L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) soutient que les changements climatiques représentent la plus grande menace pour la santé dans le monde au 21e siècle. Ceux-ci influencent négativement plusieurs déterminants sociaux et environnementaux de la santé comme l’accessibilité à la nourriture et la qualité de cette dernière, l’eau et l’air. Blessures, impacts psychosociaux, aggravation de maladies respiratoires, malnutrition, maladies infectieuses, décès : les conséquences sanitaires sont susceptibles d’affecter les populations sur tous les continents.
Le Canada se réchauffe deux fois plus rapidement que la moyenne mondiale en raison de sa proximité au pôle Arctique, où le réchauffement est accéléré comparativement à l’équateur (Bush et Lemmen, 2019)(1). Ainsi, le Québec n’est certainement pas à l’abri des changements climatiques. Dans le Sud de la province, les températures moyennes observées ont augmenté de plus d’un degré depuis 1970 et des répercussions se font déjà sentir dans notre environnement.
Ce réchauffement, accompagné d’une plus grande variabilité du climat (augmentation du risque d’orages, de tempêtes et d’extrêmes hydrométéorologiques en général), représente un défi grandissant pour les professionnel.le.s de la santé. Dans la région de l’Estrie, les professionnel.le.s de santé publique ont effectué une analyse qui leur ont permis d’identifier quatre principaux problèmes environnementaux associés aux changements climatiques, soit :
- les vagues de chaleur;
- les inondations;
- les tiques à pattes noires;
- le pollen de l’herbe à poux.
Ces problèmes ont des impacts importants sur la santé, c’est-à-dire potentiellement graves ou qui touchent un grand nombre de personnes. Le stress et les pertes (humaines et matérielles) engendrées par ces différents problèmes environnementaux peuvent aussi représenter une source majeure de problèmes psychologiques significatifs pouvant persister dans le temps. De plus, ces impacts sont variables selon les différents contextes sociaux des individus et des communautés, générant des inégalités sociales de santé.
Inspirée des travaux des Centers for Disease Control and Prevention des États-Unis (CDC), la Direction de santé publique de l’Estrie a développé en 2016 une roue illustrant les principaux impacts sanitaires des changements climatiques (DSP-Estrie, 2016)(2).
Les impacts des changements climatiques sur la santé
Vagues de chaleur
Le nombre de journées chaudes (plus de 30 °C) est appelé à augmenter en Estrie, passant d’une moyenne de 3 journées par année à 11 ou 19 selon un scénario modéré ou élevé (Ouranos, 2019)(3). On s’attend alors à une augmentation de fréquence, de durée et d’intensité des épisodes de chaleur extrême (Doyon, Bélanger et Gosselin, 2006)(4), c’est-à-dire une période d’au moins 3 jours consécutifs de température dépassant les seuils de chaleur élevée et étant associés à une plus forte probabilité d’excès de mortalité.
Les problèmes de santé liés aux vagues de chaleur peuvent être majeurs et mener au décès. Ils surviennent lorsque les capacités d’adaptation sont insuffisantes (capacités à se protéger de la chaleur, à se rafraîchir, à évacuer la chaleur et à maintenir un équilibre hydrique et électrolytique). Les principales manifestations sont : les crampes musculaires, la perte de connaissance, l’épuisement dû à la chaleur, le coup de chaleur, ainsi que l’aggravation des maladies chroniques.
Ces risques liés à la chaleur sont plus importants pour certains groupes de personnes, notamment : les nourrissons et les jeunes enfants, les personnes qui travaillent à la chaleur ou effectuant des activités physiques exigeantes, les personnes âgées, les personnes vivant seules ou en perte d’autonomie et les personnes souffrant de maladies chroniques. Par ailleurs, l’impact des vagues de chaleur est plus important en milieu urbain en raison des îlots de chaleur.
L’épisode de chaleur extrême de juillet 2018 en Estrie a été important, causant des problèmes de santé chez au moins 79 personnes, incluant 15 décès (DSP-Estrie, 2019)(5). Pour éviter les problèmes de santé, il est recommandé de rester au frais, de bien s’hydrater et de réduire les efforts physiques. Aussi, pour mieux gérer les impacts à plus long terme, il est aussi essentiel que les communautés travaillent à la mise en place de mesures environnementales (plus d’espaces verts, moins d’espaces minéralisés, adaptation à la chaleur du parc immobilier, etc.).
Inondations
Les inondations représentent la catastrophe naturelle la plus importante au Québec et engendrent des coûts sociaux et économiques importants. Leur fréquence sera également accrue en raison des changements climatiques et du dérèglement du cycle de l’eau, perturbant la vie de plusieurs milliers de personnes. De par l’ampleur des pertes subies et des stress vécus, ce type d’événement peut avoir de graves conséquences autant sur la santé physique que psychologique, variant selon la nature et l’ampleur inondations, ainsi que selon les facteurs de vulnérabilité et de protection de la population exposée (Alderman, Turner et Tong, 2012)(6).
Les inondations peuvent être à l’origine de risques d’électrocution, d’intoxication au monoxyde de carbone, de blessure, de noyade, de morsure d’animaux, d’hypothermie, d’infection cutanée et de tétanos, d’infection d’origine alimentaire ou hydrique, d’infection respiratoire, de stress, de détresse et d’insomnie, et ce, peu de temps suivant les événements. (Menne et Murray, 2013)(7).
Au cours des mois et des années suivant l’événement, les principaux problèmes de santé pouvant être observés sont les problèmes respiratoires liés aux moisissures, ainsi que les troubles de l’humeur ou d’anxiété, le trouble de stress post-traumatique, et les abus de substances (telles que drogues ou alcool) (Menne et Murray, 2013). Selon une enquête montréalaise menée auprès de 200 sinistré.e.s des inondations printanières de 2017, ceux et celles-ci étaient près de deux fois plus nombreux.euses à rapporter un état de santé passable ou mauvais, et près de cinq fois plus nombreux.euses à rapporter un état de santé mentale passable ou mauvais comparativement à la population générale.
Bien que relativement épargnée des crues printanières historiques de 2017 et 2019, l’Estrie a connu des inondations d’importance sur son territoire au cours des dernières années. Actuellement, le Québec doit revoir les usages et les aménagements en zones inondables afin de réduire les vulnérabilités aux crues des eaux.
Tiques à pattes noires
L’augmentation de la température au Canada et au Québec bouleverse les écosystèmes et la biodiversité, et crée un environnement plus propice aux tiques, notamment en favorisant leur survie, en prolongeant leur période d’activité et en augmentant l’étendue géographique et l’abondance des animaux leur servant de réservoirs et d’hôtes (les souris et les chevreuils). L’exposition humaine aux tiques est également susceptible d’accroître en raison d’un début plus précoce des activités de plein air au printemps et une fin plus tardive à l’automne (Bouchard et al. 2019)(8).
On peut ainsi s’attendre à une augmentation des infections susceptibles d’être transmises par ces tiques au cours des prochaines années. Parmi les infections possibles, la maladie de Lyme est, jusqu’à maintenant, celle qui est la plus répandue au Québec. Depuis plusieurs années, on observe une augmentation des cas déclarés de cette maladie causée par la bactérie Borrelia burgdorferi. Cette bactérie peut être transmise à l’humain par la morsure de la tique Ixodes scapularis, surnommée tique à pattes noires ou tique du chevreuil. Les populations de tiques à pattes noires sont aujourd’hui bien établies dans le Sud de la province et se retrouvent particulièrement dans les régions boisées, les arbustes, les hautes herbes et les amas de feuilles mortes.
L’Estrie est la région du Québec présentant le taux d’incidence de maladie de Lyme le plus élevé de la province. Cette région a dû et devra encore s’adapter pour faire face à cette maladie émergente, notamment en déployant des mesures de surveillance, de sensibilisation et de prévention visant à documenter et à mieux prévenir la maladie. Un diagnostic précoce et un traitement rapide permettront également de réduire les conséquences cliniques, ce qui renforce la nécessité de continuer d’éduquer et de soutenir les citoyen.ne.s et les professionnel.le.s de la santé en lien avec cette maladie.
Herbe à poux
La rhinite allergique (communément appelée rhume des foins), causée par le pollen de l’herbe à poux (Ambrosia artemisiifolia) est déjà un problème de santé fréquent avec un impact significatif sur la santé de la population. Il risque de s’accroitre avec les changements climatiques.
Selon des données d’enquêtes québécoises, près de 14 % de la population adulte souffrirait d’allergie à l’herbe à poux (Canuel et Lebel, 2012)(9) pouvant se manifester par des symptômes d’irritation des yeux, de congestion, d’écoulements nasaux et d’asthme. Des surinfections, notamment des otites, des sinusites et des pneumonies, peuvent également survenir. La réduction de la qualité de vie et l’évitement des activités de loisirs qui occasionnent une exposition ont également été rapportés chez les personnes atteintes. Des coûts sociaux importants sont associés à la perte de temps de travail, aux consultations médicales, aux traitements ainsi qu’aux stratégies d’évitement du pollen (purificateurs d’air, etc.).
Deux mécanismes distincts contribuent à l’impact des changements climatiques sur les allergies au pollen de l’herbe à poux. D’une part, en présence d’une concentration accrue de CO2, les plans d’herbe à poux émettent un pollen plus abondant et plus allergisant (Ziska, Epstein et Schlesinger, 2009)(10). D’autre part, le retard des premiers gels entraîne un allongement de la période végétative, prolongeant la fin de la saison de l’herbe à poux.
Malgré tout, des méthodes de contrôle de la plante simples et relativement peu coûteuses ont été démontrées efficaces pour atténuer les effets du pollen sur la santé des personnes allergiques (DSP-Montérégie, 2013)(11). Une mobilisation des instances gouvernementales et des municipalités est requise pour réduire les répercussions sanitaires associées à l’herbe à poux.
Impacts psychosociaux
Les changements climatiques représentent un risque important pour la santé psychologique. Ainsi, la dégradation des ressources naturelles et celle d’infrastructures, l’insécurité alimentaire, l’instabilité économique, les pertes humaines et matérielles, les déplacements de population et les tensions géopolitiques concomitantes peuvent être une source importante de stress, et peuvent aussi précipiter des troubles de stress post-traumatique et des épisodes dépressifs (Hayes, Blashki, Wiseman, Burke, et Reifels, 2018)(12). Tel que présenté au Tableau 1, les impacts peuvent être regroupés en trois catégories (Doherty et Clayton, 2011; INSPQ, 2019)(13).
* Réponse émotionnelle aux images de dégradation environnementale et aux impacts des changements climatiques véhiculés dans les médias et dans la société.
Dans le Sud du Québec, on a d’ailleurs remarqué une augmentation des admissions hospitalières pour des troubles de santé mentale, comme des troubles psychotiques, des manies et des déliriums pendant les vagues de chaleur et d’humidité (Hayes, Blashki, Wiseman, Burke, et Reifels, 2018).
La menace des changements climatiques pour la santé mentale est telle qu’on recense maintenant de nouveaux phénomènes en ce sens :
- l’écoanxiété (anxiété ressentie face aux problèmes associés aux changements climatiques);
- l’écoparalysie (sentiment de ne pouvoir réaliser des actions efficaces contre les risques des changements climatiques);
- la solastalgie (sentiment de destitution conséquent à la perte de son environnement et le réconfort que celui-ci apportait, comme lorsqu’on annule une activité sociale ou sportive) (Hayes, Blashki, Wiseman, Burke, et Reifels, 2018).
Inégalités sociales de santé
Les changements climatiques sont également susceptibles d’accroître les inégalités sociales de santé chez certains groupes de la population tels que les enfants, les personnes âgées et les personnes de faible statut socioéconomique (Hayes, Blashki, Wiseman, Burke, et Reifels, 2018). Cela passerait par 3 facteurs explicatifs :
- une plus grande exposition aux aléas climatiques;
- une plus grande susceptibilité aux dommages causés par ces aléas;
- une moins grande capacité à faire face aux dommages et à se rétablir à la suite de ceux-ci.
En Estrie, en prenant l’exemple de la chaleur, il est clair que l’accès à certaines mesures d’adaptation (p. ex. la climatisation du logement) n’est pas égal pour tous et toutes. On constate aussi que les îlots de chaleur sont généralement habités par des gens considérés plus vulnérables et qu’on retrouve des îlots de chaleur dans chacune des 15 communautés les plus défavorisées sur les plans matériel et social de l’Estrie.
Conséquemment, la réduction des îlots de chaleur par des initiatives de verdissement urbain aurait des retombées sanitaires positives et permettrait de réduire les inégalités sociales de santé, tout en contribuant à revitaliser des quartiers et à favoriser de saines habitudes de vie (DSP-Estrie, 2016).
Conclusion et pistes d’intervention pour les professionnel.le.s et le réseau de santé
Rôle des professionnel.le.s de la santé
Les professionnel.le.s de la santé ont une responsabilité par rapport à cet enjeu sociétal important. Ils et elles sont des acteurs clés vis-à-vis de la menace des changements climatiques : non seulement jouissent-ils et elles de la confiance du public et d’un accès privilégié aux populations à risque, ils et elles disposent aussi d’arguments majeurs pour motiver des mesures d’adaptation sanitaires et durables (OMS, 2019)(15).
Adaptation de la pratique
Les professionnel.le.s de la santé sont appelé.e.s à accompagner la population à travers les changements apportés par les enjeux climatiques en l’éduquant sur les risques et les mesures préventives à adopter face aux aléas tels que les vagues de chaleur, les morsures de tiques et les situations d’inondations et en collaborant avec les partenaires de la communauté pour agir collectivement sur les risques, les conséquences et les mesures à prendre.
Les professionnel.le.s peuvent également sensibiliser la population aux mesures « co-bénéfiques », c’est-à-dire améliorant la santé des usager.ère.s tout en diminuant les émissions de GES et la pollution de l’air, en étant des promoteurs du transport actif, du verdissement, et de la réduction de la consommation de viande rouge (Perrotta, 2019)(16).
Adaptation du milieu de la santé
Le milieu de la santé doit aussi faire preuve d’adaptation. D’abord, des infrastructures résilientes par rapport aux aléas tels que les vagues de chaleur sont nécessaires. Puis, la santé climatique et environnementale devra faire partie des curriculums de formation des professionnel.le.s de santé et du développement professionnel continu. Enfin, de concert avec les autres secteurs de la société, celui de la santé devra développer des plans de durabilité, préconisant notamment une réduction du gaspillage alimentaire, l’emploi d’énergies renouvelables, la végétalisation des sites de soins et la mobilisation d’équipes de « champions verts » pour réaliser et soutenir ces visées (Perotta, 2019).
Action politique
Enfin, au nom du bien commun, les professionnel.le.s de la santé et leurs associations sont aussi un puissant levier politique, et ont déjà entamé plusieurs démarches de mobilisation et de sensibilisation des citoyen.ne.s et des acteurs politiques qui doivent être soutenues et renforcées dans les prochaines années.
Le poète Friedrich Hölderlin écrivait : « Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve ». Face à l’enjeu du siècle que représentent les changements climatiques, lesquels menacent unilatéralement la santé et l’épanouissement de nos populations, le réseau et les professionnel.le.s de la santé peuvent faire une grande différence.