Sciences et technologies

Les macroinvertébrés benthiques : des organismes indicateurs des effets des changements climatiques

Ne représentant que 0,8  % de la surface de la Terre, mais accueillant 6  % des espèces, les milieux aquatiques d’eau douce et leur biodiversité sont fortement vulnérables aux changements climatiques (IPCC, 2007) et sont considérés comme des milieux sentinelles des effets des changements climatiques sur la biodiversité (Woodward et al., 2010). L’une des principales raisons est que la majorité des organismes aquatiques ont une faible capacité de dispersion. Avec le réchauffement climatique, plusieurs phénomènes toucheront ces écosystèmes : réchauffement de la température de l’eau, augmentation de l’évaporation durant les périodes sèches, augmentation de l’intensité et de la fréquence des crues, pour ne nommer que ceux-là. La littérature démontre également que les petits cours d’eau et leur biodiversité seront davantage concernés par les changements climatiques (Theodoropoulos et Karaouzas, 2021). Comprendre les conséquences des changements climatiques sur les écosystèmes aquatiques en suivant la santé globale des petits cours d’eau est donc intéressant à bien des égards. Mieux comprendre les effets de ces perturbations sur ces écosystèmes permettra ainsi de mieux planifier des interventions pour s’y adapter.
À l’heure actuelle, il manque indéniablement de données permettant de prédire adéquatement les effets des changements climatiques sur les écosystèmes aquatiques et leur biodiversité.

En réponse à cette situation, le Groupe d’éducation et d’écosurveillance de l’eau (G3E), un organisme à but non lucratif favorisant la participation active des citoyens vis-à-vis la protection des écosystèmes aquatiques et leur mise en valeur, a mis en place, en 2017, le projet Des rivières surveillées, s’adapter pour l’avenir. Il s’agit d’un réseau permanent de suivi des cours d’eau qui vise à documenter les conséquences des changements climatiques sur les écosystèmes riverains en mettant la science citoyenne au cœur de ces suivis. Lors de la première phase (2017-2020), ce sont ainsi 60 cours d’eau à l’échelle du Québec qui ont été suivis par des jeunes et organismes engagés. Une deuxième phase est en cours (2021-2024). Pour réaliser ce suivi, le projet utilise entre autres les protocoles et outils du programme SurVol Benthos.

SurVol Benthos

SurVol Benthos est un programme de surveillance volontaire des petits cours d’eau à substrat grossier qui utilise les macroinvertébrés benthiques (MIB) comme indicateurs de la santé des cours d’eau. Créé en partenariat avec le Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) en 2006, il s’adresse à des organisations qui désirent faire le suivi de leurs cours d’eau et contribuer à la recherche scientifique. L’échantillonnage des macroinvertébrés benthiques est réalisé à l’automne et utilise le protocole du Guide de surveillance biologique du MELCC (MDDEFP, 2013). Suivant une méthodologie de fractionnement et de tri, les participants certifiés identifient les macroinvertébrés à la famille à l’aide d’une clé et d’un guide d’identification. Les échantillons identifiés sont ensuite acheminés au G3E, où une validation des identifications est réalisée. Les résultats de l’identification sont compilés dans la base de données du G3E afin d’obtenir l’indice de santé du benthos (ISBSurVol) du cours d’eau. Cet indice de 100 points est calculé à partir de six sous-indices, qui prennent notamment en compte la tolérance à la pollution et la diversité des MIB de l’échantillonnage. Trois catégories de l’ISBSurVol définissent l’intégrité biologique des communautés de MIB (bonne, mauvaise et précaire). L’intégrité biologique est définie comme étant «  la capacité d’un écosystème à supporter et à maintenir une communauté équilibrée, intégrée et capable de s’adapter aux changements  » (MDDEFP, 2013). Les résultats de l’indice pour chacune des stations suivies sont par la suite affichés sur la carte interactive du G3E.

Les organisations participantes doivent sélectionner deux stations à suivre, l’une d’elles devant obligatoirement être une station de référence, l’autre pouvant être également de référence ou une station dite testée. Afin de comprendre les conséquences des changements climatiques sur la santé du cours d’eau, une station de référence est essentielle. Étant une station avec peu, voire aucune perturbation anthropique, une station de référence est le meilleur état possible du cours d’eau dans une région donnée (au moins 50 % du territoire couvert de forêt). Advenant un changement par rapport à sa santé, les changements climatiques pourraient en être la cause, ce qui explique l’importance de faire le suivi de ces stations à long terme. Les suivis qui s’étendent sur plus de 10 ans sont particulièrement utiles pour examiner les effets des fluctuations à long terme de l’hydrologie ou de la température sur les communautés de MIB, qui vont être tous deux perturbés par les changements climatiques (Lawrence et al., 2010). Une station dite testée est choisie pour évaluer l’influence d’une ou de perturbations sur un cours d’eau (urbanisation, industrie, asphaltage d’une route, effets des sels de déglaçage, etc.).

Dans le cadre de la première phase de Des rivières surveillées, s’adapter pour l’avenir, 18 organismes de bassins versants, un organisme en environnement et quatre cégeps ont réalisé le suivi de 41 stations (figure 1).

Figure 1. Répartition des 41 stations SurVol Benthos selon les provinces naturelles du Québec.

L’importance des bioindicateurs

Un bioindicateur est un organisme animal ou végétal «  dont la présence ou les réactions physiques fournissent des renseignements permettant de déterminer certaines caractéristiques ou évolutions d’un milieu naturel  » (OQLF, 2012). Chaque bioindicateur intègre les perturbations de son environnement à différentes échelles spatiotemporelles en fonction de son cycle de vie, de sa physiologie et de sa mobilité (MDDEFP, 2012). Dans SurVol Benthos, les MIB sont les bioindicateurs utilisés pour réaliser le suivi de l’état de santé des petits cours d’eau. Les MIB sont des organismes visibles à l’œil nu qui vivent au moins une partie de leur cycle de vie au fond d’un cours d’eau. Ces organismes constituent un groupe très diversifié et les espèces présentent des degrés de tolérance variés face aux changements qui peuvent survenir dans leur environnement.

La pollution d’un cours d’eau réduit généralement le nombre d’espèces et/ou la diversité de MIB présents dans un milieu. En effet, seul un petit nombre d’espèces peut survivre dans un environnement pollué : ce sont des espèces tolérantes. Dans un tel milieu, on trouve donc un grand nombre d’individus provenant de peu d’espèces. Dans un milieu sain, on trouve un nombre moyen d’individus, mais une grande diversité d’espèces. Comme des organismes sensibles et tolérants peuvent tous deux se retrouver dans des milieux sains, c’est donc l’absence des groupes sensibles et la présence des groupes tolérants qui indiquent si l’écosystème étudié subit un stress.

Les bioindicateurs et les changements climatiques

Il est démontré que les changements climatiques auront des conséquences sur la biodiversité et les organismes y réagiront de multiples façons. Ces changements toucheront les services écologiques que les écosystèmes naturels et les cours d’eau nous fournissent. Comprendre ces changements sur un territoire est donc essentiel afin de mettre en place des stratégies adéquates pour réduire les conséquences des changements climatiques ou s’y adapter (Peres-Neto et al., 2013). Réaliser un suivi de bioindicateurs peut donc nous aider en ce sens, car il permet l’acquisition de données aidant à développer des modèles servant à prédire les effets des changements climatiques sur la biodiversité (EPA, 2012). En effet, les changements dans la température de l’air et les régimes de précipitations se traduisent par des changements dans la température de l’eau, le débit, les cycles hydrologiques et les degrés-jours. Ces altérations, à leur tour, perturbent les écosystèmes aquatiques, dont les réponses peuvent être documentées à travers, entre autres, des changements dans la composition de la communauté, le nombre de cycles de reproduction, les adaptations évolutives et la répartition géographique des communautés (EPA, 2012). La tolérance des MIB à la température est l’un des traits suivis pour comprendre les conséquences des changements climatiques sur les communautés benthiques (EPA, 2012).

Résultats et discussion

La phase 1 du projet a permis de brosser un portrait de la santé globale de 38  petits cours d’eau peu profonds à substrat grossier au Québec (figure 1). La santé globale des stations se situe majoritairement dans les classes de qualité bonne (61 %) ou précaire (32  %) (figure 2).

Figure 2. Portrait de la santé globale moyenne des 41 stations suivies selon les Zones de gestion intégrée de l’eau par bassins versants (ZGIEGV), de 2017 à 2019.

Cette prédominance de stations de bonne qualité cadre avec le critère imposé aux organismes participants précisant qu’une de leurs deux stations soit de référence.

Quatre des huit stations de mauvaise qualité se trouvent dans les basses-terres du Saint-Laurent (figure 3). Le bassin de drainage de ces stations est à plus de 50  % urbanisé ou agricole, expliquant cette faible santé globale. Le territoire de drainage des stations dans les autres provinces naturelles est à prédominance forestière.

Figure 3. Distribution des valeurs de l’ISBSurVol des 41 stations échantillonnées de 2017 à 2019 en fonction des provinces naturelles. Les lignes horizontales orange indiquent la limite entre les classes de l’ISBSurVol.

Une variabilité de plus de 10 unités entre certaines années a été remarquée pour 12 stations, faisant varier l’indice de santé entre les classes bonne et précaire (figure 4). Il n’y a pas de barres d’erreurs sur ce graphique, étant donné qu’il n’y a pas de réplicas dans ce type de suivi (un échantillonnage est fait par année). Certaines stations d’une même région présentent une tendance similaire ; l’indice baisse lors d’un été plus chaud ou lors d’étiages sévères. On remarque notamment que les stations FERR01, JAUN04 et SEPT01 (stations de référence) ont un ISBSurVol plus faible en 2018, année caractérisée par une saison estivale chaude à Québec. Les stations dans la région de la Mauricie (stations GABE01 et BOUC01) connaissent une baisse de leur indice au fil des années. En 2018 et en 2019, la région a en effet connu des étiages sévères. On pourrait donc supposer que cette variabilité laisse croire que le bioindicateur benthos réagit adéquatement à des changements dans le climat.

Figure 4. ISBSurVol de 2017 à 2019 des 12 stations présentant une variabilité de l’ISB de plus de 10 unités. Les astérisques dénotent les stations de référence.

Toutefois, un suivi sur plus de 10 ans ainsi qu’une analyse plus pointue de chacune de ces stations permettraient de mieux comprendre cette variabilité et de l’associer à des évènements ponctuels, des activités anthropiques et/ou aux changements climatiques (Durance et Ormerod, 2009).

Les conséquences des changements climatiques se reflètent davantage sur le nombre de taxons total, les taxons sensibles à la pollution ainsi que sur leur tolérance thermique, l’un des traits suivis pour comprendre les effets des changements climatiques sur les communautés benthiques.

Ce trait est étudié depuis plus d’une dizaine d’années aux États-Unis, permettant ainsi de dresser des bases de données pour certains taxons indicateurs. Un total de 14  127  enregistrements pour plus de 2  200  espèces, 1  165  genres et 249  familles de MIB provenant de 967 publications, textes et rapports ont été saisis dans la base de données (Vieira et al., 2006). Ces données n’existant pas encore au Québec, ces bases des États du nord des États-Unis ont servi de point de départ pour choisir neuf familles selon leur tolérance thermique (Vieira et al., 2006).

Au fur et à mesure de l’amélioration de nos connaissances sur les tolérances thermiques des macroinvertébrés au Québec, il sera envisageable de bonifier cette liste et d’ajuster les aires de répartition. Les taxons du groupe froid sont plus largement étendus que les taxons du groupe chaud, étant présents dans 20 des 41 stations (figure 5). Cette répartition est attendue considérant que les types de cours d’eau échantillonnés sont des petits cours d’eau dont plusieurs sont en milieu forestier ou en tête de bassin. Étant donné que seulement 9  familles sont étudiées dans cette analyse, il manque de données de 5  °C à 15  °C. Dans le cas du plateau de la Moyenne et de la Basse-Côte-Nord, aucune des neuf familles vedettes pour la tolérance thermique n’a été retrouvée. Cela peut être expliqué par le fait qu’il n’y a qu’une station dans cette région. Avec l’augmentation prévue des températures dans les années à venir, il sera intéressant de voir si l’aire de répartition de ces taxons sera modifiée.

Figure 5. Abondance relative des indicateurs thermiques de 2017 à 2019 par province naturelle. Le groupe dit FROID a une tolérance thermique inférieure à 5 °C et celle du groupe CHAUD est de 15 °C à 30 °C.

Conclusion et recommandations

Avec seulement trois années de données, il est difficile d’obtenir des résultats permettant de conclure que la variabilité de l’indice est due aux effets des changements climatiques. La première phase du projet a permis d’asseoir les bases d’un réseau pour suivre les conséquences des changements climatiques sur les cours d’eau et établir un portrait à l’an zéro de la santé globale de plusieurs cours d’eau. Afin de comprendre les conséquences des changements climatiques sur les cours d’eau et d’être en mesure d’adapter nos comportements et nos actions d’aménagement du territoire en conséquence, un suivi continu à long terme des stations actuelles de référence sera nécessaire pour pouvoir observer les tendances, faire des projections et aborder le problème dans toute sa complexité. De plus, de nouvelles stations de référence devront être mises en place dans certaines régions du Québec pour avoir une meilleure représentation tant à l’échelle de la province que régionalement. Afin de mieux comprendre les conséquences, l’acquisition de données pourrait nous aider à bâtir un indice pour mettre en valeur les macroinvertébrés benthiques sensibles aux changements climatiques. Cet indice sera un outil indispensable dans le but de s’adapter aux changements climatiques !

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