Le charbon, le pétrole et le gaz naturel contrôlent l’économie mondiale. La combustion de ces produits fossiles pour faire tourner cette économie contribue à enrichir l’atmosphère année après année de gaz carbonique (noté CO2). Comme l’apport continuel de CO2 atmosphérique dépasse largement les capacités de notre planète à absorber ce surplus, ce gaz s’accumule dans l’atmosphère. Il génère un effet de serre qui augmente progressivement et globalement la température terrestre (Figure 1). Si l’économie ralentit, ou s’arrête, suite à des crises financières, politiques ou de santé pandémique, les émissions de CO2 ralentissent puis repartent de plus belle : c’est « l’effet pendule ». Mais ces fluctuations d’origine anthropique s’ajoutent à celles, naturelles, du climat. Il n’est donc pas toujours facile d’établir des relations de causes à effets entre crise économique, concentration de CO2 et climat! La Terre absorbe en partie ces émissions et d’une façon variable selon le climat.
La question soulevée ici est de savoir si les relances économiques engendrent par leurs émissions de CO2 accrues un effet sur le climat. Quel est l’impact de ces rebonds post-crises? Notament, quel rôle cet effet pendule peut-il jouer dans l’efficacité des efforts de luttes aux changements climatiques?
Pour tenter de répondre à ces questions, il faut prendre en considération trois éléments, 1) la série de « crises économiques » depuis 1987; 2) les émissions de CO2 dues aux variations des activités humaines; 3) et la prise en compte des effets naturels d’absorption du CO2 par la Terre.
Les crises économique, financière ou politique
Depuis 1987, excluant la crise actuelle de la pandémie (neuvième crise), nous pouvons identifier huit crises majeures d’origines diverses qui ont ébranlé l’économie mondiale à différents degrés. Elles sont succinctement décrites dans le Tableau 1 et identifiées de 1 à 8. Leurs variations sont illustrées dans la Figure 2 à partir de l’indice boursier canadien pris comme exemple d’indicateur économique.
L’analyse des indices dans les importantes bourses de pays industrialisés à travers le monde montre une grande similitude confirmant le caractère mondial de ces huit crises. La Figure 2 indique aussi les trois « périodes de récession », décrétées par les économistes, que le Canada a connu durant cette période en 1990-1992, 1999 et 2009, classées respectivement de niveau 4, 1 et 4 sur une échelle de 5 niveaux de sévérité. Quel a été l’impact de ces crises sur les émissions de CO2 dans l’atmosphère?
Crises économiques et émission de CO2
La figure 3 montre la progression continue des émissions humaines de CO2 dues à la combustion des produits fossiles (courbe bleue) qui a presque doublé en trente ans, en passant de 5.5 GtC/an en 1986 à 10 GtC/an en 2019. Cette courbe met cependant clairement en évidence des ralentissements des émissions durant sept périodes correspondant aux sept crises sur les huit répertoriées. L’ampleur relative de la baisse des émissions est cependant variable (Tableau 2). Il y a en effet un lien entre les types de crises économiques et l’ampleur des émissions de CO2 (réduction de la consommation énergétique). Calculée sur la moyenne du taux de variation des émissions interannuelles, An(J) – An(J-1), durant les crises par rapport à la moyenne sur trente-deux ans (134.3 MtC/an), les baisses liées aux crises ont été très importantes, de l’ordre de 100 % ou plus, pour les crises 2, 3, 5, 7 et 8, elle n’apparaît pas pour la crise 1 et elle est faible pour les crises 4 et 6 (Tableau 2). Le ralentissement des émissions est particulièrement marqué pour la crise 5 (crise du crédit) qui a plongé le Canada (et le monde) dans une récession sévère en 2009. Après chacune de ces crises, l’économie mondiale est repartie de plus belle (effet « pendule »), avec une émission particulièrement forte après les crises 1 (1988), 4 (2003 à 2005) et 5 (2010-2011) (Figure 3).
Il est encore trop tôt pour analyser la crise actuelle de la COVID-19 (crise 9), mais des signes précurseurs sont déjà visibles sur la baisse des concentrations de CO2 atmosphérique, analysée dans la section suivante. La question est donc : quel a été l’impact climatique de ces variations d’émissions?
Le CO2 atmosphérique
Les variations de concentration en CO2 mesurée dans l’atmosphère et qui contribue directement à l’effet de serre sont montrées à la Figure 4. Il s’agit de mesures journalières de référence mondiale, très précises, réalisées à l’Observatoire de Mauna Loa à Hawaï en plein Pacifique. Ces mesures sont exprimées ici en unité relative : partie par million (ppm) que l’on peut traduire en équivalent de masse de carbone. L’augmentation observée de la concentration en CO2 atmosphérique est très impressionnante par sa constance : on est passé d’une concentration de 349 ppm au début de l’année 1987 à 413 ppm au début 2020, soit une augmentation moyenne de 1.94 ppm/an (18 % en 33 ans). Cette augmentation continue traduit le caractère cumulatif des émissions de CO2 dans l’atmosphère, qui résulte d’une émission humaine toujours supérieure aux quantités de CO2 que la Terre peut absorber.
La deuxième constatation est que cette croissance continue n’est pas tout à fait équivalente à celle des émissions montrées à la Figure 3. La Figure 4 montre de légères fluctuations interannuelles (agrandies dans les zooms de la courbe générale pour les périodes des crises 3, 4, 5 et 9). La seule variation bien visible est celle sous forme de plateau pendant la crise 3 (crises asiatique et russe) qui a suivi une forte accélération. On distingue également un début de plateau de la concentration en CO2 atmosphérique pour février et mars 2020 liée à la baisse des émissions causée par la crise de la COVID-19. Mais en général, les variations annuelles de concentration en CO2 augmentent toujours et les crises économiques n’apparaissent pas clairement. Pour bien comprendre si ces crises économiques suivies de périodes de reprise ont des effets climatiques, il faut prendre en compte les compensations naturelles de CO2 dans les mesures de concentration du CO2 atmosphérique.
Crises économiques, CO2 et climat
Pour analyser l’impact climatique des crises économiques, il n’est pas possible de considérer seulement les concentrations de CO2 (comme on l’a vu dans la Figure 4) car cette concentration est en partie modulée par les puits naturels de carbone. Les principaux puits de carbone naturels sont les océans par dissolution du CO2 et la biosphère mondiale, terrestre et marine, par photosynthèse. Cette modulation est variable dans le temps car ces puits varient en fonction du climat! Cela rend l’interprétation des observations difficile. Cette composante naturelle, mal connue, génère actuellement la plus grande incertitude dans les calculs du bilan de carbone global (émission – absorption) lié aux changements climatiques.
Pour mettre en évidence ces phénomènes d’origine naturelle, nous avons calculé un indice mettant en relation les émissions annuelles humaines (E, montrées à la Figure 3, courbe bleue) avec les mesures du taux de croissance annuelle de CO2 atmosphérique (CO2, GtC/an) dérivé des mesures à Hawaï (montrées à la Figure 4). Cet indice (CO2 – E) représente les absorptions naturelles du flux de carbone (courbe jaune dans la Figure 3). Globalement, les émissions annuelles sont actuellement de l’ordre de 10 GtC/an, elles sont absorbées à hauteur de la moitié (Abs ≈ 5 GtC/an, courbe jaune Figure 3), et génèrent ainsi un taux de croissance annuelle moyen de CO2 d’environ (10 – 5) = 5 GtC/an, responsable de l’augmentation de température observée.
Il apparaît que cette absorption naturelle des flux de CO2 n’est pas constante dans le temps, masquant ou accentuant certaines années l’effet climatique des crises (Figure 1). Deux exemples où ces fluctuations naturelles ont été exceptionnellement fortes sont l’éruption du volcan Pinatubo aux Philippines (juin 1991) et l’évènement El Niño en 1998. Le premier a augmenté l’absorption globale du CO2 atmosphérique, annulant ainsi l’effet climatique de la reprise économique après la crise 2 (Guerre du Golfe avec récession du Canada) (Figure 4), alors que le second a fortement augmenté le CO2 atmosphérique (Kim, Kug, Yoon et Jeong, 2016) (voir le médaillon dans la Figure 4). Cette anomalie a précédé la crise 3 relative à l’effondrement de l’URSS et la crise asiatique). L’indice (CO2 – E) met bien en évidence la forte augmentation du CO2 en 1998 (courbe en jaune dans la Figure 3).
En conclusion, même si cette analyse est simplifiée et porte sur une période de temps assez courte, on constate que sept des huit crises analysés ont généré une baisse des émissions (toutes sauf la crise 1) et qu’un effet de pendule (rebond) a suivi. On observe une accélération des émissions après trois cas (crises 1, 4 et 7). Toutefois, l’impact climatique de ces variations doit être modulé par les contre-effets naturels de la Terre. Il apparaît, qu’en prenant en compte ces phénomènes naturels, la majorité d’entre-elles (5 sur les 8 crises) ont eu un impact climatique important (Crises 2, 3, 4, 5 et 6).
Prospective : COVID-19
Que peut-on envisager pour l’épisode actuel de la pandémie COVID-19? Difficile à dire! Premièrement, cette crise est singulière à tel point qu’elle pourrait entraîner l’économie mondiale en 2020 vers sa pire récession depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Aussi, l’ampleur et surtout la durée de cette récession sont en revanche encore inconnues et difficilement estimables. Certes, une baisse des teneurs en CO2 atmosphériques mondiales est déjà perceptible deux mois après le début de la crise, mais va-t-elle perdurer ?
Aussi, les causes de la récession actuelle étant différentes des crises précédentes, la crise de la COVID-19 n’est, en fait, pas vraiment comparable. Il serait ainsi hasardeux de se servir des crises économiques passées pour anticiper les conséquences réelles de la pandémie, et donc prévoir les effets de la reprise post-crise. Une chose est sûre par contre, le changement climatique n’est pas une crise passagère, il s’agit d’un problème à long terme avec lequel il faudra apprendre à vivre. Un « vaccin » contre le réchauffement climatique ne sera jamais disponible. Il faudra que le plan de relance de chaque État se concentre sur la résilience de chacun.e face aux chocs climatiques qui pourraient résulter d’une relance accélérée.
Le Quéré et al. (2018). Global Carbon Budget 2018, Earth Syst. Sci. Data, 10, 2141–2194, https://doi.org/10.5194/essd-10-2141-2018