Sciences et technologies

L’agroforesterie, une mesure d’adaptation contre les changements climatiques

L’agriculture est un secteur d’activité qui dépend grandement des conditions climatiques. Les prédictions sur le climat annoncent une augmentation des températures de l’air variant entre 2 à 4 ºC pour la région de la vallée du Saint-Laurent entre 2041 et 2070 (Ouranos, 2015). La modification des patrons des précipitations apporterait un allongement de la durée des épisodes de sécheresse, spécialement en été, ce qui augmenterait les risques de stress hydrique des cultures, entrainant une diminution des rendements (Vogel et al. 2019).
De plus, les changements climatiques peuvent modifier les interactions entre les cultures et les insectes pollinisateurs, les ravageurs et les maladies. Face à ces prédictions, l’adoption de mesures d’adaptation est nécessaire pour assurer le maintien de l’approvisionnement en denrées alimentaires.

Parmi les solutions étudiées, se trouve l’agroforesterie. Les systèmes agroforestiers font partie d’une approche agroécologique de l’agriculture qui augmente la résilience des écosystèmes en favorisant des pratiques agricoles régénératrices. Les systèmes agroforestiers, et plus particulièrement les systèmes agroforestiers intercalaires (Figure 1), connaissent un intérêt grandissant. Ils présentent un potentiel pour favoriser l’adaptation des agroécosystèmes aux changements climatiques. Par exemple, des recherches menées au Québec et en Ontario suggèrent que les systèmes agroforestiers intercalaires pourraient diminuer le stress des cultures face à des fluctuations importantes des précipitations (Nasielski et al., 2015; Rivest et al., 2013).

Dans cet article, nous traiterons des interactions entre les arbres et les cultures qui pourraient avoir des impacts positifs sur les problématiques agricoles reliées aux changements climatiques. Nous avons regroupé les impacts des interactions en trois grands enjeux agricoles : la disponibilité de l’eau, la santé des sols et la biodiversité.

L’eau et le rendement

Le rendement des cultures et l’utilisation de l’eau par les plantes sont dictés par le bon fonctionnement du processus de photosynthèse. La photosynthèse, processus par lequel les plantes captent l’énergie de la lumière du soleil pour en faire des sucres et croître, nécessite un équilibre entre l’apport en lumière, en eau et éléments nutritifs, et l’apport en dioxyde de carbone (CO2). Les plantes sont munies de petites ouvertures sur leurs feuilles nommées stomates. Les stomates s’ouvrent pour permettre les échanges gazeux : l’entrée de CO2 et la sortie de l’oxygène (O2). Lorsque les stomates sont ouverts, la plante perd de l’eau par transpiration, ce qui fait monter l’eau dans la plante à partir des poils racinaires. Plus la température ambiante s’élève ou plus le vent souffle, plus la quantité d’eau évaporée est grande et plus la plante absorbe l’eau qui est contenue dans le sol. Si la force exercée par la plante n’arrive plus à faire monter l’eau, les stomates se ferment, empêchant ainsi l’entrée de CO2. La fermeture des stomates est un mécanisme de défense des plantes contre le stress hydrique. Le processus de photosynthèse se retrouve entravé, ce qui bloque la production de sucre, la croissance des plantes et la production des grains. La disponibilité de l’eau est donc un enjeu important pour la photosynthèse et les prédictions climatiques annoncent une diminution de la disponibilité de l’eau durant la saison de croissance.

En modifiant les conditions climatiques locales, les systèmes agroforestiers agissent sur des mécanismes qui régulent l’utilisation de l’eau par les cultures. Les microclimats qu’ils créent protègent les cultures des effets néfastes des changements climatiques comme le stress hydrique. Le paramètre climatique modifié qui est le plus évident est la diminution de la vitesse du vent. À lui seul, ce paramètre a plusieurs impacts sur l’utilisation de l’eau par les plantes. Une diminution de la vitesse du vent due à la présence de système agroforestier est associée à une diminution de la demande évaporative des cultures (Kanzler, 2019) et une diminution de l’évaporation de l’eau contenue dans les sols. De plus, la réduction de la vitesse du vent diminue l’érosion éolienne, baissant par le fait même les risques de dommages causés aux feuilles par l’abrasion des particules de sol. Dans les systèmes agroforestiers on note une diminution des écarts des températures de l’air. Les températures plus chaudes augmentent le taux de transpiration des plantes. En agissant sur la vitesse du vent et les fluctuations des températures, les systèmes agroforestiers agissent sur plusieurs paramètres qui diminuent la perte d’eau par évaporation des plantes et du sol, ce qui augmente l’efficacité d’utilisation de l’eau par les plantes.

Encadré – Qu’est-ce que l’agroforesterie ?

L’agroforesterie est définie par le Comité agroforesterie du Centre de référence en agriculture et agroalimentaire du Québec (CRAAQ) comme étant : «  un système intégré qui repose sur l’association intentionnelle d’arbres ou d’arbustes à des cultures ou à des élevages, et dont l’interaction permet de générer des bénéfices économiques, environnementaux et sociaux  » (Anel et al. 2017). Il existe plusieurs types d’agroforesterie à travers le monde qui répondent à différents besoins. L’agroforesterie de subsistance pratiquée dans les zones tropicales est très différente de l’agroforesterie des régions tempérées. Le comité propose de classer les systèmes agroforestiers les plus susceptibles de se retrouver au Québec en deux principaux groupes : les haies (rangées d’arbres et/ou
d’arbustes en bordure de champs) et les systèmes intra parcellaires (rangées d’arbres dans la parcelle). Les haies incluent les haies brise-vent, les haies brise-odeur, les bandes riveraines, les haies sylvicoles, etc. Les systèmes agroforestiers intra parcellaires incluent les systèmes sylvopastoraux où les animaux bénéficient d’un pâturage arboré et les systèmes agroforestiers intercalaires (figure 1) qui consistent en la plantation d’arbres dans les champs de grandes cultures comme le soya et le maïs ou de maraichage.

L’agroforesterie et la santé des sols

Un sol en santé permet une meilleure résilience des agroécosystèmes face aux changements climatiques. Il augmente la disponibilité de l’eau du sol pour les plantes par différents mécanismes interreliés que nous avons regroupés en trois phénomènes principaux : l’apport en matière organique, la participation de la structure du sol et l’augmentation de la biodiversité du sol. L’apport en matière organique provenant des feuilles qui tombent à l’automne et des sucres excrétés par le système racinaire accroit la capacité du sol à retenir l’eau et favorise sa structure, via la formation d’humus. La structure du sol est l’arrangement et la cohésion entre elles des particules qui constituent le sol. Un sol bien structuré est composé d’agrégats, c’est-à-dire de particules de sol collées ensemble par des gels microbiens créant des grumeaux poreux. Il contient également des micropores, à l’intérieur des agrégats, et des macropores entre les agrégats ce qui augmente l’infiltration de l’eau dans le sol et sa capacité à emmagasiner cette eau. De plus, la présence de racines d’arbres augmente la diversité et l’abondance des microorganismes (Marsden et al. 2020). Les agrégats sont des habitats idéaux pour les microorganismes eux-mêmes. Les systèmes agroforestiers sont susceptibles d’augmenter la présence de mycorhizes dans les sols. Les mycorhizes sont des champignons qui forment des associations symbiotiques avec les racines de nombreuses cultures. Ils deviennent un peu comme une extension des racines permettant, entre autres, l’exploration d’un plus grand volume de sol pour acquérir de l’eau et des éléments nutritifs.

L’agroforesterie et la biodiversité dans les agroécosystèmes

L’incidence des changements climatiques sur les ravageurs des cultures a déjà fait l’objet d’un article paru dans Le Climatoscope (Saguez, 2020). Rappelons ici que les modifications du climat pourraient favoriser une augmentation des densités des populations de ravageurs, une augmentation du nombre de générations par année, une plus grande aire de distribution des espèces et un meilleur taux de survie hivernale. L’augmentation du CO2 dans l’air pourrait entrainer une diminution de la production de composés de défense à base d’azote par les plantes. De plus, le taux d’herbivorie pourrait être augmenté, car les ravageurs ont besoin d’azote et si les tissus des plantes contiennent plus de carbone, ils seront dans l’obligation d’en consommer davantage pour combler leurs besoins en azote (Gagnon et al. 2011). Les pollinisateurs et les cultures ont une relation synchronisée. Les semis plus hâtifs entrainant des floraisons plus hâtives modifieront les interactions avec les pollinisateurs. L’abondance de pollinisateurs est également un enjeu, car l’environnement agricole peut parfois être hostile, notamment avec l’utilisation de pesticides, la raréfaction et le morcellement des habitats et sources de nourriture.

Ces problématiques provoquées par les changements climatiques peuvent être atténuées par une plus grande diversité dans les agroécosystèmes. Les systèmes agroforestiers augmentent la biodiversité en complexifiant le paysage dans le temps et dans l’espace. La présence d’arbres parmi les plantes annuelles augmente le nombre de niches écologiques au sein de l’agrosystème, permettant l’hivernation et apportant des sources alternatives de nourriture pour les populations d’arthropodes (Altieri, 2004). Les populations d’ennemis naturels répondent positivement à la complexification du paysage. Une méta-analyse menée par Pumarino et al. 2015, portant sur différents systèmes agroforestiers à travers le monde révèle que l’agroforesterie est bénéfique pour maîtriser les ennemis des cultures. L’étude démontre une diminution des dommages causés par les ravageurs et les maladies dans les systèmes agroforestiers, même si l’abondance des ravageurs n’était pas significativement réduite. Ces résultats ne sont probablement pas directement transposables à tous les systèmes agroforestiers, car les espèces d’arbres et les cultures sont très variables et la maîtrise des ennemis des cultures dépend de plusieurs facteurs. Néanmoins, il est justifié de penser que l’augmentation de la complexité du paysage par l’adoption de l’agroforesterie augmente la biodiversité, ce qui est
un atout pour maîtriser les ennemis des cultures.

L’agroforesterie peut favoriser la présence de pollinisateurs dans l’agroécosystème. Les espèces ligneuses des systèmes agroforestiers sont des sources de nourriture et d’habitats qui aident le maintien des populations de pollinisateurs (Bentrup et al. 2019). Également, les microclimats créés peuvent rendre possible l’augmentation des niches et des types d’habitats, ce qui crée des écosystèmes adéquats pour la ponte et l’alimentation. La diversité d’un paysage procure des sources variées de nourriture dans le temps et dans l’espace.

Conclusion

Les systèmes agroforestiers bien aménagés démontrent un potentiel pour augmenter la résilience des agroécosystèmes dans un climat futur. Malgré tous les bénéfices potentiels, nous remarquons que les systèmes agroforestiers demeurent peu présents sur le territoire québécois. Les raisons de ce constat sont multiples et incluent l’incompatibilité des subventions et programmes d’aide financière pour les agriculteurs et la perception que les systèmes agroforestiers sont difficilement compatibles avec les méthodes agricoles dites conventionnelles (Laroche et al. 2019). Également, le manque de connaissances et d’informations concernant la régie de ces systèmes est évoqué. Les systèmes agroforestiers proposent des solutions pour diminuer les impacts négatifs sur le rendement des cultures dans un climat futur. De plus, l’adoption de pratiques agroforestières pourrait transformer le territoire agricole en puits de carbone, car les arbres sont excellents pour stocker du carbone dans le sol et évidemment dans leur biomasse aérienne. L’adoption de systèmes agroforestiers est une opportunité intéressante pour le Québec et l’augmentation de la recherche sur les terres québécoises clarifierait les bénéfices de ces systèmes, ce qui pourrait favoriser l’intégration de ces pratiques sur l’ensemble de la province.

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