Droit et politique

Du « Bandung historique » à l’actualité d’un « Bandung climatique » : le bloc RDC-Indonésie-Brésil pour la défense du climat et la valorisation des forêts tropicales

Le 14 novembre 2022, le Brésil, l’Indonésie et la République démocratique du Congo (RDC) ont officiellement lancé un partenariat axé sur la préservation de leurs vastes forêts tropicales, menacées par l’exploitation et l’agriculture, dans le cadre de la recherche de solutions climatiques. Ce partenariat, signé sur l’île de Bali, en Indonésie, met en évidence une dimension cruciale : la dimension climatique. En effet, ces trois pays abritent des écosystèmes forestiers essentiels tels que le bassin de l’Amazonie, le bassin du Congo et le bassin indonésien, tous menacés par les effets du changement climatique et les pressions pour l’exploitation par l’agriculture. En s’unissant pour préserver ces vastes forêts tropicales, ils reconnaissent l’importance de ces écosystèmes dans la lutte contre le changement climatique.

Ce partenariat revêt une signification particulière dans le contexte de la coopération Sud-Sud. La ministre congolaise de l’Environnement et du Développement durable souligne que ces pays font face à des défis similaires et partagent l’opportunité de devenir une solution face aux défis climatiques mondiaux (Desk-Eco, 2023). En mettant l’accent sur la coopération entre les nations du Sud, ce partenariat remet en question le modèle dominant de la gouvernance forestière mondiale, qui est souvent influencé par les intérêts géopolitiques des pays industrialisés du Nord. Il est important de souligner que les conséquences du changement climatique sont largement déterminées par les modèles de développement prédominants. Ces modèles sont souvent imposés par les pays industrialisés du Nord, qui exercent leur pouvoir politique, économique, voire militaire, lors des négociations internationales sur le climat (Aykut et Dahan, 2014). Par conséquent, cette initiative de coopération Sud-Sud remet en question cette asymétrie de pouvoir et cherche à rééquilibrer les influences géopolitiques dans le domaine climatique.

Dans cet article, nous proposons une analyse approfondie du partenariat conclu par ces trois États du Sud (RDC, Indonésie et Brésil) afin de tirer les enseignements potentiels sur la géopolitique climatique et sur l’avenir des forêts tropicales dans le débat mondial sur la gouvernance forestière.

Étant donné que le texte original de l’accord n’est pas encore accessible au public, nous nous appuierons sur une approche méthodologique d’analyse du discours médiatique pour obtenir des informations et étayer notre analyse (Chartier, 2003). L’accord signé en novembre 2022 entre les trois États met en lumière trois points saillants de la collaboration entre les États, à savoir une politique partagée d’exploitation et de préservation des forêts, la concertation interministérielle dans les négociations internationales sur le climat et le développement des traités bilatéraux en matière d’économie et d’industrie. Les modalités de collaboration sont interministérielles, mais n’ont pas abouti à la création d’un cadre permanent.

Dans une première analyse, nous allons nous interroger sur la portée de l’accord et ses possibilités ou ses limites politico-juridiques pour influer réellement dans les négociations internationales sur le climat.

Dans une seconde analyse, nous allons nous interroger sur l’exhumation d’une page de l’histoire politique contemporaine en lien avec la conférence de Bandung, qui avait mis en place le bloc des «  non-alignés  » en contexte de guerre froide et son actualité contemporaine, marqué par une nouvelle rivalité autour des défis climatiques opposant le Bloc États-Unis-Union Européenne à la Chine.

La tripartite RDC-Indonésie-Brésil et ses possibilités politiques d’influer dans les négociations internationales sur le climat

Le partenariat RDC-Indonésie-Brésil en matière de protection des forêts, signé en novembre 2022, semble sur le fond formaliser les vieilles revendications des États du Sud dans le cadre des négociations internationales sur le climat. En effet, l’Accord signé à Bali en novembre 2022, en marge du sommet du G20, met en lumière une revendication importante en rapport avec la volonté commune des États de faire bouger les lignes des négociations internationales sur le climat. Les ministres de trois pays espèrent, par cet accord, se servir de leurs forêts respectives comme outil politique pouvant faire le contrepoids pour réclamer la compensation face aux plus grands pollueurs du climat. Ainsi, «  face aux pollueurs, le paiement-compensation (et non des dons) doit être proportionnel au rôle d’atténuation et d’adaptation que jouent nos forêts et nos minerais  », a déclaré le ministre congolais de l’Industrie, aussi présent à Bali à l’occasion de la signature de cet accord (Journal des nations, 2022). Une telle revendication était déjà présente lors de la COP27 en Égypte, dont les lignes ont préfiguré l’accord signé en marge du sommet du G20 à Bali. Ainsi, la ministre congolaise de l’Environnement et du Développement durable traduisait déjà cette revendication en ces mots : « Nous allons parler d’une seule voix à propos du prix de la tonne de carbone. Il est inconcevable qu’au Sud, le prix de la tonne de carbone soit à 5 dollars alors qu’il est bien plus élevé au Nord. Nous souhaitons une démarche coercitive et cela peut nous permettre d’aider des pays moins avancés ou des pays insulaires qui sont en danger. En cela, nous sommes des États solutions. Nous souhaitons aussi parler de la transformation de nos ressources naturelles (…). Il faut qu’il y ait la transformation locale de nos ressources naturelles, de nos minerais stratégiques, des métaux précieux pour créer des emplois, de la richesse et nous aider à la transition écologique  » (TV5MONDE, 2022).

Cependant, l’accord tripartite RDC-Indonésie-Brésil se heurte à des défis politico-structurels pouvant perturber ses possibilités d’influer réellement dans les négociations internationales sur le climat. En fait, cet accord met en présence trois États qui n’ont pas le même poids économique et par conséquent politique. D’un côté, le Brésil et l’Indonésie, qui sont membres du G20, avec un PIB respectif de 9  821  USD par habitant pour le Brésil et de 3  847  USD par habitant pour l’Indonésie, et de l’autre côté, la RDC, avec un PIB de 463  USD par habitant (Atlasocio, 2019). Il en ressort qu’en ce qui concerne les responsabilités dans la préservation des forêts, le Brésil et l’Indonésie n’ont pas les mêmes intérêts dans la longue durée que la RDC, car le Brésil en particulier est véritablement un État émergent qui semble porter toute l’économie d’Amérique latine et qui tient à garder cette position, non sans influer sur la préservation de ses forêts tropicales (voire la politique amorcée par Jair Bolsonaro). Quant à l’Indonésie, elle aspire également à plus d’industrialisation, entraînant des pressions sur ses forêts, pour accroître ses possibilités extractives capables de soutenir son modèle de développement. Ces pressions sur les forêts indonésiennes frôlent aujourd’hui des violations graves des droits de la personne contre certaines de ses populations (cas d’accaparement des terres des populations papoues) (National Geographic, 2022). Par ailleurs, l’Indonésie et le Brésil sont intéressés par le marché congolais des ressources naturelles (Desk-Eco, 2023). Cet intérêt stratégique pourrait constituer une opportunité pour la RDC de tirer profit de l’expérience de ces deux États en matière de coopération économique sur des bases gagnant-gagnant, notamment par un transfert des technologies de la part de ces deux pays qui ont fait des progrès en matière de gestion et de dotation en infrastructures publiques de base. Cette coopération se caractérise en général par l’absence des conditionnalités politiques (obligation d’une gouvernance démocratique) et financières (aides publiques assorties des intérêts exorbitants) parfois contre-productives dans le contexte de la coopération Nord-Sud. Face à cette particularité de la coopération respectueuse des souverainetés des États parties, peut-on en déduire que l’accord signé à Bali en Indonésie en 2022 pourrait exhumer l’esprit de la Conférence de Bandung de 1955 ? Y réfléchir s’avère opportun.

Vers un Bandung climatique ? Réflexions opportunes à un nouvel ordre climatique issu de l’Accord tripartite RDC-Indonésie-Brésil

Une mise en perspective historique de la Conférence afro-asiatique de Bandung s’avère importante avant d’en analyser les implications et/ou similarités contemporaines. En effet, «  la Conférence afro-asiatique de Bandung a été instaurée par la Birmanie (Myanmar), le Ceylan (Sri Lanka), l’Inde, l’Indonésie et le Pakistan. Elle s’est réunie à Bandung, en Indonésie, du 18 au 24 avril 1955 (…) Face aux blocs capitaliste et communiste, les participants à la conférence de Bandung expriment leur opposition à toute forme de colonialisme. La Conférence afro-asiatique a étudié le rôle de l’Asie et de l’Afrique et a examiné les moyens grâce auxquels les peuples des pays représentés peuvent réaliser la coopération économique, culturelle et politique la plus étroite  » (Perspective Monde, 2023). Le Communiqué final de la Conférence de Bandung avait entre autres objectifs reconnu la nécessité urgente d’encourager le développement économique de la zone afro-asiatique (…) sur la base des intérêts mutuels et du respect de la souveraineté nationale (…). Les États s’étaient également accordé une assistance technique, dans toute la mesure du possible, sous forme d’experts, de projets pilotes, de matériel de démonstration, d’échanges de documentation, d’établissement d’instituts de recherche et de formation nationaux et — si possible — régionaux qui prodigueront leurs connaissances techniques et scientifiques en coopération avec les organismes internationaux existants. La Conférence avait également souligné l’importance du développement de l’utilisation pacifique de l’énergie atomique et s’était félicitée de l’initiative des puissances principalement intéressées qui ont offert de fournir des informations dans ce domaine (Conférence de Bandung, Communiqué final, 1955).

Au regard de ces divers points historiques ayant figuré dans le volet économique du Communiqué final de la Conférence de Bandung de 1955, deux commentaires saillants sont à relever quant à la tendance d’une exhumation contemporaine de l’esprit de cette conférence dans l’accord tripartite RDC-Indonésie-Brésil signé le 14 novembre 2022 à Bali.

D’une part, le communiqué final de la Conférence de Bandung semble mettre un accent sur l’économie comme moteur sociohistorique du progrès des peuples en y plaçant ses priorités dans un contexte particulier de la décolonisation marqué par la volonté de rattraper le retard de développement socioéconomique entre les États (Peemans, 2022). Soixante-huit ans après la Conférence de Bandung, son esprit semble ressurgir dans plusieurs accords de coopération Sud-Sud (cas emblématique du BRICS [Brésil, Russie, Chine, Inde et Afrique du Sud]) et spécialement de l’accord tripartite RDC-Indonésie-Brésil sous analyse. Cet accord tripartite est intéressant dans la mesure où il touche sur le défi environnemental qui a montré les limites du paradigme de l’économie classique dont le modèle de croissance était fondé sur le caractère inépuisable des ressources naturelles. En mettant leurs efforts ensemble pour protéger les forêts de leurs bassins respectifs en contrepartie d’un paiement juste et équitable pour leur développement économique, l’accord semble faire avancer l’esprit de la Conférence de Bandung en faisant du défi environnemental la nouvelle ligne politique des «  non-engagés  » dans les grandes négociations sur le climat.

D’autre part, dans une perspective visant à trouver une solution aux problèmes énergétiques qui sont au cœur des projets économiques, la conférence de Bandung avait clairement défini deux priorités, à savoir, d’une part, «  l’échange d’informations dans le domaine du pétrole qui peut aboutir à l’élaboration d’une politique commune  »1 (sans doute ce point a dicté l’avènement de l’OPEP2, créée cinq ans après la conférence de Bandung, soit en 1960) et d’autre part, «  l’importance du développement de l’utilisation pacifique de l’énergie atomique  »3. L’enjeu de l’énergie atomique n’avait donc pas échappé à l’attention des pays signataires du Communiqué final de Bandung. Revenant à l’accord tripartite RDC-Indonésie-Brésil, l’on est en voie de croire que cet accord pourrait conduire à la promotion du nucléaire civil, une voie médiane qui peut diminuer, relativement, la pression sur les forêts, bien que le caractère durable de l’énergie nucléaire divise encore profondément les scientifiques. À ce jour, la RDC n’a pas pu maintenir son projet d’un réacteur nucléaire amorcé en 1973 et abandonné en 1994 à Kinshasa. L’Indonésie a des projets avancés pour mettre en place des centrales nucléaires civiles aux fins de son autonomie énergétique tandis que le Brésil est très avancé dans l’exploitation effective d’une telle énergie.

L’enjeu ultime pour la tripartite RDC-Indonésie-Brésil : neutraliser les rivalités bipolaires Chine-Occident dans les négociations internationales sur le climat

En conclusion, cet accord tripartite entre la RDC, l’Indonésie et le Brésil représente une évolution importante de la coopération Sud-Sud (re)émergente, telle que mise en œuvre lors de la Conférence de Bandung. Il s’inscrit dans un contexte en mutation, marqué par les bouleversements économiques actuels, en particulier l’émergence de nouvelles puissances internationales comme la Chine, un acteur difficile à classer dans le contexte de l’héritage tiers-mondiste, en particulier en ce qui concerne les problématiques climatiques qui perturbent la préservation des forêts. Le défi géopolitique majeur pour cette alliance tripartite RDC-Indonésie-Brésil consiste à influencer les deux grands pollueurs mondiaux, la Chine et l’Occident (États-Unis et Union européenne), en se basant sur des préoccupations tangibles au pouvoir écologique de leurs bassins forestiers respectifs. En se positionnant comme un nouveau leader du camp des « non-alignés » et en travaillant à neutraliser les rivalités entre la Chine et l’Occident, cette alliance tripartite peut jouer un rôle déterminant dans la réalisation des aspirations du Sud de manière contraignante, en surmontant les blocages récurrents lors des négociations internationales sur le climat. Ainsi, l’accord tripartite RDC-Indonésie-Brésil se présente comme une réponse stratégique aux enjeux géopolitiques contemporains, en cherchant à forger une voie de rechange dans le cadre de la coopération climatique mondiale et à surmonter les divisions entre les puissances émergentes et les pays industrialisés. Cette alliance ambitieuse vise à influencer les dynamiques internationales et à promouvoir une approche plus équilibrée et contraignante dans la recherche de solutions pour préserver les forêts tropicales et faire face aux défis du changement climatique.

Lire à ce sujet le point 9 du Communiqué final de la Conférence de Bandung.

2. Organisation des pays exportateurs de pétrole.

À propos de l’énergie atomique, lire le point 19 du Communiqué final de la conférence de Bandung.

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