Droit et politique

Bilan climatique de l’administration Biden : distinguer le possible du souhaitable

Le 20 janvier 2021, l’assermentation du démocrate Joe Biden en tant que 46e président des États-Unis met fin à quatre années de démantèlement, sous Donald Trump, de la capacité du gouvernement fédéral américain à lutter contre les changements climatiques (Cloutier-Roy, 2020). Le pouvoir passe alors aux mains d’une administration ayant annoncé en campagne électorale une vision ambitieuse concernant l’enjeu climatique. Les deux premières années de pouvoir de l’administration Biden ont d’ailleurs été témoin d’un retour des enjeux climatiques au cœur des priorités de la Maison-Blanche. Sans être optimaux, les progrès réalisés en 2021 et en 2022 reflètent néanmoins la capacité limitée du président d’opérer des changements en profondeur. Il est tout de même permis d’espérer qu’une partie de ces progrès pourrait perdurer, et ce, même si les républicains devaient reprendre le pouvoir au terme des élections de 2024.

Des promesses aux résultats

Entre une pandémie sans précédent et une insurrection ayant menacé le transfert du pouvoir, l’élection de 2020 a laissé peu de place aux débats politiques de fond. Pour la première fois de son histoire, le Parti républicain ne s’est même pas doté d’une plateforme, se contentant d’affirmer son appui indéfectible envers le président Trump. Cela étant dit, le Parti démocrate s’est de son côté doté d’une des plateformes les plus progressistes de son histoire. Considéré comme un modéré au sein des démocrates, Biden veut cependant éviter une répétition du scénario de 2016, quand Hillary Clinton n’avait pas réussi à rallier suffisamment les partisanes et partisans du démocrate-socialiste Bernie Sanders. Biden s’assure ainsi d’inclure des proches de Sanders (également candidat lors des primaires présidentielles de 2020) dans l’élaboration de la plateforme démocrate. En environnement, l’influence des progressistes est palpable : le mot «  climate  » (climat) apparaît 63 fois et, pour la première fois, on y évoque le concept de «  justice climatique  » (Democratic Party, 2020).

Pour Biden, se concentrer sur l’enjeu climatique est logique : non seulement cela lui permet de galvaniser l’aile gauche démocrate sans se mettre à dos les modérés du parti, mais ce choix établit une distinction nette par rapport au climatosceptique Donald Trump, au moment où les deux tiers de la population américaine affirment que le gouvernement fédéral n’en fait pas assez pour lutter contre les changements climatiques (Tyson et Kennedy, 23 juin 2020). L’engagement de Biden va toutefois au-delà du calcul électoral. L’ancien sénateur du Delaware fait en effet partie de cette génération de démocrates arrivés au Congrès au cours des années 1970, à une époque où les enjeux environnementaux étaient considérablement moins politisés et mobilisaient les membres des deux partis, dont Biden. Celui-ci s’est d’ailleurs plusieurs fois vanté au cours de la campagne d’avoir été l’instigateur du premier projet de loi adopté en lien avec les changements climatiques, en 1987 (Kruzel, 8 mai 2019). En campagne, Biden promet un «  plan pour une révolution énergétique propre et pour la justice environnementale  » qui inclut une production énergétique carboneutre d’ici 2050, la construction d’infrastructures résilientes pour confronter la crise climatique, le retour du leadership américain sur la scène internationale et la protection des communautés défavorisées contre les abus des compagnies polluantes. Ces engagements doivent être financés par des investissements de 1  700  milliards de dollars US sur 10  ans. Pour rallier la population à son plan pharaonique, Biden promet la création de 10 millions d’emplois dans le secteur des énergies vertes. Optimiste, le démocrate s’inscrit dans le «  consensus sternien  » (du nom de l’économiste britannique Nicholas Stern), selon lequel la lutte contre les changements climatiques peut alimenter la croissance économique grâce aux investissements dans la transition énergétique (Séguin, 2022).

Devenu président, Biden pose une série de gestes en lien avec les enjeux climatiques, qui incluent des actions administratives, législatives et de politique internationale. Du côté administratif, il fait paraître dans les heures suivant son entrée en fonction le décret intitulé Protecting Public Health and the Environment and Restoring Science to Tackle the Climate Crisis, demandant aux agences fédérales de prioriser la crise climatique et de réviser les directives de l’administration Trump qui contrediraient cette consigne. On leur demande par ailleurs de privilégier l’aide aux communautés défavorisées subissant de manière disproportionnée les effets de la pollution et des changements climatiques. Le décret annule également le permis de construction de l’oléoduc canado-américain Keystone XL, un projet présenté comme contraire à l’intérêt national américain. Le 27 janvier 2021, un second décret, intitulé Tackling the Climate Crisis at Home and Abroad, confirme la création d’un poste d’envoyé du président pour le climat, chargé de représenter l’administration lors des négociations internationales. Ce poste est confié à John Kerry qui, à titre de secrétaire d’État de Barack Obama, a participé aux négociations autour de l’adoption de l’Accord de Paris sur le climat en 2015. Le décret annonce également la création d’un bureau de la Maison-Blanche pour les politiques climatiques et d’un groupe de travail national sur le climat, regroupant la plupart des membres du cabinet et dirigé par la conseillère nationale sur le climat (l’ancienne administratrice de l’Environmental Protection Agency Gina McCarthy jusqu’en septembre 2022). Finalement, en octobre 2022, la Maison-Blanche fait paraître sa stratégie de sécurité nationale (NSS), un exercice auquel se livre chaque administration et consistant à identifier les menaces auxquelles sont confrontés les États-Unis. Le mot «  climate  » apparaît 63 fois dans ce document de 48  pages et la crise climatique y est décrite comme une menace existentielle pour l’ensemble des nations de la planète. Cette (re)sécurisation de l’enjeu climatique offre un contraste frappant par rapport à la NSS de l’administration Trump, qui, en 2017, avait complètement laissé de côté la menace climatique sinon pour faire état du danger pour les intérêts économiques et énergétiques des États-Unis incarné par les militants ayant un anti-growth-energy agenda !

Sur le plan législatif, la Maison-Blanche doit composer avec des majorités démocrates minimales au Congrès. Malgré cette contrainte, plusieurs des projets de loi importants adoptés lors du 117e Congrès (2021-2022) incluent des éléments liés à la crise climatique et à la transition énergétique. Adopté en mars 2021 pour relancer l’économie américaine après la crise de la COVID, l’American Rescue Plan Act comprend plusieurs centaines de milliards de dollars pour financer le transport en commun et pour aider les gouvernements locaux à moderniser leurs infrastructures pour faire face aux changements climatiques (Meyer, 10 mars 2021). L’Infrastructure Investment and Job Act de novembre 2021 est quant à lui un gigantesque plan d’infrastructure de 1 200 milliards de dollars US, dont 50 milliards pour aider les communautés américaines à faire face aux conséquences des changements climatiques et 65 milliards pour la modernisation des infrastructures électriques et la transition énergétique. Finalement, l’Inflation Reduction Act d’août 2022 prévoit des centaines de milliards de dollars en investissements et en incitatifs fiscaux pour accélérer la transition énergétique. Bien que les sommes prévues ne représentent qu’une fraction des 1 700 milliards de dollars US promis en campagne, la loi est accueillie avec enthousiasme par une grande partie de la communauté scientifique, qui salue le fait qu’elle devrait aider les États-Unis à atteindre la carboneutralité d’ici 2050 (Seltzer, 2022).

Finalement, le président Biden signale rapidement le retour des États-Unis dans la lutte mondiale contre les changements climatiques. Dans les heures suivant son assermentation, il annonce la réintégration du pays dans l’Accord de Paris. En avril 2021, la Maison-Blanche organise un sommet des leaders sur le climat, auquel participent 38 chefs d’État et de gouvernement (dont les adversaires Xi Jinping et Vladimir Poutine). Au terme de ce sommet, tous les participants prennent de nouveaux engagements en matière de réduction de GES qui, s’ils sont respectés, rapprocheront la communauté internationale de la cible mise de l’avant par l’Accord de Paris de limiter à 1,5 degré la hausse des températures (Climate Action Tracker, 23 avril 2021).

Quel bilan ?

Pour faire le bilan climatique de l’administration Biden à mi-mandat, il est important de distinguer le possible du souhaitable. Certes, Biden n’a pas rempli certaines de ses promesses les plus ambitieuses de la campagne de 2020. Cependant, on ne doit pas perdre de vue les contraintes extraordinaires ayant pesé sur son administration. Celles-ci sont de trois ordres : dans un premier temps, le président doit composer avec les contraintes institutionnelles d’un système politique fragmenté caractérisé par une séparation des pouvoirs verticale (entre les pouvoirs du gouvernement fédéral et des États) et horizontale (entre le pouvoir exécutif du président, le pouvoir législatif du Congrès et le pouvoir judiciaire de la Cour suprême). Cette double séparation des efforts fait en sorte, à titre d’exemple, que la Maison-Blanche ne peut pas intervenir dans les politiques environnementales d’un État sans risquer d’être déboutée par les tribunaux et ne peut pas décider de dépenser pour la transition énergétique des fonds qui n’auraient pas été votés par le Congrès. Au niveau fédéral, la fragmentation du pouvoir ralentit le processus politique. Le temps devient une denrée précieuse pour le président, qui dispose d’une fenêtre restreinte pour adopter les éléments les plus ambitieux de son programme.

Dans un deuxième temps, Biden évolue dans un contexte de polarisation exacerbée. Avec des majorités minimales au Sénat et à la Chambre lors du 117e Congrès, la Maison-Blanche ne pouvait pas compter sur des appuis républicains et ne disposait ainsi d’aucune marge de manœuvre pour faire avancer son programme environnemental. Elle a donc dû multiplier les concessions envers les démocrates plus modérés tels que les sénateurs Joe Manchin (Virginie-Occidentale) et Kyrsten Sinema (Arizona). Arrivé au Sénat en 1973, Biden peut témoigner de comment la montée inexorable de la polarisation s’est avérée délétère pour les politiques environnementales. La polarisation peut par ailleurs avoir des effets sur le long terme. Ainsi, la nomination de trois juges à la Cour suprême sous Donald Trump a permis l’avènement d’une supermajorité conservatrice qui risque de peser longtemps dans la lutte contre les changements climatiques, comme en fait foi la décision West Virginia c. EPA de 2022, qui limite la capacité de l’Agence de protection de l’environnement d’imposer aux États des plafonds en matière d’émissions de GES.

Finalement, dans un troisième temps, on trouve les contraintes liées à la contingence particulière des années 2021-2022. Élu à la tête d’une nation divisée aux prises avec la plus grave crise sanitaire en plus d’un siècle, Biden voit son capital politique s’effriter rapidement dès l’été 2021, conséquence du retrait bâclé des troupes américaines d’Afghanistan et de la crise inflationniste. Cette dernière s’avère particulièrement pernicieuse, car elle crée un contexte où les politiciens et les politiciennes peuvent difficilement parler de lutte contre les changements climatiques sans sembler déconnectés des préoccupations quotidiennes de la population. À partir de 2022, la guerre en Ukraine vient à son tour freiner les ambitions climatiques de l’administration Biden : non seulement exacerbe-t-elle l’inflation (qui culmine à 9,1  % en juin 2022), mais elle monopolise l’attention de la Maison-Blanche en politique étrangère. Aucune suite n’est donnée au sommet des leaders de 2021 (suite dont Poutine serait vraisemblablement exclu) et on attend toujours le retour d’une collaboration entre Washington et Pékin sur la crise climatique, mise sur la glace sous Trump. Enfin, l’année 2023 débute avec la prise du contrôle de la Chambre des représentants par le Parti républicain, ce qui augure mal pour la capacité des démocrates de faire avancer leurs priorités en matière de lutte contre les changements climatiques lors du 118e Congrès.

À l’aube d’une nouvelle élection présidentielle, l’avenir de la lutte contre les changements climatiques aux États-Unis est toujours plombé d’incertitude. Au moment d’écrire ces lignes, en août 2023, aucun des principaux candidats républicains déclarés ou pressentis (Ron DeSantis, Nikki Haley, Asa Hutchinson, Mike Pence, Vivek Ramaswamy, Tim Scott et Donald Trump) n’a indiqué une quelconque préoccupation envers la question climatique. Leur degré de climatoscepticisme varie, mais tout indique que la Maison-Blanche prendrait un pas de recul sur cet enjeu si un républicain devait s’y installer en 2025. Ce changement entraînerait vraisemblablement, sur la scène internationale, un effacement du leadership américain semblable à ce qu’on a vu sous Trump et, avant cela, sous George W. Bush. Sur la scène domestique, toutefois, à défaut de voir de nouveaux progrès, un renversement complet des politiques adoptées sous Biden semble improbable. Contrairement à Barack Obama, le 46e président des États-Unis a réussi à faire adopter ses principales mesures sous forme de lois et non de décrets exécutifs. Leur abrogation nécessiterait donc l’adoption de nouvelles lois. Une administration républicaine aura tout intérêt à éviter de se lancer dans une entreprise de ce genre : non seulement son résultat est incertain au Congrès, mais le Parti républicain subirait vraisemblablement les contrecoups de l’abrogation de mesures qui incluent du financement fédéral et des crédits d’impôt, deux types de mesures populaires pour favoriser une transition énergétique qui est de toute façon souhaitée par une majorité de l’électorat. En somme, si Biden n’est pas le président qui amènera la révolution climatique souhaitée par plusieurs, son approche de la politique comme l’art du possible permet de croire que ses deux premières années au pouvoir laisseront en héritage un processus viable de transition énergétique aux États-Unis.

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