Conséquences du réchauffement climatique sur les structures de protection côtière

Les changements climatiques de la planète entraînent une élévation progressive du niveau de la mer. Cela constitue l’un des plus grands défis auquel la population mondiale devra faire face au XXIe siècle. C’est le résultat inévitable du réchauffement climatique et de l’intensification des activités humaines, des services et de la population dans les zones côtières. Cette perturbation du bilan d’énergie de la planète du fait des activités humaines est connue comme «  forçage anthropique  ». Selon Gehrels (2016), le forçage anthropique par les gaz à effet de serre (GES) est devenu une cause principale de l’augmentation du niveau de la mer. Toujours selon cet auteur, le niveau de la mer augmente à un rythme d’environ 3,0 à 3,2 mm par année depuis le début des années 1990. De plus, le réchauffement génère une expansion thermique des eaux océaniques et la fonte des glaces terrestres. Vousdoukas et al., (2018) ont prédit qu’entre les années 2000 et 2100, l’augmentation mondiale des niveaux extrêmes de la mer variera entre 0,34  m et 0,76  m dans le cadre d’un scénario modéré et entre 0,58  m et 1,72  m dans le cadre d’un scénario de très fortes émissions de GES (Figure 1).

Figure 1. Prédictions des modèles du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC, 2014) pour :
(a) le changement de la température de surface,
(b) le changement des précipitations moyennes, et
(c) le changement du niveau moyen de la mer. Panneau de gauche – scénario modéré ; panneau de droite – scénario à très hautes émissions de GES.
Adapté de la Figure 2.2 du chapitre 2 du Rapport de synthèse sur les changements climatiques (GIEC, 2014).

Les conséquences de cette élévation du niveau de la mer entraîneront des événements extrêmes plus nombreux et fréquents tels que des inondations, des dommages aux biens matériels et un risque plus élevé de pertes de vies humaines (Hinkel et al., 2014). Cette situation sera également amplifiée dans les zones côtières, où les principaux impacts de l’élévation du niveau de la mer sont : l’augmentation du transport de sédiments, l’érosion des plages et les dommages aux structures marines, tels que les impacts sur les murs verticaux et les brise-lames. Les brise-lames et les murs verticaux (Figures 2(a) et 2(b) respectivement) sont les principales structures maritimes utilisées pour protéger les ports et les zones côtières. Le moyen de protéger la côte est de dissiper ou de réfléchir l’énergie de la mer, en particulier celle des vagues, et d’empêcher l’eau de déborder dans certaines zones côtières dans lesquelles les activités humaines (routes, ports, etc.) sont importantes. Selon la forme et les matériaux qui composent ces structures, elles dissiperont ou réfléchiront plus d’énergie (Figure 3). Ces structures ont généralement un coût et une complexité de conception élevée ainsi que des impacts environnementaux et socio-économiques. Les brise-lames sont divisés en trois typologies principales : (1) avec une pente et des manteaux de roche, (2) vertical avec un mur imperméable, et (3) mixte entre (1) et (2). Il existe des similitudes dans la conception des brise-lames et des murs verticaux, notamment dans la condition d’absence de débordement d’eau.

Figure 2. Structures côtières :
(a) brise-lames en enrochement (Pilar Díaz-Carrasco, 2018)
(b) mur vertical (Schotanus, 2008).
Figure 3. Schéma général de la fonction de protection des brise-lames et des murs verticaux.

Le choix approprié du type de structure à concevoir et des matériaux dépend des conditions de vagues dans la région côtière et des coûts. Il s’agit donc d’un équilibre entre la fonctionnalité et le coût. Les conséquences de l’augmentation du niveau de la mer sur les structures en mer se traduiront non seulement par une modification de la composition de la structure, mais aussi par une augmentation des coûts de construction et d’entretien. Le débordement de l’eau sur le brise-lame ou la rupture de la structure peut causer de graves dommages aux zones portuaires tels que : l’impossibilité d’effectuer des opérations de chargement et de déchargement dans le port ou l’impossibilité pour les navires d’accoster. Bien que la recherche sur les changements climatiques se soit accélérée ces dernières années, il reste beaucoup à faire pour comprendre comment les structures existantes se comporteront avec des niveaux de mer plus élevés et pour améliorer leur conception.

Dans ce contexte, le Québec a subi ces dernières années des tempêtes extrêmes qui ont provoqué d’importantes pertes de sédiments sur les plages et des dommages aux structures. Plusieurs kilomètres de routes près de la côte sont à risque en raison des effets des changements climatiques. Par exemple, sur les côtes du golfe du Saint-Laurent et de son estuaire, le recul moyen du trait de côte (limite muable entre la terre et la mer autant sous l’effet de processus naturels que de l’action de l’Homme) varie entre 0,5 et 2,0 mètres par année (Bernatchez et Dubois, 2004), en raison des tempêtes de plus en plus extrêmes qui surviennent chaque année.

Cet article se concentre sur l’impact potentiel de l’élévation du niveau de la mer sur la performance des brise-lames formés par un mur vertical et une berme de matériaux rocheux, structure avec les plus grandes dimensions et la plus grande complexité de conception. À cette fin, plusieurs essais en laboratoire et simulations numériques ont été réalisés pour les scénarios d’élévation du niveau de la mer les plus risqués proposés par le GIEC (2014). Les résultats les plus significatifs concernent l’impact de l’élévation du niveau de la mer sur les débits d’eau de débordement, la structure et les dommages causés à la pente et au mur du brise-lames sous l’action des vagues.

Comportement et principaux modes de défaillance des brise-lames

Les brise-lames protègent les ports et les régions côtières contre l’action des agents maritimes, principalement les vagues, qui sont l’agent le plus énergétique. En général, il existe trois types de brise-lames :

  1. Vertical, construit à partir d’un caisson imperméable (caisson, Figure 4) qui reflète principalement l’énergie des vagues ;
  2. Mixte, formé par un caisson imperméable et une berme de matériaux rocheux (berme, Figure 4). Leur principale fonction est de réfléchir et aussi de casser
    les vagues pour dissiper leur énergie.
  3. De pente (grande berme), formé de matériaux rocheux ou de petits cubes de béton. Leur principale fonction est de dissiper toute l’énergie des vagues.
Figure 4. Modèles physiques de brise-lames testés en laboratoire.

Lorsque les vagues incidentes heurtent le brise-lame, elles sont transformées et peuvent causer des dommages (modes de défaillance) à la structure maritime. Deux des principaux modes de défaillance de ces structures sont (Figure 5) :

  • A. Le débordement, c’est-à-dire, lorsque de l’eau passe au-dessus de la structure et inonde les zones que la structure maritime protège de la mer.
  • B. Le renversement ou la rupture de la paroi verticale du brise-lames. Elle est causée par le fort impact des vagues sur la structure, souvent mesuré par les forces horizontales et verticales des vague sur le mur, respectivement.
Figure 5. Principaux modes de défaillance des brise-lames côtières (adapté d’Oumeraci et al., 2001).

Des outils pour prédire les effets du niveau de la mer sur les structures

À partir de la réalisation d’essais expérimentaux et de simulations numériques, il est possible d’avoir une idée de l’effet de l’augmentation du niveau de la mer sur les structures de protection. Dans ce qui suit, les principaux résultats d’une série d’expériences réalisées au Laboratoire d’hydraulique de l’Université de Grenade (Espagne) seront comparés à des calculs numériques réalisés à l’Université de Sherbrooke.

Pour le volet expérimental, deux modèles différents de brise-lames ont été testés (Figure 4). Ceux-ci permettent de tester l’effet de certains paramètres géométriques des brise-lames (par ex. : la taille de la berme par rapport
au niveau de la mer). Deux profondeurs d’eau ont été testées afin de simuler l’élévation du niveau de la mer :

  • Scénario 0  : niveau actuel de la mer, h0 = 0,4 m,
  • Scénario 1  : niveau de la mer le plus risqué, h1 = 0,445 m.

L’augmentation entre les deux scénarios (0,045 m) correspond à 1 m d’élévation du niveau de la mer puisque le modèle a été construit à l’échelle de 1:22 (1 mètre au laboratoire correspond à 22 mètres en réalité).

En parallèle, un modèle numérique a été développé en se basant sur la résolution des équations qui décrivent le mouvement des vagues et leurs interactions avec la structure. Les avantages de cette approche sont : (1) le haut niveau de détails que l’on peut obtenir; (2) la comparaison de plusieurs scénarios en un temps restreint sans avoir recours à des campagnes expérimentales longues et coûteuses.

Figure 6. Présentation du domaine de calcul pour le modèle numérique.

Une fois validé, le modèle a été adapté pour représenter les deux scénarios d’élévation du niveau de la mer évoqués précédemment en considérant la plus grande hauteur de vague testée en laboratoire : HI = 0,12  m. Ceci équivaut, à l’échelle réelle, à une vague de 2,64  m proche de la côte. Le domaine simulé est aperçu dans la Figure 6, qui correspond aux mêmes mesures que le canal expérimental de 20 m de long, 0,65 m de large et 1 m de haut.

Les calculs ont été réalisés sur le superordinateur Cedar de l’Université Simon-Fraser (Colombie-Britannique), disponible par le biais du réseau Compute Canada et de son équivalent provincial Calcul Québec.

Conséquences de l’élévation du niveau de la mer

La Figure 7 présente les données expérimentales et montre comment l’élévation du niveau de la mer produit des débits de débordement plus importants par rapport au scénario de base. Sur cette figure, les régions bleue et grise correspondent à différentes conditions expérimentales, respectivement pour les scénarios 0 (scénario de base) et 1 (une élévation du niveau de la mer de 0,045 m). Deux effets sont clairement aperçus. En premier lieu, l’augmentation du niveau de la mer conduirait à des débits de débordement beaucoup plus importants. Les conséquences de cette augmentation des débordements sont des dommages aux zones côtières, aux opérations portuaires (comme l’accostage des navires), aux routes et à la destruction de bâtiments construits sur le trait de côte. En deuxième lieu, la hauteur des vagues incidentes exercerait une influence plus importante sur le débordement. Ainsi, des débits plus grands seront observés même pour des vagues plus petites (celles qui sont normalement plus fréquentes). Par exemple, le débit obtenu pour le scénario 1 et une vague de 0,05 m (1,1 m à l’échelle réelle) dépasserait le débit observé pour le scénario 0 et une vague de 0,07  m (1,54 m à l’échelle réelle). Par conséquent, la conception de nouvelles structures devra prendre en compte qu’il y aura des débordements non seulement plus importants mais aussi plus fréquents.

Figure 7. Débordement en fonction de la hauteur de la vague incidente pour les deux scénarios de profondeur d’eau. Valeurs expérimentales pour le brise-lames avec FMT = 0,2 m (modèle 1).

Toujours d’après les résultats expérimentaux, l’augmentation du niveau de la mer aurait aussi un effet sur les forces agissant sur le brise-lames lors
des impacts des vagues. Comme le montre la Figure 8, pour une même hauteur de vague incidente qui frappe la structure, l’élévation la plus haute du niveau de la mer (scénario 1) génère des forces horizontales et verticales plus importantes sur le mur de la structure. Même si les valeurs semblent proches, la force horizontale pour le scénario 1 (Figure 8 (à gauche), région grise) peut être environ 50 % plus grande. De la même façon, la force verticale (Figure 8 (à droite)) augmente de 30  %. L’impact accru sur le mur provoque des dommages importants à la structure, ce qui implique que les structures futures devront être capables de supporter des forces plus élevées, et donc l’investissement requis sera plus important.

Figure 8. Force horizontale (figure de gauche) et force verticale (figure de droite) en fonction de la hauteur de la vague incidente pour les deux scénarios de profondeur d’eau. Valeurs expérimentales pour le brise-lames avec FMT = 0,4 m (modèle 2).

L’augmentation de la force peut entraîner une plus grande ascension des vagues et, par conséquent, un plus grand débordement. Ceci est observé sur la Figure 9, où l’élévation maximale en face du mur obtenue par le modèle numérique est présentée pour les deux scénarios. Ainsi, pour une même hauteur de vague incidente, l’élévation du niveau de la mer mène à des types de déferlement différents. En effet, pour le scénario 0 (bleu), l’influence du fond sur la vague provoque sa rupture en face du mur. En revanche, pour le scénario 1 (rouge), la vague ne casse pas et elle dépasse facilement la structure.

Figure 9. Comparaison de l’élévation maximale en face du mur pour les deux scénarios. Résultats obtenus avec le modèle numérique.

Conclusion et perspectives

Les brise-lames sont des structures maritimes souvent utilisées pour protéger les ports, les routes littorales et les côtes en général. Bien qu’au cours des dernières années, les recherches sur les changements climatiques se soient accélérées, il reste encore beaucoup à faire pour comprendre comment les structures existantes fonctionneront avec un niveau de mer plus élevé et pour améliorer leur conception et leur modélisation.

Cet article montre les conséquences potentielles de l’élévation du niveau des mers sur la performance des brise-lames. Pour cela, plusieurs tests en laboratoire et simulations numériques ont été réalisés pour deux scénarios d’élévation du niveau des mers proposés par le GIEC (2014). Comme prévu, les résultats montrent que, même pour une hauteur de vague incidente égale, une augmentation d’environ un mètre du niveau de la mer (échelle réelle) entraîne des conditions plus exigeantes pour les brise-lames. Les forces accrues et les débits de débordement qui en résultent dépendent non seulement du niveau de la mer et de la taille des vagues incidentes, mais aussi des interactions entre ces vagues et la structure. Ces interactions étant complexes, il est très difficile d’estimer avec précision la défaillance des structures existantes.

Solutions à l’élévation du niveau de la mer

Les régions côtières sont soumises à des risques croissants, principalement en raison des inondations
et de l’érosion côtière résultant de l’élévation du niveau de la mer et de phénomènes météorologiques extrêmes. Il est donc nécessaire de gérer les risques en adoptant des mesures d’adaptation pour la protection des côtes contre les changements climatiques. Bien que les solutions optimales pour atténuer l’élévation du niveau de la mer n’aient pas encore été trouvées, il existe plusieurs solutions (A) naturelles et (B) artificielles :

(A) Les solutions fondées sur la nature consistent à planter des systèmes de mangroves et/ou d’autres types de végétation qui réduisent l’énergie des vagues et, par conséquent, leur soulèvement éventuel et le débordement des structures en mer (Maza et al., 2021). Cependant, pour ce type de solutions, le coût et l’efficacité à long terme ne font pas l’unanimité.

(B) Les protections artificielles (construction dans la mer, brise-lames, remblais, murs verticaux et barrières anti-tempêtes) sont économiquement rentables dans la plupart des contextes urbains confrontés à la rareté des terres (confiance élevée), mais peuvent conduire à une exposition accrue à long terme. Ces mesures sont très répandues et offrent des niveaux de sécurité prévisibles dans le nord-ouest de l’Europe, en Asie de l’Est et autour de nombreuses villes et deltas côtiers.

Perspectives

L’investissement dans des essais pilotes et des mesures visant à atténuer les conséquences du changement climatique deviennent critiques pour la bonne conception des futures structures. Plus précisément, afin de poursuivre ces travaux, il est prévu d’effectuer davantage de tests en laboratoire pour différents types de brise-lames. En outre, d’autres structures telles que les épis et les murs verticaux sont à étudier. Ces deux dernières structures maritimes sont les plus fréquentes sur la côte québécoise (régions côtières du golfe du Saint-Laurent) et ont pour but de protéger le littoral.

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