Dossier - Perspectives municipales

L'adaptation aux changements climatiques dans la planification urbaine: enseignements du Labo Climat Montréal

Les changements climatiques transforment les villes. D’un côté, leurs industries, les transports et les bâtiments contribuent aux émissions de gaz à effet de serre; de l’autre, leurs infrastructures et leurs populations sont durement touchées par les inondations, les vagues de chaleur ou d’autres événements extrêmes. De nombreux élu.e.s, administrations municipales et acteurs de la société civile souhaitent contribuer à la lutte contre les changements climatiques. Cependant, les défis sont de taille.

L’adaptation aux changements climatiques requiert de changer des pratiques et des manières de faire; elle nécessite des collaborations entre les différents acteurs, services et professions de l’action publique urbaine (Carter et al., 2015). Il faut soit créer de nouveaux espaces de gouvernance et de participation pour s’atteler sérieusement à la tâche, soit mieux mettre en relation les espaces existants, tout en valorisant l’appropriation des questions climatiques par les praticien.ne.s dans les milieux. Le Labo Climat Montréal s’inscrit dans cette logique et vise à accroître l’intégration de l’adaptation aux changements climatiques dans les processus d’élaboration et de mise en forme des projets urbains à Montréal. Nous voulons présenter ici notre démarche de recherche-action organisée en living lab, puis partager les principales recommandations.

La recherche-action, un vecteur d’apprentissage et d’expérimentation

La recherche peut parfois paraître déconnectée du quotidien des professionnel.le.s de la planification urbaine. En effet, les méthodes classiques employées par les chercheur.euse.s (universitaires ou consultant.e.s) les inscrivent dans une posture d’observation. Cette posture vise à assurer la neutralité des conclusions de l’étude, mais elle peut renvoyer l’image d’une recherche en rupture avec les milieux de pratique. Or, dans certains cas, des chercheur.euse.s ont réalisé qu’il faut parfois accepter de passer d’une posture passive et neutre à une posture active et engagée. Ainsi, ce qu’on peut désigner comme la recherche-action se démocratise depuis quelques années. Cette forme de recherche «  fait prévaloir la visée de transformation des pratiques par les dispositifs collectifs de recherche, sans intention explicite ni action spécifique de formation individuelle des praticiens  » (Robbes, 2020, p. 3-4). Le but n’est donc pas de donner un cours aux praticien.ne.s, mais de créer des conditions favorables à l’apprentissage et d’explorer ensemble des pistes d’innovation. Ce changement de posture de la recherche permet, par exemple, d’émettre des recommandations plus adaptées aux réalités vécues par le public cible d’une étude.

Dans un contexte où la recherche et la pratique se rapprochent, les expérimentations en mode living lab ont vu le jour en s’inspirant de procédés issus du marketing, des sciences de la vie ou encore de la psychologie. Un living lab réunit différents types d’acteurs (administrations publiques, institutions de recherche, société civile, secteur privé, population…) autour d’un enjeu qui se caractérise par sa multi-dimensionnalisé et son ancrage dans un environnement donné (un territoire, un secteur d’activité, une communauté…) (Janin, Pecqueur et Besson, 2013). Un living lab s’organise généralement en ateliers, où des exercices visent à faciliter l’émergence de solutions innovantes au problème initial. En outre, ces exercices sont construits pour favoriser l’expression de certaines valeurs nécessaires à l’innovation ouverte (l’empathie, l’ouverture d’esprit, la créativité…). Dans le monde entier, des villes s’emparent de cet outil collaboratif pour chercher des solutions à des enjeux urbains (Orillard, Fautrero et Puel, 2020).

Dans le cadre de la planification urbaine, l’organisation d’un living lab peut impliquer de proposer des ateliers d’expérimentation avec les professionnel.le.s d’un service municipal autour d’un enjeu spécifique. Le Labo Climat Montréal s’inscrit dans cette logique. Ce projet interuniversitaire vise à mettre en place des conditions d’échange et d’expérimentation avec les professionnel.le.s de la Ville de Montréal pour contribuer à mieux faire connaître la recherche en adaptation aux changements climatiques au-delà des murs des universités.

Le Labo Climat Montréal : un projet de recherche, d’inspiration living lab

Composé d’une équipe interuniversitaire de sept chercheur·euse·s et neuf stagiaires à la croisée de l’aménagement urbain, des sciences sociales et de l’adaptation aux changements climatiques, le Labo Climat est une réponse à un appel lancé par la Ville de Montréal et le consortium Ouranos. Il s’agit d’un projet de recherche, d’inspiration living lab, qui vise à développer de manière collaborative de nouvelles pratiques de planification de projets urbains intégrant l’adaptation aux changements climatiques, à partir du cas de Lachine-Est, un secteur urbain en redéveloppement. Les objectifs spécifiques du Labo Climat sont d’identifier et d’agir sur la coordination entre les différents acteurs impliqués, l’expertise en adaptation aux changements climatiques dans un contexte de projet urbain, et la clarification des choix d’adaptation au fil de la démarche1.

Pendant 18 mois, le Labo Climat a étudié le projet de réaménagement de Lachine-Est. Ce secteur se caractérise par un passé industriel et un legs patrimonial important et, plus récemment, par des volontés de développement tout près du canal de Lachine (Poitras et Aubry, 2004). Le secteur possède des atouts urbanistiques, dont le canal, des parcs et une nouvelle gare de train de banlieue.

Le secteur Lachine-Est se démarque particulièrement par l’intérêt qu’y portent plusieurs individus et organisations qui s’investissent énormément dans sa planification. Le secteur est étudié depuis 2004 en vue de son réaménagement, avec des études réalisées dans les domaines de l’économie, du patrimoine, des transports ainsi que sur les infrastructures d’eau. La société civile participe depuis de nombreuses années à la réflexion autour de l’avenir du secteur.

Figure 1. Carte du secteur Lachine-Est. Source : Labo Climat Montréal (2019), utilisation de Mapbox.

Les grands projets urbains, tels que le réaménagement de friches, font émerger des processus de planification particuliers (Majoor, 2018, Holden, 2010, Pinson, 2009, Healey 2010). D’un côté, ils sont moteurs de rêves, de visions et d’innovations en proposant de grandes ambitions, en jouant le rôle de vitrine, voire de terrain d’expérimentations. De l’autre, ils font l’objet de contestations, et souvent de certaines déceptions, sur le plan des réalisations et de la distribution des bénéfices. Enfin, ce sont aussi des projets comportant une temporalité souvent changeante et incertaine, étant donné les multiples acteurs et l’importance des financements requis.

Les villes doivent apprendre à encadrer ce type de projets et à en tirer des bénéfices plus larges, notamment pour l’adaptation aux changements climatiques. Depuis 2010, un cadre de gouvernance a été mis en place à la Ville de Montréal pour les projets d’envergure. Ce cadre implique que différentes instances décisionnelles, constituées de la haute direction, des services de la ville et des arrondissements, ainsi que des membres du comité exécutif, approuvent certaines étapes clés de planification du projet. Entre chaque étape, différents services de la Ville de Montréal (p. ex.: service de l’urbanisme et de la mobilité, service de l’eau) travaillent en collaboration avec l’arrondissement concerné et d’autres parties prenantes telles que des consultants externes et la société civile. Depuis 2020, la Ville de Montréal expérimente aussi une formule de Bureau de projet partagé, à laquelle participe activement la société civile locale.

Malgré ces balises, les grands projets à la Ville soulèvent des défis de coordination entre les différents services de la Ville, de l’arrondissement et avec les acteurs externes (société civile et promoteurs, de même que les grands acteurs institutionnels déterminant des infrastructures sur le territoire). Les grands projets de la Ville soulèvent néanmoins des opportunités d’apprentissage. On observe de plus des défis propres à la prise en compte de l’adaptation aux changements climatiques dans le processus de planification : aussi doit-on se demander quand et comment considérer les contraintes posées par les aléas climatiques, telles que les vagues de chaleur et l’augmentation de l’intensité de pluies extrêmes ?

Pour trouver des pistes de réponse à ces interrogations, nous avons complété une démarche de recherche «  classique  » (entretiens, sondages, analyse de la littérature…) par une série de trois ateliers de type living lab entre décembre 2019 et octobre 2021. Le premier atelier consistait en une introduction très générale sur l’adaptation aux changements climatiques de la planification urbaine à Montréal; le second a permis de se pencher plus spécifiquement sur le cas de Lachine-Est; et le troisième a été l’occasion d’aborder l’implantation d’infrastructures vertes dans le quartier. Ces ateliers ont réuni des professionnel.le.s de différents services de la Ville de Montréal et de l’arrondissement de Lachine-Est. Afin d’assurer des conditions favorables à la rencontre et à l’apprentissage, nous avons construit des exercices qui visaient à faciliter l’échange, à susciter de l’empathie et à favoriser l’émergence d’idées innovantes. Par exemple, pour certains exercices, nous nous sommes inspirés de supports issus de l’organisation municipale (voir Figure 2), notamment les outils de gestion de projet, et nous avons également présenté des fiches synthétisant les aléas climatiques à Montréal. Nous avons aussi créé des scénarios autour d’un quartier mésadapté afin de faire réagir les acteurs sur les démarches et les leviers permettant de faire mieux.

De plus, le Labo Climat a pris part aux rencontres de l’Atelier Lachine-Est, une initiative de concertation coordonnée par Concert’Action Lachine, pour soutenir la démarche du milieu et faciliter l’appropriation et la vulgarisation d’enjeux liés aux changements climatiques.

Ainsi, les personnes présentes aux ateliers ont pu enrichir notre analyse par leurs connaissances, leurs expériences et leurs idées. Les différents exercices et supports ont permis de réunir les conditions permettant des échanges riches et créatifs. Les données collectées lors de ceux-ci ont amené à la formulation de recommandations ancrées dans l’univers professionnel et territorial des participant.e.s.

Figure 2. Exemple d’un support d’exercice du premier atelier du Labo Climat Montréal.

Quelques recommandations du Labo Climat Montréal

Nos résultats ont révélé quatre principaux défis pour la prise en compte des changements climatiques dans le processus de projet urbain de la Ville de Montréal (voir Van Neste et al., 2021). Tout d’abord, la phase de justification de la pertinence des projets (qui se penche pour l’instant surtout sur la rentabilité du projet et l’étude sommaire des investissements requis) devrait intégrer plus explicitement les contraintes que posent les changements climatiques et les vulnérabilités particulières des sites, notamment face à la chaleur extrême, aux précipitations intenses et aux tempêtes. Ces vulnérabilités devraient être prises en compte dans le budget du projet dès le départ, dans les défis et contraintes anticipés pour l’aménagement, ainsi que dans la planification des ressources et des expertises à mobiliser.

Ensuite, l’étape de comparaison des différentes hypothèses d’aménagement devrait inclure une délibération sur les bénéfices, les risques et les opportunités à mobiliser au regard des changements climatiques. Le Labo Climat Montréal propose d’introduire un atelier délibératif sur les hypothèses d’aménagement en contexte de changements climatiques. Par exemple, un atelier pourrait être mis de l’avant, comme cela a été fait durant la recherche. Il viserait à analyser les enjeux de différentes options d’implantation d’infrastructures vertes pour prioriser et combiner les bénéfices recherchés (gestion des eaux pluviales, rafraîchissement, biodiversité, connectivité écologique régionale, loisirs, distribution équitable des espaces verts, etc.) ainsi que pour prioriser et combiner les bénéfices recherchés avec la population et la société civile locale.

De plus, les résultats des ateliers et des entretiens ont soulevé le besoin d’un cadre réglementaire de l’adaptation beaucoup plus précis, explicite et ambitieux, notamment à l’étape du Programme particulier d’urbanisme (outil de planification avec intégration réglementaire). Le Labo Climat Montréal a fourni plusieurs fiches synthétiques pour nourrir cette démarche.

Enfin, au moment de la mise en œuvre, il est crucial de prévoir des ressources humaines et financières pour s’assurer de la performance, de l’appropriation et de la résilience des nouveaux aménagements et infrastructures, notamment les infrastructures vertes. Par exemple : suivre la conception et les pratiques d’entretien des infrastructures vertes pour garantir leur performance dans le temps, sur le domaine public et le domaine privé, développer des formations, des guides et des balises avec et pour les employé.e.s des travaux publics, encourager le partage de connaissances, ou encore envisager des partenariats avec la société civile pour la mise en place et la gestion de certaines infrastructures vertes.

Quelques recommandations du Labo Climat Montréal

Au sein du processus de projet urbain balisé par la Ville de Montréal

• Intégrer le climat dans l’évaluation collective de la pertinence du projet et de ses contraintes

• Inclure le climat au moment des délibérations sur différentes hypothèses d’aménagement

• Préciser la contribution des mesures d’encadrement du domaine privé en adaptation

• S’assurer de la performance, de l’appropriation et de la résilience des infrastructures vertes

En dehors du processus de projet urbain balisé par la Ville de Montréal

• Mettre en place une stratégie d’adaptation aux vagues de chaleur

• Mobiliser les acteurs institutionnels externes pour l’adaptation (particulièrement les acteurs du transport collectif)

• Pérenniser les collaborations interservices et les apprentissages dans la structure institutionnelle

• Améliorer la gouvernance fragmentée des infrastructures vertes

En plus de ces propositions qui s’inscrivent dans le processus de projet urbain balisé par la Ville de Montréal, le Labo Climat a identifié d’autres défis. Par exemple, il a été constaté que les vagues de chaleur faisaient partie des aléas climatiques les plus urgents à intégrer à nos manières de planifier la ville. Toutefois, elles font très peu partie des processus de planification de projet en amont à Montréal. Il nous semble crucial de mettre en œuvre une stratégie d’adaptation spécifique à cet enjeu, particulièrement pour les friches industrielles et leurs abords. Puis, après plusieurs mois de travail avec la Ville, l’expression de « travail en silo » est souvent ressortie dans les ateliers ou dans les entretiens.

Alors que les changements climatiques constituent un enjeu transversal à de nombreuses composantes de la planification urbaine, il importe de pérenniser et de renforcer les collaborations entre les services et les relations avec les acteurs institutionnels externes (particulièrement les acteurs des infrastructures de transport collectif). Leur absence en amont nuit de manière substantielle aux capacités d’adaptation du territoire aux changements climatiques. Enfin, nous avons constaté que la mise en place d’infrastructures vertes se heurte à un manque de lisibilité dans le partage des responsabilités. Pour répondre à cet enjeu, on peut penser à la création d’une instance consacrée à leur déploiement ou à la désignation plus claire du service chargé de leur entretien.
L’ensemble de ces propositions est issu d’un travail mené avec la Ville de Montréal, l’arrondissement de Lachine, et des partenaires de la société civile locale comme Concert’Action Lachine. Même si nos recommandations s’inscrivent dans le contexte montréalais, d’autres villes pourraient tirer des enseignements de cette expérimentation. En effet, si le défi de l’adaptation aux changements climatiques ne peut se régler par une recette miracle, des projets qui réunissent chercheur.euse.s et praticien.ne.s montrent que des pistes d’action émergent aujourd’hui. Il appartient aux élu.e.s et aux administrations urbaines de les concrétiser.

Les résultats présentés proviennent du rapport du Labo Climat Montréal, auquel plusieurs membres de l’équipe, nommés dans le rapport, ont contribué (voir Van Neste et al., 2021).

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