Droit et politique

Lorsque l’immobilisme ne tient plus : création d’un fonds pour les pertes et préjudices à la COP27

À l’issue de la 27e Conférence des Parties (COP27) à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) (Charm el-Cheikh, Égypte, 6 au 18 novembre 2022), les États se sont entendus sur la création d’un nouveau fonds pour appuyer les pays vulnérables subissant des pertes et préjudices causés par les changements climatiques (CCNUCC, 2022a, par. 3 ; 2022b, par. 46). Bien que les modalités de ce fonds restent encore à déterminer, sa création marquera un tournant dans les négociations climatiques internationales. Et pour cause : cette avenue a longtemps été rejetée par les pays développés, et ce, malgré l’insistance répétée des pays particulièrement vulnérables et sensibles aux effets néfastes des changements climatiques. Ceux-ci considèrent les sommes d’un tel fonds comme vitales, car ils subissent de manière disproportionnée les dommages causés par le dérèglement du climat, sans toutefois en être responsables, et sans disposer des ressources nécessaires pour y faire face.

Cet article porte un regard particulier sur la création de ce nouveau fonds et brosse un portrait des principales avancées de la COP27 sur la question des pertes et préjudices. Pour ce faire, il offre d’abord quelques éléments de définition de ce concept généralement méconnu et situe ensuite l’enjeu des pertes et préjudices dans le contexte plus large des négociations climatiques internationales. Sur la base d’observations terrain et d’une analyse des décisions rendues à Charm el-Cheikh, il s’intéresse finalement aux réalisations concrètes de la COP27 sur la question des pertes et préjudices ainsi qu’aux prochaines étapes d’ici la COP28 (novembre-décembre 2023).

Les COP, ou Conférences des Parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, sont un rendez-vous annuel d’environ deux semaines durant lesquels les États négocient sur la manière de limiter les changements climatiques et leurs conséquences. La 27e Conférence des Parties, ou COP27, s’est tenue en novembre 2022 à Charm el-Cheikh, en Égypte.

Les pertes et préjudices, qu’est-ce que c’est ?

Expliqués simplement, les «  pertes et préjudices  » ou «  pertes et dommages  » font référence aux conséquences négatives des changements climatiques qui ne peuvent être évitées malgré la mise en place de mesures visant à atténuer ces changements ou à s’y adapter. Ces dommages sont le résultat d’événements climatiques à évolution rapide (p. ex. : des tempêtes violentes, des vagues de chaleur extrême, des inondations) ou à évolution lente (p. ex. : augmentation du niveau de la mer, désertification des sols, pertes de biodiversité). À différents degrés, ils donnent lieu à des pertes d’ordre économique (p. ex. : destruction d’infrastructures, baisse des rendements agricoles) et non économique (p. ex. : perte de vies humaines, atteinte au patrimoine culturel) (CCNUCC, 2018a).

Les pays en développement et les pays les moins avancés sont généralement les plus touchés par les pertes et préjudices, alors que leur situation géographique et leur manque de ressources les rendent particulièrement vulnérables aux conséquences du réchauffement climatique. Pensons par exemple aux pays d’Afrique sub-saharienne, qui subissent les contrecoups de sécheresses toujours plus fréquentes et intenses, ou encore aux petites îles du Pacifique, dont l’existence même est menacée par la montée des eaux.

Un enjeu longtemps laissé de côté

L’idée de se doter d’un mécanisme financier pour répondre aux dommages causés par les changements climatiques n’est pas nouvelle. Elle est apparue pour la première fois dans les négociations climatiques internationales en 1991, alors qu’on négociait la CCNUCC ; traité qui a posé les bases de la gouvernance mondiale du climat et des diverses actions climatiques internationales que nous connaissons aujourd’hui. L’Alliance des petits États insulaires (AOSIS) proposait alors de créer un système collectif de partage des pertes pour indemniser les pays en développement menacés par l’élévation du niveau de la mer. La proposition n’avait alors pas été retenue.

Ce revers a marqué le ton des négociations sur les pertes et préjudices jusqu’à la fin des années 2000. En effet, aucune action ou aucun dispositif structurant n’a vu le jour durant cette période. Ce n’est qu’en 2013, lors de la COP19, que cet enjeu est revenu officiellement à l’ordre du jour avec la création de la première structure officielle dédiée à l’enjeu des pertes et préjudices : le Mécanisme international de Varsovie relatif aux pertes et préjudices (WIM). Bien qu’il s’agisse alors d’un premier pas notable, cette nouvelle structure n’aborde pas l’essence même du problème, soit la question de la responsabilité des grands émetteurs et des indemnisations en découlant. Encore aujourd’hui, le WIM vise, au mieux, à : 1) améliorer la compréhension de la notion de pertes et préjudices ; 2) faciliter les échanges entre les parties prenantes impliquées ; et 3) renforcer l’action et le soutien en cas de pertes et préjudices (CCNUCC, 2018b).

Par la suite, en 2019, la COP25 a donné naissance au Réseau de Santiago pour les pertes et préjudices, une nouvelle structure du WIM rendue opérationnelle à la COP27, et qui permet aujourd’hui aux pays vulnérables de bénéficier d’une assistance technique auprès d’experts pour les aider à faire face aux conséquences des changements climatiques (CCNUCC, 2020). Encore une fois, ce nouveau mécanisme ne traite pas de la question des indemnisations ni de la création d’un fonds, au grand dam des pays les plus vulnérables touchés par les bouleversements du climat.

La principale pomme de discorde résidait alors — et réside toujours, d’ailleurs — dans la réticence des pays développés à être tenus légalement responsables des conséquences des changements climatiques que nous connaissons aujourd’hui, bien qu’ils en soient historiquement les principaux responsables (Dunne et al., 2022). Cela les obligerait légalement à fournir des compensations qui pourraient être colossales aux États subissant des pertes et préjudices ; une boîte de Pandore qu’ils ne souhaitent pas ouvrir. De plus, une question persiste : qui verserait de telles indemnisations ? Ce questionnement constitue un autre point de friction important dans les négociations, alors que les pays développés souhaitent que des pays émergents comme la Chine et l’Inde, qui sont devenus également de grands émetteurs de gaz à effet de serre (GES), contribuent aussi à payer cette lourde facture (Sguazzin et Rathi, 2022).

Or, une voie de passage s’est néanmoins ouverte à la COP26 de Glasgow en 2021 avec l’établissement du « Dialogue de Glasgow », une plateforme sur trois ans visant à « discuter des modalités de financement des activités visant à prévenir, à minimiser et à traiter les pertes et dommages liés aux effets néfastes des changements climatiques » (CCNUCC, 2021, par. 73). Bien que ce « Dialogue » ne fasse aucune allusion aux notions de responsabilité ou d’indemnisation de la part des pays développés, il ne ferme tout de même pas la voie à la création d’un fonds dédié aux pertes et préjudices pour les pays les plus vulnérables. Cette avenue s’est justement trouvée au cœur des négociations durant la COP27 de 2022, et le sera aussi lors de la COP28, en novembre-décembre 2023.

Retombées de la COP27 et suites pour la COP28

Les attentes pour la COP27 étaient particulièrement élevées, tant du côté des États parties que des observateurs. Présentée par la présidence égyptienne sous le slogan «  Ensemble pour la mise en œuvre  » (Together for Implementation), cette conférence était qualifiée de «  COP de la mise en œuvre  ». Elle devait accélérer la réalisation des engagements climatiques en matière de réduction des émissions de GES, de financement climatique et d’adaptation aux changements climatiques, en plus de faire progresser les discussions sur les pertes et préjudices (Beaudoin et al., 2023). À ce titre, une analyse des décisions rendues à la COP27, conjuguée à des observations sur le terrain, porte à conclure que l’enjeu des pertes et préjudices y a connu plusieurs avancées considérables.

Sur le plan symbolique d’abord, la COP27 a abouti à une reconnaissance plus explicite de l’existence et de la sévérité de la problématique des pertes et préjudices. Cette reconnaissance s’est manifestée notamment à travers la décision de clôture de la conférence, dans laquelle les pays soulignent pour la première fois «  l’importance d’apporter une réponse adéquate et efficace aux pertes et préjudices » et expriment leur «  profonde inquiétude des coûts financiers considérables liés aux pertes et dommages pour les pays en développement  » (CCNUCC, 2022b, par. 44-45). Sur le plan politique, cette reconnaissance fait désormais de la problématique des pertes et préjudices un enjeu auquel la communauté internationale doit répondre, en s’attaquant notamment à sa dimension financière.

La décision de créer un fonds dédié pour les pertes et préjudices apparaît comme la plus grande avancée de la COP27 sur cet enjeu ; peut-être même de la Conférence en elle-même. Elle constitue une victoire à la fois politique et symbolique pour les pays les plus vulnérables et les pays en développement, qui militent depuis des décennies en faveur de l’instauration d’un tel fonds, et qui ont redoublé d’efforts en prévision de la COP27 pour s’y présenter avec une position commune. Elle représente aussi une avancée importante sur le plan de la justice climatique, alors qu’on entrevoit pour la première fois la possibilité que les grands émetteurs de GES de la planète participent à payer pour les dommages causés par les changements climatiques dont ils sont les premiers responsables.

Or, il reste beaucoup à faire pour concrétiser cette décision, alors que les modalités de fonctionnement et les sources de financement de ce nouveau fonds sont encore à déterminer. Cela fera l’objet de négociations durant la COP28 (novembre-décembre 2023), par l’entremise notamment d’un «  comité transitoire  » (Transitional Committee) institué par la COP27. Composé de 24 membres, dont 10 provenant de pays développés et 14 de pays en développement, ce comité a pour mandat d’émettre des recommandations qui seront soumises pour examen et adoption lors de la COP28 (CCNUCC, 2022a, par. 5 et annexe). Celles-ci viseront notamment à rendre ce nouveau fonds opérationnel à l’issue de la COP28, en cherchant, entre autres, à :

  • Établir la forme que prendra ce nouveau fonds, c’est-à-dire son mandat, sa structure, sa gouvernance, ses modalités et ses dispositions institutionnelles ;
  • Définir les éléments d’autres modalités de financement ;
  • Identifier et élargir les sources de financement ;
  • Assurer la coordination et la complémentarité avec les dispositifs de financement existants (CCNUCC, 2022a, par. 5).
Figure 1. Survol historique de l’enjeu des pertes et préjudices (P&P) dans les négociations climatiques internationales

En clair, les négociations à la COP28 devront fixer les détails techniques et les grands paramètres de ce nouveau fonds. Il faudra donc y trancher d’épineuses questions (Åberg, 2023), dont celles évoquées précédemment : qui des pays développés et/ou des pays émergents financera ce fonds ? Aussi, qui en bénéficiera et dans quelles circonstances ? La décision de Charm el-Cheikh précise que les nouvelles modalités de financement entendues à la COP27 serviront à «  aider les pays en développement qui sont particulièrement vulnérables aux effets néfastes des changements climatiques  » (CCNUCC, 2022a, par. 5). Or, la liste des pays appartenant à cette catégorie reste encore à déterminer, tout comme la liste des pertes et dommages qui seront couverts par ce fonds. De plus, rien n’assure pour l’instant que ce fonds sera suffisamment garni pour répondre aux besoins croissants des pays concernés. Et donc, quels mécanismes et dispositions privilégier pour inciter, voire contraindre les pays financeurs à y contribuer adéquatement ? Il s’agit là d’une autre question à laquelle la COP28 devra répondre.

Conclusion

La COP28 attire déjà l’attention de plusieurs observateurs, notamment parce qu’elle se tiendra à Dubaï, aux Émirats arabes unis, l’un des plus grands pays producteurs et exportateurs de pétrole au monde. Or, cette conférence devra permettre des avancées importantes sur le plan de la réduction des émissions des GES, de l’adaptation aux changements climatiques, du financement climatique et des pertes et préjudices (Beaudoin et al., 2023). Elle sera d’ailleurs déterminante pour les pays les plus vulnérables aux changements climatiques, qui attendent avec impatience la création d’un fonds leur permettant de réparer les dégâts causés par les conséquences croissantes des changements climatiques. Ces pays et les organisations de la société civile y fondent de grands espoirs. La communauté internationale sera-t-elle en mesure de livrer la marchandise ?

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