Enjeux de société

Analyse des facteurs influençant l'adoption de comportements écoresponsables dans l'industrie de la construction: une revue systématique des leviers et obstacles

L’industrie de la construction est reconnue comme l’une des principales sources de pollution à l’échelle mondiale, dont certains chiffres sont donnés ci-dessous (Gouvernement du Canada, 2022). Cette activité génère une série de problématiques environnementales, notamment une production considérable de déchets, l’émission de quantités massives de gaz à effet de serre (GES), ainsi que l’utilisation intensive de ressources non renouvelables. Au Canada, le secteur de la construction se classe au troisième rang des plus grands émetteurs de GES, représentant 13,1 % des 674 millions de tonnes de CO2 émises en 2020. Jusqu’à 50 % des déchets dans les décharges municipales canadiennes proviennent de ce secteur, totalisant plus de 9 millions de tonnes annuellement.

Les effets environnementaux négatifs de l’industrie de la construction sont également observés à l’échelle mondiale. En Chine, par exemple, cette industrie génère plus d’un milliard de tonnes de déchets et est responsable de 25 % des GES du pays. Des situations similaires sont relevées en Australie et au Royaume-Uni. Malgré ces constats, une sensibilisation croissante émerge parmi les acteurs du secteur, alimentée par des courants comme celui de l’économie circulaire, qui encourage la réduction des déchets, le recyclage, la réutilisation des matériaux et une meilleure conception (réduction de la consommation de ressources, durée de vie plus longue, réparabilité, etc.).

Le « verdissement » de l’industrie de la construction nécessite une approche multidimensionnelle. Bien que certaines politiques environnementales soient mises en place, leur incidence sur les comportements du personnel sur les chantiers reste mitigée, comme le soulignent Francoeur et Paillé (2022). La présente étude poursuit dans la lignée de ces auteurs en proposant d’étudier les comportements écoresponsables du personnel de ce secteur, en cherchant à identifier les facteurs qui les favorisent ou les entravent.

Méthodologie

La méthodologie adoptée dans cette recherche est une revue systématique de la littérature, une approche rigoureuse visant à identifierde manière exhaustive les articles pertinents liés à notre domaine d’intérêt. Contrairement à la revue narrative, la revue systématique se caractérise par un protocole méthodologique structuré et reproductible, garantissant ainsi une identification, une sélection et une évaluation critiques et systématiques des recherches pertinentes pour une question de recherche en particulier (Snyder, 2019). Cette approche est devenue de plus en plus courante dans le domaine de la gestion environnementale (Yuriev, Boiral, Francoeur et Paillé, 2018).

Le processus de recherche a débuté par une exploration des revues spécialisées en environnement et en construction afin de déterminer les mots-clés pertinents. Ensuite, une recherche basée sur une chaîne de mots-clés validés par des spécialistes dans le domaine de l’environnement a été menée dans la base de données Web of Science, aboutissant à la collecte initiale de 3 545 articles sur une période de 20 ans. Les articles ont ensuite été gérés à l’aide du logiciel Endnote. Leur pertinence a été évaluée en premier lieu par la lecture des titres et des résumés, ce qui a mené à la sélection de 127 articles, selon les critères d’inclusion. Après une évaluation complète, l’échantillon a été réduit à 47 articles.

Résultats

Les résultats de cette étude révèlent neuf grandes catégories de leviers et de freins à l’adoption de comportements écoresponsables dans le secteur de la construction. En examinant les divers aspects influençant les pratiques environnementales des entreprises du bâtiment, cette recherche met en lumière les défis et les opportunités clés dans la transition vers une construction plus durable. À l’aide d’une approche systématique, les facteurs identifiés sont classés en fonction de leur effet sur différents aspects et niveaux de processus de construction, allant de la politique industrielle et du marché à la perception et aux valeurs des parties prenantes et de la main-d’œuvre concernées (voir figure 1).

La figure 2 présente le nombre d’articles qui traitent des différentes catégories, fournissant ainsi une vue d’ensemble quantitative des thèmes abordés dans la littérature concernant les comportements éco-responsables dans le secteur de la construction.

Gestion des matériaux et de la technologie

La revue systématique a révélé que la gestion efficace des matériaux et de la technologie représente un enjeu majeur pour l’industrie de la construction, soulignant les difficultés rencontrées dans la commande, la gestion et le recyclage des matériaux. Ces défis sont exacerbés par les contraintes technologiques. Toutefois, selon Gangolells et al. (2014), des améliorations sont en train d’émerger, notamment par une optimisation de l’utilisation des matériaux et une réduction des déchets. L’intégration de pratiques durables dès la conception des projets offre également une voie vers la réduction de l’empreinte environnementale de l’industrie, en promouvant l’achat de matériaux labélisés (qui ont donc été certifiés pour leurs propriétés durables), en minimisant les retouches ou en intégrant des technologies bas carbone.

Méthodes de construction

Cette catégorie met en lumière les défis liés aux méthodes de construction traditionnelles qui ont des conséquences négatives sur l’environnement. Les problématiques telles que la congestion des chantiers, le manque d’espace et d’installations mises en place pour recycler ou traiter correctement les déchets sont autant d’obstacles à surmonter pour favoriser la durabilité. La standardisation des matériaux, orientée vers des critères environnementaux et une meilleure disponibilité de l’espace pour le recyclage et l’entreposage propre, dès la conception, associée à l’utilisation de composants préfabriqués, représentent des stratégies clés pour une industrie plus respectueuse de l’environnement (Gangolells et al., 2014).

Stratégie de gestion

La stratégie de gestion dans l’industrie de la construction révèle un ensemble complexe de défis, y compris les lacunes dans la planification et l’exécution des projets, les problèmes de coordination entre les différents intervenants, ou encore le manque de contrôle et de supervision sur la gestion des déchets. Néanmoins, des leviers importants peuvent être mobilisés pour surmonter ces obstacles, tels que : l’établissement précoce de plans de gestion des déchets et l’introduction de clauses contractuelles incitant au recyclage et à la minimisation des déchets. Un autre aspect réside dans l’amélioration de la communication et de la collaboration au sein des équipes de projet, qui peuvent être facilitées par la clarification des rôles et responsabilités et le renforcement des mécanismes de mise en œuvre (Yin et al., 2018).

Politique industrielle et marché

Les politiques industrielles et les dynamiques du marché jouent un rôle prépondérant dans la transition écologique de l’industrie de la construction. Les résultats de cette étude mettent en évidence les défis majeurs tels que le manque de volonté des investisseurs, l’ambiguïté des clauses contractuelles, le manque de clarté dans les politiques environnementales et le déficit de soutien gouvernemental pour les initiatives durables (Chan et al., 2022). Face à ces obstacles, certains leviers apparaissent : Giorgi et al. (2022) expliquent par exemple que la création de normes ISO promouvant des comportements écoresponsables, la reformulation des politiques d’achat pour intégrer des critères de durabilité et l’incorporation de l’économie circulaire dans les exigences contractuelles constituent des mesures potentiellement transformatrices. De plus, l’engagement gouvernemental à travers l’élaboration de réglementations et de politiques favorables à l’environnement est crucial pour accélérer le passage à des pratiques de construction plus écologiques. L’adoption de mesures incitatives, telles que des récompenses pour les performances en matière de durabilité ou des pénalités pour la gestion inadéquate des déchets, peut également encourager une adoption plus large de pratiques durables au sein de l’industrie (Rios et al., 2021).

Résistance aux changements

La résistance au changement représente un obstacle majeur à l’adoption de pratiques durables dans l’industrie de la construction. Cette catégorie souligne la difficulté de modifier les comportements enracinés et les méthodes de travail traditionnelles au profit de nouvelles approches écologiques. La réticence à abandonner les pratiques traditionnelles est souvent renforcée par la perception de risques financiers et de complexités opérationnelles associées aux innovations durables (Chan et al., 2022). De plus, la culture de l’industrie, marquée par une préférence pour le statu quo et un scepticisme envers la nouveauté, contribue également à cette résistance.

Éducation et savoir

L’éducation et la formation représentent des leviers fondamentaux pour accroître la capacité de l’industrie de la construction à adopter des pratiques écoresponsables. Cette catégorie met de l’avant le manque de connaissances spécialisées en matière de durabilité, tant parmi le personnel de l’entreprise que chez les sous-traitants, comme un frein à l’évolution vers une construction plus écologique. Le déficit de compétences en construction durable, combiné à une formation insuffisante sur les techniques de réduction des déchets et d’optimisation de l’utilisation des ressources, limite la capacité de l’industrie à mettre en œuvre efficacement des pratiques durables. Pour remédier à ces lacunes, Lu et Yuan (2010) proposent de développer des programmes de formation et de sensibilisation exhaustifs, d’intégrer des modules de construction durable dans les curricula universitaires et de promouvoir la formation continue en matière d’écoconception et de gestion des déchets auprès des spécialistes du secteur.

Perception et valeurs

L’adoption de pratiques durables dans l’industrie de la construction est influencée par les attitudes, perceptions et valeurs individuelles. Cette dimension psychologique et culturelle s’avère être présente pour instaurer un changement durable. Un levier possible consisterait donc à renforcer la sensibilisation aux enjeux environnementaux et à promouvoir une culture organisationnelle qui place la durabilité au cœur de ses priorités. Cela implique non seulement la démystification du développement durable, mais également la valorisation des initiatives individuelles et collectives en faveur de l’environnement. L’intégration de principes écoresponsables dans la mission et les valeurs de l’entreprise, ainsi que chez les membres du personnel recrutés, contribue à créer un environnement propice au changement, où chaque acteur se sent mobilisé et motivé à agir de manière durable (Rios et al., 2021).

Réputation/Image

Une réputation solide en matière de durabilité peut devenir un atout concurrentiel majeur pour les entreprises de la construction. La clientèle, les investisseurs et les partenaires sont de plus en plus attentifs aux performances environnementales des entreprises avec lesquelles ils s’associent. Par conséquent, construire et maintenir une image positive liée à des engagements durables authentiques peut favoriser l’acquisition de nouveaux contrats ou encore attirer des talents soucieux (Durdyev et al., 2018).

Viabilité financière

La viabilité financière et la perception des coûts influencent l’attitude des individus envers le recyclage des déchets de construction et de démolition. Les défis économiques tels que les coûts supplémentaires, le temps additionnel requis et le manque de connaissance des technologies représentent des barrières à l’adoption de pratiques durables pour Durdyev et al. (2018). Les surcoûts liés à la nécessité d’une surveillance accrue, l’absence d’incitations financières et les besoins économiques jugés plus prioritaires découragent l’engagement envers des pratiques écoresponsables. Cependant, des économies peuvent être réalisées grâce à la réduction du gaspillage de matériaux et des coûts d’élimination des déchets. Les investissements initiaux élevés et les longues périodes de récupération des coûts constituent des obstacles importants, mais l’offre d’incitatifs financiers, les subventions et les crédits d’impôt peuvent encourager une transition vers la durabilité (Rios et al., 2021).

Conclusion

Dans un contexte où l’industrie de la construction est confrontée à une pression croissante pour réduire son impact environnemental, cette étude a exploré les facteurs facilitant et entravant l’adoption de comportements écoresponsables au sein du secteur. À l’aide d’une revue systématique, nous avons mis en évidence neuf catégories majeures de leviers et de freins, allant de la gestion des matériaux et de la technologie, des méthodes de construction et de la stratégie de gestion jusqu’à la perception et aux valeurs des acteurs concernés. Cette recherche souligne l’importance cruciale d’une approche holistique et multidimensionnelle pour surmonter les obstacles à la durabilité comportementale dans l’industrie de la construction.

Pour conclure, notre recherche offre une perspective sur les dynamiques complexes qui influencent l’adoption de comportements écoresponsables dans l’industrie de la construction. Elle contribue à la littérature existante en fournissant des points d’action clairs pour les instances décisionnelles, les professionnels et professionnelles et les chercheurs et chercheuses désireux de promouvoir une construction plus durable. Il est important de noter, cependant, que bon nombre des articles cités dans cette étude remontent à quelques années déjà, soulignant ainsi le besoin d’actualiser les études de terrain pour maintenir la pertinence des recommandations à l’évolution du secteur. De plus, il existe une disparité géographique dans les publications étudiées, nombre d’articles provenant d’Asie et d’Europe, mais peu du reste du monde, comme la figure 3 le décrit.

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