Une culture de l’automobile
Au Québec, entre 1990 et 2017, la croissance annuelle du nombre de nouvelles voitures a été 2,5 fois supérieure à celle de la population ainsi qu’au nombre de permis de conduire émis pour les plus de 16 ans (données de la société de l’assurance automobile du Québec et de l’institut de la statistique du Québec; Laviolette, 2020). De plus, ce sont les camions légers (véhicules utilitaires sport, camionnettes et fourgonnettes) qui affichent la plus forte augmentation avec une croissance de 128 % entre 2000 et 2017. En d’autres termes, 80 % des nouveaux véhicules sur les routes pendant cette période étaient des camions légers (Laviolette, 2020). Ajoutée à leur nombre grandissant sur les routes, l’utilisation de la voiture a également augmenté dans les dernières années. En effet, entre 2001 et 2016, il y a eu une augmentation de 15 % des déplacements entre les lieux de résidence et de travail, en raison notamment de la croissance de la population et de l’économie. L’utilisation de la voiture présente des impacts négatifs majeurs sur l’environnement et la santé, notamment par l’émission de gaz à effet de serre (GES), l’exposition à des particules fines dans l’air et une durée de sédentarité croissante. À titre d’exemple, une utilisation prolongée de la voiture est associée à des risques élevés de développer des maladies cardiovasculaires (Sugiyama et al., 2020). De plus, l’étalement urbain, qui a pour préalable l’utilisation de l’automobile, accélère l’accaparement de terres agricoles, l’imperméabilisation des sols, la pollution de cours d’eau et la destruction d’habitats et d’écosystèmes (Laviolette, 2020).
En hiver, c’est pire !
L’impact environnemental de l’automobile est plus élevé en période hivernale. En effet, les températures froides sont associées à une consommation d’essence plus élevée. Par exemple, l’Agence pour la protection de l’environnement des États-Unis estime qu’une diminution de la température passant de 24 °C à 7 °C peut augmenter la consommation d’essence de 12 à 28 % dans les centres urbains. De plus, la neige et la glace augmentent les dérapages, ce qui accentue la consommation d’essence de 7 à 35 % (Ministère des ressources naturelles du Canada, 2014).
Du point de vue de la santé publique et de la santé environnementale, il est primordial de pallier cette problématique en réduisant l’utilisation de la voiture dans la population. À cet effet, de plus en plus de villes comprennent que la lutte contre les changements climatiques passe par la promotion du transport actif au détriment de l’automobile et mettent en place des politiques publiques cohérentes avec cette réalité.
Le transport actif : une solution concrète
Le transport actif est défini selon l’Agence de la santé publique du Canada comme « l’ensemble des moyens de déplacement ayant pour origine la force humaine » et participe au développement de la mobilité durable, qui représente la capacité des individus à se déplacer de façon efficace, sécuritaire, équitable et pérenne, tout en respectant les limites de l’environnement et des écosystèmes. Le vélo, la marche, la planche à roulettes et le patin à roues alignées en sont des exemples. Le transport actif est reconnu comme étant une solution à la réduction des émissions de GES (Bernard et al., 2021). À cet effet, une étude conclut que, pour chaque déplacement quotidien en voiture évité et remplacé par un déplacement en vélo, les émissions de CO2 (du cycle de vie) associé au transport diminuent de 67 % (Brand et al., 2021). Une étude de projection a examiné différents scénarios pour le transport actif (vélo) pour 2030 à Adélaïde, en Australie. Si 5 % ou 10 % des utilisateur.rice.s de voitures changeaient leur mode de transport motorisé pour le vélo, il y aurait une diminution des émissions de CO2 de 2,35 % et de 2,93 % respectivement, comparativement à la situation actuelle (Xia et al., 2015).
Globalement, la littérature stipule que, même si la majeure partie des trajets en vélo se font sur de courtes distances (environ 5 km), le changement de mode de transport de la voiture au vélo pour ces trajets aurait un impact non négligeable sur la diminution des émissions de GES et de la pollution de l’air (Brand et al., 2021). Cependant, malgré une augmentation de l’utilisation du vélo pour se déplacer, le nombre de déplacements en véhicules motorisés ne diminue pas de façon proportionnelle. En d’autres mots, les individus semblent augmenter leurs déplacements à vélo sans toutefois diminuer leurs déplacements en voiture.
Qu’en est-il du vélo d’hiver ?
Il est intéressant de constater que de plus en plus de personnes utilisent le vélo comme mode de déplacement l’hiver au Canada. En effet, le nombre de personnes à vélo l’hiver augmente sans cesse depuis les dernières années au Québec, la plus grande augmentation étant sur l’île de Montréal. Selon le bureau montréalais d’Éco-compteur, le nombre de personnes qui empruntent les pistes cyclables en hiver a bondi de 83 % en 2020 par rapport à la moyenne de 2015-2019. À l’intersection des rues Saint-Laurent et de l’Acadie, le nombre moyen de personnes à vélo par jour entre le 21 décembre 2019 et le 20 mars 2020 était de 560. Par contre, Vélo Québec précise que seulement 7 % des personnes à vélo effectuent un trajet au moins une fois entre décembre et mars, contrairement à 95 % durant les mois d’été (Poirier & Thériault, 2021).
Malgré le pourcentage en hausse de personnes à vélo l’hiver, peu d’informations sont disponibles sur la façon la plus optimale d’en faire la promotion au sein de la population. En ce sens, l’objectif de cet article est de dresser le portrait des utilisateur.rice.s du vélo d’hiver pour répondre à la question suivante : quels sont les facteurs individuels et environnementaux associés à une pratique du vélo d’hiver dans les pays
de l’hémisphère nord ?
Nous avons mené une revue de la littérature narrative en interrogeant les bases de données suivantes : PSYCinfo, Scopus, SPORTDiscus et Pubmed, et en adaptant les équations de recherche avec les mots suivants : « winter cycling », « modal shifts », « winter », « snow », « active transport », « bicyle » et « determinant ». Les articles ont été sélectionnés selon les critères d’inclusion suivant :
- Aborder la pratique du vélo d’hiver1 de façon primaire ou secondaire;
- Température moyenne pendant l’hiver sous 0 ºC et une accumulation de neige au sol;
- Analyse des habitudes des usager.ère.s;
- Analyse des facteurs sociodémographiques, psychologiques ou environnementaux associés au vélo d’hiver.
Les articles ont été exclus si leurs résultats ne prenaient pas en compte l’impact des conditions hivernales sur les habitudes des usager.ère.s. Ensuite, nous avons fait une analyse descriptive des articles, puis regroupé les facteurs analysés plus d’une fois.
Le vélo d’hiver : Qui ? Pourquoi ? Comment ?
Treize études ont été incluses dans notre analyse. Elles proviennent du Canada (7), de la Norvège (5) et de la Suède (1) et consistent en des sondages ou des entrevues auprès de personnes qui pratiquent ou non le vélo d’hiver. Le Tableau 1 présente un résumé des caractéristiques de chaque étude.
Qui ? Le genre, l’âge et les attitudes pro-environnementales
Tout d’abord, les échantillons incluaient plus d’hommes que de femmes, ce qui peut laisser croire que les hommes sont plus intéressés que les femmes au vélo d’hiver. Effectivement, huit études incluaient 55 % à 85 % d’hommes et cinq études incluaient environ 50 % d’hommes. Ensuite, l’âge des utilisateur.rice.s de vélo d’hiver variait beaucoup entre les études, mais une tendance semble surgir. Les utilisateur.rice.s de vélo d’hiver sont âgé.e.s en moyenne entre 20 et 40 ans et leur probabilité de faire du vélo d’hiver augmente avec l’âge dans cet intervalle. Toutefois, trois études n’ont pas établi de relation entre l’âge et le fait de pratiquer le vélo d’hiver. Il faut donc prendre ces résultats avec précaution. Enfin, quatre études ont montré que les attitudes pro-environnementales étaient un facteur associé positivement à la pratique du vélo d’hiver.
Notamment, les résultats d’une étude réalisée sur le campus de l’Université McGill à Montréal, dont l’objectif était d’examiner les différents facteurs qui influencent la fréquence d’utilisation du vélo sur le campus, indiquent que, chez les personnes qui font du vélo « 4 saisons », les attitudes pro-environnementales sont associées positivement à la pratique du vélo d’hiver (Manaugh et al., 2017).
Pourquoi ? Faire de l’exercice physique et se rendre au travail
Trois études ont trouvé une association positive entre le fait de vouloir faire de l’exercice physique et la pratique du vélo d’hiver. Les résultats de deux études norvégiennes, réalisées au sein de campus universitaires, ont déterminé que la volonté d’avoir une meilleure forme physique était un facteur associé positivement à la pratique du vélo d’hiver. Dans les résultats d’une étude réalisée en 2003 dans deux grandes entreprises suédoises, faire de l’activité physique a été identifié comme étant un des facteurs les plus importants associés à la pratique du vélo d’hiver (Bergström & Magnusson, 2003). De plus, cinq études ont trouvé une association positive entre la pratique du vélo d’hiver et le déplacement au travail. Plus précisément, la majorité des personnes pratiquant le vélo d’hiver se déplaçaient de leur domicile à leur lieu de travail.
Comment ? Les infrastructures, la température extérieure et la distance de déplacement
D’abord, la densité des infrastructures est un facteur associé positivement à la pratique du vélo d’hiver, selon deux études qui indiquent que plus un environnement est perçu comme facilitateur, plus les utilisateur.rice.s du vélo d’hiver sont nombreux. La maintenance de ces infrastructures, c’est-à-dire le déneigement et le déglaçage, est également un facteur associé à la pratique du vélo d’hiver. Les résultats d’une étude réalisée à Calgary indiquent que 61 % des personnes qui pratiquent le vélo d’hiver considèrent la glace sur les voies cyclables comme un frein majeur et 48 % considèrent le gravier et la neige comme un problème (Amiri & Sadeghpour, 2015). Dans le même ordre d’idées, l’analyse des résultats d’une étude menée à Ottawa et Montréal indique que la maintenance des pistes cyclables est un facteur associé positivement à la pratique du vélo d’hiver des participant.e.s. À cet effet, les résultats d’une étude à Edmonton montrent que le déneigement et la séparation des voies cyclables sont deux éléments associés positivement à la pratique du vélo d’hiver (Shirgaokar, 2016). De plus, les résultats d’une étude suédoise indiquent qu’une accumulation de neige diminue les chances d’utilisation du vélo et provoque un changement du mode de déplacement du vélo à la marche.
Il est très important de souligner que la température extérieure ne semble pas affecter les utilisateur.rice.s du vélo d’hiver. En effet, deux études rapportent que la température extérieure ne représente pas un frein à la pratique du vélo d’hiver. Une étude mentionne même que plus de 70 % des utilisateur.rice.s ne sont pas incommodé.e.s par des températures allant jusqu’à -20 °C. Également, trois études ont trouvé une association négative entre la distance de déplacement et la pratique du vélo d’hiver. En d’autres mots, plus une personne doit se déplacer longtemps, moins il y a de chance qu’elle choisisse le vélo d’hiver. Le Tableau 2 présente les résultats pour chacun des articles.
La promotion du vélo d’hiver : un défi de taille
Il existe dans la littérature des études sur la pratique du vélo utilitaire et sur les façons de l’encourager (par exemple, une méta-analyse) (Arnott et al., 2014), mais nous n’en avons identifié aucune ciblant spécifiquement le vélo d’hiver. Elles ciblent systématiquement le transport actif lors des saisons plus clémentes comme le printemps et l’été. La Figure 1 résume le profil de l’utilisateur.rice typique du vélo d’hiver que nous avons obtenu à la suite de notre étude. Ce profil permet de mieux cerner qui pratique le vélo pendant l’hiver et dans quel contexte, ce qui peut servir à mieux outiller les gouvernements et les organisations pour la promotion du transport actif en hiver.
Selon nos résultats, la promotion du vélo d’hiver devrait coupler des interventions dites « douces », qui visent à motiver la population à modifier un comportement de façon volontaire à l’aide d’informations, et « dures », qui ciblent plutôt la mise en place d’infrastructures et de mesures coercitives : (1) des campagnes d’éducation au vélo d’hiver ciblant en priorité les enfants, les femmes et les personnes âgées ; (2) la promotion des bénéfices associés à la santé, à l’environnement, mais aussi en termes de gain de temps liés à la pratique du vélo d’hiver; (3) des interventions et des formations pour augmenter les offres d’infrastructures cyclables déneigées et déglacées en milieu (semi)urbain (sachant que la présence de glace et de neige sur les pistes est une grande préoccupation); (4) des mesures fiscales pour l’achat de pneus d’hiver et l’aménagement d’abris à vélo et de vestiaires, ainsi que de douches sur les lieux de travail.
D’un autre côté, notre étude met en lumière le manque d’études observationnelles longitudinales sur les actuel.le.s ou futur.e.s pratiquant.e.s du vélo d’hiver, notamment en ce qui concerne les barrières perçues à la pratique du vélo d’hiver et le développement d’habitude. De plus, nous avons besoin d’identifier les techniques de changement de comportement les plus efficaces qui permettent un transfert d’un mode de transport motorisé vers un mode actif en hiver pour les courts trajets (Javaid, Creutzig et Bamberg, 2020). De futures recherches plus poussées seraient pertinentes pour approfondir nos connaissances sur le vélo d’hiver et mieux le promouvoir au Québec. Cependant, le vélo comme mode de déplacement est une option de choix pour lutter contre les changements climatiques et pour contribuer à avoir une santé de fer. Les conditions hivernales du Québec ne doivent pas être un frein aux choix durables pour notre planète et nous-mêmes !
Définition : Utilisation du vélo comme loisir ou comme transport au minimum deux fois pendant la saison d’hiver