Sciences et technologies

Les systèmes aquatiques en manque d’oxygène

L’oxygène est crucial pour la plupart des organismes aquatiques et la santé des écosystèmes aquatiques. Les concentrations en oxygène dissous sont le reflet de la balance entre les processus qui le produisent (par ex., photosynthèse et dissolution) et qui le consomment (respiration et oxydation des composés réduits). Cet équilibre est influencé par de nombreux facteurs tels que la stratification thermique, la production de matière organique et l’enrichissement en nutriments d’origine anthropique qui entraînent la stimulation de la production primaire et l’eutrophisation. En effet, de faibles valeurs en oxygène indiquent une qualité de l’eau médiocre pour les eaux de surface. Cependant, pour les eaux souterraines, la qualité de l’eau a une relation plus complexe avec l’oxygène dissous, qui dépend en grande partie de la géologie de l’aquifère. Par conséquent, l’étude des variations spatiales et temporelles en oxygène dans les eaux de surface et souterraines permet d’en apprendre beaucoup sur la santé des milieux aquatiques.

Oxygène et hausse des températures

Les eaux plus chaudes ont une capacité réduite à dissoudre les gaz, y compris l’oxygène, par rapport aux eaux plus froides. En effet, à mesure que la température augmente, les molécules d’eau deviennent plus énergétiques et s’écartent, créant ainsi moins d’espace pour la dissolution des molécules de gaz. Par conséquent, la solubilité de l’oxygène dans l’eau diminue avec l’augmentation de la température, entraînant une baisse des concentrations d’oxygène dans les eaux qui se réchauffent.

Un plan d’eau est stratifié thermiquement si les températures sont différentes entre les eaux de surface et les eaux plus profondes. Dans le cas d’un lac stratifié, les activités photosynthétiques dans la couche de surface peuvent agir comme une source nette en oxygène, mais les processus de respiration consomment également de l’oxygène et provoquent donc la prolifération des algues nuisibles. C’est la balance entre la production d’oxygène et sa consommation qui déterminera le niveau en oxygène dans les eaux de surface. Dans le contexte des réchauffements climatiques, les conséquences de l’augmentation des températures sont multiples. Par exemple, cette dernière accélérera la respiration hétérotrophe au détriment de la production primaire, renforcera la stratification thermique, et perturbera la recharge en oxygène des eaux profondes. Cette stratification est appelée à se renforcer avec le réchauffement climatique. Il est en revanche difficile de prédire l’évolution à long terme des concentrations en oxygène (Jane et al., 2021). Des changements dans la fréquence et l’intensité des précipitations auront également un effet sur les interactions entre les eaux de surface et les eaux souterraines, ce qui exercera une influence sur les niveaux d’oxygène dissous dans les deux réservoirs.

Dans ce contexte, les scientifiques utilisent des bases de données dans lesquelles les mesures en oxygène dissous ont été compilées depuis des décennies, pour mieux comprendre les variations à long terme en oxygène et ses causes. Jane et al. (2021) ont notamment montré que la diminution de la concentration en oxygène dans les eaux de surface et en profondeur de 393 lacs, de 1941 à 2017 était associée à la réduction de la solubilité de l’oxygène dans des eaux plus chaudes et au renforcement de la stratification thermique dans les eaux profondes. Ces problèmes liés à la diminution en oxygène dissous dans les eaux profondes des lacs et des réservoirs ont été observés dès les années 1960-1970. Ces processus d’appauvrissement en oxygène ne sont pas restreints aux eaux continentales : les eaux côtières sont aussi touchées par ces phénomènes. Les estuaires et les régions côtières sont influencés par l’enrichissement en nutriments (azote et phosphore) provenant de l’utilisation des terres dans les bassins versants et des apports en eaux usées non traitées qui stimulent la production primaire et donc la consommation en oxygène. Cette réduction en oxygène dissous dans les eaux côtières a été observée dès le milieu du 20e siècle (Keeling et al., 2020) et constitue un des plus importants changements environnementaux dans les écosystèmes marins.

Plus près de nous, les eaux de l’estuaire maritime du Saint-Laurent ne sont pas épargnées par cette réduction en oxygène. Jutras et al. (2023) ont montré que l’oxygène dissous dans les eaux profondes de l’estuaire du Saint-Laurent a chuté de 55 % de 1934 à 1985-2010. En plus de l’augmentation spatiale croissante de la superficie des eaux appauvries en oxygène, l’épaisseur de cette couche hypoxique (contenant peu d’oxygène ; figure 1) a augmenté depuis deux décennies. Cette diminution en oxygène dissous est très inquiétante, car la désoxygénation des eaux peut mener à l’hypoxie, voire à l’anoxie dans certains cas. Ces effets délétères se font ressentir sur tout l’écosystème, y compris les écosystèmes benthiques et les habitats des poissons (Devergne et al., 2022).

Périodes de précipitations intenses

Les concentrations en oxygène varient avec les saisons et sur un cycle journalier, avec un maximum durant le midi solaire quand la photosynthèse domine, et un minimum en fin de nuit associé aux processus de respiration qui prédominent la nuit. Ces variations naturelles peuvent être perturbées par des phénomènes météorologiques tels que des épisodes de précipitations intenses. Ces fortes pluies entraînent un lessivage important des sols et des sédiments dans le bassin versant. Les composés organiques et inorganiques ainsi mobilisés sont rapidement transportés vers les plans d’eau. Une fois dans le milieu aquatique, une partie de ces composés sera dégradée par les microbes qui, ce faisant, consomment l’oxygène dissous. Cette désoxygénation peut mener à l’hypoxie et même à l’anoxie dans certains cas. Une récente étude a montré que les populations de perches, de bars, de brèmes et de gardons dans le troisième plus grand lac au Danemark ont été réduites de 45 à 63 % en quelques jours à la suite d’un épisode d’épuisement de l’oxygène lié à de fortes pluies estivales (Kragh et al., 2020). Les évènements pluvieux intenses peuvent aussi être bénéfiques pour l’oxygénation et la santé des plans d’eau. En effet, il a été montré que l’apport d’eaux de pluie plus froides peut affaiblir la stratification thermique jusqu’à entraîner un mélange des eaux profondes pauvres en oxygène avec les eaux de surface plus oxygénées. Les fortes précipitations sont difficiles à prévoir, mais ce sont des phénomènes dont la fréquence augmentera probablement en été au Québec selon les prédictions d’Ouranos (www.ouranos.ca), le consortium sur la climatologie régionale et l’adaptation aux changements climatiques.

Rôle de l’oxygène dissous dans les processus d’oxydoréduction dans les eaux souterraines

Les eaux de surface interagissent étroitement avec les milieux terrestres (figure 2a). Ce vaste réseau d’eau présent sous la surface (les eaux so uterraines) alimente ou est alimenté par les eaux de surface. Environ 2,5 milliards de personnes dans le monde dépendent ce celles-ci pour leur eau potable. Comme l’eau souterraine est stockée dans des roches fracturées ou entre les grains de sédiment, la géologie locale influence la relation entre l’oxygène dissous et la qualité de l’eau. Des contaminants métalliques d’origine naturelle existent dans presque tous les aquifères et peuvent constituer une menace importante pour la qualité des eaux souterraines.

L’oxygène dissous est l’un des principaux moteurs des processus redox dans le sol et les systèmes d’eaux souterraines qui influencent la qualité des eaux souterraines. Les réactions redox, qui impliquent le transfert d’électrons entre espèces chimiques, jouent un rôle crucial dans la qualité des eaux souterraines. Les micro-organismes, tels que les champignons et les bactéries, facilitent ce transfert d’électrons, en utilisant souvent la matière organique comme source d’électrons (Stumm et Morgan, 2012).

Les changements de concentration ou de disponibilité en oxygène dus à des facteurs naturels ou anthropiques peuvent modifier les activités microbiennes régissant les processus redox dans les eaux souterraines. Dans les eaux souterraines oxiques, l’oxygène agit comme le principal accepteur d’électrons et stimule l’activité microbienne aérobie. À l’inverse, lorsque le processus de désoxygénation se produit et que les conditions deviennent anoxiques, différents accepteurs d’électrons, comme le nitrate, le manganèse et le fer prennent le relais. La solubilité et la toxicité potentielle des métaux, notamment l’arsenic (As), le chrome (Cr), l’uranium (U) et le manganèse (Mn), peuvent être modifiées. En outre, ces réactions d’oxydoréduction peuvent influencer l’adsorption et la désorption sur les particules du sol, régulant davantage la libération des contaminants dans l’eau environnante.

Conséquences des changements climatiques sur l’oxygène dans les eaux souterraines

Un effet important de la hausse des températures est l’accélération du métabolisme microbien dans les aquifères, ce qui entraîne l’épuisement de l’oxygène dissous et le passage de conditions oxiques à anoxiques. Les changements climatiques peuvent augmenter les précipitations ou le dégel du pergélisol dans les régions plus froides, modifiant l’hydrogéologie régionale en augmentant le niveau d’eau des nappes phréatiques et en relâchant de la matière organique dans les eaux souterraines. Ce matériel organique peut stimuler la croissance microbienne, épuiser l’oxygène dissous et faire évoluer l’environnement vers des conditions anoxiques (Stumm and Morgan, 2012). Ces modifications du milieu peuvent favoriser la libération de métaux comme le manganèse (Mn) dans les eaux souterraines. Avec le développement de conditions réductrices dans les aquifères peu profonds, davantage susceptibles d’être touchés par le réchauffement, le manganèse peut être libéré (Riedel, 2019). Les changements dans les conditions environnementales contrôlant la mobilité et la toxicité des contaminants dans les eaux souterraines peuvent présenter un risque important pour la santé publique, en particulier pour les populations qui dépendent de sources non surveillées en dehors des centres urbains.

Risques pour la santé

Le manganèse et l’arsenic peuvent être associés à de graves problèmes de santé (mortalité infantile, problèmes cardiovasculaires et neurologiques, cancer de la vessie et de la peau) (Hafeman et al., 2007 ; Kullar et al., 2019). Le manganèse et l’arsenic sont présents dans les eaux souterraines du Québec, particulièrement dans la région de l’Estrie, où environ 40 % des résidents et résidentes dépendent directement des eaux souterraines pour leur eau potable (Lefebvre et al., 2019). Ces deux éléments sensibles au changement de concentration en oxygène dissous deviennent de plus en plus mobiles dans des conditions pauvres en oxygène. Une conséquence importante de la hausse des températures est l’accélération des activités microbiennes qui épuisent l’oxygène dissous et entraînent un appauvrissement en oxygène. Cela favorise un changement des concentrations de métaux tels que le manganèse et l’arsenic, augmentant ainsi le risque pour les populations qui dépendent de sources d’eau potable. La prévalence de ces contaminants dans les eaux souterraines met en évidence la vulnérabilité des communautés qui dépendent des eaux souterraines. Cela souligne la nécessité cruciale d’une gestion rigoureuse des eaux souterraines et d’un traitement méticuleux avant consommation pour garantir la sécurité de la santé publique.

Nécessité de poursuivre les recherches pour une gestion proactive

Les eaux souterraines et les eaux de surface maintiennent un équilibre délicat dans la nature, s’écoulant l’une dans l’autre en fonction du gradient hydraulique naturel ou d’interventions anthropiques (le pompage excessif des eaux souterraines, par exemple) (figure 2 b). Il est essentiel de mieux comprendre ces systèmes afin de garantir la santé et la durabilité de nos ressources en eau. De plus, notre dépendance à l’égard des eaux souterraines s’intensifie en raison de l’évolution du climat et de l’accroissement de la population ; il est donc primordial d’en préserver la qualité. Des contaminants naturels se trouvent dans presque tous les plans d’eau de surface et souterraine et constituent une menace. Des programmes exhaustifs de surveillance des eaux de surface et souterraines constituent la première ligne de défense, car ils nous permettent de suivre les niveaux de contaminants et d’identifier les zones vulnérables aux contaminants. La collecte de données sur les eaux souterraines et de surface à haute résolution temporelle et spatiale est essentielle pour comprendre l’influence de l’environnement bâti et des changements climatiques sur la qualité des eaux. Cela nous permettra d’élaborer des stratégies plus efficaces de gestion et de protection de cette ressource vitale qu’est l’eau, garantissant ainsi la préservation de la qualité des eaux de surface et souterraines pour les générations à venir.

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