Sciences et technologies

Les métaux lourds et les changements climatiques: une histoire complexe qui continue à s’écrire

L’évolution de l’espèce humaine est jalonnée d’une succession d’avancées technologiques qui lui ont permis de s’élever à la position d’espèce dominante sur notre planète. La révolution industrielle a rimé avec le développement de la métallurgie et l’utilisation des énergies fossiles, favorisant la dispersion croissante de métaux dans l’environnement. Ces contaminations, d’abord locales, se sont rapidement étendues avec la révolution industrielle et le développement des sociétés modernes. Aujourd’hui, les contaminations métalliques d’origine anthropique (d’origine humaine) sont visibles sur l’ensemble de la planète, même dans les régions les plus reculées telles que les régions polaires. Ceci illustre à quel point l’Homme a perturbé de manière profonde les cycles naturels des métaux.

Les métaux, l’empreinte digitale de la dominance de l’Homme sur terre

L’iridium est un métal dont la présence dans les enregistrements géologiques a permis de dater l’impact de la météorite à l’origine de la disparition des dinosaures, il y a 65 millions d’années. De manière similaire, de nombreux métaux, comme le plomb et le vanadium, permettent aujourd’hui de dater et de localiser la présence d’activités humaines. Ces métaux présents en quantité faible à l’état naturel ont été exploités de manière intensive par l’activité humaine, créant des contaminations locales et diffuses identifiables dans les enregistrements sédimentaires et les carottes de glace (De Vleeschouweer et al, 2007; Weiss et al, 1999). Ces couches sédimentaires ou de glace enrichies en métaux sont un véritable code-barres révélant l’histoire des émissions anthropiques en métaux. Pour le plomb, par exemple, ces enregistrements montrent une augmentation croissante des émissions anthropiques au cours de son histoire moderne suivie d’une diminution importante dans les années 1980 et 1990 en réponse à la mise en place de régulations plus sévères, telle que l’exclusion du plomb de l’essence. De nombreux métaux possèdent plusieurs isotopes (même élément chimique mais dont la masse est légèrement différente). Les sources naturelles et anthropiques sont parfois caractérisées par des compositions en isotopes différentes (signature isotopique) permettant de retracer l’origine du métal (naturel ou humain). Pour certains éléments, tel que le plomb, cette signature isotopique est caractéristique du gisement (lieu d’extraction) ou du procédé industriel, et permet de distinguer et retracer l’origine de diverses émissions anthropiques (Ferra et al, 2012).

Les métaux et la qualité de l’eau dans un contexte de changements climatiques

Garantir l’accès à l’eau potable est l’un des défis les plus urgents du XXIème siècle. Environ deux milliards de personnes n’ont toujours pas accès à l’eau potable. La hausse des températures, la variabilité accrue des événements météorologiques extrêmes comme les sécheresses, les inondations et la fonte du pergélisol (sol perpétuellement gelé des zones arctiques) et du couvert neigeux sont autant de nouveaux défis pour la gestion des ressources en eau douce (Allan et al, 2013). Dans ce contexte de ressources limitées en eau et de changements climatiques, l’utilisation des eaux souterraines va s’intensifier. Les eaux souterraines fournissent de l’eau potable à au moins 50 % de la population mondiale et représentent 43 % de toute l’eau utilisée pour l’irrigation (UNESCO, 2015). L’intensification de son utilisation peut mener à des perturbations involontaires des cycles biogéochimiques des métaux affectant la qualité de l’eau. Par exemple, l’augmentation des sécheresses peut conduire à des pompages excessifs dans les nappes souterraines (aquifères), menant à une compaction des couches d’argile environnantes. Cette compaction peut entrainer l’expulsion d’eau contaminée en métaux habituellement retenue dans ses «  éponges  » naturelles. Ce phénomène contribue, par exemple, à la libération d’arsenic (Smith et al, 2018), un métalloïde (élément aux propriétés intermédiaires entre un métal et un non-métal) naturel d’origine minérale dans les eaux souterraines. Cette contamination en arsenic des eaux souterraines touche actuellement quelques 108 pays et plus de 230 millions de personnes (Shaji et al, 2021).

De plus, l’intensification de l’utilisation des eaux souterraines pour soutenir la production agricole dans un contexte de sècheresse accrue peut également mener à des changements environnementaux mineurs comme des variations de la disponibilité de l’oxygène ou de l’apport de matière organique qui peuvent transformer des éléments bénéfiques en éléments toxiques. Par exemple, le chrome, septième élément le plus abondant de la Terre, existe principalement sous une forme réduite et peu soluble et est un nutriment essentiel pour les animaux et l’Homme. Il est impliqué notamment dans le métabolisme des lipides et le fonctionnement de récepteurs de l’insuline. Cependant, certains processus biologiques et chimiques naturels peuvent oxyder ce chrome, formant du chrome (hexavalent) qui est non seulement un composé extrêmement toxique, mais aussi un composé très soluble qui se déplace facilement dans l’environnement. L’activité agricole a été liée à des concentrations élevées de chrome dans les eaux souterraines, probablement en raison de l’irrigation qui favorise l’oxygénation des eaux du sol menant à une oxydation plus efficace du chrome qui est ensuite transféré sous forme soluble vers les aquifères sous-jacents (Hausladen, 2018). Les processus hydrologiques et biogéochimiques contrôlant la disponibilité et la mobilité d’autres contaminants métalliques naturels toxiques à de très faibles concentrations, tels que l’uranium, l’arsenic, le sélénium, le thallium et le manganèse, peuvent également être perturbés par les activités humaines liées à l’utilisation des terres et de l’eau. L’intensification de l’irrigation en réponse aux sècheresses va amplifier ce phénomène.

Impact des métaux sur la sécurité alimentaire dans un contexte de réchauffement climatique

Plus de la moitié de la population mondiale dépend du riz pour sa subsistance, et les effets des changements climatiques sur la culture du riz sont bien connus. Par exemple, une augmentation de la température est associée à la diminution des rendements (FAO, 2002).

Les impacts du réchauffement climatique sur la contamination en métaux et métalloïdes sur les productions agricoles et la sécurité alimentaire restent quant à eux difficiles à prédire et sont peu pris en compte par les instances gouvernementales locales, nationales et internationales. De nombreuses régions productrices de riz sont contaminées par des niveaux élevés d’arsenic d’origine naturelle (Amini, 2008). Ces contaminations résultent d’années d’irrigation des récoltes avec des eaux souterraines riches en arsenic. Une étude récente a montré que les changements climatiques (température et CO2 atmosphérique plus élevés) pourraient résulter en une augmentation par un facteur deux des concentrations en arsenic dans le riz d’ici 2100 (Muehe, 2019). Cette même étude estime que cet accroissement de la contamination en arsenic pourrait résulter en une diminution des rendements de production de riz de l’ordre de 40 % par rapport aux rendements actuels.
Ceci illustre l’enjeu important de mieux comprendre comment la contamination métallique naturelle et anthropique influence la qualité et le rendement des cultures afin d’assurer la sécurité alimentaire d’une population mondiale grandissante.

Les métaux : bien plus que des éléments toxiques

Les métaux sont souvent perçus comme des éléments toxiques. Comme nous venons de le voir, cette perception est souvent justifiée. Cependant, il existe d’autres facettes à la contamination métallique de l’environnement. En effet, de très nombreux métaux potentiellement toxiques à haute concentration sont également des nutriments essentiels (oligoéléments) indispensables à la vie et au fonctionnement de la biosphère. L’impact et les rétroactions des contaminations anthropiques en métaux sur la biosphère et les changements climatiques sont bien plus complexes que les simples cas de toxicité qui font régulièrement les manchettes. Les interactions complexes entre métaux, biosphère et changements climatiques dans les tourbières et les océans en sont des exemples probants.

Les métaux et la production de méthane dans les tourbières

Les tourbières, zones humides inondées ou partiellement inondées, sont des gigantesques réservoirs de matière organique dont la décomposition génère des émissions de carbone sous forme de CO2 et de méthane. Une molécule de méthane contribue environ 30 fois plus au réchauffement climatique (effet de serre) qu’une molécule de CO2. Ainsi, comprendre et prédire les émissions de méthane par les tourbières est primordial, car un changement même faible dans les émissions de méthane par les tourbières pourrait avoir des conséquences importantes sur les émissions de GES et donc sur le réchauffement de la planète. Les émissions de méthane (émissions nettes) sont le résultat d’une balance complexe entre la production de méthane par des microorganismes dits méthanogènes et sa consommation par d’autres microorganismes dits méthanotrophes. Les enzymes microbiennes contrôlant la production et la consommation du méthane requièrent des métaux (ex. nickel, cobalt) pour leur fonctionnement. Certains de ces métaux sont très peu disponibles pour les microorganismes à l’état naturel, notamment dans certaines tourbières pauvres en minéraux.

L’accroissement des émissions de métaux combiné aux perturbations de la circulation atmosphérique dues au réchauffement climatique affectent et continueront d’affecter de manière importante l’intensité et la distribution mondiale des dépositions atmosphériques en métaux. Les effets et les rétroactions de ces dépositions atmosphériques de métaux sur les émissions nettes de méthane restent très difficiles à prédire. Seulement quelques études se sont penchées sur la question. Basiliko et Yavitt ont montré que l’ajout de métaux (ex. fer, nickel et cobalt) stimule les émissions nettes de méthane dans des tourbières pauvres en minéraux, alors qu’il les réduise dans des tourbières riches en minéraux (Basiliko et Yavitt, 2001). Ceci illustre les effets complexes des métaux, qui peuvent être limitants ou toxiques pour les microorganismes en fonction des écosystèmes et processus biologiques considérés. Mais surtout, cela illustre que la contamination en métaux d’origine anthropique peut avoir des effets importants (positifs et négatifs) sur la production nette de méthane, et donc sur les changements climatiques, et que cela demeure largement méconnu.

La fertilisation des océans par les métaux

Bien que la forêt amazonienne soit souvent qualifiée de poumon de la Terre, le véritable poumon de notre planète est constitué de nos océans qui contribuent de manière importante à la production de dioxygène (O2). La photosynthèse, qui permet de capturer le CO2 et produire l’O2, résulte principalement de l’activité du phytoplancton (algues microscopiques photosynthétiques) dans les océans. Ces microorganismes sont la base de toute la chaîne alimentaire océanique et jouent un rôle essentiel dans le fonctionnement de ces écosystèmes ainsi que pour le secteur de la pêche mondiale. Or, pour se développer, le phytoplancton a besoin de vitamines telles que le fer, le zinc et le cobalt. Ces métaux ne sont pas toujours présents en quantité suffisante à l’état naturel dans de nombreuses régions océaniques.

Dans l’océan Austral, l’océan Pacifique équatorial et le nord de l’océan Pacifique, les faibles concentrations de ces métaux limitent la photosynthèse et le développement du phytoplancton qui, à son tour, limite la chaîne alimentaire incluant les populations de poissons. Des expériences de fertilisation en fer de l’océan ont été réalisées dans les années 1990 et 2000. En 2012, une équipe financée par un homme d’affaires californien, Russ George, a déversé cent tonnes de sulfate de fer dans les eaux au large des côtes de la Colombie-Britannique (Tollefson, 2012). Cette expérience de fertilisation visait à enrichir en fer une région de l’océan afin de favoriser la croissance du phytoplancton et la capture de CO2 de l’atmosphère par photosynthèse et la séquestration du carbone au fond de l’océan pour des centaines d’années. Russ George espérait ainsi vendre des crédits sur le marché du carbone. La biomasse phytoplanctonique a été augmentée rapidement de 40 % mais seulement de manière temporaire car les algues ont rapidement manqué de fer et d’autres vitamines pour maintenir la photosynthèse et donc la séquestration du CO2. Cette pratique de fertilisation en fer des océans est controversée, car elle bouleverse les équilibres biologiques et chimiques dans l’océan. Cependant, cette expérience illustre que la fertilisation des océans par les dépositions atmosphériques en métaux peut influencer de manière importante le phytoplancton et toute la chaîne alimentaire qui en dépend. Avec les changements climatiques et l’intensification de la circulation atmosphérique (vents), les transferts de particules (poussières riches en métaux) des continents vers les océans vont s’intensifier. Les impacts (positifs ou négatifs) de ces apports accrus de nutriments sur ces écosystèmes marins actuellement limités par l’accès aux métaux restent difficiles à estimer.

Les métaux et l’atténuation des changements climatiques

L’exploitation et l’utilisation des métaux ont été au cœur de la majorité des avancées technologiques de l’histoire humaine depuis les premiers outils en bronze jusqu’à la conquête spatiale et l’apparition des nouvelles technologies qui inondent notre quotidien. La lutte contre les changements climatiques va demander des innovations technologiques qui sont encore en grande partie basées sur l’utilisation des métaux.

Le coût métallique de la lutte contre les changements climatiques

De nombreuses technologies de production d’énergie dite verte et renouvelable, comme le solaire ou l’éolien, reposent sur des technologies nécessitant des métaux. Par exemple, les panneaux solaires contiennent d’importantes quantités de terres rares, métaux jusqu’alors peu utilisés par l’Homme. Au-delà de la production d’énergie, le stockage d’énergie est également un défi de taille pour une transition vers des énergies propres. Les batteries sont essentielles à la transition vers un transport routier électrique.
Les batteries les plus efficaces actuellement en termes de large capacité de stockage, des temps de chargement rapide et d’une longue durée de vie, fonctionnent à base de lithium, un métal alcalin. L’intensification de leur utilisation, et par extension de l’exploitation de ces métaux (ex. terre rares, lithium), représente de nouvelles sources de contamination dont les impacts sur la qualité de notre environnement restent largement méconnus. Afin d’être réellement vertes et durables, les technologies de production d’énergie verte devront prendre en compte l’intégralité du cycle de vie de la technologie. Dans le cas des métaux, cela implique l’extraction, la transformation et le recyclage. Les avancées technologiques permettant une exploitation et une transformation plus écoresponsable des métaux se développent sous la pression des règlementations de plus en plus draconiennes dans de nombreux pays. Le recyclage des métaux est quant à lui très inégal. Certains éléments comme le fer, le nickel et le chrome sont recyclés à plus de 50 % (UNEP, 2011). D’autres métaux comme le cadmium ou le tungstène le sont à moins de 10 %. Les terres rares et le lithium sont quant à eux recyclés à moins de 1 % (UNEP, 2011). Bien que le coût environnemental du 99 % restant demeure méconnu, l’empreinte environnementale métallique des nouvelles technologies ne peut être ignorée et la mise en place de pratiques responsables et durables de recyclage est indispensable pour une meilleure utilisation des ressources.

Revégétaliser les zones d’extraction de minerais

Les sites miniers sont souvent des points chauds de contamination. Cependant, de nombreux pays resserrent les normes d’exploitation en imposant aux entreprises de réhabiliter les sites, souvent par une revégétalisation après la fermeture de la mine (MERN, 2017). Revégétaliser des sites miniers permet de limiter la dispersion des contaminants, améliore l’esthétisme du paysage et vise à restaurer un écosystème fonctionnel. Ces pratiques peuvent également contribuer à lutter contre le réchauffement. Le site de Sudbury (Ontario) en est un bon exemple. Sur ce site, les émissions importantes de soufre et de métaux lourds durant des décennies ont résulté en une altération majeure de l’environnement. Les programmes de revégétalisation, ayant débuté dans les années 1970 et 1980, ont permis de reverdir les paysages lunaires de la région (Boerchers et al. 2016). Cependant, au-delà des aspects esthétiques, cette revégétalisation s’est également traduite par une accumulation importante de carbone dans la biomasse végétale réintroduite sur les sols, mais également dans les nombreux lacs réhabilités de la région (Meyer-Jacob et al. 2020; Rummey et al. 2021). La quantité de carbone séquestrée via ces programmes de revégétalisation de la région de Sudbury est estimée aujourd’hui à plus de 3,6 millions de tonnes. Considérant qu’un habitant d’un pays industrialisé produit environ dix tonnes de CO2 par an, cela représente plus de deux ans d’émissions pour une ville de 160 000 habitants. La végétalisation des nombreux sites dégradés et orphelins au Canada représente un potentiel de séquestration de carbone important qui reste à être exploité.

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