Sciences et technologies

Les changements climatiques : mise en place d’un environnement optimal pour ravager nos cultures

La population mondiale a triplé depuis 1950, atteignant huit milliards de personnes à la fin de l’année 2022 et dépassant possiblement dix milliards en 2060 (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat [GIEC], 2021). Cette explosion démographique s’accompagne d’une pression énorme sur la production alimentaire, qui dépend essentiellement de la productivité du secteur agricole. Bien que plusieurs facteurs complexes influencent la distribution des ressources alimentaires, il est clair qu’une agriculture plus durable est nécessaire pour répondre aux besoins à long terme de la population humaine. Cette transition agricole devra également permettre de s’affranchir, dans la mesure du possible, de certains outils chimiques présentement utilisés (ex. : antibiotiques, pesticides) qui ont des conséquences nocives sur l’environnement et sur les populations humaines (Dodds et Rathjen, 2010 ; Boyd et al., 2013). Une révolution s’amorce alors que la production agricole se tourne vers une lutte intégrée contre les ennemis des cultures. En outre, les phytopathogènes (c’est-à-dire les microorganismes qui causent des maladies aux plantes) ont des conséquences majeures sur la production agricole, car ils peuvent entraîner une diminution du rendement de plantations, un déclassement des produits dû à des changements dans leurs propriétés organoleptiques ou encore la perte totale de récoltes (Boyd et al., 2013). Les phytopathogènes sont d’autant plus ravageurs en conditions de monocultures (Stukenbrock et McDonald, 2008), une technique qui demeure la norme en agriculture moderne en raison de sa rentabilité.

La production en serre au Québec

Au Québec, la production de tomates a subi une révolution dans les 20 dernières années, avec l’accélération de la production en serre, qui dépasse désormais approximativement 19 000  tonnes par année sur environ 69  hectares, dont environ 20 sont occupés par une régie biologique (Ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, 2018). De plus, le gouvernement du Québec a mis en place, en 2020, une stratégie d’augmentation des productions en serre afin de promouvoir l’autonomie alimentaire provinciale. L’objectif principal de cette stratégie est de doubler la superficie des cultures en serre d’ici 2025 (Gouvernement du Québec, 2023). Dans le contexte des changements climatiques, une augmentation de la température estivale accompagnée d’une hausse de l’humidité ambiante pourrait créer des conditions favorables à l’exacerbation des conséquences des phytopathogènes, notamment
en agriculture. La gestion des phytopathogènes est donc une priorité afin d’atteindre les objectifs de croissance tout en s’insérant dans le mouvement mondial d’agriculture durable.

Phytopathogènes et cultures

Les techniques actuellement utilisées pour combattre les phytopathogènes en agriculture sont, entre autres, l’utilisation de plantes résistantes à différents pathogènes, soit de façon naturelle ou par construction transgénique ; les substances chimiques de contrôle ; et les alternatives biologiques (Sharma et al., 2022). L’emploi de ces stratégies d’atténuation est limité par le besoin en temps et en énergie afin d’avoir des plantes à la fois résistantes et ayant les traits désirés pour la commercialisation ; le statut illégal des plantes transgéniques dans de nombreux pays et leur perte d’efficacité à long terme en raison de l’adaptation des phytopathogènes ; les effets néfastes des outils chimiques sur les écosystèmes et sur la santé humaine ; ainsi que la lenteur des démonstrations de l’efficacité des produits de biocontrôle en agriculture (Sharma et al., 2022). De plus, l’émergence de nouveaux phytopathogènes étant inévitable, il est primordial de trouver des solutions durables pour réimaginer nos systèmes de cultures et de protection des plantes agricoles (Stukenbrock et McDonald, 2008).

Pseudomonas syringae : agent causal de la moucheture bactérienne

L’agent causal de la moucheture bactérienne, P. syringae, est un phytopathogène d’importance au Québec, notamment pour la production de tomates. La moucheture bactérienne de la tomate est caractérisée par la présence d’une multitude de taches noires et jaunes, tant sur les feuilles que sur les fruits, et entraîne également le dessèchement des parties aériennes de la plante (Figure 1a). La lutte contre P. syringae est très difficile et nécessite la rotation des cultures, l’utilisation de semences certifiées ou traitées, ou encore l’utilisation de cuivre en combinaison avec des bactéricides. Cependant, cette dernière solution a des conséquences majeures pour l’environnement et la santé des populations humaines. Il est donc important de développer de nouvelles stratégies pour limiter les conséquences des phytopathogènes grâce à des solutions de rechange durables. Ce processus de découverte dépend d’abord d’expériences de recherche fondamentale. Ces expériences en milieu contrôlé permettent d’atteindre une meilleure compréhension des systèmes d’infection des phytopathogènes ainsi que des réponses de la plante y étant associées (qu’on appelle l’immunité végétale ; voir boîte 1). Afin de faciliter l’étude de P. syringae, on utilise une plante modèle nommée Arabidopsis thaliana. Aussi connue sous le nom de l’arabette des dames, cette plante est également sensible au phytopathogène P. syringae qui lui cause, au premier stade d’infection, ce qu’on nomme des lésions aqueuses (c.-à-d. une accumulation d’eau apparente au sein des feuilles) (Figure 1b).

Figure 1. Phénotype d’infection du phytopathogène P. syringae. a. Feuille de tomate présentant des signes de moucheture bactérienne. On peut y voir la présence de taches brunes (signes d’infection par P. syringae). Source : MAPAQ. b. Feuille de la plante modèle Arabidopsis thaliana infectée par P. syringae. On peut y voir la présence des lésions aqueuses (taches plus foncées qui représentent l’accumulation d’eau au sein des tissus). Source : Lajeunesse et al., 2023.

Encadré : L’immunité végétale en bref

Contrairement aux humains, pour qui l’immunité est assignée à un groupe spécifique de cellules, toutes
les cellules des plantes possèdent une part d’immunité, les rendant capables de se défendre d’elles-mêmes contre des attaques. En bref, les plantes possèdent deux niveaux de défense contre les différents types d’attaques, il s’agit de barrières constitutives (toujours présentes) ou inductibles (s’activant à la détection d’un phytopathogène). La première des défenses constitutives est la barrière physique (par exemple, la couche de cire recouvrant les feuilles de certaines plantes), qui a pour rôle d’empêcher les pathogènes d’entrer. Cependant, le niveau de défense le plus étudié en recherche fondamentale est celui des défenses inductibles. L’une des étapes d’activation des défenses inductibles est la reconnaissance des phytopathogènes par de nombreux récepteurs. Lorsqu’un envahisseur microbien est reconnu par la plante, celle-ci sera en mesure d’activer ses moyens de défense contre ce type de microorganisme en particulier. En retour, les pathogènes ont évolué pour échapper à cette reconnaissance par les plantes et donc causer tout de même la maladie (Dodds et Rathjen, 2010).

Les conséquences de la température

Le concept du triangle de la maladie, bien connu en phytopathologie, souligne que les interactions plantes-pathogènes sont grandement dépendantes de trois facteurs : les conditions environnementales, la sensibilité de l’hôte et la virulence du phytopathogène. Jusqu’à récemment, les résultats scientifiques n’arrivaient pas à un consensus quant à l’effet de certains facteurs environnementaux, dont la température, sur les interactions plantes-phytopathogènes. En outre, les prévisions du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) suggèrent que nous observerons une augmentation de la température ambiante de 2 à 5 °C d’ici la fin du siècle (GIEC, 2021). On ne peut donc pas ignorer les conséquences qu’aura cette augmentation de la température en agriculture. Une étude récente a démontré qu’une température plus élevée augmente la sensibilité de l’arabette des dames (A. thaliana) au phytopathogène P. syringae (Huot et al.,2017). Les raisons des pertes de résistance et d’augmentation de la virulence sont multiples. Par exemple, il est connu que certaines des lignes de défenses inductibles des plantes comprennent la détection de molécules produites par les pathogènes, telles que les protéines effectrices, ainsi que la biosynthèse d’une phytohormone importante pour la défense végétale, l’acide salicylique. Un environnement contrôlé de production en serre pourrait permettre de limiter l’effet de la hausse de température due aux changements climatiques et de mitiger les conséquences des phytopathogènes sur nos cultures. Il est cependant important de mentionner que si le contrôle de la température des serres passe par l’utilisation d’énergie additionnelle (ex. : énergies fossiles), cela pourrait contribuer en soi à la boucle d’accélération des changements climatiques.

Les conséquences de la lumière

Un autre facteur abiotique d’importance dans la lutte contre P. syringae est la lumière. En effet, il a récemment été démontré qu’un court traitement à la lumière constante (48 h de lumière artificielle ininterrompue) permet le rétablissement de l’arabette des dames infectée par ce phytopathogène (Lajeunesse et al., 2023). Pour infecter efficacement les plantes, P. syringae se sert des stomates, qui sont des ouvertures à la surface des feuilles permettant, entre autres, la transpiration des plantes. Le pathogène se sert de ces ouvertures naturelles pour entrer à l’intérieur des tissus des feuilles, puis les referme derrière lui afin de bloquer le phénomène de transpiration et donc d’empêcher l’eau de sortir des feuilles. Cette accumulation d’eau au sein des feuilles est visible à l’œil nu et crée des lésions aqueuses (Figure 1b). Il s’agit d’un environnement idéal à la croissance de P. syringae. Un fait important à noter est que ces lésions aqueuses se créent plus facilement lorsque l’humidité relative est élevée. De ce fait, la hausse prévue de l’humidité relative atmosphérique pourrait exacerber l’infection de ce phytopathogène et, parallèlement, avoir des conséquences négatives sur nos cultures, comme celle de la tomate. Heureusement, on peut manipuler la lumière à notre avantage ! En effet, la lumière constante empêche la fermeture des stomates par le pathogène après sa pénétration dans les tissus. Cela inhibe la formation des lésions aqueuses dont il a tant besoin pour créer la maladie (Lajeunesse et al., 2023). Dans un contexte de croissance de cultures en serre, il serait possible d’allumer les lumières pendant quelques jours pour aider les agricultrices et agriculteurs à se débarrasser de certaines infections comme celle de P. syringae. Il faut cependant mentionner qu’il pourrait y avoir d’éventuels inconvénients à un tel traitement (ex. : effets physiologiques, coûts financier et environnemental). Plus d’études sur ce sujet sont donc nécessaires.

Perspectives

Alors que l’adaptation aux changements climatiques est au cœur des priorités de recherche tant à l’échelle locale (initiatives municipales) qu’à l’échelle mondiale (grandes réflexions intergouvernementales), il est primordial de souligner l’importance de la recherche fondamentale dans l’atteinte de notre objectif de production agricole durable. Plusieurs recherches récentes ont souligné l’effet potentiel de l’augmentation de la température et de l’humidité ambiante sur la virulence des phytopathogènes. Le développement d’autres méthodes pour renforcer la lutte intégrée contre les ennemis des cultures est capital afin de limiter les effets néfastes des agents chimiques sur l’environnement et la santé des populations. Dans cette optique, notre article a souligné le contrôle de la température, de l’humidité et de la lumière comme des voies importantes pour soutenir les productions agricoles. De futures études appliquées sur l’établissement des coûts et des bénéfices pour la production des tomates en serre au Québec permettront de confirmer l’utilité de ces mesures.

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