« Canada is back my friend, and we are here to help ».
Telle était la phrase lancée par le nouveau premier ministre Justin Trudeau à son arrivée à la 21e Conférence des Parties (CdP-21) à Paris en 2015. Les attentes étaient fortes, tant sur le territoire canadien que sur la scène internationale : on pouvait légitimement anticiper une nouvelle politique étrangère canadienne à l’égard du climat qui soit plus engagée dans la lutte contre les changements climatiques. Le rôle constructif alors joué par la nouvelle ministre de l’Environnement, Catherine McKenna, dans le dernier droit permettant d’accoucher de l’Accord de Paris en 2015, mais aussi le discours et, plus largement, l’attitude générale du nouveau gouvernement canadien sur cette question, avait généré son lot d’espoir dans la lutte globale contre les changements climatiques. Quatre années ont passé, et il devient pertinent de s’interroger sur ce retour annoncé du Canada face aux changements climatiques sur la scène internationale. Plus concrètement, quel bilan pouvons-nous faire de la politique étrangère canadienne à l’égard du climat à l’aube de l’élection fédérale qui approche à grands pas?
La politique canadienne sur le climat : un enjeu à la fois local et international
Il demeure très difficile, voire impossible, d’analyser la politique des changements climatiques en faisant abstraction des enchevêtrements entre l’interne et l’international. On ne peut donc pas dissocier la politique étrangère des politiques publiques intérieures, puisque la crédibilité et le respect des engagements internationaux du Canada dépendent des actions prises à l’interne, et inversement. Pourtant, le fédéralisme canadien n’offre pas de réponse claire quant au partage des compétences sur les changements climatiques, puisque les deux ordres de gouvernement peuvent agir à partir de leurs compétences respectives (1)(Bélanger, 2011; Harrison, 2007)(2). Cela crée un contexte où les décisions relatives aux politiques climatiques canadiennes sont parfois prises par le fédéral – pensons par exemple au cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques de même qu’à sa mesure la plus connue qui est la tarification carbone –, mais aussi, et la plupart du temps, par les provinces, ou même les villes. Par conséquent, une transformation réelle, tangible et crédible du rôle du Canada sur la scène internationale doit s’appuyer sur des décisions et des actions concrètes de la plupart des acteurs infraétatiques. Autrement, la politique étrangère canadienne ne restera qu’au stade du discours politique et de la rhétorique.
Quelques compétences constitutionnelles clefs face aux changements climatiques
Fédéral | Provinces |
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Réglementation des questions de nature interprovinciale Paix, ordre et bon gouvernement La réglementation du trafic et du commerce Loi criminelle | La propriété et les droits civils Les institutions municipales Ressources naturelles non renouvelables et forestières Les matières de nature purement locale ou privée |
C’est justement ce qu’avait promis le chef du Parti libéral pendant sa campagne électorale en 2015. Celui-ci s’engageait notamment à se présenter à la Conférence de Paris sur le climat avec les provinces canadiennes et à établir, avec elles, un cadre pancanadien sur le climat, mais aussi, et surtout, à rétablir la réputation du Canada sur la scène internationale (Leblanc, 2015)(3).
Les premières tentatives fédérales de réguler le climat
Dès l’arrivée au pouvoir du gouvernement Trudeau, celui-ci a entrepris de nombreuses démarches afin de respecter ses engagements pris en campagne électorale. Sur la scène internationale, le gouvernement Trudeau s’est rapidement distancié du discours et des politiques des Conservateurs, qualifiés par plusieurs d’obstructionnistes(4) (Chaloux, 2014; Fauteux, 2015)(5). Cela s’est d’abord concrétisé par l’adoption d’une approche constructive dans les négociations internationales sur le climat. Quelques semaines seulement après l’élection fédérale se tenait la 21e CdP qui se déroulait à Paris. Le gouvernement canadien s’y est présenté avec une attitude fort différente du gouvernement qui l’avait précédé. Il s’est d’ailleurs engagé à fournir une aide financière aux pays en développement de 2,65 milliards de dollars d’ici 2020, afin de permettre « la transition vers des économies à faibles émissions de carbone qui sont à la fois durables et plus résilientes » (Gouvernement du Canada, 2015)(6). Aussi, lors de la CdP-21, la nouvelle ministre de l’Environnement a appuyé de nombreuses positions très progressistes, notamment sur la question de la limitation des températures de 1,5 ˚C, sur la reconnaissance des savoirs autochtones et sur la question du genre (Maciunas et Saint-Geniès, 2018)(7). Cette confiance retrouvée envers le Canada a même poussé le président de la Conférence à nommer la ministre canadienne comme facilitatrice, à un moment alors critique de cette importante négociation onusienne (Chaloux, 2017)(8).
Il n’en demeure pas moins que sur certains aspects des négociations internationales à ce moment et depuis, le gouvernement Trudeau est demeuré prudent, voire conservateur. Sur la contribution en termes de réduction d’émissions de gaz à effet de serre (GES), il a maintenu celle proposée par le gouvernement précédent, soit une réduction de 30 % sous les niveaux de 2005 et n’a jamais renforcé celle-ci dans les négociations qui ont suivi. Il est également demeuré réfractaire à ce que l’atteinte des cibles de réduction des émissions de GES inscrites à l’Accord de Paris soit juridiquement obligatoire pour chaque État (Ljunggren, 2015)(9). Le faible intérêt du Canada envers une possible compensation des pays développés envers les pays en développement concernant la question des pertes et des dommages découlant des changements climatiques montre aussi l’attitude plus conservatrice du gouvernement.
Du côté des relations intergouvernementales canadiennes, on peut observer là aussi un changement de ton et d’attitude par rapport au gouvernement antérieur. En effet, de retour de la Conférence de Paris et conformément à une promesse électorale, le gouvernement Trudeau convoque une rencontre à Vancouver avec tous les premiers ministres des provinces et territoires afin de mettre en place un processus de collaboration intergouvernementale sur la question du climat. On adopte alors la Déclaration de Vancouver sur la croissance propre et les changements climatiques. Cette dernière vise à renforcer le niveau d’ambition sur la question des changements climatiques ainsi qu’à atteindre les objectifs climatiques internationaux du Canada et place la tarification carbone comme l’un des instruments privilégiés pour atteindre nos cibles d’émissions de GES.
En décembre 2016, le Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques est rendu public. La plupart des provinces (à l’exception de la Saskatchewan et du Manitoba à ce moment) et le fédéral s’entendent alors pour mettre en place une série de mesures qui permettrait de réduire les émissions de GES, dont la tarification carbone. Les provinces ont alors le choix d’opter pour leur propre système (en mettant en place soit un marché du carbone, soit une taxe, qui, dans les deux cas, doit respecter certains critères fixés par le fédéral), ou de se voir imposer un modèle de tarification carbone défini par Ottawa. Qui plus est, le cadre pancanadien accroît également le rôle joué par le gouvernement fédéral, notamment par l’octroi d’investissements supplémentaires dans les infrastructures vertes et la transition économique. Ce plan, à long terme, est donc ambitieux, et témoigne d’une collaboration sans précédent par l’ensemble des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, par rapport aux tentatives précédentes (Chaloux, 2014).(4)
Pendant ce temps, en octobre 2016, le gouvernement procède à la ratification de l’Accord de Paris, qui entrera en vigueur en novembre 2016. Le Canada continuera de participer activement aux Conférences des Parties, mais peu à peu, certaines voix s’élèvent pour dénoncer le double discours du gouvernement canadien, notamment sur la question énergétique et des sables bitumineux, et le respect, quasi-impossible, de ses engagements internationaux face à la réduction de ses émissions de GES. Notamment, dans un rapport publié en novembre 2018, intitulé Climate Transparency, un think tank international très reconnu, on indique que non seulement la contribution du Canada à la réduction des émissions de GES demeure insuffisante face aux objectifs de l’Accord de Paris, mais surtout, que ce dernier n’atteindra probablement pas son objectif de réduction d’émissions prévu pour 2030 (Climate Transparency, 2018)(10). Ainsi, non seulement l’objectif du Canada dans la lutte contre les changements climatiques est considéré peu ambitieux, mais la possibilité d’atteindre ces objectifs demeure faible, et ce, même avec l’adoption du Cadre pancanadien. Le bilan dressé sur le Canada face à la lutte globale contre les changements climatiques n’est donc pas si reluisant, quatre ans après l’arrivée des libéraux au pouvoir.
Le chant des sirènes : le problème du pétrole des sables bitumineux
L’aspect probablement le plus problématique dans le bilan du gouvernement Trudeau sur la question du climat concerne les ressources pétrolières, et plus particulièrement celles provenant des sables bitumineux, qui minent, d’une part, la crédibilité du pays sur la scène internationale, et qui, d’autre part, contribuent à exacerber les tensions entre les gouvernements des provinces et du fédéral.
Sur la scène internationale, si le gouvernement Trudeau s’est engagé, lors du G20 et lors du Sommet des leaders nord-américains en 2016, à mettre fin aux subventions octroyées aux combustibles fossiles d’ici 2025, il ne semble qu’aucune action concrète n’ait été prise en ce sens dans les dernières années, comme en témoigne le rapport du vérificateur général du Canada en 2017 et le récent rapport du FMI, paru en mai 2019 (Coady, Le Parry, Nghia-Piotr et Shang, 2019)(11). L’exemple le plus éloquent de ce manque de cohérence est le financement d’infrastructures permettant l’accroissement du secteur des sables bitumineux comme le rachat de l’oléoduc Trans Mountain à l’été 2018. Le gouvernement Trudeau se trouve donc dans un contexte de double discours, qui nuit considérablement à la crédibilité du Canada sur la scène internationale.
Toujours en regard de la question pétrolière, le gouvernement fédéral n’a pas su se distancier du « chant des sirènes », et opter pour des politiques publiques qui limiteraient la production d’hydrocarbures au pays. En effet, son appui à la production de pétrole provenant des sables bitumineux (de l’Alberta et de la Saskatchewan), pourtant gravement polluante, certes en termes d’émissions de GES, mais aussi en termes de qualité de l’air, de l’eau, des sols et de composés toxiques résiduels, va à l’encontre des objectifs de lutte contre les changements climatiques. En augmentation, la production de GES générée par cette industrie dépasse maintenant les émissions du Québec, soit 81 Mt en 2017 (Gouvernement du Canada, 2019)(12) et de ce fait, l’accroissement de la production de pétrole issu des sables bitumineux annule les réductions d’émissions produites ailleurs au pays, ce qui nous éloigne constamment des cibles et engagements canadiens en termes de réduction d’émissions.
En somme, la politique climatique du gouvernement Trudeau démontre que celui-ci est encore trop sensible au « chant des sirènes » pour amorcer la transition qui permettrait au Canada de respecter ses engagements internationaux, mais aussi de redorer véritablement le blason canadien sur la scène internationale. Quoi qu’il en soit, un premier virage a tout de même été amorcé depuis l’arrivée du gouvernement Trudeau au pouvoir sur cette question avec, entre autres, l’instauration de son système de tarification carbone. Il est clair que la communauté internationale suivra de près la prochaine campagne électorale et les engagements des principaux partis politiques canadiens sur cette question.