Droit et politique

L’évolution de l’importance de l’environnement dans l’opinion publique au Québec

L’analyse des enjeux politiques est essentielle pour comprendre les différents positionnements des partis politiques de même que le traitement médiatique qui leur est réservé. Une des composantes primordiales des enjeux est l’importance même attribuée par les acteurs politiques à un enjeu donné. Cette importance peut varier entre les différents acteurs politiques tels que les citoyens et les citoyennes, les médias et les partis politiques. Dans cet article, nous propose une synthèse de ce que l’on connaît sur l’importance accordée à l’enjeu de l’environnement. Plus précisément, nous nous concentrons sur l’opinion publique au Québec, et ce, lors de campagnes électorales provinciales (2008, 2012, 2014 et 2018) et fédérales (2006, 2008, 2011, 2015, 2019 et 2021), qui correspondent à des moments charnières pour la mise en place de politiques publiques.

Étonnamment, il n’existe pas de synthèse de l’opinion publique quant à l’importance accordée à l’enjeu de l’environnement. La littérature s’attarde surtout à la couverture médiatique des enjeux (Martel et Nadeau, 2023), et lorsque la perspective citoyenne est considérée, ce n’est jamais dans une perspective longitudinale pour tracer l’évolution d’un enjeu. Cette situation est d’autant plus étonnante considérant que le Québec joue un rôle assez actif dans la lutte aux changements climatiques du Canada. Une synthèse s’impose quant à l’évolution de l’opinion publique sur l’enjeu de l’environnement, d’autant plus que la mise en place d’actions phares en matière de lutte aux changements climatiques par le gouvernement du Québec semble dépendre du pouls de l’opinion publique (Gajevic Sayegh et al., 2022, p. 143).

L’environnement : un enjeu considéré important ?

Les bases de données de l’Étude électorale québécoise (ÉÉQ) et de l’Étude électorale canadienne (ÉÉC) procurent les meilleures données pour synthétiser l’importance que les citoyens et les citoyennes accordent à l’enjeu de l’environnement au fil du temps. À l’échelle provinciale, les élections de 2008 à 2018 sont incluses, tandis que les élections de 2006 à 2021 sont utilisées sur le plan fédéral. Les données concernant la plus récente élection provinciale (octobre 2022), collectées par le consortium C-Dem, ne sont actuellement pas publiques. Nous espérons que d’autres personnes examineront l’importance accordée à l’enjeu de l’environnement lorsque les données de l’Étude électorale québécoise de 2022 seront disponibles, afin de compléter la perspective fournie dans cet article. Pour chaque enquête de sondage, une question permet d’identifier l’enjeu qui est, selon l’électeur ou l’électrice, le plus important. Sans grande surprise, les trois enjeux les plus importants qui reviennent systématiquement sont l’économie, la santé et l’éducation (Bélanger et Nadeau, 2009). Mais qu’en est-il de l’environnement ? Les figures 1 et 2 illustrent la proportion des répondants et des répondantes qui ont choisi l’environnement comme étant l’enjeu le plus important. Un constat principal s’impose, tant sur le plan provincial qu’à l’échelle fédérale : la proportion de citoyens et de citoyennes choisissant l’environnement comme enjeu se hissant au sommet de leurs priorités est nettement plus élevée lors des élections les plus récentes (2018 au Québec et 2019-2021 au Canada).

Figure 1. L’importance de l’environnement, élections québécoises (2008-2018)
Note : Les barres verticales représentent les intervalles
de confiance à 95 %.
Figure 2. L 006-2021)
Note : Les barres verticales représentent les intervalles de confiance à 95 %.

Au palier provincial, si l’on se concentre sur la perspective citoyenne avant 2018, l’enjeu de l’environnement était relativement marginal. Moins de 5  % des répondants et des répondantes indiquaient avoir l’environnement comme priorité numéro un (axe vertical des graphiques) en 2008, 2012 et 2014. Il faut dire que le contexte n’était pas favorable : l’élection de 2008 s’est tenue à l’ombre d’une crise économique, avec de vives discussions sur la nature hâtive et stratégique de l’élection, en plus d’un relent de débats identitaires liés aux «  accommodements raisonnables  » ; la crise étudiante battait son plein lors de l’élection de 2012 ; et l’année 2014 a notamment été axée sur la menace séparatiste liée à la candidature spectaculaire de Pierre Karl Péladeau (Bélanger et Nadeau, 2009 ; Bélanger et al., 2013 ; Daoust et Péloquin-Skulski, 2021). L’élection de 2018 semble illustrer une cassure nette, alors que l’environnement est choisi par environ 12  % des citoyens et des citoyennes comme enjeu le plus important, se hissant en deuxième position derrière la santé, qui récoltait 27  %, et tout juste devant l’économie, à 11  % (Bélanger et al., 2022, p. 105).

Dans le cas des élections fédérales, on retrouve aussi une rupture assez nette autour de 2018. Cela dit, l’élection de 2008 se distingue également, alors que plus de 15  % des répondants et des répondantes indiquaient que l’environnement était leur priorité numéro un. Expliquer cette donnée qui se démarque énormément comparativement à l’élection qui la précède ou la suit (2006 et 2011) n’est pas évident, mais mentionnons deux pistes de réflexion. D’une part, Stéphane Dion, ancien ministre de l’environnement, était le chef du Parti libéral du Canada et était associé à une plus grande sensibilité face aux enjeux environnementaux. D’autre part, il s’agissait de la première élection où Elizabeth May, cheffe du Parti vert du Canada, participait au débat officiel. Bref, 2008 détonne alors que 2011 et 2015 refont passer l’environnement à un niveau d’importance beaucoup moins élevé.

La véritable cassure, toujours à l’échelle fédérale, se voit plutôt de 2015 à 2019, alors que l’enjeu environnemental est considéré comme étant le plus important par 30  % des citoyens en 2019. Deux ans plus tard, en 2021, l’enjeu reste très important alors qu’il récolte plus de 22  %, malgré un contexte économique beaucoup plus difficile. Finalement, il y a lieu de noter que les proportions de gens qui indiquent avoir l’environnement comme priorité numéro un sont, de manière générale, plus élevées sur le plan fédéral qu’au provincial. Encore une fois, il est difficile d’expliquer cette situation et dans ce cas-ci, la piste de la présence plus forte d’un Parti vert semble peu féconde considérant que son succès, bien que modeste, n’est pas associé à la hausse ni au déclin de l’importance de l’enjeu environnemental dans l’opinion publique. Cela dit, il existe très peu d’études sur le lien entre l’importance accordée à l’environnement et l’appui à un parti vert alors que le contexte électoral au Canada et au Québec soulève plusieurs questions intéressantes. Par exemple, au Québec, le parti Québec solidaire s’est clairement emparé de l’enjeu environnemental (Bélanger et al., 2022, chapitre 5) et ne permet pas au Parti vert du Québec d’en tirer de grands bénéfices. Dans ce contexte, il est difficile d’estimer l’effet d’un parti sur l’importance accordée à un enjeu, ni même la direction de la causalité, qui pourrait aller dans le sens inverse, soit du résultat électoral vers l’augmentation en importance d’un enjeu.

Contexte d’évolution des enjeux et de l’opinion publique au Québec

Les changements substantiels dans l’importance des enjeux, tels qu’observés ci-haut, peuvent être causés par des facteurs d’ordre structurel et/ou contextuel. Les facteurs structurels réfèrent aux changements plus profonds, généralement sur le long terme, tels que les changements de valeurs. Les facteurs contextuels réfèrent plutôt à un contexte donné dans lequel il peut y avoir plusieurs considérations uniques à ce contexte (en comparaison avec les tendances générales qui font partie des changements structurels).

Sur le plan structurel, la tendance voulant que l’environnement soit devenu un enjeu plus important au Québec selon les citoyens et les citoyennes, en particulier depuis 2018, est cohérente avec différentes analyses qui expriment l’idée qu’une restructuration des clivages politiques sur le long terme (par exemple, depuis l’échec référendaire de 1995) s’opérerait. La question nationale (c’est-à-dire l’enjeu de la souveraineté du Québec), qui était le principal facteur structurant la vie politique, resterait centrale, mais se serait estompée, laissant ainsi davantage d’espace à de «  nouveaux enjeux  » (Daoust et Jabbour, 2020 ; Dubois et al., 2022 ; Guay et Gaudreault, 2018). Ces nouveaux enjeux se recouperaient sous les thèmes de la diversité (par exemple, les débats reliés à l’immigration, la langue française, etc.) et de l’environnement (Cossette-Lefebvre et Daoust, 2020 ; Martel et Nadeau, 2023). Autrement dit, la structure des clivages politiques et sa réorganisation favoriseraient l’accroissement de l’importance accordée aux enjeux environnementaux. La place de l’environnement serait donc en bonne partie dépendante de l’évolution de cette restructuration.

Cela ne veut toutefois pas dire que des éléments contextuels, propres à chacun des moments où les citoyens et citoyennes ont été sondés, ne sont pas importants. Par exemple, Martel et Nadeau (2023) illustrent que l’ordre du jour médiatique, qui varie en fonction du contexte de chaque campagne (par exemple, y a-t-il un scandale de corruption ?), se concentre davantage sur l’économie lorsque les conditions économiques se détériorent. Cela suggère que le contexte économique, à un moment donné, puisse conditionner la croissance de nouveaux enjeux dont l’environnement fait partie. Plus précisément, de mauvaises conditions économiques seraient défavorables à une priorisation de l’environnement, car plusieurs personnes pourraient, dans un tel contexte, délaisser l’environnement et se concentrer sur l’économie. Cet élément contextuel apparaît particulièrement important pour l’avenir, considérant les ravages économiques liés à la pandémie de COVID-19 et à l’inflation. Cela pourrait également expliquer en partie la baisse de l’importance accordée à l’environnement à l’élection fédérale de 2021 par rapport à 2019. En plus du contexte économique, la situation minoritaire du Québec sur le plan culturel et linguistique pourrait très bien favoriser la croissance d’enjeux identitaires qui pourrait se faire au détriment de l’environnement – l’élection provinciale de 2007 étant un exemple frappant (Bélanger et Nadeau, 2009).

Conclusion

La synthèse proposée dans cet article pose un constat clair : au Québec, les citoyens et les citoyennes sont, depuis les plus récentes élections, beaucoup plus nombreux à considérer l’environnement comme étant un enjeu prioritaire. Cette augmentation n’a toutefois pas été linéaire, alors qu’il semble y avoir eu une rupture majeure autour de 2018, tant sur le plan provincial que sur le plan fédéral. Cette situation suggère que les médias et les partis politiques devraient accorder une importance croissante à l’enjeu de l’environnement, qui semble déstabiliser le traditionnel « top 3  » des priorités de la vie politique québécoise (économie, santé et éducation). Le contexte, notamment économique, peut toutefois changer l’opinion publique quant à l’importance de différents enjeux, mais une hausse de l’importance accordée à l’environnement est cohérente avec la restructuration des clivages politiques au Québec (Bélanger et al., 2022 ; Dubois et al., 2022).

Une fois ces observations faites, le prochain défi qui me paraît intuitif consiste à comprendre qui est derrière cette hausse de l’importance de l’environnement. Serait-ce un effet homogène, c’est-à-dire que tous les groupes de la population deviennent de plus en plus intéressés par les questions environnementales ? Ou est-ce plutôt un ou plusieurs sous-groupes qui seraient responsables de l’augmentation observée ? La deuxième hypothèse apparaît plus probable. Intuitivement, on peut soupçonner un clivage générationnel, mais il y aura lieu pour la suite des choses d’aller plus loin que ce clivage. Entre autres choses, le clivage urbain-rural pourrait être également important à considérer. Les avenues de recherches futures sont multiples et il reste beaucoup à faire. Il n’appartient qu’aux chercheurs et aux chercheuses de relever le défi… et aux organismes subventionnaires et aux élites (dont les gouvernements) de leur donner les moyens de leurs ambitions.

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