Le Climatoscope vous offre cet éditorial du chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador, Ghislain Picard, afin de présenter un état des connaissances et des expériences provenant de ces communautés face à la question des changements climatiques. Celui-ci témoigne de l’importance à accorder aux contributions de ces savoirs traditionnels, locaux et autochtones ainsi qu’à leur vécu en lien avec la problématique des changements climatiques.
Depuis des temps immémoriaux, les Premières Nations ont une relation étroite avec les territoires sur lesquels elles pratiquent des activités de subsistance, mais également des activités traditionnelles d’une importance culturelle vitale. Celles-ci sont intrinsèquement liées à l’identité, à l’interprétation de l’environnement, au mode de vie, à la transmission de la langue et des connaissances ainsi qu’au mieux-être des familles et des communautés des Premières Nations.
Or le climat et les manifestations de la nature font partie, de longue date, des indicateurs ayant permis à nos ancêtres de déployer leur mode de vie et de survie. En ce sens, ils peuvent être considérés comme des éléments essentiels d’un environnement et d’un territoire qui puissent faire la différence dans les processus décisionnels et les routes qu’ont choisies nos prédécesseurs afin d’assurer la sécurité et la protection des leurs.
Le 7 août dernier, on apprenait que le dernier plateau de glace sur l’Île d’Ellesmere au Nunavut, s’est brisé. Ce dernier évènement contribue sans doute à renforcer l’opinion de plusieurs de nos dirigeants à parler de bouleversements climatiques lorsqu’il est question de la fragilité du climat. D’un jour à l’autre, en mode accéléré, les changements climatiques viennent non seulement fragiliser une relation pourtant fondamentale avec le territoire, mais il est permis de croire qu’ils exacerbent certaines difficultés et certains traumatismes auxquels sont déjà confrontées les Premières Nations.
Il va de soi que les impacts des changements climatiques sur les Premières Nations au Québec sont multiples et varient d’une communauté à l’autre. Néanmoins, certaines conséquences sont partagées par l’ensemble des communautés, comme le décalage des saisons et de leur rythme, lequel bouscule la pratique des activités traditionnelles sur les territoires. Les réactions de la biodiversité face aux divers bouleversements résonnent directement sur les pratiques maîtrisées par nos peuples. Les hivers plus doux et plus courts diminuent la mobilité et l’accès au territoire durant la saison hivernale et rendent les déplacements sur la glace plus dangereux et imprévisibles. Certaines routes traditionnelles utilisées en hiver doivent même être revues pour des raisons de sécurité.
En ce qui concerne les espèces, nombreux sont les chasseurs et les trappeurs des Premières Nations qui ont noté plusieurs changements dans l’abondance et la distribution des espèces fauniques de subsistance. Certaines espèces ont modifié leurs comportements ainsi que leur aire de répartition vers le nord, tandis que d’autres se retrouvent en moins grande abondance sur les territoires ancestraux. Un appauvrissement de la santé des animaux est également observé à certains endroits et la qualité de la viande en est réduite. Aussi, ils ont constaté l’apparition de nouvelles espèces sur les territoires représentant un danger pour l’équilibre des écosystèmes et la pratique de certaines activités traditionnelles. Par exemple, la production des paniers de frêne traditionnels est maintenant menacée par la présence de l’agrile du frêne. Les petits fruits dans le sud du Québec sont souvent asséchés et sont présents en moins grande quantité qu’auparavant. Au nord, la densification arbustive se fait au détriment des petits fruits qui tolèrent moins bien l’ombre et il y a disparition ou assèchement des plantes médicinales sur les territoires. Pour certaines communautés situées dans les régions éloignées, les changements climatiques peuvent ainsi affecter leur alimentation et la sécurité alimentaire de leurs populations qui comptent sur ces nourritures traditionnelles qui se font plus rares. Elles doivent ainsi avoir recours à des produits commerciaux qui s’avèrent souvent onéreux et moins adaptés à un mode de vie sain.
L’impact des bouleversements climatiques ne se concentre pas que sur les ressources fauniques et de la flore, car l’augmentation des risques en lien avec les événements météorologiques extrêmes (inondations, érosion côtière, feux de forêt, etc.) peut causer des dommages importants aux infrastructures des communautés et ainsi engendrer des coûts plus élevés en entretien, en réparations et en gestion des mesures d’urgence. À ces perturbations accentuées sur les territoires s’ajoutent celles provoquées par les activités industrielles liées à la foresterie, aux mines, aux barrages hydroélectriques et aux usines.
Malgré ces impacts, il ne faut pas oublier que l’histoire a façonné la capacité d’adaptation et la résilience des Premières Nations. Celles-ci font face au défi des changements climatiques avec toute la force de l’expérience acquise et mènent plusieurs projets inspirants d’adaptation et d’atténuation.
Par exemple, la réalisation de plans d’adaptation aux changements climatiques dans près de 15 communautés fait la preuve que l’intégration des changements climatiques dans la gestion des actifs des communautés et dans les plans de mesures d’urgence est une priorité pour plusieurs. D’autres exemples illustrent que les Premières Nations prennent action, autant dans les méthodes que dans les activités de recherche permettant d’aiguiller l’adaptation de leurs connaissances : notons un projet de recherche sur la distribution et la qualité des petits fruits et des plantes médicinales; un projet d’étude sur les répercussions des changements climatiques sur les femmes; la mise en œuvre de projets de suivis et de surveillance communautaire du climat… Toutes ces activités sont en place à l’heure actuelle et peuvent servir de modèles et inspirer les meilleures pratiques respectant les connaissances ancestrales et culturelles.
En ce qui concerne les méthodes et les actions, la restauration d’habitats côtiers pour lutter contre l’érosion côtière, la réalisation d’ateliers de sensibilisation sur les changements climatiques et les énergies renouvelables dans les communautés et la mise en place de jardins de plantes médicinales ne sont que quelques exemples du caractère novateur et résilient de nos peuples sur leurs territoires.
L’un des enjeux auxquels nos peuples et leaders font face est celui de la place de la science traditionnelle dans le spectre des connaissances. Il est clair que les savoirs de nos peuples ont été à la base de la survie de milliers d’individus à travers le monde, depuis des siècles. N’y a-t-il pas déjà démonstration ferme et claire que ces connaissances ont permis à nos peuples de résister aux changements, qu’ils soient climatiques ou d’autre nature, mais de s’y adapter, souvent dans les conditions des plus difficiles, sur de nombreux plans?
Dans cette ère moderne, l’on peut facilement tomber dans la facilité de l’absolue croyance en la science. Or il va de soi que toutes les connaissances devraient être complémentaires et interdépendantes, car lorsqu’utilisées en conjonction, elles peuvent dresser un portrait holistique et multidimensionnel des changements ou des impacts observés. La recherche scientifique elle-même confirme, à travers diverses études, que la mise en commun des forces des connaissances autochtones peut fournir une perspective à long terme et suppléer à l’absence d’archives écrites ou de mesures historiques prises à l’aide d’instruments. En outre, elles sont souvent beaucoup plus détaillées et moins réductionnistes que la recherche scientifique qui tend à se concentrer sur quelques paramètres sélectionnés. L’utilisation de connaissances des Premières Nations s’avère souvent moins coûteuse et plus rapide. Les observations locales tiennent compte du contexte culturel du territoire, et permettent d’incorporer une perspective plus morale et spirituelle qu’une simple perspective rationnelle. La recherche suggère aussi de combiner science et connaissances traditionnelles pour poser des actions inclusives et positives.
Dans un contexte sociodémographique favorable où les communautés des Premières Nations peuvent compter sur une jeunesse en croissance et engagée dans la lutte aux changements climatiques, la formation Jeunes ambassadeurs autochtones du climat est un exemple exceptionnel de l’engagement de la jeunesse autochtone dans la lutte aux changements climatiques. Pilotée par l’Institut de développement durable des Premières Nations du Québec et du Labrador (IDDPNQL), en collaboration avec le Réseau Jeunesse des Premières Nations Québec-Labrador (RJPNQL), la formation a rassemblé 35 participant.e.s provenant de 16 communautés différentes, dont 23 jeunes, des aîné.e.s, des élu.e.s ainsi que des représentant.e.s d’organisations des Premières Nations et de la société civile. À travers divers ateliers, présentations, projections de films et cercles de partage, les participant.e.s ont partagé leurs préoccupations à l’égard des changements observés sur le territoire et ont discuté des solutions possibles à mettre en œuvre. Ils ont également approfondi leurs connaissances sur les changements climatiques selon le principe de vision à deux yeux, soit les savoirs des Premières Nations et les savoirs dits scientifiques.
Depuis cet événement, la mobilisation des jeunes ne cesse de continuer, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur des communautés. Les jeunes des Premières Nations étaient présents aux côtés de Greta Thunberg, à sa demande, lors de la grève mondiale pour le climat du 27 septembre 2019 à Montréal. Une délégation jeunesse s’est également rendue à Madrid (Espagne) en décembre 2019 pour participer à la 25e Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques. Enfin, en mars dernier, une délégation de cinq jeunes femmes des Premières Nations a participé au premier rassemblement national sur les changements climatiques de l’Assemblée des Premières Nations (APN) qui a eu lieu à Whitehorse au Yukon.
Toute cette effervescence et ces énergies visent un but commun : sauvegarder notre Terre-Mère, celle qui nous donne souffle de vie et qui continue, par sa générosité, d’accueillir l’activité humaine dans un monde en constante transformation. Pour ce faire, nous avons le devoir collectif d’exercer ce que nos ancêtres ont légué aux générations actuelles, soit cette capacité d’adaptation et de compréhension, cette transmission de connaissances de génération en génération et nous avons la responsabilité de joindre notre voix au débat. Nos contributions sur le plan international doivent également trouver leur place sur le plan domestique, car la lutte aux changements climatiques exige un effort collectif.