Droit et politique

Le Parti conservateur uni albertain : un gouvernement motivé par l’approche techniciste en environnement

La «  conscience est bien installée aujourd’hui. Ce qui manque, c’est la motivation d’agir  » (Herrero, 2019). Selon l’économiste Christian Gollier, la conscience de devoir agir pour lutter contre les changements climatiques serait bien présente, mais la motivation, entendue ici au sens de volonté d’agir, ferait défaut aux gouvernements. Cette observation servira de tremplin pour examiner le cas de l’Alberta, province qui représente 38 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) au Canada (2019). Plus précisément, il s’agit d’examiner la nature de la volonté d’agir de l’actuel gouvernement albertain. Cette dernière n’est pas inexistante, mais elle est subordonnée, comme nous le verrons, à la détermination conservatrice de défendre le secteur pétrolier et gazier et, surtout, elle repose sur l’idée que la technologie constitue la solution privilégiée pour diminuer les GES émis dans la province. Avant d’aller plus loin, il faut se pencher brièvement sur la motivation, celle-ci pouvant reposer sur différentes raisons justificatrices.

Motivation et volonté d’action

Il existe, pour simplifier les choses, deux grandes manières d’envisager la motivation (André et Bourban, 2016). La première fait découler celle-ci de justifications idéales et morales qui sont de différentes natures. Pour les théories de ce type, l’action résulte de principes fondamentaux agissant comme des guides pour les acteurs. Par exemple, l’action peut reposer sur des bases morales et vertueuses, comme sur une éthique du devoir inspirée de Kant (le déontologisme) voulant que les individus agissent pour le bien commun de l’humanité. Quant à la seconde façon, elle fait plutôt découler la motivation de raisons amorales, par exemple d’un calcul coût/bénéfice effectué par les acteurs. Selon une telle logique, celle du choix rationnel, les acteurs espèrent un bénéfice direct et personnel de leurs actions (investissements dans les technologies vertes, par exemple) ou encore veulent éviter des coûts plus élevés dans un futur proche. Cependant, il est difficile de déterminer, dans le cas des motivations économiques, si l’action vise à préserver l’environnement ou l’économie. Parfois, les deux objectifs convergeraient, l’aiguillon de l’intérêt bien compris conduisant l’acteur à des actions vertueuses. Cependant, les objectifs économiques à court terme sont aussi en tension avec les objectifs à long terme de préservation environnementale.

Ainsi, dans le cas albertain, une motivation de nature idéale amènerait les dirigeants politiques à agir rapidement pour procéder à la reconversion d’un secteur en fonction d’un bien commun environnemental. Mais comme nous le verrons, la logique techniciste articulée autour de l’économie prévaut chez les conservateurs. Ces derniers mettent de l’avant l’idée que le secteur de l’énergie est vital à la fois pour la prospérité économique à long terme de la province ainsi que pour l’ensemble de l’économie canadienne.

Par ailleurs, la motivation, qu’elle soit morale ou économique, se traduira par une volonté d’agir variant en intensité. Elle pourra s’incarner dans la volonté ferme et rapide d’adopter des mesures qui freineront la croissance de la production pétrolière avec l’adoption de la taxation du carbone ou encore avec des politiques publiques favorisant la production d’énergie verte et la transformation des transports urbains. Les acteurs politiques mettront cette préoccupation au cœur de leur programme. À l’inverse, un gouvernement peu motivé et, surtout, désireux de préserver, dans le cas albertain, la compétitivité du secteur énergétique continuera de considérer l’économie comme étant une préoccupation fondamentale, tout comme il sera résolument opposé à la taxation du carbone, sauf pour les grands émetteurs.

Les décideurs politiques jouent un rôle important, comme ce fut le cas avec le premier ministre libéral Jean Charest, qui a montré du leadership dans l’adoption des politiques environnementales (Chaloux, 2017, p. 166). Le gouvernement néo-démocrate de Rachel Notley (2015-2019) était également motivé par le plan de lutte albertain aux changements climatiques (Climate Leadership Plan), annoncé dès novembre 2015 avec l’adoption d’une taxe carbone. Or, à l’arrivée des conservateurs unis au pouvoir, en 2019, la volonté d’agir du premier ministre albertain pour contrer les changements climatiques était très faible. En effet, ce gouvernement a rapidement renversé le Climate Leadership Plan des néo-démocrates. Dans le même sens, Jason Kenney s’est résolument engagé dans la lutte contre le discours environnementaliste avec le Canadian Energy Centre (communément appelé war room), tout comme il s’est opposé à la taxe carbone en allant jusqu’en Cour suprême, mais sans succès, celle-ci ayant confirmé la constitutionnalité de la mesure fédérale (25 mars 2021), bien qu’il continue de la critiquer.

Pourtant, après une année au pouvoir, Jason Kenney semble avoir eu, du moins sur le plan du discours, une certaine prise de conscience et même de motivation quant à la lutte aux changements climatiques. «  Nous avons l’obligation, disait-il, de collaborer pour répondre aux défis posés par les changements climatiques, de réduire les gaz à effet de serre, y compris les émissions de carbone — notre industrie fait exactement ça  » (Boyd et Levitt, 2020). Mais s’agissait-il d’un changement de discours indiquant une réelle volonté de lutte contre les changements climatiques ?

Solutions technologiques et nouvelles sources d’énergie

En fait, la motivation du premier ministre albertain montre une dimension économique, mais celle-ci ne concerne pas tant l’environnement que la protection du secteur énergétique en montrant que l’Alberta fournit sa part d’efforts. Essentiellement, le gouvernement conservateur uni ne propose pas une diminution de la production, mais plutôt l’adoption de solutions technologiques qui devraient permettre à l’industrie de poursuivre son développement, lequel est présenté comme essentiel du point de vue économique non seulement pour l’Alberta, mais pour l’ensemble du Canada. Les avancées technologiques sont perçues comme une planche de salut.

En effet, «  [t]echnology, not taxes  » (la technologie et non des taxes) (Gailus, 2022), a affirmé Jason Kenney en novembre 2021, lorsqu’il a annoncé un investissement de 176 millions de dollars dans 16 projets de réduction de GES. L’annonce, qui survenait au moment même où Justin Trudeau se trouvait au sommet de la COP26, constitue un condensé de l’approche des conservateurs unis. Les projets de capture et de stockage des GES dans le sol demeurent de loin l’option privilégiée par les conservateurs albertains. Un argument d’ailleurs renforcé par le gouvernement fédéral qui accorde, dans le budget du 7 avril 2022, un crédit d’impôt à l’investissement pour favoriser le développement des projets de captage et de stockage du carbone.

Pourtant, plusieurs incertitudes planent sur ce type de technologie, même si des progrès ont été faits dans le passé. D’une part, leur efficacité est remise en cause quant à leur capacité de réduire considérablement les GES. Dans le meilleur des scénarios, il est prévu que les projets financés par le gouvernement albertain permettront d’abaisser les GES de 42,3  mégatonnes, ce qui est considérable, mais encore peu, soit seulement 15  % par rapport aux émissions albertaines qui sont rejetées dans l’atmosphère chaque année (Gailus, 2022). D’autre part, les projets de captation des GES sont coûteux et il s’agirait d’un investissement futur de plusieurs dizaines de milliards de dollars (Tuttle, 2021). D’ailleurs, l’actuel gouvernement a demandé une aide massive du gouvernement fédéral, soit 30 milliards de dollars, pour développer cette technologie. On peut d’autant plus douter que de telles solutions soient de nature à freiner efficacement la hausse des GES en Alberta alors que la production de barils de pétrole n’a jamais aussi été élevée et que rien n’indique qu’on veuille la diminuer, au contraire.

En parallèle, le gouvernement conservateur uni cherche à diversifier le panier énergétique de la province avec de nouvelles sources, notamment l’hydrogène, qui est présenté comme l’énergie du futur. Nombreux sont ceux qui voient dans la production d’hydrogène une façon d’effectuer la transition vers une production plus propre d’énergie que les combustibles fossiles. Il s’agirait «  d’hydrogène bleu  », différent de «  l’hydrogène vert  » considéré comme propre, qui serait produit à partir du gaz naturel, et donc émetteur de GES qu’il est aussi prévu de stocker dans le sol. Dans le même sens, les discussions concernant l’énergie nucléaire montrent qu’elle est vue par le premier ministre albertain comme un autre moyen de freiner l’augmentation des GES. L’Alberta collabore d’ailleurs avec la Saskatchewan, l’Ontario et le Nouveau-Brunswick afin d’explorer et de développer la technologie des réacteurs modulaires (small modular reactor) et, éventuellement, de dévoiler un plan stratégique dans l’année qui vient (von Scheel, 2021). L’idée de recourir à l’énergie nucléaire, qui n’est pas nouvelle, a gagné en popularité ces dernières années. Or, la technologie des petits réacteurs est coûteuse et la question de l’acceptabilité sociale du nucléaire est loin d’être assurée. Il est peu probable que le gouvernement conservateur uni procédera dans un avenir immédiat avec cette technologie qui servirait notamment à produire la vapeur nécessaire à l’extraction des sables bitumineux.

Dans un domaine, les solutions technologiques ont cependant porté fruit. En effet, le gouvernement conservateur uni a poursuivi l’objectif de mettre fin à la production de l’électricité en utilisant du charbon. Au tournant des années 2000, 20  centrales produisaient 80  % de l’électricité de la province en utilisant le charbon et l’objectif du gouvernement néo-démocrate était de procéder à la conversion des centrales au charbon d’ici 2030. Or, cet objectif sera selon toute vraisemblance atteint dès 2023 grâce à une diminution de 2015 à 2020, selon certaines estimations, de 50 % des émissions de GES liées à la production d’électricité, qui sont passées de 47 à 25  mégatonnes en 2020. (Leach et Shaffer, 2020). Ces deux auteurs affirment qu’il s’agit d’une climate action success story, un succès qui doit cependant être relativisé, car ce ne sont pas les énergies renouvelables, mais le gaz naturel qui remplace le charbon dans la production d’électricité. C’est d’ailleurs pourquoi le Pembina Institute recommande que l’actuel gouvernement albertain se dote d’un plan d’action pour créer un réseau électrique décarboné à 100  % d’ici 2035 (Dusyk et al., p. 18), un objectif d’autant plus ambitieux qu’en 2018, seulement 8  % de l’électricité était produite par les énergies renouvelables (Régie de l’énergie du Canada, s.d.).

L’hubris techniciste

Comme on peut le constater, le gouvernement conservateur uni n’envisage pas de solution allant au-delà des énergies traditionnelles, préférant miser sur les avancées technologiques pour faire baisser les émissions de GES albertaines. En effet, l’approche gouvernementale actuelle repose sur un ensemble d’orientations techniques comme la conversion des centrales au charbon ou encore la captation et le stockage des GES dans le sol ainsi que sur le développement de nouvelles sources jugées moins polluantes. Le changement de discours repose sur l’idée que « fournir sa part d’efforts » implique, comme par le passé, l’adoption de solutions technologiques. Du point de vue conservateur, il ne s’agit pas tant d’un changement d’approche que d’une réorientation permettant au gouvernement d’effectuer quelques efforts, mais ces derniers sont essentiellement dirigés dans la direction de l’innovation technologique. Le discours a donc changé, mais pas l’orientation de fond voulant que le secteur de l’énergie doive continuer de croître.

En ce sens, la motivation est canalisée dans l’attente et la découverte de solutions technologiques, ou ce que Pierre Veltz appelle l’hubris techniciste (Veltz, 2022). Celle-ci se caractérise par une sorte de fuite en avant voulant qu’on finisse bien par trouver des solutions aux défis futurs. Certes, les avancées technologiques ont été considérables dans le passé (ibid., p. 8-9). Produire mieux et avec plus d’efficacité sur le plan environnemental est essentiel, avance Veltz, mais il ne suffit pas d’inventer des solutions technologiques, encore faut-il les déployer (ibid., p. 6). De plus, derrière les solutions technologiques se profile toujours une certaine incertitude, parce qu’elles dépendent d’avancées futures difficiles à prévoir. Nécessaires, elles ne sont probablement pas suffisantes en soi pour réduire les GES si d’autres types d’efforts ne se conjuguent pas aux avancées technologiques. Il faut notamment penser aux efforts pour réduire la consommation des énergies fossiles, un aspect oublié avec les solutions technologiques qui touchent la production. Les conservateurs albertains paraissent également oublier que les avancées technologiques peuvent aussi impliquer le développement des énergies renouvelables et être intégrées dans les systèmes existants. Enfin, mettre toute sa confiance dans les technologies pourrait avoir pour effet, en Alberta, de retarder les décisions nécessaires pour favoriser la diversification de l’économie albertaine ainsi que celle des sources d’énergie alimentant les foyers de la province.

La motivation n’est donc pas inexistante chez Jason Kenney et son gouvernement, mais la nature de celle-ci fait en sorte qu’il est encore loin d’incarner un dirigeant soucieux de voir sa province prendre la «  bifurcation écologique  » (ibid., p. 7), permettant de réduire l’empreinte carbone de l’Alberta. Il faudra surveiller comment les questions environnementales seront traitées lors de la course à la direction du Parti conservateur uni qui s’est enclenchée après la démission de Jason Kenney comme chef de la formation. S’éloignera-t-on de l’approche techniciste propre aux conservateurs albertains ? Quelles seront les orientations politiques en matière d’environnement par celui ou celle qui prendra la direction du gouvernement ? Or, les réponses à ces questions sont cruciales.

En effet, l’implication de cette province est incontournable étant donné que si les émissions de GES de la province continuent d’être en hausse, l’atteinte des cibles climatiques canadiennes sera tout compte fait compromise.

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