Sciences et technologies

De nouveaux ravageurs dans les fraisières au Québec, un autre effet des changements climatiques

Le Québec est la principale province productrice de fraises au Canada. En 2018, la production de fraises était évaluée à un volume de plus de 15 millions de tonnes et représentait des revenus de 66 millions de dollars (Gouvernement du Québec, 2021). Malheureusement, dans les années à venir, les rendements de la culture pourraient être perturbés par les effets des changements climatiques. Parmi les nombreuses conséquences des changements climatiques, il pourrait y avoir une augmentation de la pression exercée sur les cultures de fraises par certains ravageurs ou agents pathogènes déjà présents au Québec, mais également une augmentation des introductions de nouveaux insectes ravageurs et de nouvelles maladies (Lehmann et al., 2020). Les changements climatiques ont une influence considérable sur ces insectes, car l’augmentation des températures favorise leur métabolisme et leur développement (Lehmann et al., 2020). Des températures plus élevées perturbent également les autres activités des insectes, comme l’alimentation, la reproduction, la croissance et les déplacements (Weintraub et al., 2019). Par conséquent, les hausses de température auront potentiellement pour effet d’accroître les densités de population d’insectes ravageurs dans les champs de fraises et augmenteront l’intensité des dommages ainsi que les pertes de rendements (Figure 1a).

Figure 1. Symptômes de la maladie du pétale vert sur des fraisiers récoltés dans la région de la Capitale-Nationale, au Québec. Dans le coin droit, des symptômes de dégâts causés par les cicadelles lors de l’alimentation (a) ;
une représentation schématique des deux principaux modes de transmission des maladies à phytoplasmes par les cicadelles (b);
et une représentation partielle de la diversité des cicadelles du genre Erythroneura trouvées dans les champs de fraises du Québec (c).

Les insectes et les conséquences des changements climatiques

Les changements climatiques ont des conséquences positives, négatives ou encore mixtes en lien avec la hausse des températures, et certains insectes sont particulièrement plus touchés que d’autres. Plusieurs insectes ont des exigences environnementales plus strictes ainsi que des tolérances physiologiques plus faibles lors de températures extrêmes (Lehmann et al., 2020). Certains ne peuvent pas supporter de changements dans leurs niches écologiques, leur phénologie ainsi que pendant leur développement (Lehmann et al., 2020). Le réchauffement des températures pourrait donc entraîner le déclin d’espèces d’insectes qui ne peuvent pas s’adapter. Cependant, pour d’autres insectes, les effets des changements climatiques augmentent les densités de population en devançant la phénologie, en augmentant le nombre de générations et en favorisant leur cycle de vie, notamment pendant la reproduction et le développement. Un autre effet des changements climatiques sur les insectes, y compris les insectes ravageurs de cultures, est l’élargissement des aires de répartition dans de nouvelles niches écologiques (Reineke et al., 2016). Les cicadelles sont de petits insectes dont la température corporelle et le développement varient également en fonction des conditions environnementales. Ainsi, les densités de population de cicadelles sont plus grandes avec des températures plus chaudes. Plusieurs espèces de cicadelles sont également des insectes migrateurs. La hausse des températures a comme effet d’accentuer la portée des migrations vers de nouvelles régions où ils ne s’y trouvaient pas ou s’y trouvaient en faible densité (Baker et al., 2015). De plus, il a été rapporté, dans une étude sur l’influence des changements climatiques sur la cicadelle de la pomme de terre (Empoasca fabae), que les températures plus chaudes permettront aux cicadelles de faire des migrations plus précoces en début de saison, d’année en année (Baker et al., 2015).

Les cicadelles comme cas d’étude

Les cicadelles appartiennent à l’ordre des homoptères et sont des insectes piqueurs-suceurs qui se nourrissent de sève, principalement dans le phloème, les vaisseaux vasculaires qui transportent la sève élaborée de la plante (Weintraub et al., 2019). Les cicadelles peuvent causer des dommages directs et indirects aux plantes comme les fraisiers, notamment des dommages importants aux feuilles, après s’être alimentées. Les populations incontrôlées de cicadelles peuvent occasionner des pertes de rendements importantes dans les fraisières. En s’alimentant, les cicadelles provoquent des dommages mécaniques aux feuilles et réduisent la photosynthèse, ce qui a des conséquences sur le développement des plantes et la production de fruits. De plus, il y a différentes régies des cultures favorables ou défavorables pour les populations de cicadelles dans les champs de fraises. Tout d’abord, la gestion des mauvaises herbes est importante. Les mauvaises herbes présentes dans les champs ainsi qu’en bordure de ceux-ci peuvent servir d’hôtes alternatifs aux cicadelles. Ensuite, les mauvaises herbes favorisent le déplacement des cicadelles sur les plants de fraises avoisinants (Weintraub et al., 2019). Il existe aussi d’autres facteurs agroenvironnementaux qui influencent la présence d’une plus grande densité de cicadelles, par exemple, la présence de forêts à proximité. La fréquence des interventions phytosanitaires effectuées dans le champ influence également la densité des populations de cicadelles. Les cicadelles sont aussi reconnues pour être des insectes vecteurs, c’est-à-dire des insectes qui transmettent des maladies bactériennes et virales aux plantes (Weintraub et al., 2019).

Les phytoplasmes et leur transmission par les insectes vecteurs

Les phytoplasmes sont des bactéries sans paroi cellulaire appartenant à la classe des mollicutes. Ce sont des agents pathogènes obligatoires du genre Candidatus Phytoplasma qui se développent dans l’hémolymphe des insectes vecteurs et dans le phloème de leur plante hôte (Alma et al., 2019). Les phytoplasmes peuvent causer des maladies dans la grande majorité des cultures, dont la culture de la fraise. Au Canada, y compris au Québec, il existe plusieurs groupes et sous-groupes de phytoplasmes qui causent des maladies (Olivier et al., 2019). Au Québec, les deux maladies que l’on retrouve dans les fraisières et qui sont causées par des phytoplasmes sont la jaunisse de l’aster et la maladie du pétale vert (Figure 1a : maladie du pétale vert). Les phytoplasmes peuvent se transmettre de quatre différentes façons : par les insectes vecteurs ; par leur propre multiplication ; par les semences et par les connexions vasculaires.
Le cycle de transmission des phytoplasmes par les insectes vecteurs comporte quatre étapes (Alma et al., 2019). La première étape est l’acquisition des phytoplasmes par la cicadelle. Cette étape se produit lorsque l’insecte se nourrit du phloème d’une plante infectée par des phytoplasmes. À la suite de l’acquisition des phytoplasmes par l’insecte vecteur, celui-ci ne peut pas être transmis immédiatement. Une période latente est nécessaire, c’est-à-dire une période lors de laquelle les phytoplasmes se multiplient et circulent à l’intérieur de l’insecte. La période de latence se divise en trois sous-étapes : entrée et multiplication dans l’épithélium intestinal des cellules du tube digestif de l’insecte, entrée dans l’hémocèle et circulation dans l’hémolymphe, et entrée et multiplication dans les glandes salivaires (Weintraub et al., 2019). Une fois qu’il atteint les glandes salivaires, l’insecte peut transmettre les phytoplasmes en allant s’alimenter sur un fraisier sain. Cette phase est généralement effectuée par les adultes, car les nymphes ne se déplacent pas sur d’autres plants. Finalement, il y aura développement des phytoplasmes dans le plant de fraise et celui-ci deviendra infecté. La figure 1b présente en schéma simplifié les principales voies de transmission des phytoplasmes à un plant de fraise, y compris les étapes de la transmission par les insectes vecteurs. Les changements climatiques aussi ont des conséquences sur les phytoplasmes, en influant sur leur développement ainsi que sur la relation tritrophique entre les plantes, les phytoplasmes et les insectes (Weintraub et al., 2019).
Les températures plus chaudes favorisent généralement l’intensité de l’alimentation des insectes sur les plantes, ce qui accroît les chances d’acquisition et de transmission de phytoplasmes par les insectes vecteurs (Reineke et al., 2016). De plus, bien que la multiplication dans l’insecte ne semble pas perturbée par la température, la multiplication dans la plante infectée sera plus rapide lorsque les conditions de températures sont plus chaudes (Galeto et al., 2011).

La problématique au Québec

Actuellement, les producteurs de fraises du Québec sont de plus en plus préoccupés par les densités de cicadelles que l’on retrouve dans les champs. Celles-ci ont considérablement augmenté d’après les observations des producteurs, probablement à cause des variations des températures exprimées pendant la période de croissance. Par conséquent, davantage de dommages sont causés par le ravageur dans les champs de fraises et cela s’ensuit de pertes de rendements plus importantes. Malheureusement, il n’y a pas de références disponibles sur ce sujet et jusqu’à présent, nous n’avons que des témoignages anecdotiques provenant des producteurs. Rappelons également que les cicadelles sont des insectes vecteurs connus pour la transmission de maladies bactériennes et virales. On pourrait donc voir, dans les années futures, une augmentation des maladies dans les champs de fraises en raison des populations plus élevées de ravageurs (Weintraub et al., 2019).

Afin d’éviter de subir des pertes de rendements, les producteurs de fraises augmentent la fréquence des interventions phytosanitaires (communication avec les producteurs). L’augmentation des applications de pesticides a potentiellement des conséquences négatives sur l’environnement ainsi que sur les insectes bénéfiques comme les pollinisateurs et les ennemis naturels des ravageurs. De plus, ces interventions ne sont pas toujours efficaces pour contrôler les cicadelles. En réalité, plusieurs des interventions phytosanitaires ne sont peut-être pas nécessaires, car actuellement, nous ne connaissons pas bien les moments où il faut intervenir contre le ravageur. Le dépistage des cicadelles est également difficile et demande plus de temps en comparaison avec d’autres insectes dépistés dans les champs. Pour les cicadelles, il faut dépister les larves et les adultes en procédant avec des façons différentes. En effet, il faut effectuer un dépistage visuel rigoureux dans le champ pour les larves, mais utiliser des pièges collants pour les adultes. Il n’y a présentement pas de seuil d’intervention établi pour le dépistage des cicadelles, ce qui complique aussi les décisions pour les traitements phytosanitaires.

Il existe différentes méthodes de lutte et mesures d’adaptation pour la gestion des cicadelles et des phytoplasmes. Les traitements chimiques avec insecticides sont l’option la plus efficace pour la lutte contre les cicadelles, au détriment de l’environnement. Toutefois, d’autres moyens moins efficaces et plus coûteux, comme l’introduction d’agents de lutte biologique, les biopesticides ou encore l’implantation de filets anti-insectes sont aussi parfois utilisés et pourront servir de mesures d’adaptation dans le futur (Olivier et al., 2019). Pour les phytoplasmes, le meilleur moyen de lutte actuel est la prévention ainsi que la détection hâtive des plants touchés présentant des symptômes pour en faire l’élimination avant la propagation par les insectes vecteurs. Néanmoins, l’utilisation de traitements à l’eau chaude et l’injection d’antibiotiques sont d’autres moyens intéressants pour lutter contre le pathogène (Olivier et al., 2019). D’autres moyens de lutte, comme la sélection de cultivars plus tolérants et même résistants aux phytoplasmes, sont des mesures d’adaptation qui seront désirables dans le futur, mais beaucoup de travail reste à accomplir dans ce domaine.

Conclusion

En ce moment, on ne sait presque rien sur la diversité des genres et des espèces de cicadelles que l’on retrouve dans la culture de la fraise du Québec ainsi que sur leur implication possible dans la transmission des maladies. Nous en savons peu sur les phytoplasmes qui sont portés et transmis par les cicadelles vectrices. L’acquisition de ces connaissances permettrait aussi de savoir si des interventions phytosanitaires sont réellement justifiées contre ces insectes, de cibler le meilleur moment d’intervention et ainsi de prévenir la présence de maladies pouvant mettre en danger la productivité et les rendements. Cela réduira également la nécessité d’appliquer fréquemment de grandes quantités d’insecticides, évitant le développement de résistances et les risques pour la santé et l’environnement. Les conséquences des changements climatiques sont déjà ressenties sur les densités de population de cicadelles dans les champs de fraises du Québec. Les producteurs de fraises font face à un nouveau problème qu’ils ne rencontraient pas dans le passé et nous pouvons nous attendre à ce que le problème soit plus important dans le futur, en raison de l’augmentation des températures. Pour éviter de subir encore plus de pertes de rendements, des mesures plus respectueuses de l’environnement et efficaces devront voir le jour et il faudra davantage de recherches pour mieux comprendre les cicadelles et les phytoplasmes.

Financement

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