Enjeux de société

Les changements climatiques et leurs répercussions sur les inégalités de genre

Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), les populations qui sont déjà les plus vulnérables et les plus marginalisées dans le monde sont les plus touchées par les changements climatiques. Les femmes constituent une population hautement à risque, étant donné qu’elles représentent 70  % du 1,3  milliard de personnes qui vivent sous le seuil de la pauvreté et 60  % de la population mondiale qui souffre de famine. Elles sont aussi plus concernées par les changements climatiques en raison des tâches et discriminations subies et vécues relativement à leurs conditions sociales.

Un rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS, 2015) concluait que l’intégration d’une analyse comparative entre les sexes1 permettrait une atténuation et une adaptation plus efficaces aux changements climatiques. Pourtant, l’ampleur du fardeau des femmes lié aux changements climatiques et le rôle qu’elles peuvent jouer pour améliorer la situation ne sont encore que peu compris en raison de données insuffisantes (Ampaire et al., 2020). Or, s’y attarder permettrait non seulement de participer à l’avancement des connaissances générales sur les changements climatiques d’un point de vue sexospécifique, mais aussi de prendre acte des solutions d’actions concrètes et réalisables qui peuvent découler du savoir des femmes, en leur offrant une plus grande capacité de parole et d’action dans des situations concernant directement leur bien-être.

Ce texte aborde les effets des changements climatiques sur les inégalités de genre, une réalité peu connue et pourtant de plus en plus présente mondialement. Parce que les catastrophes et migrations climatiques sont déjà fortement en branle dans les pays d’Asie du Sud, l’article porte sur la réalité des femmes des milieux ruraux de cette région, de manière à comprendre comment les changements climatiques influent sur leur quotidien.

Changements climatiques en Asie du Sud : un bref survol

L’Asie du Sud abrite plus de 20  % de la population mondiale. Cette forte démographie rend, de prime abord, cette région plus vulnérable aux changements climatiques en raison des problèmes associés à la dégradation des ressources naturelles, à l’insécurité alimentaire et à la pauvreté. L’augmentation de la température, la fonte des glaces de l’Himalaya à un rythme élevé, l’élévation du niveau de la mer dans les zones côtières, les inondations ou encore l’augmentation de la fréquence des cyclones sont des indicateurs importants des changements climatiques dans la région. L’Asie du Sud dépend de la mousson pour la viabilité de son agriculture, mais les précipitations changent et diminuent d’année en année (Dimitrova et al., 2021). La hausse des températures a des conséquences négatives directes sur les ressources en eau et le rendement agricole. Parmi ces pays, on compte bien entendu l’Inde, bientôt considérée comme étant le pays le plus populeux au monde et dont 70  % de la population totale habite en milieu rural et repose donc sur l’exploitation de la nature et de ses produits.

En Inde, les conséquences sociales des changements climatiques sont dramatiques. Par exemple, on observe dans les dernières années une montée record des suicides chez les agriculteurs (Gummadi, Jyotishi et Jagadeesh, 2021). Si la détresse des agriculteurs est documentée, celle de leurs épouses l’est moins. Pourtant, on estime à ce jour que la production alimentaire des pays non occidentaux dépend à 80  % du travail des femmes. C’est le cas en Inde, pays qui repose sur l’exploitation de la nature et de ses produits, où les femmes représentent plus de 65  % de la main-d’œuvre agricole (CSW, 2019). On explique cette statistique par le fait que lors de catastrophes climatiques, les hommes sont souvent amenés à se déplacer dans des centres urbains pour chercher un mode de subsistance alternatif. Ainsi, ce sont généralement les femmes qui restent sur les terres. Par contre, elles sont rarement propriétaires et leur rôle d’agricultrice est souvent considéré comme informel. De cette manière, non seulement elles n’ont aucun pouvoir sur les décisions financières et familiales, mais lors de catastrophes naturelles, elles sont aussi contraintes à migrer seules avec leurs enfants vers d’autres endroits pour survivre. Cette situation menace leur sécurité sexuelle et physique.

Femmes dans un champ d’ail, Jodhpur, Inde. Photo de l’autrice, 2018

Inégalités de genre et changements climatiques

De nombreuses études démontrent que les femmes sont plus fortement touchées par les changements climatiques en raison des tâches et discriminations qui leur sont socialement attribuées. Ce désavantage est probant, parce que des statistiques illustrent que les femmes ont 14 fois plus de risques de mourir dans une catastrophe climatique que les hommes2. Par exemple, durant le tsunami qui a frappé l’Asie du Sud à la fin de 2004, les décès étaient composés à environ 80  % de femmes (Rahiem, Rahim et Ersing, 2021). Ce chiffre s’explique par plusieurs raisons. D’abord, parce que les femmes ne sont pas prévenues à temps lorsqu’il y a une catastrophe. Elles sont souvent tenues à l’écart des réseaux de nouvelles ou encore, elles n’ont pas l’alphabétisation nécessaire pour les lire. De plus, en Asie du Sud, par exemple, les femmes ne peuvent pas sortir de chez elles sans être accompagnées et donc, elles ne peuvent pas se sauver à temps. On ne leur apprend pas à nager ou encore, elles sont quotidiennement éloignées de leur foyer en raison de leurs tâches alimentaires quotidiennes.

Socialement et culturellement, les rôles associés aux femmes font en sorte qu’elles sont en majeure partie responsables de l’approvisionnement en eau et en bois de chauffage. À mesure que les conséquences des changements climatiques grandissent, ces tâches deviennent plus difficiles et prennent plus de temps. En Inde, on estime que les femmes parcourent de 5 à 20  km chaque jour. Ces éloignements de plus en plus longs en dehors du village les rendent beaucoup plus à risque de subir des agressions de toutes sortes.

Une migration climatique qui augmente les violences basées sur le genre

La violence basée sur le genre3 est exacerbée en situation de migration climatique. Selon le Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, les changements climatiques sont désormais considérés comme étant le facteur clé qui accélère tous les autres facteurs de déplacement forcé et qui multiplie les menaces. Les syndromes de stress post-traumatique, la perte de biens et de moyens de subsistance, la pénurie de nourriture et de services de base à la suite de catastrophes météorologiques peuvent tous entraîner des tensions sociales. On peut par exemple penser à la Syrie, où la guerre civile a succédé à une longue sécheresse. On sait statistiquement que les conflits favorisent la violence familiale, les mariages d’enfants, la traite des personnes et les viols envers les femmes (Ozcurumez, 2021). Cette vulnérabilité augmente encore plus lorsque ces dernières se retrouvent seules à devoir gérer la terre ou encore à devoir s’en éloigner pour fuir une catastrophe climatique. Une fois dans les abris et les refuges, le risque perdure, car ceux-ci sont rarement adaptés pour accueillir un grand nombre de réfugiés et sont bien souvent considérés comme non sécuritaires pour les femmes. C’est par exemple ce qu’une enquête menée par la Fondation Khan et le Centre de ressources et de recherche pour les femmes en Asie-Pacifique (ARROW) a démontré alors que 93  % des femmes interrogées ont dit ne pas se sentir en sécurité dans les refuges au Bangladesh (Khan Foundation et ARROW, 2015). Les raisons principales comprennent le malaise et les tensions dues à la cohabitation avec les hommes sans aucune intimité et l’absence de toilettes et de douches réservés aux femmes. De plus, l’accès limité aux ressources de base oblige les femmes à sortir des refuges et des camps pour aller chercher de la nourriture, de l’eau et du bois, les exposant ainsi à un risque plus élevé de harcèlement, d’agressions sexuelles ou même de viols.

Il est à noter que la vaste majorité des migrations climatiques se déroulent à l’intérieur même des frontières des pays. Pour quatre migrants et migrantes dans le monde, trois sont internes et un seulement est international. Dans la majorité des cas, les gens ne veulent pas quitter leur milieu de vie, ils veulent plutôt se mettre à l’abri. Les migrations se font donc souvent sur de courtes distances.

On estime que 30,7 millions de personnes ont été déplacées en raison de catastrophes d’origine climatique en 2020. C’est trois fois plus que le nombre de personnes déplacées pour les guerres et conflits armés. Pour ce qui est plus particulièrement des femmes en situation de migration climatique, pratiquement aucune d’entre elles ne réussit à quitter son pays. D’abord en raison du taux de mortalité élevé en situation de migration climatique, causé par différentes violences ou un manque de ressources, mais aussi parce que la grande majorité de ces femmes n’ont jamais les moyens financiers de quitter leur pays. En fait, les personnes migrant à l’extérieur du pays, et en particulier vers le Canada, sont les populations urbaines ayant le plus de ressources financières. Pour ces personnes, le lien entre la décision de quitter leur pays et l’environnement est très souvent indirect.

Une parole importante, mais peu écoutée

Malgré ce portrait plutôt sombre, les femmes ne sont pas que des victimes des changements climatiques : elles sont aussi porteuses de solutions importantes quant à l’élaboration de politiques ou de pratiques environnementales viables sur le plan local et national (Larson et al., 2018). La portée de cette parole n’est pas à prendre à la légère : elle peut inspirer d’autres milieux où les femmes se mobilisent et créer des dialogues entre diverses organisations de femmes à l’échelle internationale. Parce qu’elles occupent un rôle central dans le travail de la terre et le contact avec les ressources naturelles (telles que l’eau, le bois, les textiles végétaux, etc.), leurs connaissances, savoirs et expériences sur les enjeux climatiques peuvent être extrêmement riches pour la mise en place de solutions d’adaptation au climat.

Jeune fille dans un champ de menthe, Osian, Inde. Photo de l’autrice, 2018.

C’est par exemple ce qu’on a pu observer au Bangladesh, dans le village de Chauhali. Laily Begum, une femme dont la survie repose sur le travail de la terre depuis 30  ans, a développé une manière de préserver ses plants face à la hausse des températures et aux inondations de plus en plus fréquentes4. Deux fois par semaine, elle se rassemble avec un groupe d’agriculteurs et d’agricultrices composé principalement de femmes afin de partager ses techniques agricoles, qui comprennent entre autres la pollinisation manuelle, la culture mixte, les jardins suspendus ou flottants, le stockage de semences ou encore l’utilisation de compost. Au fil du temps, elle a créé un véritable réseau de femmes qui s’entraident pour une meilleure adaptation aux changements climatiques. Manika Begum, dans la même région, a fait le même processus en racontant à un groupe de femmes la manière dont elle préservait ses semences dans des bouteilles de verre recyclées (UQOCI, 2015). Donner une voix aux femmes permet de partager leurs idées et leurs solutions bien souvent ignorées des autorités ou dans les discours dominants, en plus d’augmenter leur agentivité et leur sécurité alimentaire. La portée positive de ce type de réseau est un phénomène qu’on observe ailleurs dans le monde, par exemple au Kenya avec le Mouvement de la ceinture verte. Ce projet, dirigé uniquement par des femmes, propose de planter des arbres autour des villes et des villages pour combattre la déforestation, générer des revenus et freiner l’érosion du sol.

Malheureusement, ce type d’initiatives est encore trop souvent invisibilisé à ce jour, car les femmes sont majoritairement absentes des processus décisionnels concernant les conséquences des changements climatiques. Le débat international sur le climat n’a, jusqu’à maintenant, pas cherché à intégrer de façon significative les femmes dans les politiques environnementales (Alhassan, Kuwornu et Osei-Asare, 2019).

Conclusion

À ce jour, aucun outil juridique ne protège les droits des migrants et migrantes climatiques, car le statut de réfugié ne leur est pas reconnu selon la Convention de Genève. En effet, bien que les changements climatiques soient irréversibles, ils sont progressifs et à ce titre, ne représentent pas une menace imminente. En date d’aujourd’hui, selon la Convention relative au statut des réfugiés de 1951, le statut de réfugié n’est accordé que lorsqu’une personne craint d’être persécutée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques. La sécurité des migrants et migrantes climatiques et particulièrement celle des femmes est donc hautement précaire. Toutefois, les changements climatiques vont appeler, dans les prochaines années, à une redistribution de la population mondiale, car les experts et expertes estiment que des millions, voire jusqu’à un milliard d’êtres humains pourraient migrer en raison des changements climatiques d’ici 2050. Il faut s’y attarder, d’abord en investissant dans l’amélioration des conditions de vie dans les refuges et abris pour diminuer la violence basée sur le genre. Ensuite, en développant des outils pour accueillir les réfugiés et réfugiées climatiques. Il est toutefois nécessaire de le faire en adressant plus particulièrement la situation des femmes et particulièrement celles des milieux ruraux, désavantagées par une multitude d’intersections et dont la situation se détériore grandement par des violences exacerbées à leur égard en situation de migration climatique.

L’analyse comparative entre les sexes désigne différentes méthodes qui visent une meilleure compréhension des relations entre les hommes et les femmes quant à leurs accès aux ressources, aux activités, aux défis et aux difficultés qu’ils rencontrent les uns par rapport aux autres.

Développement et Paix, Chaud devant : impacts des changements climatiques dans les pays du Sud et recommandations pour une action du Canada, rapport officiel, 2015.
https://www.devp.org/sites/www.devp.org/files/documents/materials/rapport_chaud_devant.pdf.

La violence basée sur le genre prend racine dans l’inégalité entre les sexes.
Elle désigne des actes nuisibles et violents dirigés contre une personne ou
un groupe de personnes en raison de leur identité de genre.

« Beating climate change the “smart’ way” », Welt hunger hilfe, Mamunur Rashid.
https://welthungerhilfeindia.org/beating-climate-change-the-smart-way/

 

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