Politique

La santé comme moteur des négociations internationales sur le climat : retour sur le rapport spécial de l’OMS à la CdP 24

Santé et changements climatiques : un moment historique

Les enjeux sanitaires sont rarement mis au premier plan lorsqu’il est question des changements climatiques. Pourtant, ces derniers représentent aujourd’hui une des menaces les plus importantes à la santé publique1, tant au niveau local que mondial (OMS, 2018a)(1). L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) définit la santé comme un «  état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité  » (OMS, s.d.)(2). On constate alors que les changements climatiques peuvent interférer avec la santé en affectant non seulement les aspects physiologiques (blessures, maladies, infections, etc.), mais également les conditions sociales (habitat, climat social, systèmes de santé, etc.), les systèmes de soutien à la vie (agriculture, systèmes hydriques, air, etc.) ainsi que la santé mentale (stress, anxiété, dépression, etc.). L’importance des impacts des changements climatiques sur la santé publique provient notamment de la diversité et de la multidimensionnalité de leurs effets et dépend également de la nature de ceux-ci, de leur intensité et du niveau d’exposition (Watts et al., 2018, p. 587)(3). Ces effets sur la santé peuvent être la fois directs (exposition aux conséquences immédiates des changements climatiques, comme la hausse de température ou la montée du niveau des eaux) et indirects (conséquences non immédiates des perturbations climatiques, comme les mouvements de population), ajoutant à la complexité de l’adaptation et de la résilience (OMS, 2018a). Qui plus est, les changements climatiques ne représentent qu’une des composantes des perturbations environnementales affectant la santé. À la fois complexes, multidimensionnels et indirects, ces impacts n’en restent pas moins un véhicule des plus pertinents aujourd’hui pour renforcer la mobilisation internationale dans la lutte aux changements climatiques. Si la sauvegarde des écosystèmes et de la nature, en tant qu’argument justifiant des actions plus importantes pour lutter contre les changements climatiques, tarde toujours à rejoindre une majorité de gouvernements et de citoyen.ne.s, la préservation de la vie humaine ainsi que sa pleine dignité sont de plus en plus employées comme arguments dans le but de fédérer les acteurs les plus récalcitrants. Cet article propose un retour sur une des premières tentatives officielles d’utiliser la santé publique comme sujet fédérateur des négociations climatiques internationales : la publication du rapport spécial de l’OMS à la 24e Conférence des Parties (CdP) en 2018.

La place de la santé dans les négociations climatiques de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques

Depuis quelques années, les enjeux liés à la santé ont été progressivement intégrés au régime climatique international de lutte contre les changements climatiques, tout particulièrement celui de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), qui inclut l’Accord de Paris2. Cet accord, signé lors de la CdP21 en décembre 2015, est non pas uniquement un accord environnemental, mais est également largement reconnu comme étant un «  accord international de santé publique  » (UN Climate Change News, 2018). L’accord de Paris représente en fait possiblement «  le plus important accord de santé publique du 21e siècle  » (UN Climate Change News, 2018)(4). Le préambule de l’Accord de Paris est clair à ce sujet : «  les Parties devraient respecter, promouvoir et prendre en considération leurs obligations respectives concernant […] le droit à la santé  » et ledit accord reconnaît le rôle central des «  actions d’atténuation et leurs co-bénéfices pour l’adaptation, la santé et le développement durable  » (Nations Unies, 2015, p. 2)(5). Ce qui représente un élément novateur ici, c’est que l’on voit apparaître pour une des premières fois le recours à la santé publique comme véhicule pour tenter de réunir les différents acteurs impliqués dans les négociations climatiques internationales. La santé devient progressivement un outil des négociations climatiques internationales et participe au renforcement du régime climatique international. La santé publique, bien que depuis longtemps intégrée comme variable centrale dans les travaux scientifiques portant sur les changements climatiques, y entame son ascension comme «  objet politique international  ». Cette ascension trouvera son apogée lors de la CdP 24 durant laquelle fut publié et diffusé le rapport spécial de l’OMS.

Le rapport spécial « Santé et changements climatiques » de l’OMS : un appel pour passer à l’action

«  La sévérité de l’impact des changements climatiques sur la santé est de plus en plus claire. Les changements climatiques sont le plus grand défi du 21e siècle, menaçant tous les aspects de la société dans laquelle nous vivons, et le retard continu pris pour relever l’ampleur du défi augmente les risques pour les vies humaines et la santé.  »

(OMS, 2018a) (9)

Ainsi débute le rapport spécial de l’OMS intitulé «  Santé et changements climatiques  » présenté lors de la CdP24 à Katowice, en Pologne, en décembre 2018. Rédigé à la demande du Premier ministre des îles Fidji, M. Bainimarama, alors président de la 23e CdP, ce document de soixante-quatorze pages s’adresse directement aux acteurs réunis à la conférence internationale sur le climat avec pour objectif de servir de véhicule politique fédérateur. Basé sur la contribution de plus de 80 professionnel.le.s et expert.es de la santé, ses conclusions sont sans équivoque : les changements climatiques ont d’ores et déjà de forts impacts négatifs sur la santé et portent largement atteinte au «  droit à la santé  » tel que cité dans l’Accord de Paris.

En se donnant trois mandats principaux – 1) fournir une connaissance globale de l’interconnexion entre santé et changements climatiques, 2) présenter un aperçu des initiatives mises en place pour répondre aux défis sanitaires des changements climatiques, et 3) émettre des recommandations pour les négociateurs et les décideurs de la CCNUCC afin de répondre adéquatement aux conséquences sanitaires des changements climatiques – les acteurs internationaux de la santé publique tirent la sonnette d’alarme et tentent d’influencer le cours des négociations internationales sur le climat. La santé publique représente selon eux un véhicule plus que nécessaire afin de réunir les différents acteurs impliqués, en particulier les gouvernements les plus réfractaires qui pourraient être, ils en font l’hypothèse, plus concernés par la protection de la vie de leurs citoyen.ne.s que de la nature. En effet, alors que les effets négatifs de la pollution de l’air sur la santé étaient déjà bien étudiés, l’OMS insiste dans ce rapport sur le lien direct entre pollution de l’air et changements climatiques, qui tirent leur origine de la même activité : la combustion d’énergies fossiles, qui pollue l’air et constitue une source majeure d’émission de CO2. Ainsi, réduire les émissions de gaz à effet de serre (CO2, méthane, NO2) est non seulement indispensable pour atténuer les changements climatiques et l’intensité des événements climatiques extrêmes, mais également pour épargner de nombreuses vies humaines, la pollution de l’air étant responsable d’environ sept millions de morts chaque année au niveau international (OMS, 2018a). Santé et changements climatiques sont aujourd’hui indissociables. La nature unificatrice de cette réalité est l’hypothèse que fait l’OMS.

Les inégalités économiques et sociales exacerbées par les changements climatiques : prélude au rapport de l’OMS

Si les changements climatiques sont un phénomène planétaire, leurs conséquences ne touchent toutefois pas tout le monde de la même façon, en particulier lorsqu’il est question de santé. En effet, ceux-ci «  affectent particulièrement la santé des populations les plus pauvres et les plus vulnérables, comme les petits États insulaires en développement (groupe connu sous l’acronyme PEID, ou SIDS, pour Small Island Developing States) et les pays les moins développés, élargissant de facto les injustices en matière de santé  » (OMS, 2018a). Il n’est plus à prouver qu’un déterminisme socio-économique sous-tend les risques sanitaires liés aux changements climatiques, souvent décrits comme des « multiplicateurs de pauvreté » (Lloyd et Hales, s.d.)(6), car responsables, par exemple, de l’endommagement de nombre d’habitations et d’infrastructures lors d’événements extrêmes, ou encore aggravant l’insécurité alimentaire et hydrique dans des zones déjà vulnérables.

De fait, on comprend pourquoi le Premier ministre fidjien, directement interpellé par les impacts des changements climatiques sur la santé de sa population, a fait de cet enjeu le sujet clé des CdP 23 et 24. M. Bainimarama avait alors demandé à l’OMS de travailler à l’élaboration de ce rapport, et avait également lancé une initiative spéciale sur les changements climatiques et la santé dans les PEID, qui sera mise en place de 2019 à 2023. Celle-ci vise à apporter à leurs systèmes de santé un soutien politique, technique et financier pour répondre aux conséquences des changements climatiques sur la santé, à fournir une meilleure base factuelle sur les effets des changements climatiques sur la santé et à promouvoir l’atténuation de ce phénomène dans les secteurs les plus polluants (OMS, 2018a). Ainsi, les changements climatiques s’instituent non pas uniquement comme «  multiplicateurs de la pauvreté  », mais également comme multiplicateurs des inégalités de santé au niveau international, faisant potentiellement de cet objet un puissant véhicule politique, à la fois au niveau national et international, pour répondre aux changements climatiques.

Une «  révolution blanche  » aux réponses toujours en attente

La prise de position politique opérée par le secteur de la santé, clairement établie à travers la dénonciation de l’inaction des décideurs politiques, traduit l’importance d’intensifier les efforts dans la lutte contre les changements climatiques et s’attache à opérer une prise de conscience quant à la nécessité de se saisir sérieusement du sujet. Parmi les sept recommandations émises par l’OMS se retrouvent principalement l’identification et la promotion des actions visant à réduire à la fois les émissions de carbone et la pollution atmosphérique, ainsi que la prise en compte systématique de la santé dans les contributions nationales déterminées, les plans nationaux d’adaptation et les communications nationales avec la CCNUCC. L’organisation onusienne s’approprie même un vocabulaire économique en consacrant une partie entière du rapport à la façon d’assurer un soutien économique à la santé et à l’action climatique, en recommandant aux décideurs de la CCNUCC d’inclure les conséquences sur la santé des mesures d’atténuation et d’adaptation dans la conception des politiques économiques et fiscales, y compris la tarification du carbone et la réforme des subventions aux combustibles fossiles.

L’OMS cherche en effet à modifier la compréhension des actions ou des politiques à initier pour lutter contre les changements climatiques, trop souvent apparentées à des coûts, en gains bénéfiques en termes de qualité de vie et de santé publique(Campbell, 2018)(7). D’un point de vue strictement financier, les dernières études indiquent par exemple que la valeur des gains pour la santé découlant de l’action pour le climat représenterait environ le double du coût des politiques d’atténuation des changements climatiques au niveau mondial (OMS, 2018b)(8). Ainsi, même dans une logique purement mathématique, la préservation de la vie et la santé publique représentent des gains notables dans la lutte aux changements climatiques. C’est précisément cette perspective positive et orientée sur les gains que cherchait à mettre de l’avant l’OMS sous l’impulsion du Premier ministre des îles Fidji M. Bainimarama. La santé a ainsi tout le potentiel pour venir rassembler les différents acteurs lors des négociations climatiques internationales.

Malheureusement, la «  révolution blanche3  » menée lors de la CdP 24 (en référence aux blouses blanches portées par les professionnel.le.s de santé) n’a pas provoqué de retentissement particulier dans l’arène politique et médiatique internationale, comme l’espéraient les professionnel.le.s de la santé – ce qui est également le cas pour bon nombre de rapports, tous plus alarmants les uns que les autres, exposant les conséquences générales liées au phénomène des changements climatiques.

Un rapide détour par la presse nous indique qu’un message a toutefois retenu l’attention publique ; celui selon lequel la lutte contre les changements climatiques pourrait sauver des millions de vies d’ici le milieu du siècle. Ainsi, en filigrane de ses actions, l’OMS soulève un important débat et interroge directement les décideurs politiques : «  Combien de morts [en lien avec les changements climatiques] sont acceptables pour vous ?  » (Neira, 2018).(9)

Cette question, centrale pour l’avenir non pas de la planète, mais bien de l’humanité qui y loge, a le mérite d’être franche. L’inaction politique en matière de changements climatiques ne se traduit pas uniquement en nombre d’espèces en voie de disparition ou d’écosystèmes contaminés. Elle se matérialise aussi en millions de morts, et n’a donc rien à envier aux pires crimes contre l’humanité de l’histoire moderne. C’est ce fardeau historique que nous devons assumer si l’absence d’engagement continue d’être la principale réponse aux changements climatiques.

Conclusion : pour une prise en compte de la santé des générations présentes et futures

Malgré la complexité de la politique internationale du climat, le rôle de lanceur.euse.s d’alerte joué par les scientifiques, et en particulier les professionnel.le.s de santé, reste un indispensable éveilleur de conscience. Les données fournies par l’OMS ont l’avantage d’être ancrées dans le présent (pensons au nombre de morts déjà causées par la pollution de l’air) et anthropocentrées, donc plus à même de provoquer des avancées au sein du processus de négociations climatiques. À la suite de la CdP24, s’est tenue en avril 2019 la première conférence humanitaire mondiale sur la santé et les changements climatiques, sous le titre «  Prendre soin de l’humanité à +2 °C  », à laquelle l’OMS a été invitée afin de prendre part aux discussions (OMS, 2019)(10).

Cependant, cette conférence ainsi que le rapport de l’OMS présenté à la CdP 24 ne font que réaffirmer l’engagement de la communauté de la santé dans la lutte contre les changements climatiques, les données scientifiques relatives aux conséquences de ce phénomène sur la santé publique étant déjà connues et étudiées depuis plusieurs années. Katowice aura tout de même été l’occasion pour l’OMS de tirer la sonnette d’alarme en mettant sur la table la menace propre des changements climatiques à la santé humaine et non pas uniquement à l’environnement, de même que de faire part de son impatience devant le manque d’engagements pris à l’issue des rendez-vous annuels de la CCNUCC (Climate Council, 2018)(11).

En attendant, notons que la santé ne fait pas partie des sujets abordés à la CdP 25 (https://www.cop25.cl/en/rumbo-tematicas.html), qui aura lieu en décembre prochain à Santiago, au Chili. C’est peut-être donc aux groupes citoyens et militants de reprendre la balle au bond. Si les gouvernements et acteurs politiques traditionnels ne sont pas convaincus par l’argument de menace à la vie humaine pour prendre des actions significatives, c’est aux premier.ère.s concerné.e.s, soit celles et ceux dont la santé est ou sera affectée, de se faire entendre politiquement. Dans un contexte où le développement durable cherche à répondre «  aux besoins du présent sans compromettre la capacité de satisfaire ceux des générations futures » (CMED, 1987)(12), il est peut-être temps d’inclure la santé dans cette interprétation des besoins. Sinon, c’est l’existence même de ces générations futures qui est compromise.

La santé publique fait ici référence aux « activités organisées de la société visant à promouvoir, à protéger, à améliorer et, le cas échéant, à rétablir la santé de personnes, de groupes ou de la population entière » (Agence de santé publique du Canada). Le terme santé se réfère quant à lui à l’état de santé des individus.

On retrouve également une place importante accordée à la santé dans le rapport spécial de l’IPCC sur 1,5 ˚C (IPCC, 2019).

Expression utilisée par la Dre Maria Neira (2018).

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