Les changements climatiques sont déjà visibles au Canada, qui se réchauffe en moyenne deux fois plus vite que le reste du globe (Brown et al., 2021). Le pays a par exemple fait face à de multiples vagues de chaleur dès le mois de juin 2021, et les prévisions indiquent que celles-ci devraient devenir plus longues, plus chaudes et plus fréquentes dans les prochaines décennies. L’accroissement de la récurrence et de l’intensité d’évènements climatiques extrêmes comme ceux-là augmente la menace pesant sur la santé et la sécurité des populations. Le milieu de la santé utilise différents facteurs pour caractériser l’état de santé d’une personne ou d’une population, appelés les déterminants de la santé. Il peut s’agir de facteurs personnels, sociaux, économiques et environnementaux (Émond, 2010).
Ceux-ci nous permettent de comprendre que tout le monde n’est pas égal face aux changements climatiques : certains individus et groupes sont plus à risque de subir les préjudices associés aux changements climatiques que d’autres. On dit de ces personnes qu’elles sont plus vulnérables. Les déterminants de la santé permettent de déterminer la vulnérabilité d’une personne aux changements climatiques : on peut penser à ses caractéristiques personnelles comme son âge et son état de santé, son degré d’exposition aux changements climatiques qui est directement lié aux aspects de son environnement physique (p. ex. milieu de vie, logement), ainsi que sa capacité à se préparer, à réagir et à se remettre des impacts des changements climatiques (p. ex. niveau de revenus, autonomie personnelle, accès aux services médicaux). Ainsi, les conséquences sanitaires des changements climatiques ne sont ni réparties ni vécues uniformément. Les facteurs de vulnérabilité font ressortir un certain nombre d’inégalités sociales de santé, qui correspondent aux différences de santé entre les individus liées à des facteurs ou des critères sociaux de différenciation (classes sociales, catégories socioprofessionnelles, catégories de revenu, niveaux d’études, etc.) (Aïach, 2000). La santé devient alors un problème public qui dépasse les limites de la sphère individuelle. On parlera alors de santé publique, un domaine qui fait l’objet de choix politiques, en ce qu’il est possible d’agir sur les inégalités sociales de santé qui résultent d’une distribution inégale des ressources.
Au Québec, les milieux urbains connaîtront à l’avenir des phénomènes de chaleur plus fréquents et plus intenses ainsi qu’une augmentation des incidences de la mauvaise qualité de l’air (Brown et al., 2021). Déjà, les risques pour la santé des populations sont significatifs. Par exemple, on dénombre 86 décès possiblement liés à la vague de chaleur de l’été 2018 (Lebel, Dubé et Bustinza, 2019).
Or ces risques ne sont pas distribués aléatoirement : les changements climatiques touchent davantage certaines populations en fonction de leur profil socioéconomique. Ainsi, cet article s’intéresse au rôle amplificateur des inégalités sociales de santé sur les impacts sanitaires des changements climatiques en milieu urbain à travers deux études de cas : la chaleur extrême et la pollution atmosphérique anthropique.
Manifestation des changements climatiques en milieu urbain : vagues de chaleur et pollution atmosphérique
Les populations urbaines sont les plus vulnérables aux vagues de chaleur, car les températures de surface y sont plus élevées en raison des îlots de chaleur qui s’y forment. Ce sont aussi les plus grandes victimes de la pollution atmosphérique, accentuée par la chaleur et la combustion d’énergies fossiles issues principalement du transport routier, lui-même plus volumineux et concentré en ville.
Au Canada, il n’existe pas de définition formelle d’un épisode de vague de chaleur. Au Québec, l’Institut national de santé publique utilise des seuils de chaleur extrême permettant d’informer et de mobiliser le réseau de la santé et des services sociaux lorsqu’une vague de chaleur est appréhendée. Selon la région, les seuils de détection correspondent à 3 jours de suite avec une température moyenne située entre 31 et 33 °C le jour et qui ne descend pas sous les 16 ou 20 °C la nuit. Quant aux îlots de chaleur urbains (ICU), ils correspondent à des lieux où le couvert forestier a été remplacé par du béton, de l’asphalte ou par un bâtiment et où une différence de température peut s’observer par rapport aux zones rurales environnantes. Cette différence peut atteindre jusqu’à 12 °C de plus dans les ICU en comparaison avec les zones limitrophes (Giguère, 2009). Ainsi, le risque de mourir lors de fortes chaleurs estivales est plus élevé dans les ICU, la chaleur accablante accentuée créant un stress sur le corps humain (Smargiassi et al., 2009).
Les changements climatiques sont également liés à la pollution de l’air, en ce qu’ils sont susceptibles d’influencer les niveaux de smog (une brume jaunâtre causée par l’accumulation d’un mélange de contaminants atmosphériques) et de particules fines dans l’air ambiant, des polluants dont la formation est plus rapide en présence de températures élevées. Environ 95 % des polluants entrant dans la composition du smog proviennent des activités humaines, notamment du transport, en croissance continue au Québec depuis 1990. Réduire nos émissions de gaz à effet de serre permettrait non seulement de lutter contre les changements climatiques, mais aussi de réduire la pollution de l’air, reconnue mondialement comme un facteur qui contribue fortement à l’apparition de maladies (p. ex. problèmes respiratoires soudains, développement de maladies chroniques) et à la survenue de décès prématurés. Celle-ci serait responsable de 15 300 décès prématurés à l’échelle du pays chaque année, dont 4000 au Québec (Santé Canada, 2021).
Les vagues de chaleur et la pollution de l’air sont deux exemples de la menace à la santé que représentent les changements climatiques. Cependant, à l’intérieur-même des milieux urbains, des déterminants sociaux induisent un risque pour certaines populations d’être plus affectées par ces problèmes que d’autres.
Des impacts significatifs sur les populations aux vulnérabilités socio-économiques
La vulnérabilité de la santé, causée par les changements climatiques, est souvent déterminée à l’aide de facteurs sociaux. Le revenu et le statut social, les réseaux sociaux d’entraide, l’éducation et l’alphabétisation sont tous des facteurs qui jouent sur la capacité des individus et des collectivités à s’adapter aux changements climatiques (GERARCC, 2018). La chaleur extrême et la pollution de l’air sont deux cas révélant une distribution inégale des risques pour la santé. La première peut provoquer de la déshydratation, des troubles de la conscience, des crampes, voire exacerber des maladies chroniques préexistantes comme des maladies cardiovasculaires, au point de causer la mort. Ainsi, les populations les plus vulnérables pendant une vague de chaleur sont habituellement les personnes âgées, les personnes atteintes d’une maladie chronique et les très jeunes enfants. Par ailleurs, à ces déterminants individuels s’ajoutent des facteurs socio-économiques sur lesquels les autorités publiques peuvent agir : les personnes socialement et économiquement défavorisées subissent beaucoup plus les impacts sanitaires liés à la chaleur (Kovats et Hajat, 2008). L’analyse de la distribution spatiale de la végétation à Montréal révèle qu’elles y ont un accès plus limite´ (Pham et al., 2012). Elles sont plus nombreuses à vivre dans des ICU et des logements mal isolés, où l’accès à la climatisation est limité (sans parler des personnes en situation d’itinérance dont la possibilité de se rafraichir est d’autant plus restreinte). D’autres facteurs de risque entrent en compte dans l’identification des profils de vulnérabilité à la chaleur comme le fait de vivre seul.e et d’avoir une incapacité grave : des situations que les personnes défavorisées ont plus de risques de rencontrer (INSPQ, s.d.). Tous ces facteurs se combinent et se renforcent : ils sont intersectionnels.
Les inégalités sociales de santé se manifestent également dans l’identification des profils de vulnérabilité à la pollution atmosphérique. Les quartiers pollués en raison d’une forte densité de trafic sont également plus asphaltés (ce sont des ICU), possèdent peu d’espaces verts et sont donc plus chauds. Ces zones correspondent généralement aux lieux où vivent les personnes les plus défavorisées : c’est ce qu’a révélé une étude menée dans les 9 villes les plus populeuses du Québec en 2011 (Bélanger et al., 2015). Une étude menée spécifiquement à Montréal a montré que les personnes à faible revenu habitent plus fréquemment à proximité des grands axes routiers et dans des secteurs à plus forte concentration de polluants (Carrier et al., 2014).
Ainsi, il existe un lien direct entre les inégalités sociales et la vulnérabilité aux problèmes de santé associés aux changements climatiques. Les mesures d’adaptation doivent le prendre en compte pour ne pas creuser le fossé des inégalités.
Perspectives d’adaptation : plus d’équité pour des villes résilientes
La distribution inégale des profils de vulnérabilité à la chaleur extrême et à la pollution atmosphérique anthropique met en lumière une répartition spatiale de l’iniquité environnementale, c’est-à-dire des situations de surexposition à des nuisances (la pollution de l’air) ou de plus faible accessibilité aux éléments positifs du cadre de vie (la végétation) que vivent certains groupes de la population. En ce sens, les mesures d’adaptation doivent être centrées sur le principe d’équité environnementale, qui conduirait à plus d’équité en santé. En milieu urbain, une planification rigoureuse de la distribution des infrastructures de verdissement et de transport routier peut permettre d’éviter de se retrouver dans une situation d’iniquité environnementale (Houde, 2018).
L’analyse des impacts sanitaires de la chaleur révèle qu’améliorer l’aménagement d’espaces verts dans les secteurs les plus pauvres des grands centres urbains serait des plus avantageux pour faciliter l’adaptation. À titre d’exemple, la création d’un parc au centre-ville en remplacement de bâtiments générerait une baisse de température de l’air environnant de 2 °C à plus de 6 °C (Giguère, 2009). La campagne ILEAU, qui réduit les ICU à Montréal, est une application concrète d’une politique socialement acceptée, menée en collaboration avec la santé publique et des partenaires locaux afin de transformer le territoire. La création de jardins communautaires est un autre exemple de projet qui affecte positivement la santé mentale et les rapports sociaux (Beaudoin et Levasseur, 2017). En effet, les espaces verts influencent conjointement certains déterminants sociaux de la santé et la santé elle-même. Néanmoins, ces stratégies de création d’îlots de fraicheur ont comme penchant négatif qu’elles peuvent favoriser ce qu’il est courant d’appeler la « gentrification verte ». Il est important de veiller à ne pas annuler les efforts de réduction des inégalités sociales de santé par le biais du verdissement dans les quartiers les plus affectés : un effet d’embourgeoisement provoqué par ces transformations peut faire augmenter le prix des loyers, chassant par le fait même les populations à qui était destiné le verdissement.
La question de la pollution atmosphérique doit être traitée avec les mêmes précautions. Étant en grande partie liée au trafic automobile, les solutions envisagées pour la réduire peuvent viser à réacheminer une partie de la circulation empruntant les rues locales à vocation résidentielle vers le réseau routier supérieur (artères, autoroutes). Cependant, cette approche a généralement pour conséquence d’accroître les inégalités en santé en déplaçant simplement les contaminants émis par les véhicules là où des personnes aux situations socioéconomiques défavorisées sont surreprésentées (Bellefleur et Gagnon, 2011). Une solution consiste donc à détourner les individus de l’automobile en développant un service efficace de transports collectifs et en permettant l’utilisation sécuritaire du transport actif, en faisant attention à ce que la présence d’infrastructures cyclables n’encourage pas la gentrification, comme des études l’ont observé (Houde, 2018). Une politique de gratuité des transports collectifs, en plus de lutter contre la pollution atmosphérique en faisant baisser la circulation, pourrait diminuer certaines inégalités en santé. La mobilité améliore l’accès à l’emploi, à l’éducation, à la culture et aux soins de santé, tout en facilitant la lutte à l’exclusion sociale (Schepper, 2017).
La création d’équité participe à accroître la capacité d’adaptation et le bien-être dans les villes, leur permettant de devenir plus résilientes face aux changements climatiques (Brown et al., 2021).
C’est pourquoi celle-ci doit être centrale au processus d’adaptation aux changements climatiques.
Rendre indissociable l’approche santé-environnement-inégalités sociales
Ainsi, les inégalités sociales et leurs intersectionnalités agissent comme agents multiplicateurs des effets des changements climatiques sur la santé. Le travail en vase clos lors de l’élaboration de politiques de lutte et d’adaptation peut avoir de lourdes répercussions sur les populations les plus défavorisées. Les cursus académiques formant les futur.e.s décideur.euse.s sur les questions liées aux changements climatiques (p. ex. science politique, urbanisme, médecine) devraient dès aujourd’hui intégrer une approche intersectionnelle à leur formation. Car en ignorant le lien direct entre la santé, l’environnement et les inégalités sociales, on risque de perpétuer voire d’exacerber ces dernières. Au début du mois d’avril 2021, trois organismes de santé publique (l’Association canadienne de santé publique, l’Association canadienne de la santé pour la durabilité et l’équité et l’Association de santé publique de l’Ontario) insistaient auprès du gouvernement fédéral afin qu’il s’assure que ses investissements pour lutter contre la crise climatique n’enracinent pas les inégalités en matière de santé partout au Canada, en priorisant les quartiers à faible revenu dans le déploiement des programmes. Il en va évidemment de même pour le gouvernement provincial. En 2015, Ouranos a évalué à plus de 20 000 le nombre de décès supplémentaires causés par l’augmentation de la chaleur d’ici 50 ans au Québec. Nous savons déjà que si rien n’est fait pour lutter contre les inégalités sociales, ces potentiels décès toucheront des populations aux profils déjà connus.
Le défi que posent les changements climatiques met la société québécoise face à des choix importants, devant être entérinés par des politiques publiques ambitieuses et courageuses. Non seulement pour répondre à la crise climatique en cours, mais aussi à ses corollaires sanitaires et sociaux.