Sciences et technologies

Biodiversité urbaine : portraits de Montréal, Bordeaux et Barcelone

À l’heure où l’on s’inquiète de l’effet des changements climatiques et de l’urbanisation croissante, une multitude d’initiatives audacieuses émergent dans plusieurs villes de la planète. Les espaces verts urbains apportent un bien-être psychologique, favorisent les interactions sociales et promeuvent des modes de vie sains. Pourtant, la fragmentation conséquente du paysage urbain implique généralement une taille restreinte pour ces espaces verts. Ces derniers n’en restent pas moins importants, notamment pour les petits organismes (petits animaux, insectes, micro-
organismes). Un même fragment de végétation (ex. : haie) peut être à la fois un habitat (pour un oiseau), un corridor (pour un petit mammifère), un mur (pour un insecte) ou tout un écosystème (pour un microbe). Il est donc primordial d’étudier l’écosystème urbain, sa biodiversité et ses fonctions. Afin d’inspirer des projets d’adaptation urbaine, durables et favorisant la biodiversité, cet article propose une vitrine de projets issus de trois métropoles : Montréal, Bordeaux et Barcelone.

Montréal, la résiliente

À l’image des grandes villes nord-américaines, Montréal présente un plan hippodamien (rues rectilignes se croisant en angles droits ; figure 1) et un étalement urbain important pour une densité de population modérée. Construite autour du mont Royal, la métropole repense sa nature au travers de nombreux projets urbains. Deux initiatives s’intéressent notamment aux questions sur la gestion de la forêt urbaine pour la rendre plus résiliente et sur le rôle de la biodiversité urbaine sur la santé des populations humaines.

Pourquoi viser la résilience ?

Augmenter la biodiversité permet de réduire les risques naturels (intempéries, ravageurs, maladies). La situation de l’agrile du frêne, un insecte dont la larve tue les arbres infectés, l’illustre parfaitement depuis 2011 au Québec. Avant l’épidémie, les frênes représentaient environ un arbre sur cinq en milieu urbain dans la province. À Montréal, ce sont plus de 50 % des frênes qui ont été abattus durant les dix dernières années, ayant ainsi une incidence majeure sur sa forêt urbaine, qui avait déjà souffert de la maladie hollandaise de l’orme dans les années 1970-1980. Cette perte soudaine d’arbres a pu notamment augmenter la mortalité humaine due aux maladies cardiaques et respiratoires (Donovan et al., 2013). Il est donc primordial de préparer le milieu urbain pour le rendre plus résilient face à l’accélération des changements climatiques et à la propagation des insectes ravageurs.

Diversifier pour limiter les pertes

Une des meilleures façons de réduire les risques naturels est la diversification, c’est-à-dire l’amélioration de la variété dans les communautés d’arbres. Il ne suffit pas d’ajouter des espèces semblables entre elles, il faut aussi s’intéresser à leurs traits fonctionnels (caractéristiques morphologiques, physiologiques et temporelles). Ces derniers permettent aux espèces de répondre aux changements dans leur environnement. Par exemple, on peut observer différentes stratégies de vie liées aux traits fonctionnels, comme une croissance rapide avec maturité sexuelle précoce et un grand nombre de petites graines, ou l’inverse. Dans le cadre de projets de verdissement, il est alors possible de faire un bilan des traits fonctionnels présents et de choisir des espèces d’arbres aux traits différents (pour limiter les conséquences d’une future perturbation).

Améliorer la gestion forestière en ville

Une initiative montréalaise intéressante est le projet IDENT-Cité : un arboretum en double spirale planté en 2015 dans le parc Basile-Routhier. Ce projet vise à sensibiliser la population à l’importance des arbres et à la diversité de leurs traits fonctionnels. Le long du parcours jusqu’au centre de l’arboretum, le public découvre différentes espèces d’arbres adaptées aux conditions de vie en milieu urbain et présentant des traits fonctionnels de plus en plus diversifiés. Il s’agit là d’un modèle de plantation pour une forêt urbaine plus résiliente.

Figure 1. Vue en plongée de Montréal, Bordeaux et Barcelone (respectivement de gauche à droite). Crédits : pataqueja2007, Rosshelen, thetechcreative
L’observatoire de la forêt urbaine

À Montréal, un observatoire de la forêt urbaine a été mis en place en 2021 au travers d’un réseau de 25 placettes permanentes (figure 2). Ce réseau inédit couvre différents profils d’urbanisation et de végétation de l’île montréalaise et a été initialement établi pour le suivi des pollens. Avec le temps, l’observatoire a pris de l’ampleur et on y mesure désormais de nombreuses variables telles que les propriétés de l’air, les microbes des arbres ou les communautés d’insectes. Des relations complexes y sont aussi étudiées, telles que l’incidence des interactions entre prédateur et proie sur la défoliation (perte des feuilles) des arbres. Par exemple, la prédation des chats sur les oiseaux est bénéfique aux insectes (proies de ces derniers), mais défavorable pour les arbres (les insectes se nourrissant de leurs feuilles). Enfin, la santé humaine étant au cœur des préoccupations urbaines, l’observatoire vise également un suivi de variables de santé, comme les allergies et l’asthme.

Figure 2. L’observatoire urbain de Montréal et ses neuf axes de recherche. Tous droits réservés.

Bordeaux, la prévoyante

L’écologie urbaine bordelaise est façonnée par le contexte géographique et historique de la ville et ses communes périphériques. La métropole a une faible densité de population et s’est construite autour de la ville fluviale, fondée en bord de Garonne dans l’Antiquité. Aujourd’hui, elle agrège des territoires dont les paysages, l’urbanisme, les caractéristiques socio-économiques et les orientations
politiques sont très variés, ce qui complexifie la gouvernance des politiques publiques autour de
la biodiversité.

D’hier à aujourd’hui

Le centre urbain bordelais abrite des quartiers aux habitats bas qui, malgré leur apparence minérale, font la part belle aux jardins arrière (figure 1). La périphérie est constituée de zones humides, de coteaux calcaires et de monocultures de pin maritime, peuplements forestiers caractéristiques de la région. L’attractivité de la métropole accentue cependant la pression sur la biodiversité des espaces naturels périphériques et des zones résidentielles, où les jardinets privés sont souvent des victimes collatérales de la densification urbaine.

Préserver avant de restaurer

À Bordeaux, des actions sont réalisées pour préserver, mieux gérer ou restaurer les milieux naturels avec une approche interventionniste assumée. Le programme le plus médiatisé est la plantation prévue d’un million d’arbres. Toutefois, les actions de plantations se font souvent selon la controversée «  méthode de Miyawaki  » : planter de jeunes arbres à très haute densité sur de très petites surfaces d’espace public afin de créer des micro-forêts. Leur efficacité pour la biodiversité,
la résilience des milieux et l’amélioration de la qualité de vie des habitants reste encore à démontrer. Ainsi, il apparaît crucial de préserver les surfaces naturelles et agricoles déjà existantes et se trouvant sur le domaine privé (jardins, exploitations agricoles, domaines viticoles, cours d’eau et zones humides). En ce sens, un programme scientifique de restauration d’un réseau de prairies alluviales existe dans la région bordelaise (Alard et al., 2020). De son côté, le gouvernement français tente de soutenir ce genre d’initiatives avec le plan national Biodiversité et son action 10  : «  Zéro artificialisation nette.  » Ceci pourrait dynamiser les actions de préservation, mais sa mise en œuvre sur le terrain s’avère complexe.

Une initiative collective centrale

Pour répondre aux enjeux de conservation, la communauté scientifique s’est structurée autour d’un projet collectif de recherche, intégré au plan d’action Biodiver’Cité. Porté par Bordeaux Métropole, ce plan regroupe des acteurs de la gestion des milieux naturels, du monde de la recherche et du milieu associatif naturaliste. Cette collaboration souhaite améliorer les connaissances sur la biodiversité urbaine et périurbaine et ainsi identifier des leviers possibles pour en améliorer la préservation ou la restauration. Depuis 2018, des suivis des communautés sont ainsi réalisés sur de multiples taxons : oiseaux, insectes, reptiles, amphibiens, poissons, flores terrestre et aquatique. Ces suivis ont déjà mis en évidence une richesse biologique importante sur toute la périphérie de la métropole (Barraquand et al., 2020).

Prévoir l’avenir

À l’instar des autres villes mondiales, le déclin de la plupart des services écosystémiques (bénéfices offerts aux sociétés humaines par l’environnement, ex. : réduction des effets d’îlot de chaleur, amélioration de la qualité de l’air) est connu pour la métropole bordelaise. En réponse à cela, les actrices et acteurs du plan Biodiver’Cité ont construit plusieurs scénarios d’évolution du territoire possibles (Sahraoui et al., 2021). Ces analyses ont montré que le scénario actuel d’urbanisation des communes périphériques de Bordeaux, le scénario business as usual (sans changement), mènerait à un déclin important de la connectivité écologique (connexion entre les parcelles naturelles d’un écosystème). Les scénarios de «  densification  » et d’«  étalement urbain  » auraient des répercussions d’envergure comparable. Au contraire, les scénarios de «  désartificialisation  » et de «  restauration radicale  » (retour à un état naturel) augmenteraient faiblement la connectivité écologique. Ces scénarios sont des outils concrets et utiles pour les futures planifications urbaines bordelaises.

Barcelone, la participative

Si la région métropolitaine de Barcelone est semblable en surface à celle de Montréal et en densité à celle de Bordeaux, la ville intra-muros est l’une des plus densément peuplées d’Europe, avec une trame urbaine compacte et hippodamienne (figure 1). Ces caractéristiques, un climat chaud et humide, et des infrastructures et espaces publics peu adaptés font qu’elle est fortement exposée aux îlots de chaleur. C’est malgré tout une ville riche d’initiatives vertes qui lient différents actrices et acteurs autour de projets durables.

À la recherche des arbres

Barcelone a un profil très urbain et offre une faible surface d’espaces verts publics par habitant (7 m2 contre les 10-15 m2 recommandés par l’OMS). Pour répondre à ce besoin, la mairie de la ville a mis en place plusieurs plans d’action. Parmi eux, le Plan Climat 2018-2030 tente de réduire l’impact environnemental de Barcelone. Son objectif principal est d’anticiper les risques climatiques pour assurer et améliorer la capacité de la ville à y répondre. La santé publique étant au centre des enjeux
du plan, il vise à réduire la vulnérabilité des personnes aux changements climatiques pour garantir leur santé et leur bien-être. Une autre initiative, Plan Nature Barcelone 2021-2030, ambitionne d’améliorer les infrastructures vertes urbaines (ex. : toits verts, jardins privés) et leurs services (Ajuntament de Barcelona 2021). Ce plan s’articule autour de trois axes : conservation, augmentation et promotion de la valeur des espaces verts et de leur biodiversité. Un des objectifs est de construire dix refuges de biodiversité et de gagner jusqu’à 100 hectares d’habitats pour la flore et la faune dans la métropole (figure 3).

Figure 3. Infrastructures vertes et actions pour la biodiversité de Barcelone en 2021. Adaptée de Pla Natura Barcelona (Ajuntament de Barcelona 2021).
S’investir pour la jeunesse

Si ces projets impliquent une foule de tout âge, la mairie de Barcelone agit également auprès des plus jeunes. Une de ses premières actions phares a été de mettre en place des « refuges climatiques » en verdissant 11 écoles de la métropole. Le programme Transformons les cours d’école s’est inscrit dans cette action avec l’installation d’éléments de jeux pour enfants, d’arbres et de végétaux dans toutes les écoles barcelonaises afin de générer des espaces d’ombre et réduire les surfaces imperméables scolaires. S’ajoute à cela un projet phare, rePLANTons les environnements scolaires, mené dans trois écoles (2021-2022) pour promouvoir et évaluer l’effet de l’éducation environnementale et de la participation citoyenne des élèves sur la biodiversité urbaine (Ferrandiz-Rovira, 2021). En plus de sensibiliser les jeunes à leur environnement quotidien, ces investissements
participent à former les citoyens de demain.

Une métropole exposée

Malgré ses initiatives vertes, Barcelone reste très exposée aux changements climatiques et à l’effet des espèces exotiques (espèces non indigènes introduites par les activités humaines). En 2022, la métropole abritait un total de 413 espèces exotiques ; 80 de plus qu’en 2013. Les espèces exotiques, en colonisant de nouveaux sites urbains à un rythme rapide, forcent les espèces indigènes à se déplacer sous l’effet de la prédation ou de la compétition. Elles mettent donc en péril la biodiversité locale, surtout lorsqu’elles sont envahissantes. Les tentatives menées pour les éradiquer et les contrôler restent sans fruit. Face à ce constat, il est important de ne pas oublier les initiatives citoyennes indépendantes qui ont aussi leur importance dans l’amélioration et la protection de la biodiversité urbaine.

Les sciences participatives à cœur

Depuis 2012, la métropole barcelonaise possède son propre bureau de sciences participatives, impliquant environ 13 000 personnes dans plus de 20 projets actifs. Cinq d’entre eux sont remarquables pour leur lien avec la biodiversité et l’écologie urbaine. Bioblitz, depuis 2010, permet l’obtention d’un inventaire biologique pendant une journée complète et une fois par an. MosquitoAlert lutte contre la propagation des maladies liées aux moustiques avec la signalisation de ces insectes et de leurs lieux de reproduction. Le projet Observadores del Mar s’implique dans la détection de la présence d’espèces envahissantes, la mortalité massive d’organismes et l’accumulation de microplastiques sur les plages. Une observation des changements saisonniers des plantes et des animaux est, quant à elle, réalisée au sein de Ritme natura. Elle permet de mieux connaître les effets que les changements climatiques produisent sur les écosystèmes naturels de la métropole catalane. Enfin, le projet uBMS informe sur l’état de la biodiversité et des écosystèmes en collectant des données sur les populations de papillons de Barcelone. Toutes ces actions, à leur échelle, participent à lutter contre la perte de biodiversité barcelonaise.

Conclusion

Face à la croissance urbaine, plusieurs initiatives issues des collectivités, de la communauté scientifique et des regroupements citoyens se mettent en place pour contrer la perte des espaces verts en ville et ainsi protéger la biodiversité urbaine. Ces projets divers mettent en lumière la nécessité d’une gouvernance ambitieuse, appuyée par un engagement public fort, en faveur de la préservation de la biodiversité et de ses services. Si Montréal cherche une meilleure résilience de ses espaces verts et multiplie ses axes de recherche, Bordeaux réunit ses actrices et acteurs autour d’un projet avisé qui souhaite prévenir plutôt que guérir. De son côté, Barcelone est exposée aux îlots de chaleurs et aux espèces exotiques, mais peut compter sur ses nombreux plans d’action, dont certains à l’initiative de ses citoyennes et citoyens. Dans le contexte actuel des politiques d’attractivité économique et démographique, il est primordial de mettre en avant la diversité des initiatives urbaines dans le monde. Montréal, Bordeaux et Barcelone offrent des profils urbains et des projets durables qui, bien que différents, sont complémentaires et applicables à d’autres contextes urbains. Il ne fait aucun doute que les forêts urbaines et les infrastructures vertes soutiennent la biodiversité et sa chaîne alimentaire. Ces espaces de vie bénéficient aussi bien à la faune et la flore qu’aux populations humaines, au travers de leurs nombreux services écosystémiques. De la promesse d’une meilleure résilience par la diversification, à l’engagement organisationnel et scientifique, en passant par l’implication communautaire, de multiples perspectives s’offrent à nous pour transformer nos villes et favoriser la biodiversité urbaine de demain.

Nos partenaires

Université de ShebrrookeGériqQuébecCUFEPIRESS
© Le Climatoscope Conception et programmation: Balise
Le Climatoscope