Les manifestations des changements climatiques sont multiples en zones côtières : acidification de l’eau et augmentation de sa température, prolifération d’espèces envahissantes, hausse du niveau de la mer et érosion côtière, pour ne nommer que celles-ci. Dans l’industrie touristique côtière plus particulièrement, l’érosion détruit les infrastructures, le patrimoine culturel bâti et le paysage côtier. Les changements climatiques influent aussi sur la durée et la qualité des saisons touristiques. S’y ajoutent des conséquences indirectes, comme la modification de l’attrait environnemental et la perturbation des écosystèmes (Buckley, 2011), la diminution de l’attractivité de la région, les pertes financières des organisations vivant avec une saison touristique parfois raccourcie et enfin, les incapacités et difficultés des entreprises à relever les défis d’adaptation.
La MRC de Rimouski-Neigette, une cible de choix
Le Québec n’échappe pas à ces conséquences, notamment les régions maritimes. Parmi celles-ci, le Bas-Saint-Laurent possède des espaces très exposés aux effets des changements climatiques. Dans l’estuaire du golfe, le littoral subit un recul continu qui varie de 0,5 à 2 millimètres par an (Bernatchez et Dubois, 2004). Les infrastructures sont vulnérables aux tempêtes, à l’augmentation de l’intensité et de la fréquence des événements météorologiques extrêmes, ainsi qu’à la hausse du niveau de la mer (Rondeau-Genesse, 2020). C’est environ 88 kilomètres d’infrastructures qui sont exposés à l’érosion côtière (Bernatchez et al., 2015). Pour le Bas-Saint-Laurent, les projections pour 2065 prévoient des pertes représentant 384 millions de dollars pour 2 210 bâtiments, 62 millions pour 65 kilomètres de routes, 17 millions pour une autoroute et 8 millions pour un chemin de fer situé à Rimouski (Bernatchez et al., 2015). De plus, la forte anthropisation du Bas-Saint-Laurent favorise le rétrécissement du littoral et accentue les conséquences des phénomènes climatiques.
La MRC de Rimouski-Neigette (figure 1), située dans la région administrative du Bas-Saint-Laurent, représente une zone de choix pour saisir les enjeux des changements climatiques sur l’industrie touristique côtière, pour les raisons suivantes : premièrement, ses infrastructures sont très exposées aux phénomènes climatiques ; deuxièmement, le tourisme côtier est un secteur d’activités très développé et troisièmement, ses activités touristiques côtières en font un pôle économique important (Bernatchez et al., 2015 ; Tourisme Rimouski, 2023). Son industrie touristique repose notamment sur la proximité avec la mer et sur son patrimoine maritime riche. Les activités touristiques s’orientent notamment vers le kayak de mer, la pêche récréative, l’excursion sur l’île Saint-Barnabé, le kitesurf, la randonnée côtière, la visite du Site historique maritime de la Pointe-au-Père et le tourisme culinaire basé sur les produits de la mer. Les littoraux de la région sont aussi exposés aux manifestations des changements climatiques, qui se présentent notamment sous forme d’ondes de tempête (Quintin, Bernatchez et Jolivet, 2013), de submersion marine (Lapointe, Sarrasin et Guillemard, 2015) et d’érosion côtière (Bernatchez et al., 2015). Ainsi, par sa vocation maritime, cette MRC est particulièrement fragile aux conséquences des changements climatiques.
Figure 1. Carte de la MRC de Rimouski-Neigette. (Source : Tourisme Rimouski, 2023)
Malgré les risques multiples qu’impliquent les changements climatiques pour le tourisme côtier, la recherche semble insuffisante (Lemmen et al., 2021). La planification des activités touristiques se focalise généralement sur des scénarios à court terme (Scott, Gössling et Hall, 2012). Dans une perspective de développement de cette industrie, il est essentiel de bien comprendre la situation pour déterminer les mesures d’adaptation actuelles et celles envisagées par les parties prenantes. Nous avons ici souhaité comprendre comment les parties prenantes de l’industrie touristique côtière de cette MRC élaborent des mesures adaptatives afin de répondre aux enjeux du tourisme côtier face aux changements climatiques.
Pour y arriver, un cadrage théorique croisant les concepts de perception des risques, de capacité d’adaptation et de résilience en contexte touristique côtier a été élaboré. Le terrain propre à l’étude a permis d’effectuer une analyse documentaire (recension et analyse de rapports gouvernementaux et techniques) ainsi qu’une observation participante lors de diverses initiatives menées par des organismes clés du secteur. S’est ensuite ajoutée la réalisation de 13 entrevues avec trois groupes de parties prenantes de l’industrie touristique côtière : des gestionnaires d’organisations touristiques, des acteurs et actrices d’organismes du secteur public régional, ainsi que des responsables de la promotion touristique. Cette démarche a permis de faire des constats en matière de perception du risque, de mesures d’adaptation, mais également de besoins en recherche.
Perception des risques climatiques dans l’industrie touristique côtière
La perception des risques climatiques est associée, pour les parties prenantes du secteur public, aux inondations, à la submersion et à l’érosion côtière. Les effets causés sur l’industrie touristique concernent la sécurité des personnes usagères, les installations et les infrastructures, l’activité économique et culturelle, les habitats côtiers et les attraits touristiques. Les organisations touristiques côtières voient comme conséquences principales la fréquence et l’amplitude des vagues et des marées. Les organismes de promotion touristique, quant à eux, identifient les ondes de tempête, les grandes marées, l’érosion et la submersion côtière comme étant les principales manifestations des changements climatiques.
L’augmentation de la fréquence de fortes tempêtes et des grandes marées modifie considérablement le paysage côtier. Elle est d’autant plus préoccupante que le couvert de glace en saison hivernale tend à disparaître en raison de températures plus douces. Ceci a un effet direct sur les infrastructures côtières et touristiques, car les vagues ne sont plus freinées. La tempête historique du 6 décembre 2010 a été évoquée par les personnes rencontrées, alors que le cadre bâti a subi des dommages : 13 % des bâtiments en bordure de mer ont été touchés de manière faible à modérée (Quintin, Bernatchez et Jolivet, 2013). Cet événement a forcé la mise en place de nouvelles mesures d’adaptation dans un contexte de petites municipalités confrontées à des contraintes topographiques pour trouver l’espace nécessaire au recul.
Adaptations structurelles flexibles et solutions fondées sur la nature
Les adaptations structurelles permettent d’intégrer les risques climatiques aux infrastructures touristiques dans une perspective d’ingénierie. Un exemple notable est celui d’une entreprise ayant mis en place un concept novateur de chalets sur roues, permettant de déplacer les chalets en fonction des saisons et de s’adapter ainsi aux conditions météorologiques extrêmes. À la fin de la saison touristique, ces chalets peuvent être reculés des berges, ce qui les protège des conséquences climatiques.
Par ailleurs, des adaptations fondées sur la nature et moins envahissantes que l’enrochement sont préconisées par des groupes environnementaux afin de préserver l’accès au fleuve et de restaurer les milieux naturels. La revégétalisation sera ainsi privilégiée dans des zones fortement touchées par les changements climatiques. Par exemple, la plantation d’herbiers aquatiques tels que les zostères marines et les herbiers de spartine alternifore seront utiles pour atténuer l’effet des vagues dans l’estran, ou encore l’élyme des sables, qui sera utile pour stabiliser les plages.
L’enrochement, une adaptation parfois nécessaire
L’enrochement devient parfois une mesure d’adaptation nécessaire pour protéger les infrastructures de l’effet des vagues. Cette méthode coûteuse, qui n’est pas toujours bénéfique pour préserver l’esthétique et la largeur des plages, est quelquefois privilégiée par les gestionnaires d’organisations touristiques. D’ailleurs, le sous-marin Onondaga du site historique maritime de la Pointe-au-Père, est protégé par de l’enrochement sur plus de 100 mètres. Des travaux de soulèvement du sous-marin ont récemment été annoncés afin de corriger son installation et de mieux le protéger de l’effet des marées. Ces travaux amèneront également une réflexion sur la hauteur et les besoins en enrochement. Cette réflexion est indispensable dans le contexte de développement du site et de maintien de l’attrait du sous-marin, le site ayant accueilli 81 000 visiteurs en 2023. Notons que lors de la tempête de 2010, le site a connu un épisode de submersion et une partie des archives a alors été perdue, ce qui a forcé l’organisation à revoir ses pratiques et à éloigner les archives de la mer.
Connaissances stratégiques, concertation et accompagnement
Certaines entreprises du secteur touristique nous ont confié qu’elles bénéficiaient d’une expertise scientifique de manière importante. Une relation de confiance de longue date s’est établie entre ces organisations et les scientifiques de la Chaire de recherche en géoscience côtière du Laboratoire de dynamique et de gestion intégrée des zones côtières de l’Université du Québec à Rimouski. Cette relation facilite le choix des organisations quant aux mesures adaptatives et leur procure un soutien pour se conformer aux réglementations.
Malgré la présence jugée essentielle de l’équipe de recherche de la Chaire, les entrevues ont permis de faire ressortir le besoin accru en concertation et la nécessité d’avoir une perspective plus intégrée entre l’ensemble des parties prenantes concernées en matière de changements climatiques sur le territoire. Cette posture permet non seulement la collaboration, mais aussi l’acceptabilité sociale de solutions d’adaptation durable. Le partage des données probantes et des connaissances stratégiques a été identifié comme étant essentiel pour une meilleure adaptation du secteur. De plus, il a été souligné que la dimension climatique est souvent négligée lors de nombreux événements de promotion touristique liés au secteur maritime.
Les groupes environnementaux pallient ces lacunes par la sensibilisation, mais également en favorisant l’accompagnement pour l’élaboration de plans d’adaptation. Par exemple, le Conseil régional de l’environnement du Bas-Saint-Laurent et le Centre intégré de santé et de services sociaux du Bas-Saint-Laurent ont tenu, au cours de l’automne 2023, le Grand Rendez-vous régional de l’adaptation aux changements climatiques. Cette initiative ouvre la voie sur une collaboration régionale visant à promouvoir la planification d’actions durables et équitables en réponse aux changements climatiques.
Par ailleurs, dans le cadre du Plan d’action pour un tourisme responsable et durable 2020-2025, l’axe 5 cible précisément l’accompagnement des entreprises touristiques dans l’adaptation et l’innovation à l’égard des changements climatiques. C’est ainsi que le ministère du Tourisme a confié à Ouranos le mandat d’outiller les associations touristiques en matière d’adaptation et de les orienter vers des solutions innovantes faisant participer les acteurs du milieu. Cet accompagnement est crucial pour favoriser les mécanismes d’adaptation structurelle du milieu.
Vers des pistes d’action
Au cours de l’été 2023, la Direction régionale de la santé publique du Bas-Saint-Laurent dévoilait un rapport mettant en évidence l’exposition du Bas-Saint-Laurent aux phénomènes climatiques extrêmes tels que les inondations, l’érosion côtière, les tempêtes, les feux et les épisodes de chaleur excessive (Turgeon-Pelchat et al., 2023). Ce rapport propose un indice de vulnérabilité populationnelle aux changements climatiques mesuré à partir de trois dimensions : l’exposition aux changements climatiques, la sensibilité de la population et sa capacité d’adaptation. L’exposition est évaluée à partir de neuf aléas climatiques ciblés. Quant à elle, la sensibilité est mesurée à l’aide de 35 indicateurs couvrant la santé, les caractéristiques individuelles, les milieux de vie et les systèmes. Enfin, la capacité d’adaptation est analysée à travers les quatre dimensions de la sécurité civile : prévention, préparation, intervention et rétablissement, en plus de la capacité individuelle à faire face à l’un des aléas climatiques. Il y est mentionné que bien que la MRC de Rimouski-Neigette ait un indice de vulnérabilité faible par rapport à l’ensemble du Bas-Saint-Laurent, elle demeure exposée aux risques par sa faible capacité d’adaptation, en ce qui concerne sa capacité réduite de prévention. Cette lacune corrobore les résultats de nos travaux sur les besoins en adaptation, qui ont dévoilé une capacité limitée de prévention et de rétablissement.
Plusieurs personnes interrogées nous ont confié voir actuellement une conjoncture favorable se dessiner dans la priorisation des enjeux liés aux changements climatiques et dans les mesures d’adaptation qui tiennent compte des réalités régionales. D’ailleurs, le gouvernement a annoncé la création d’un bureau de projets en érosion et en submersion marine côtières dans l’est du Québec afin de planifier les mesures d’adaptation. C’est le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation qui coordonnera l’initiative, en privilégiant un ancrage régional et local. De plus, le programme Accélérer la transition climatique locale découlant du Plan pour une économie verte 2030 soutiendra les municipalités dans l’élaboration de plan pour lutter contre les changements climatiques (Plan climat). Ces mécanismes permettront d’affronter la question climatique de front en matière d’adaptation et d’atténuation, et ce, sur l’ensemble des régions maritimes du Québec.
Besoin en recherche et en actions concertées
L’industrie touristique côtière, qui devrait favoriser le développement et la croissance économique grâce aux potentialités de la région, se trouve fragilisée par les conséquences des phénomènes climatiques. Toutes les composantes du tourisme sont à risque, qu’il s’agisse des écosystèmes, des infrastructures de développement ou du patrimoine culturel.
L’adaptation aux changements climatiques dans cette industrie exige une considération fine et spécifique des réalités locales et régionales, en plus d’une collaboration multisectorielle. Plusieurs démarches prometteuses sont en cours pour renforcer la résilience des communautés côtières, en particulier l’industrie touristique côtière. Ce travail a permis de mettre en valeur non seulement l’idée de miser sur la nature pour s’adapter, mais aussi les initiatives en matière d’adaptation structurelle. Plusieurs angles morts ont cependant été identifiés, à savoir les coûts d’assurances et ceux engendrés par la mise en œuvre de plans d’adaptation. La question de la gestion des urgences par le secteur (prévention et rétablissement) n’a pas non plus été abordée par les personnes rencontrées.
Ce travail vient poser les jalons pour une recherche plus approfondie visant l’étude de plusieurs régions à risque, de divers types d’installations touristiques, des différentes parties prenantes de l’industrie, notamment les touristes, et d’une offre touristique diversifiée.