Sciences et technologies

Conséquences des inondations à long terme sur la santé mentale

Contexte des inondations au Québec

Selon les projections climatiques, plusieurs évènements météorologiques extrêmes ayant déjà frappé le Québec, notamment les inondations, les feux de forêt, les tornades et les tempêtes de verglas, sont appelés à devenir plus fréquents et plus intenses. Ces évènements partagent diverses caractéristiques pouvant affecter les communautés touchées : début souvent soudain, évacuations et relocalisations (parfois prolongées), pertes sur le plan humain et matériel, stress et incertitude, infrastructures et services compromis, réponse gouvernementale complexe et lente (Institut national de santé publique du Québec, n.d.).

Au printemps 2019, la province a connu des inondations majeures pour la deuxième fois en trois ans. Des précipitations abondantes à la fin avril se sont ajoutées à une fonte tardive et rapide, causant des dégâts évalués à 127 millions de dollars (Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, 2022). Au-delà des dommages aux infrastructures, de la perturbation des services publics et des pertes économiques, ce type de catastrophe peut également entraîner des conséquences sociosanitaires, perturbant la santé à la fois sur le plan physique (ex. : blessures, problèmes respiratoires), psychologique (ex. : stress post-traumatique, dépression) et social (ex. : isolement, violence). Afin de prévenir ces évènements, de s’y préparer, d’intervenir et de s’en remettre efficacement, une compréhension adéquate et une reconnaissance des conséquences des inondations, ainsi que des facteurs
de vulnérabilité, sont nécessaires. Bien que le taux de mortalité lié aux inondations soit mineur au Canada, ces évènements peuvent engendrer un important fardeau pour la santé et le bien-être des personnes y étant exposées (Sanhi et al., 2016). Ces problèmes de santé peuvent survenir pendant ou immédiatement après les inondations, mais peuvent également engendrer
des séquelles à long terme.

Enquête populationnelle

Une étude a été mise en place pour documenter l’état de santé et les vulnérabilités à la suite des inondations printanières de 2019 au Québec. Par une telle documentation, on cherche ultimement à proposer des pistes de solution destinées aux acteurs concernés (réseau de la santé et des services sociaux, sécurité civile, milieu municipal, etc.) afin d’atténuer les conséquences des prochains évènements. Le tout s’inscrit dans le cadre d’un projet mené par une équipe interdisciplinaire et interuniversitaire financée dans le cadre du Plan d’action 2013-2020 sur les changements climatiques du gouvernement du Québec.

Concrètement, cette recherche consiste en une série de deux enquêtes réalisées par téléphone ou par un questionnaire en ligne auprès d’un échantillon de personnes vivant en zone inondée dans les six régions sociosanitaires les plus touchées par les inondations printanières de 2019 au Québec (Laurentides, Laval, Mauricie–Centre-du-Québec, Montérégie, Montréal, Outaouais). Diverses conséquences sur la santé ont été examinées dans le cadre de cette enquête, dont celles sur la santé mentale qui seront présentées plus en détail dans cet article.

Conséquences sur la santé mentale

Lors de la première enquête, plusieurs problèmes de santé mentale ont été évalués :

– la perception d’une santé mentale passable à mauvaise ;
– le niveau de détresse psychologique (modéré ou sévère) ;
– le niveau de stress post-traumatique (modéré ou sévère) ;
– les troubles anxieux et de l’humeur diagnostiqués par un médecin ;
– la présence de trouble de santé mentale probable.

Deux échelles de mesure ont permis d’évaluer la présence de détresse psychologique (K6, Kessler et al., 2002) ainsi que le niveau de stress post-traumatique (IES, Horowitz, Wilner et Alvarez, 1979). L’état de santé mentale perçu, tout comme les troubles anxieux et de l’humeur, est une mesure auto-rapportée par les participants de l’étude. Enfin, le trouble de santé mentale probable se définit comme la présence d’au moins un des trois problèmes suivants : stress post-traumatique, trouble anxieux ou trouble de l’humeur.

Même s’ils vivaient tous en zone inondée, les citoyens recrutés dans l’étude n’ont pas tous vécu les inondations avec la même intensité. Ils ont donc été classés dans l’une des trois catégories d’exposition suivantes : inondés, perturbés et non touchés (voir encadré ci-dessous). Afin de documenter les conséquences des inondations sur la santé mentale, des tests statistiques (tests Z) ont été effectués afin de comparer la fréquence des différents problèmes de santé mentale selon le niveau d’exposition aux inondations. Tous les résultats présentés ci-après sont statistiquement significatifs à un seuil alpha de 0,05, c’est-à-dire qu’il existe une différence sur le plan statistique entre les trois niveaux d’exposition.

Types d’expositions aux inondations

Trois niveaux d’exposition ont été examinés chez les personnes vivant en zones inondées1 :

1- Inondés : Ayant rapporté au moins une pièce habitable inondée.

2- Perturbés : N’ayant pas rapporté de pièces habitables inondées, mais ayant signalé au moins une des perturbations suivantes lors des inondations : évacuation ; interruption des services à domicile ; difficulté d’accès aux services communautaires ; zones non habitables inondées (ex. : terrain, garage).

3- Non touchés : N’ayant rapporté aucune conséquence des inondations.

La première enquête a été menée 8 à 10 mois après la crue printanière, avec un échantillon final de 3  437  ménages ayant répondu au questionnaire. Les résultats de cette enquête mettent en évidence le fait que, près d’un an après les inondations, les personnes qui ont été inondées et celles qui ont été perturbées par les inondations sont considérablement plus nombreuses à avoir des problèmes de santé mentale perçus, comme présentés dans le tableau 1. À l’aide des analyses statistiques effectuées, il est possible d’observer un gradient dose-réponse des conséquences sur la santé mentale selon l’exposition. Autrement dit, plus l’exposition aux inondations est importante, plus les individus expriment des conséquences sur leur santé mentale. Des résultats plus poussés de cette première collecte de données sont disponibles ailleurs (Généreux et al., 2020).

Une enquête de suivi un an suivant la première collecte a ensuite été effectuée auprès d’une partie de l’échantillon (680 des 3 437 répondants), les autres n’ayant pas accepté de participer à une autre enquête ou n’ayant pu être rejoints la seconde fois. Cette collecte visait notamment à évaluer l’évolution de certains problèmes de santé mentale (c.-à-d. l’état de santé mentale perçue et la détresse psychologique) de la première à la deuxième année post-évènement. Ces données ont encore une fois été examinées selon le niveau d’exposition
aux inondations.

Au fil du temps, la santé mentale perçue comme passable ou mauvaise a diminué de 37 % à 24 % chez les personnes inondées, comme le présente le tableau 2. On note également une légère amélioration chez les perturbés ; toutefois, celle-ci n’est pas considérable. Une diminution importante de la détresse psychologique est également notée, mais seulement chez les personnes inondées, comme le présente le tableau 3. La prévalence est passée de 41 % à 22 %, de la première à la seconde année.

Tableau 1. État de santé mentale selon le niveau d’exposition aux inondations, près d’un an après les inondations
Tableau 2. Évolution de l’état de santé mentale perçu en fonction du niveau d’exposition aux inondations. Le test McNemar a été utilisé pour examiner l’évolution de l’état de santé mentale entre la première enquête et l’enquête de suivi.
Tableau 3. Évolution de la détresse psychologique en fonction du niveau d’exposition aux inondations. Le test McNemar a été utilisé pour examiner l’évolution de la détresse psychologique entre la première enquête et l’enquête de suivi.

Ainsi, les personnes inondées présentent près de deux fois moins de détresse psychologique modérée à sévère et perçoivent moins fréquemment leur santé mentale comme passable ou mauvaise à l’enquête de suivi, comparativement à la première enquête. Malgré tout, soulignons que les personnes inondées demeurent plus touchées que les perturbées et les non touchées deux ans après les évènements, et ce, de manière statistiquement significative. Le maintien d’une différence entre les trois groupes d’exposition au fil du temps suggère la présence de séquelles psychologiques à long terme chez un bon nombre de personnes ayant
été exposées à des inondations majeures telles que celles connues au Québec en 2019.

Afin de confirmer que des symptômes persistants sont plus souvent observés chez les personnes inondées, l’évolution des symptômes a été observée selon quatre trajectoires (voir encadré ci-dessous). On constate que les niveaux de détresse psychologique s’améliorent à l’enquête de suivi chez une grande proportion des personnes inondées (25  %), ce qui fait écho à nos résultats précédents. Toutefois, au sein de ce même groupe, 16  % présentent une détresse persistante au fil du temps. Des observations similaires sont faites pour l’état de santé mentale perçu.

Trajectoires de santé psychologique entre la première et la deuxième enquête


Trajectoires de la santé mentale perçue :

1- Perception de santé mentale demeurée bonne
2- Perception de santé mentale améliorée
3- Perception de santé mentale passable ou mauvaise persistante
4- Perception de santé mentale détériorée

Trajectoires de la détresse psychologique2 :

1- Niveau de détresse demeuré faible
2- Niveau de détresse amélioré
3- Niveau de détresse modéré ou sévère persistant
4- Niveau de détresse détérioré

Stresseurs primaires et secondaires

Afin de mieux comprendre les facteurs qui influencent les conséquences sur la santé mentale lors des inondations, deux familles de stresseurs ont été étudiées, soit les stresseurs primaires et secondaires. En effet, différents types de stresseurs peuvent expliquer pourquoi certaines personnes sont plus vulnérables que d’autres face aux inondations. Un stresseur primaire surgit pendant ou tout de suite après l’évènement alors qu’un stresseur secondaire est présent pendant la période de rétablissement post-évènement. Les stresseurs primaires étudiés dans cette enquête sont l’exposition, le niveau d’eau dans les maisons, l’étendue des pertes matérielles et la récurrence des inondations. Les stresseurs secondaires comprennent quant à eux la perception négative de l’aide concrète ou morale reçue, le manque d’aide financière reçue pour faire face aux coûts, le manque d’assurance couvrant les inondations, l’utilisation de prêts bancaires pour faire face aux dépenses et l’incapacité de réutiliser toutes les pièces.

Influence des stresseurs

Afin de mieux comprendre les facteurs associés à un problème de santé mentale persistant, les trajectoires « perception de santé mentale passable à mauvaise persistante » et « niveau de détresse modéré ou élevé persistant » ont été combinées. Leur prévalence a été examinée selon la présence de stresseurs primaires et secondaires. Il est noté que les participants exprimant des stresseurs primaires plus importants (présence d’un niveau d’eau de 30 cm ou plus au rez-de-chaussée et pertes matérielles de 50  000  $ ou plus) sont plus susceptibles de rapporter des conséquences sur la santé mentale persistantes. Les personnes sinistrées (inondées ou perturbées) ayant vécu des stresseurs secondaires sont aussi plus nombreuses
à rapporter un problème de santé mentale persistant.

Ces enquêtes menées un an et deux ans après les inondations printanières de 2019 au Québec mettent en lumière les effets indésirables et persistants des inondations sur la santé mentale des personnes sinistrées, mais aussi chez celles qui ont été indirectement exposées. De plus, la présente étude permet de considérer les effets de plusieurs stresseurs, à la fois primaires et secondaires, des mesures de la santé mentale.

Tableau 4. Association entre les stresseurs et la présence d’un problème de santé mentale (santé mentale passable à mauvaise ou détresse psychologique) persistant à l’enquête de suivi.

Bien qu’ils ne concernent qu’une partie (environ un cinquième) de l’échantillon initial, les résultats de l’enquête de suivi demeurent intéressants. Ils suggèrent que les conséquences psychologiques des inondations pourraient encore être présentes près de deux ans après les inondations de 2019. En effet, les participants et les participantes inondés rapportent plus fréquemment des problèmes concernant la santé mentale à l’enquête de suivi que ne le font les autres participants moins exposés aux inondations. Tant l’exposition aux stresseurs primaires que secondaires semblent influencer la santé mentale des personnes sinistrées sur le long terme. Des observations similaires ont également été trouvées dans une étude de Jermacane et al. (2018). La prévalence des conséquences sur la santé mentale chez les personnes inondées deux ans après les inondations était demeurée élevée malgré une diminution comparativement à l’année précédente (Jermacane et al., 2018). Cette étude souligne également l’importance des stresseurs secondaires, car la prévalence de morbidité psychologique chez les personnes inondées qui avaient rapporté des dommages persistants était plus importante (Jermacane et al., 2018).

On pourrait penser que les personnes sinistrées sont davantage touchées en raison d’un niveau important de défavorisation socioéconomique à la base. Or, nos données ne semblent pas pointer vers cette direction. En effet, parmi les 1 576 personnes sinistrées (inondées ou perturbées) sondées à la première collecte, 90  % vivaient dans une maison individuelle détachée (dont plus de 90 % à titre de propriétaires), 69  % vivaient en couple et 26 % avaient un revenu du ménage annuel de 100 000 $ et plus. Cela suggère donc que, malgré une certaine aisance, les personnes sinistrées exposées aux inondations peuvent subir du stress à un point tel que leur santé mentale s’en voit perturbée sur le moyen ou le plus long terme.

Comment réduire les conséquences ?

Cette étude met de l’avant certaines conséquences psychologiques des inondations et souligne le besoin d’agir sur les stresseurs primaires et secondaires pour en réduire l’ampleur. Les inondations étant appelées à s’accroître en raison des changements climatiques, tout comme plusieurs autres évènements météorologiques extrêmes, il est d’autant plus important de réfléchir aux moyens de mieux soutenir les personnes sinistrées à la suite de tels évènements.

Différentes mesures sociales et économiques à la suite d’inondations pourraient être mises en place afin de soutenir la santé et le bien-être des individus et des communautés touchées. Les constats issus de l’enquête suggèrent que de telles mesures, qu’il s’agisse de soutien concret, moral ou financier, peuvent être une piste de solution à explorer dans le but de réduire les conséquences psychologiques chez les citoyens et les citoyennes qui deviennent malgré eux victimes d’une telle catastrophe et de soutenir la résilience individuelle et communautaire.
Concrètement, ces mesures pourraient prendre la forme de mobilisation communautaire, d’aide psychologique par des professionnels et professionnelles et des membres de la communauté (ex. : premiers secours psychologiques), de programmes financiers améliorés, ainsi que d’accompagnement par des travailleurs sociaux et travailleuses sociales dans les démarches de reconstruction ou de relocalisation. En cette période critique de changements climatiques auxquels s’est ajoutée une pandémie, il est plus que jamais primordial que la société québécoise se dote de plans de rétablissement permettant de réduire les conséquences sociosanitaires des catastrophes, tant sur le court terme que sur le plus long terme.

Dans le cadre de cette étude, les zones inondées correspondent aux quartiers ayant eu au moins un sinistré lors des inondations de 2019, tel que rapporté
par le ministère de la Sécurité publique du Québec.

Il existe trois niveaux de détresse psychologique selon l’échelle utilisée :
faible, modéré, sévère. La trajectoire est donc évaluée selon le changement ou non de niveau de détresse de la première à la seconde collecte. Par exemple, on note
une amélioration si la personne est passée d’un niveau de détresse élevé à modéré (ou modéré à faible).

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