant actuellement des rendements souvent inférieurs, les producteurs de grandes cultures biologiques obtiennent des revenus adéquats par rapport aux coûts de production.

En complément, nous avons évalué l’incidence de la conversion en mode biologique de la culture du maïs-grain pour l’ensemble du Québec sur la réduction des émissions de N2O en comparant les émissions saisonnières directes mesurées lors de ce projet avec les émissions directes de cette culture selon une estimation obtenue avec le logiciel Holos, soit 3,7 kg N2O/ha pour du maïs-grain cultivé avec des engrais azotés de synthèse. Cette réduction théorique est considérable, et ce, sans tenir compte des émissions de GES évitées associées à la fabrication des engrais azotés avec le procédé Haber-Bosch (encadré 1). Une réduction qui justifierait la mise en place d’un système de crédit compensatoire collectif associé au mode biologique. Nous poursuivons actuellement nos recherches par la mesure d’émissions de GES et de teneurs en carbone organique du sol dans le cadre d’un dispositif longue durée en grandes cultures biologiques où plusieurs itinéraires agronomiques (rotation, fertilisation, travail du sol) sont expérimentés (Figure 4).

Figure 4. Le dispositif longue durée en grandes cultures biologiques du CETAB+ à l’INAB (crédit photo : CinéOr)

Conclusion

Il est reconnu, et personne ne le conteste, que les rendements en mode biologique sont souvent plus faibles que ceux en mode conventionnel. Les centaines d’études qui comparent les deux modes arrivent globalement aux mêmes conclusions : les impacts environnementaux du mode biologique, dont les émissions de GES, sont généralement moindres sur une base d’unités de surface (Sautereau et Benoit, 2016; Skinner et al., 2019) et cette diminution est beaucoup moins évidente sur une base d’unités de rendement (Clark et Tilman, 2017). Cette question de plus faibles rendements a récemment fait l’objet de quelques débats au Québec. L’agronome Louis Robert a bien résumé ceux-ci dans un article d’opinion2.

Se nourrir est le premier besoin des humains. La demande mondiale actuelle et future en aliments pourrait être satisfaite si les diètes étaient composées de moins de viandes et de plus de végétaux (céréales et légumes), si les pertes et gaspillages d’aliments étaient réduits et si les aliments étaient distribués de manière plus équitable. Il s’agit d’objectifs ambitieux et leurs réalisations sont parsemées d’embûches. Notons également que 1,9 milliard d’adultes étaient en surpoids ou obèses en 2014 selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Le moment est propice à une transition écologique de notre système alimentaire complexe et mondialisé, mais des intérêts économiques importants sont en jeu. L’agriculture conventionnelle n’est pas nécessairement une catastrophe alors que l’agriculture biologique n’est pas la solution miracle bien qu’elle puisse grandement contribuer à réduire les impacts environnementaux associés à la production d’aliments (Barbieri et al., 2021).

Mais, au Québec, l’alternance maïs-grain et soya avec une forte utilisation d’engrais et pesticides de synthèse sans l’intégration de pratiques agroécologiques n’est pas un système de production durable. Un changement majeur ne sera possible qu’avec des politiques concertées selon l’intérêt public et soutenues par les populations et les organisations paragouvernementales (Mundler, 2020). La transition agroécologique de l’agriculture, dont le mode biologique, se met en place graduellement. Toutefois, considérant la forte contribution de l’agriculture aux émissions de GES, celle-ci devra s’effectuer plus rapidement face à l’urgence climatique.

Pour plus d’information sur l’évolution et le soutien du mode de production biologique au Québec et ailleurs, le lecteur peut consulter un rapport de l’Union des producteurs agricoles du Québec. https://www.upa.qc.ca/wp-content/uploads/filebase/Analyse_soutien_AG_BIO_QC-CAN-International_PUBLICATION_UPA_2021-03-08.pdf

L’agriculture de demain sera-t-elle bio ou traditionnelle?
https://www.mapaq.gouv.qc.ca/fr/Regions/monteregie/articles/production/Pages/agriculture-demain-bio-traditionnelle.aspx

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